ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS
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justifier des dogmes qui révoltent la raison, ou
une morale contraire à l'humanité. Quel vestige,
ajoûtent - ils, trouve - t - on dans l'antiquité prophane,
de ces Livres rélégués dans un coin du monde, ou
ensevelis dans l'obscurité du Judaïsme, & même du
Christianisme naissant? D'ailleurs, disent - ils, qui
nous répondra que ces Livres tous divins dans leur
origine, n'ont point été altérés par l'intérêt, la
mauvaise foi, l'esprit de parti, & les autres passions
des hommes? manque - t - on d'exemples en ce genre?
Enfin ces écrits considérés en eux - mêmes, portent-ils
l'empreinte & le sceau de la divinité? le fond
des choses, & le style, n'annoncent - ils pas suffisamment
qu'ils sont le pur ouvrage des hommes, & même
quelquefois d'écrivains assez médiocres?
Ces difficultés méritent d'autant mieux une réponse
solide, qu'on les lit ou qu'on les entend tous
les jours proposer. Je dis donc en général à l'incrédule,
qu'à moins de tomber dans un pyrrhonisme
historique universel, il ne peut nier l'authenticité
des Livres divins, parce qu'ils ont été conservés,
non pas uniquement (remarquez ceci), mais singulierement,
par une seule nation intéressée à les citer
en confirmation de sa doctrine. Tout peuple policé
n'a - t - il pas sa religion? ne conserve - t - il pas dans ses
archives, les titres & les monumens qui déposent en
saveur de sa religion? doit - il en aller chercher les
preuves dans les actes publics d'une nation étrangere
ou à lui inconnue? & seroit - on recevable de dire à
un Musulman que l'alcoran n'est pas authentique,
parce que dès son origine les Mahométans en sont
dépositaires, qu'ils le citent en preuve de leur doctrine,
qu'ils le conservent avec respect, tandis qu'il
est l'objet de la pure curiosité ou du mépris des sectateurs
de toute autre religion? Il n'y auroit sans
doute ni équité ni justesse dans un pareil raisonnement,
& il ne prouveroit nullement que l'alcoran
n'a point été écrit par Mahomet, ou rédigé par ses
premiers disciples. 2°. L'authenticité d'un livre, ou
sa supposition, ne depend pas de la nature des choses
qu'il contient; vraies ou fausses, absurdes ou
probables, claires ou obscures, mystérieuses ou intelligibles,
cela ne fait rien à la question: il s'agit uniquement
de décider par qui & en quel tems tel ou
tel ouvrage a été écrit. Dès qu'une tradition écrite
& perpétuée d'âge en âge dans un peuple ou dans
une société qui professe une religion quelconque,
remonte jusqu'à l'origine de l'ouvrage, qu'elle en
cite l'auteur, & qu'une foule d'écrivains déposent
constamment en sa faveur, c'en est assez pour décider
tout homme sensé. A - t - on jamais nié, par
exemple, que Tite - Live ait écrit l'histoire qu'on lui
attribue, quoiqu'elle renferme des traits merveilleux
& incroyables, qu'il a plû des pierres, que des
statues ont parlé, ou sué du sang, &c? A - t - on révoqué
en doute que Plutarque soit l'auteur des vies
des hommes illustres, parce qu'il y narre des prodiges
ou des faits qui choquent la vraissemblance,
tels que les batailles de Marathon, de Platée, d'Orchomene, &c. où une poignée de monde a défait
des armées innombrables, & jonché la terre de plus
de cinquante mille morts, sans perdre plus de mille
hommes? La certitude morale n'étant fondée que
sur l'uniformité des témoignages, les mêmes regles
de critique qui prouvent l'authenticité des auteurs
profanes, prouvent en faveur des écrivains sacrés.
On sait quel succès a eu à cet égard la prétention
d'un critique moderne, qui soûtenoit que tous les
ouvrages profanes étoient des écrits supposés par des
imposteurs. 3°. Quand les auteurs payens n'auroient
fait nulle mention des Livres sacrés, ce silence ne
formeroit qu'un argument négatif, qui ne balanceroit
que très - foiblement la solidité des preuves positives.
Mais il faut être bien peu versé dans l'étude
de l'antiquité, pour avancer que les Livres divins,
soit des Juifs, soit des Chrétiens, ont été inconnus
aux Payens: car sans parler des Livres du nouveau
Testament, dont Celse & Porphyre avoient entrepris
une réfutation suivie, & que Julien, dans quelques - unes de ses lettres, attribue sans détour aux
Evangélistes ou aux autres Apôtres dont ils portent
les noms; arrêtons - nous aux Livres de l'ancien Testament; & parmi ceux - ci, au plus ancien de tous,
je veux dire le Pentateuque. Quelle foule d'écrivains
profanes qui reconnoissent & l'existence de Moyse,
& l'antiquité de ses Livres! Tels sont Manethon prêtre
d'Egypte, Cléodeme, Apollonius Molon, Cheremon Egyptien, Nicolas de Damas, Appion d'Alexandrie, contre lequel a écrit l'historien Josephe;
Philochore d'Athenes, Castor de Rhodes, & Diodore de Sicile, cités par S. Justin dans l'exhortation
aux Grecs; Ptolemée de Mendés, cité par S. Clément d'Alexandrie, lib. I. stromat. Eupoleme, Alexandre Polyhistor & Numénius, cités par Eusebe,
liv. IX. de la préparat. évangel. Strabon, Géograph.
liv. XVI. Juvenal, satyr. xjv. Tacite, hist. liv. V.
Galien de Pergame, de different. pulsum. lib. III. &
de usu partium, lib. XI. cap. xjv. Longin, traité du
sublime, ch. vij. Chalcidius, Porphyre, Julien l'Apostat & divers autres, dont les textes sont rapportés
par M. Huet dans sa démonstrat. évangel. ou par
Grotius dans son excellent traité de la vérité de la re<->
ligion chrétienne. L'allégation des incrédules, fondée
sur le silence des écrivains profanes, est donc une
allégation évidemment fausse; mais quand on la supposeroit
aussi fondée qu'elle l'est peu, elle ne prouveroit
encore rien contre l'authenticité des divines
Ecritures. 4°. Envain ajoute - t - on que ces Livres ont
pû être altérés, corrompus ou falsifiés par l'intérêt,
la mauvaise foi, l'esprit de parti, &c. cela, j'en conviens,
peut arriver, & n'est pas même sans exemple
pour un ouvrage obscur, indifférent, qui n'intéresse
pas essentiellement toute une société: mais
pour un ouvrage consigné dans les archives de la
nation, distribué, pour ainsi dire, à tous les particuliers;
qui est tout - à - la - fois & le dépôt du dogme
& le code des lois, comment pourroit - il être susceptible
de corruption ou d'altération? En effet, cette
altération ou corruption seroit le résultat d'un complot
de toute la société, ou l'exécution d'un projet
formé par quelques particuliers: or l'un & l'autre
sont impossibles. Choisissons pour exemple la Pentateuque. Le voilà reconnu du vivant de Moyse,
pour un Livre divin. Supposons qu'après sa mort
tout le peuple hébreu ait conspiré à interpoler ou à
altérer ce Livre: ce peuple étoit donc bien mal habile,
puisqu'il y a laissé subsister tout ce qui pouvoit
le couvrir d'une éternelle infamie; les crimes de ses
peres, & ses propres attentats; l'inceste de Juda,
les cruautés des enfans de Jacob contre les Sichimites, leur perfidie & leur barbarie envers leur frere
Joseph; & après la sortie d'Egypte, leurs murmures
contre Dieu dans le desert, leurs fréquentes révoltes
& leurs séditions contre Moyse, leur penchant
à l'idolatrie, leur opiniâtreté, & mille autres traits
également deshonorans: voilà ce que la passion,
l'intérêt & l'esprit de parti, pour peu qu'ils eussent
été éclairés, n'auroient pas manqué de supprimer,
du consentement général de la nation. La chose devint
encore plus impossible depuis le schisme des
dix tribus. Le royaume d'Israël & celui de Juda conservoient
également le Pentateuque; pour peu que
l'une des deux nations eût voulu l'altérer, l'autre
eût réclamé sur le champ, avec cette véhémence
que donne la diversité d'opinions en matiere de religion.
La même raison est d'un poids égal pour les
tems qui suivirent la captivité. Les dix tribus qui
étoient restées en Assyrie, & les nouveaux habitans
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de la Samarie, qui conservoient le Pentateuque
écrit en anciens caracteres hébraïques, n'eussent
pas manqué de convaincre Esdras d'imposture, s'il
eût changé la moindre chose dans la nouvelle édition du Pentateuque, qu'il donna aux Juifs en lettres
chaldéennes. L'altération du Pentateuque faite
du consentement général de toute la nation juive,
est donc une chimere. Il est encore plus insensé de
prétendre qu'elle ait été l'ouvrage de quelques particuliers.
De quelle autorité auroient - ils entrepris
une pareille innovation? personne n'auroit - il réclamé?
Par quelle voie auroient - ils sans contradiction
altéré tous les exemplaires, tant ceux dont chaque
citoyen étoit possesseur, que ceux qui étoient déposés
dans les archives publiques, & notamment
dans l'arche d'alliance? Les mêmes raisons sont
exactement applicables aux Livres du nouveau Testament: les églises qui en étoient dépositaires, n'auroient
pû les falsifier d'un commun consentement,
sans soûlever contr'elles les Hérétiques mêmes, qui
dès le premier siecle de l'Eglise conservoient des
exemplaires authentiques de ces Livres; à plus forte
raison les particuliers n'auroient - ils osé tenter une
pareille innovation; un cri général se seroit élevé
contre un tel attentat, ainsi qu'il s'est pratiqué toutes
les fois que les Juifs ou les Hérétiques ont voulu
altérer tant soit peu le sens des Livres divins. C'est
donc une these insoûtenable que celle de cette altération
prétendue, dont on n'articule d'ailleurs ni le
tems, ni le lieu, ni les auteurs, ni la maniere, &
qui n'a d'autre fondement que la présomption avec
laquelle on l'avance, soit quant au fond, soit quant
aux circonstances. 5°. Enfin la difficulté tirée du
style des Ecritures, n'est pas plus solide; car, comme
nous l'exposerons dans un instant, ou le S. Esprit,
en inspirant les écrivains sacrés sur le fond des choses,
les a laissés libres sur le choix des expressions,
ou il les a inspirés également quant à l'un & à l'autre
point: l'une & l'autre de ces opinions est libre;
les Interpretes & les Théologiens sont partagés a cet
égard, sans que la foi périclite. Or dans l'un ou l'autre
sentiment, les Ecritures sont à couvert des objections
des incrédules: dans le premier elles sont divines
quant à leur principe, & quant au fond des
choses: dans le second elles le sont même quant au
coloris dont les choses sont revêtues. Falloit - il, en
effet, que pour en démontrer la divinité ou l'authenticité,
tout ce que contiennent les divines Ecri<->
tures fût exprimé d'une maniere sublime? nullement.
Les mysteres sont exposés avec une sorte d'obscurité,
parce qu'ils sont du ressort de la foi, & non
de la raison ou de l'évidence. Les vérités de pratique
sont exprimées d'une maniere claire, précise &
sentencieuse, comme autant de préceptes ou de conseils
qu'on a besoin de graver aisément dans sa mémoire,
pour se les rappeller sur le champ. Les faits
y sont racontés avec cette noble simplicité si connue
des anciens, si propre à peindre sans prévention
comme sans affectation, & si peu propre en même
tems à masquer la vérité. Enfin quand il s'agit d'annoncer
aux peuples leurs destinées, à Israël sa réprobation,
à l'univers son libérateur, quels traits,
quelles images dans les Prophetes! A parler humainement,
je demande à l'incrédule ce qu'il trouve de
mieux dans les écrivains profanes, & si l'éloquence
du cantique de Moyse, de David, d'Isaïe, de S.
Jean - Baptiste, de Jesus - Christ, & de saint Paul, ne
vaut pas bien l'atticisme ou l'urbanité de Platon, la
véhémence de Démosthene, & l'élégance abondante
de Ciceron. Il faut avoir des regles de goût bien
peu sûres ou d'étranges préjugés pour admirer
ces derniers, quand on traite les écrivains sacrés
d'auteurs quelquefois médiocres. Mais nous examinerons
encore cet article plus à fond dans un moment.
II. La solution de la question de la divinité des
Ecritures dépend d'un seul point, du sentiment qu'on
prend sur la maniere dont elles sont émanées de
Dieu comme cause premiere ou efficiente, ou des
hommes comme cause seconde ou instrumentale.
Tous les chrétiens, en effet, conviennent que l'Ecri<->
ture sainte est la parole de Dieu, mais les Théologiens sont partagés sur la maniere que Dieu lui - même a choisi pour la transmettre aux hommes. Les
uns prétendent que tous les livres de l'Ecriture ont
été inspirés par le Saint - Esprit aux écrivains sacrés
non - seulement quant au fonds & aux pensées, mais
encore quant au style & aux expressions. d'autres
soutiennent que l'inspiration s'est bornée aux pensées,
sans s'étendre jusqu'au style que l'Esprit - Saint
a laissé au choix des autres. D'autres théologiens
modernes ont avancé sur la fin du seizieme siecle,
qu'il suffisoit pour la divinité des Ecritures d'une simple
direction ou assistance du Saint - Esprit; mais que
l'inspiration proprement dite, n'étoit nullement nécessaire
pour toutes les sentences & vérités contenues
dans les livres saints. Ils allerent plus loin & prétendirent
qu'un livre, tel que peut être le second des Ma<->
chabées, écrit par une industrie humaine, devient écriture
sainte, si le Saint - Esprit témoigne ensuite qu'il ne con -
tient rien de faux. C'étoit réduire à bien peu de chose
la divinité des Ecritures: aussi la faculté de théologie
de Louvain s'éleva - t - elle contre cette doctrine qu'elle
censura en 1588. Grotius n'admettoit dans les
écrivains sacrés qu'un pieux mouvement, mais sans
inspiration ni direction ou assistance. Spinosa dans
son traité théologo - politique, chap. xj. & xij. ne reconnoît
nulle inspiration, même dans les prophetes.
M. Simon dans son histoire critique du nouveau Testament, chap. xxiij. & xxjv. s'est déclaré contre les
docteurs de Louvain. Néanmoins il reconnoît que
le Saint - Esprit est auteur de toute l'Ecriture sainte,
soit par l'inspiration, soit par un instinct ou secours
particulier dont M. Simon n'a pas assez développé la
nature: quoi qu'il en soit, il soûtient que l'esprit de
Dieua tellement assisté les auteurs sacrés, non - seulement dans les pensées, mais encore dans le style, qu'ils
ont été garantis de toute erreur qui auroit pû venir
de l'oubli ou du défaut d'attention. M. le Clerc a
avancé sur l'origine des Ecritures un systeme hardi,
& qui ne differe presqu'en rien de celui de Spinosa.
Voici en substance ce qu'on en trouve dans un recueil
de lettres imprimées sous le titre de Sentimens
de quelques théologiens de Hollande, lettre xj. L'auteur anonyme (M. le Clerc) dont le sentiment est
rapporté dans cette lettre, prétend qu'on ne doit reconnoître
dans les écrivains sacrés aucun secours
surnaturel ou assistance particuliere, à moins que ce
ne soit dans des cas fort rares & fort singuliers. Il
dit que les historiens sacrés n'ont eu besoin que de
leur mémoire en employant d'ailleurs tout le soin
& l'exactitude que l'on demande dans ceux qui se
mêlent d'écrire l'histoire: à l'égard des prophetes,
il reconnoît qu'il y a eu du surnaturel dans les visions
dont ils ont été favorisés, & que le Seigneur leur a apparu
pour leur manifester certaines vérités cachées,
ou leur révéler quelques grands mysteres: mais il
ne voit rien que de naturel dans la maniere dont
les prophetes ont écrit leurs visions; ils n'ont eu
besoin, selon lui, que de leur mémoire pour se souvenir
de ce qui leur avoit été montré pendant qu'ils
veilloient, ou dans le sommeil. Il étoit inutile, ajoute - t - il, que leur mémoire fût aidée d'aucun secours
surnaturel: on retient aisément ce qui a fait une
impression vive sur l'imagination, & ce qui a été
gravé profondément dans la mémoire; les visions
que Dieu accordoit aux prophetes produisoient naturellement
ces effets. Cet auteur prétend encore
que ce que les prophetes disoient naturellement &
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