ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"364"> sans inspiration, étoit une véritable prophétie dans un autre sens, auquel le prophete ne faisoit aucune attention; & il allegue en preuve l'exemple du grand - prêtre Caïphe, qui prophétisa contre son intention & sans pénétrer le sens de ce qu'il disoit, lorsqu'il proféra cette parole touchant Jesus - Christ, Il est expédient qu'un homme meure pour tout le peuple. Tel est le systeme de M. le Clerc.

Avant que d'entrer en preuve sur l'inspiration des Ecritures & sur son objet, il est bon d'expliquer quelques termes relatifs à cette matiere, & que nous avons déja employés, & de faire quelques distinctions nécessaires pour éviter la confusion des idées.

On entend par révélation la manifestation d'une chose inconnue, soit qu'on l'ait toûjours ignorée, soit qu'on l'ait oubliée après l'avoir connue.

L'inspiration est un mouvement intérieur du Saint - Esprit qui détermine un auteur à écrire & le conduit de telle maniere lorsqu'il écrit, qu'il lui suggere au moins les pensées, & le préserve de tout danger de s'écarter de la vérité.

L'assistance ou direction est un secours de Dieu, par lequel celui qui prononce sur quelques vérités de la religion ne peut s'égarer, ni se tromper dans la décision. C'est ce secours que les catholiques reconnoissent avoir été promis à l'Eglise, & qui la rend infaillible, lorsqu'elle décide dans les conciles généraux, ou que sans être assemblée elle donne son consentement à ce qui a été décidé par le saint siége ou dans quelque concile particulier; comme il est arrivé à l'égard des décisions du second concile d'Orange sur les matieres de la grace.

Le pieux mouvement admis par Grotius & par d'autres, vient du ciel; il excite l'auteur à écrire, & lui donne la pensée & la volonté de ne point se tromper de dessein prémédité, sans cependant qu'il soit assûré d'une protection spéciale qui le préserve de toute erreur.

On distingue dans l'Ecriture les choses & les termes qui énoncent les choses. Les choses contenues dans l'Ecriture sont des histoires, ou des prophéties, ou des doctrines; & celles - ci sont ou philosophiques, qui ont pour objet le méchanisme ou la structure du monde; ou théologiques, qui se divisent en spéculatives, quand elles ont Dieu pour objet, sans influer sur les moeurs, & en pratiques, quand elles ont pour objet les devoirs de l'homme. Les termes de l'Ecriture sont les paroles dont les auteurs sacrés se sont servis. L'ordre & la liaison des termes forment ce qu'on appelle le style des Livres saints.

Ces notions présupposées, les théologiens catholiques conviennent assez généralement que quant aux choses & aux pensées les Livres saints ont été divinement inspirés, ou que pour les écrire l'assistance & le pieux mouvement n'ont pas suffi aux écrivains sacrés, mais qu'il leur a fallu une inspiration proprement dite. Mais comme c'est un point qui n'est pas susceptible de démonstration par les seules lumieres de la raison; ils ont recours, pour le prouver, à l'autorité de l'Ecriture même, & à celle des peres. 1°. l'Ecriture se rend à elle - même ce témoignage qu'elle a été inspirée de Dieu. Toute Ecriture divinement inspirée, dit S. Paul, épit. jx chap. iij. §. 16, (en grec QEOPNEUS2OS2, communiquée par le souffle divin) est utile pour enseigner, &c. Il appelle encore l'Ecriture la parole de Dieu, les oracles de Dieu. eloquia Dei, TA LOGIA T= QE=. De - là ces expressions si usitées dans les prophetes: factus est ser<-> mo Domini, factum est verbum Domini, hoec dicit Do<-> minus, &c. S. Pierre dit en particulier des prophéties dans sa seconde épitre, chap. j. §. 21. Ce n'a point été par la volonté des hommes que les prophéties nous ont été anciennement apportées, mais ç'a été par l'inspi<-> ration du Saint - Esprit que les saints hommes de Dieu ont parlé. La vulgate porte: Spiritu sancto inspirati, & on lit dans le grec QEROME/NOI, acti, impulsi, ce qui marque un mouvement d'un ordre superieur à la simple assistance ou direction, & au pieux mouvement imaginé, ou du moins soutenu par Grotius. 2°. Les textes des peres ne sont pas moins précis sur cette matiere. Les uns, tels qu'Athenagoras, saint Justin, Théophile d'Antioche, S. Irenée, Tertullien, Origene, Eusebe, &c. disent que les écrivains sacrés ont écrit par l'impulsion du Saint - Esprit, par l'inspi<-> ration du Verbe, qu'ils sont les organes de la Divinité: ils les comparent à des instrumens de musique qui ne rendent des sons que par le souffle du musicien qui les embouche, ou par l'impulsion de l'archet qui forme des vibrations sur leurs cordes. Les autres, tels que S. Gregoire de Nazianze, S. Basile, S. Gregoire de Nysse, S. Jerôme, S. Augustin, S. Gregoirele - Grand, &c. disent que les auteurs sacrés ont été poussés par le souffle de Dieu, que l'Esprit saint est l'inspirateur des Ecritures, qu'il en est l'auteur, &c. On peut consulter les textes dans les peres mêmes ou dans les interpretes & les théologiens.

Mais, dit - on, est - il probable, n'est - il pas même indigne de la science infinie & de la majesté de Dieu, d'avancer qu'il a inspiré aux écrivains sacrés tant de choses peu exactes, pour ne pas dire absurdes, en fait de physique? Quelle nécessité de recourir à l'inspiration pour les évenemens historiques, dont ces auteurs ont été témoins oculaires, ou qu'ils ont pu apprendre par une tradition écrite ou orale?

C'est ici qu'il faut se rappeller les définitions que nous avons données des différentes sortes de secours que les Théologiens ont cru plus ou moins nécessaires aux écrivains sacrés pour composer les livres qui portent leurs noms, & les distinctions que nous avons mises entre les divers objets sur lesquels les plumes de ces écrivains se sont exercées. C'est ici, dis - je, qu'il faut blen discerner la révélation de la simple inspiration. Dieu, sans doute, a révélé aux prophetes les évenemens futurs, parce que la vûe de l'homme foible & bornée ne peut percer dans l'avenir, qui ne se dévoile qu'aux yeux de celui pour qui tout est present; il leur a révélé ainsi qu'aux apôtres les vérités spéculatives, ou pratiques, qui devoient faire le fonds ou l'essence de la religion: mais pour ces connoissances de pure curiosité, dont la connoissance ou l'ignorance n'influe ni sur le bonheur ou le malheur réel des hommes, & dont l'acquisition ou la privation ne va point à les rendre meilleurs; on peut assûrer sans crainte de déprimer la majesté de Dieu, ou de rien diminuer de sa bonté, qu'il n'a point révélé ces sortes d'objets aux écrivains sacrés. Le but des Ecritures étoit de rendre les hommes bons, vertueux, justes, agréables aux yeux de Dieu; & que fait à cela tel ou tel système de physique? D'ailleurs il n'est peut - être pas sûr que la physique de l'Ecriture en general, ne soit pas la vraie physique; mais quelle qu'elle soit enfin, Dieu n'en a pas moins inspiré les écrivains sacrés sur ce qui concernoit le sort des hommes, par rapport à l'éternité; & il n'est pas démontré qu'ils soient dans l'erreur, même relativement aux connoissances philosophiques. Je dis la même chose des évenemens historiques. Non, sans doute, Moyse n'a pas eu besoin d'une révélation spéciale pour connoître & décrire les playes de l'Egypte, les campemens des Israélites dans le desert, les miracles que Dieu opéra par son ministere, les victoires ou les défaites de son peuple; en un mot toutes les merveilles de sa mission & de la législation. S. Luc en écrivant les actes des apôtres, atteste à son ami Théophile, qu'après avoir été infor<-> mé très - exactement, & depuis leur premier commence<-> ment, des choses qu'il va décrire, il doit lui en repré<-> senter toute la suite, afin qu'il connoisse la vérité de tout [p. 365] ce qui a été annoncé. S. Jean ne dit - il pas également: épit. 1. c. j. §. 1. Ce que nous avons entendu, ce que nous avons vû de nos propres yeux, ce que nos mains on ttouché du Verbe de vie, nous vous l'attestons ou nous vous l'annonçons. Le témoignage oculaire, auriculaire, ou fondé sur des traditions écrites ou orales, n'exclut donc que la nécessité ou la réalité d'une révélation, & nullement celle d'une inspiration, qui déterminât la volonté de l'écrivain sacré, & qui en le préservant de tout danger de s'écarter de la vérité, lui suggérât au moins les pensées qui forment le fonds de son ouvrage.

Je dis au moins les pensées; car M. l'abbé de Vence, connu par son érudition, dans une dissertation sur l'inspiration des Livres saints, imprimée à la tête de la nouvelle édition de la traduction de la bible par le pere des Carrieres, soûtient que non seulement les choses contenues dans les Livres saints; mais encore les expressions dont elles sont revêtues, ont été inspirées par le Saint - Esprit. Ce sentiment a ses defenseurs, & voici les principales raisons sur lesquelles l'appuie M. l'abbé de Vence. 1°. que les textes de l'Ecriture & des peres ne distinguant point entre les pensées & les expressions, lorsqu'il s'agit de l'inspiration des Livres saints, on peut en conclure que les termes qu'ont employés les auteurs sacrés ne leur ont pas été moins suggerés par le Saint - Esprit, que les pensées ou les choses énoncées par ces termes. 2°. Qu'on peut dire qu'à l'égard du style, tous les prophetes & les écrivains sacrés sont égaux, & qu'il n'est pas vrai que l'un écrive plus élégamment que l'autre, s'ilne s'agit que de se servir des termes qui sont propres à exprimer les choses qu'ils ont dessein d'écrire. 3°. La vraye éloquence, dit l'auteur que nous analysons, « consiste proprement dans les idées plus élevées, dans les pensées plus sublimes, & dans les figures de l'art, qui ne peuvent être séparées des pensées. Or il est certain que les pensées des auteurs sacrés sont inspirées: ainsi le raisonnement qu'on tire de la difference du style de ces auteurs, regardé du côté de l'éloquence, ne prouve rien contre le sentiment de ceux qui croyent que les termes mêmes ont été inspires. Dans Amos, par exemple, ce n'est point le mauvais choix des mots & des termes qui a fait dire à S. Jerôme que ce prophete étoit grossier & peu instruit pour la parole: c'est à cause de ses comparaisons tirées de choses assez basses & communes, ou bien parce qu'il n'a pas des idées si nobles ni si élevées que le piophete Isaïe. Or tout cela consiste dans des pensées, & il n'y en a aucune qui ne soit digne de l'esprit de Dieu qui les a inspirées. Si quelques - unes nous paroissent moins nobles ou plus communes, c'est par goût & selon nos idées que nous en jugeons ». Mais cela peut - il faire une regle, pour dire que l'une est plus digne de Dieu que l'autre?

Les défenseurs du même sentiment citent en leur faveur des textes précis de S. Chrysostôme, de S. Basile, de S. Augustin, de Théodoret & de saint Bernard, qui disent expressément que les écrivains sa<-> crés ont été les plumes de l'Esprit - Saint, qu'ils ont écrit, pour ainsi parler, sous sa dictée, & qu'il n'y a pas dans l'Ecriture une lettre, une syllabe qui ne renferme des mysteres ou des trésors cachés: d'où ils concluent que le style des livres saints n'est pas moins inspiré que le fond des choses.

A ces autorités & à ces raisonnemens, les partisans de l'opinion contraire, soûtenue d'abord dans le jx. siecle par Agobard archevêque de Lyon, opposent l'autorité de l'Ecriture, des peres, & des argumens dont nous allons donner le précis.

1°. L'auteur du second livre des Machabées assûre qu'il n'est que l'abbréviateur de l'ouvrage de Ja<cb-> son le Cyrénéen, qui comprenoit cinq livres; que la rédaction de cet ouvrage lui a coûté beaucoup de travail. Il prie ses lecteurs de l'excuser s'il n'a pas atteint la perfection du style historique: donc le Saint - Esprit ne lui a pas inspiré les termes qu'il a employés. De simples copistes a qui l'on dicte, ne peuvent faire sonner bien haut leur travail, ni exagérer leur peine. Dans l'hypothèse de l'inspiration, étendue jusqu'aux termes de l'Ecriture, l'excuse que demande l'auteur du second livre des Machabées est injurieuse au Saint - Esprit, qui est infaillible, à qui les expressions propres ne manquent jamais, & qui n'a pas besoin qu'on excuse la foiblesse de son génie ou celle de son langage.

II. Origenes, S. Basile, S. Grégoire de Nazianze, & S. Jerôme ont remarqué qu'il y avoit dans l'évangile des fautes de langage; ils ne les attribuent point au S. Esprit, mais aux apôtres, qui, nés ignorans & grossiers, ne se piquoient point d'écrire ou de parler élegamment. Imperitus sermone sed non scientiâ, disoit de lui - même S. Paul, quoiqu'il eût été instruit dans toutes les doctrines des Juifs aux piés de Gamaliel. Le S. Esprit a donc laissé à ces écrivains le choix des expressions.

III. Si l'Esprit saint avoit dicté aux historiens sacrés le style qui forme leurs écrits, pourquoi rapportent - ils en différens termes, qui reviennent au même sens, la substance des mêmes faits? S. Augustin en donne la raison, lib. III. de consensu evangelist. cap. xij. Ut quisque evangelistarum meminerat, dit ce pere, & ut cuique cordi erat, vel brevius vel prolixius eamdem explicare sententiam manifestum est. Ils ont donc été libres sur le choix des termes & sur leur construction.

IV. S. Paul cite quelquefois les propres paroles des poëtes profanes, pourquoi n'auroit - il pas employé son propre style pour écrire ses épîtres? Et en effet, suivant la différence des matieres ne portent - elle pas une empreinte différente? Le mystere de la prédestination dans les épîtres aux Romains & aux Ephésiens, & celui de l'Eucharistie dans la premiere aux Corinthiens, sont bien d'un autre ton de couleur, s'il est permis de s'exprimer ainsi, que les conseils qu'il donne à Tite & à Timothée. Il assortissoit donc son style aux matieres.

V. Et c'étoit le grand argument d'Agobard, dans sa lettre à Fredegise abbé de S. Martin de Tours. Le style de tous les prophetes n'est pas le même: celui d'Isaïe est noble & élevé, celui d'Amos au contraire est bas & rampant. Ils annoncent l'un & l'autre la chûte du royaume de Juda, mais chacun d'eux s'exprime d'une maniere bien différente. On trouve dans Amos des expressions populaires & proverbiales, parce qu'il étoit berger. L'éloquence & la noblesse du style se manifestent par - tout dans Isaïe, parce qu'il étoit prince du sang de David, & qu'il vivoit à la cour des rois de Juda. Or si le S. Esprit eût dicté à ces deux prophetes jusqu'aux expressions qu'ils ont employées, il pouvoit faire parler Amos comme Isaïe, puisque cet esprit divin délie la langue des muets, & peut rendre éloquente la bouche même des enfans. La diversité du style des prophetes est donc une preuve sensible que Dieu leur a laissé le choix des expressions, selon la diversité de leurs talens naturels. Il faut pourtant avoüer à l'égard des prophetes, que quelquefois le S. Esprit leur a dicté certaines expressions, comme lorsqu'il a révélé à Isaïe le nom de Cyrus très - long tems avant la naissance de ce conquérant.

On peut consulter sur cette matiere tous les interpretes & commentateurs de l'Ecriture, entr'autres la dissertation de M. l'abbé de Vence, le dictionnaire de la bible de Calmet au mot Inspiration, & l'introduction à l'Ecriture - sainte du P. Lamy.

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