ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"362"> justifier des dogmes qui révoltent la raison, ou une morale contraire à l'humanité. Quel vestige, ajoûtent - ils, trouve - t - on dans l'antiquité prophane, de ces Livres rélégués dans un coin du monde, ou ensevelis dans l'obscurité du Judaïsme, & même du Christianisme naissant? D'ailleurs, disent - ils, qui nous répondra que ces Livres tous divins dans leur origine, n'ont point été altérés par l'intérêt, la mauvaise foi, l'esprit de parti, & les autres passions des hommes? manque - t - on d'exemples en ce genre? Enfin ces écrits considérés en eux - mêmes, portent-ils l'empreinte & le sceau de la divinité? le fond des choses, & le style, n'annoncent - ils pas suffisamment qu'ils sont le pur ouvrage des hommes, & même quelquefois d'écrivains assez médiocres?

Ces difficultés méritent d'autant mieux une réponse solide, qu'on les lit ou qu'on les entend tous les jours proposer. Je dis donc en général à l'incrédule, qu'à moins de tomber dans un pyrrhonisme historique universel, il ne peut nier l'authenticité des Livres divins, parce qu'ils ont été conservés, non pas uniquement (remarquez ceci), mais singulierement, par une seule nation intéressée à les citer en confirmation de sa doctrine. Tout peuple policé n'a - t - il pas sa religion? ne conserve - t - il pas dans ses archives, les titres & les monumens qui déposent en saveur de sa religion? doit - il en aller chercher les preuves dans les actes publics d'une nation étrangere ou à lui inconnue? & seroit - on recevable de dire à un Musulman que l'alcoran n'est pas authentique, parce que dès son origine les Mahométans en sont dépositaires, qu'ils le citent en preuve de leur doctrine, qu'ils le conservent avec respect, tandis qu'il est l'objet de la pure curiosité ou du mépris des sectateurs de toute autre religion? Il n'y auroit sans doute ni équité ni justesse dans un pareil raisonnement, & il ne prouveroit nullement que l'alcoran n'a point été écrit par Mahomet, ou rédigé par ses premiers disciples. 2°. L'authenticité d'un livre, ou sa supposition, ne depend pas de la nature des choses qu'il contient; vraies ou fausses, absurdes ou probables, claires ou obscures, mystérieuses ou intelligibles, cela ne fait rien à la question: il s'agit uniquement de décider par qui & en quel tems tel ou tel ouvrage a été écrit. Dès qu'une tradition écrite & perpétuée d'âge en âge dans un peuple ou dans une société qui professe une religion quelconque, remonte jusqu'à l'origine de l'ouvrage, qu'elle en cite l'auteur, & qu'une foule d'écrivains déposent constamment en sa faveur, c'en est assez pour décider tout homme sensé. A - t - on jamais nié, par exemple, que Tite - Live ait écrit l'histoire qu'on lui attribue, quoiqu'elle renferme des traits merveilleux & incroyables, qu'il a plû des pierres, que des statues ont parlé, ou sué du sang, &c? A - t - on révoqué en doute que Plutarque soit l'auteur des vies des hommes illustres, parce qu'il y narre des prodiges ou des faits qui choquent la vraissemblance, tels que les batailles de Marathon, de Platée, d'Orchomene, &c. où une poignée de monde a défait des armées innombrables, & jonché la terre de plus de cinquante mille morts, sans perdre plus de mille hommes? La certitude morale n'étant fondée que sur l'uniformité des témoignages, les mêmes regles de critique qui prouvent l'authenticité des auteurs profanes, prouvent en faveur des écrivains sacrés. On sait quel succès a eu à cet égard la prétention d'un critique moderne, qui soûtenoit que tous les ouvrages profanes étoient des écrits supposés par des imposteurs. 3°. Quand les auteurs payens n'auroient fait nulle mention des Livres sacrés, ce silence ne formeroit qu'un argument négatif, qui ne balanceroit que très - foiblement la solidité des preuves positives. Mais il faut être bien peu versé dans l'étude de l'antiquité, pour avancer que les Livres divins, soit des Juifs, soit des Chrétiens, ont été inconnus aux Payens: car sans parler des Livres du nouveau Testament, dont Celse & Porphyre avoient entrepris une réfutation suivie, & que Julien, dans quelques - unes de ses lettres, attribue sans détour aux Evangélistes ou aux autres Apôtres dont ils portent les noms; arrêtons - nous aux Livres de l'ancien Testament; & parmi ceux - ci, au plus ancien de tous, je veux dire le Pentateuque. Quelle foule d'écrivains profanes qui reconnoissent & l'existence de Moyse, & l'antiquité de ses Livres! Tels sont Manethon prêtre d'Egypte, Cléodeme, Apollonius Molon, Cheremon Egyptien, Nicolas de Damas, Appion d'Alexandrie, contre lequel a écrit l'historien Josephe; Philochore d'Athenes, Castor de Rhodes, & Diodore de Sicile, cités par S. Justin dans l'exhortation aux Grecs; Ptolemée de Mendés, cité par S. Clément d'Alexandrie, lib. I. stromat. Eupoleme, Alexandre Polyhistor & Numénius, cités par Eusebe, liv. IX. de la préparat. évangel. Strabon, Géograph. liv. XVI. Juvenal, satyr. xjv. Tacite, hist. liv. V. Galien de Pergame, de different. pulsum. lib. III. & de usu partium, lib. XI. cap. xjv. Longin, traité du sublime, ch. vij. Chalcidius, Porphyre, Julien l'Apostat & divers autres, dont les textes sont rapportés par M. Huet dans sa démonstrat. évangel. ou par Grotius dans son excellent traité de la vérité de la re<-> ligion chrétienne. L'allégation des incrédules, fondée sur le silence des écrivains profanes, est donc une allégation évidemment fausse; mais quand on la supposeroit aussi fondée qu'elle l'est peu, elle ne prouveroit encore rien contre l'authenticité des divines Ecritures. 4°. Envain ajoute - t - on que ces Livres ont pû être altérés, corrompus ou falsifiés par l'intérêt, la mauvaise foi, l'esprit de parti, &c. cela, j'en conviens, peut arriver, & n'est pas même sans exemple pour un ouvrage obscur, indifférent, qui n'intéresse pas essentiellement toute une société: mais pour un ouvrage consigné dans les archives de la nation, distribué, pour ainsi dire, à tous les particuliers; qui est tout - à - la - fois & le dépôt du dogme & le code des lois, comment pourroit - il être susceptible de corruption ou d'altération? En effet, cette altération ou corruption seroit le résultat d'un complot de toute la société, ou l'exécution d'un projet formé par quelques particuliers: or l'un & l'autre sont impossibles. Choisissons pour exemple la Pentateuque. Le voilà reconnu du vivant de Moyse, pour un Livre divin. Supposons qu'après sa mort tout le peuple hébreu ait conspiré à interpoler ou à altérer ce Livre: ce peuple étoit donc bien mal habile, puisqu'il y a laissé subsister tout ce qui pouvoit le couvrir d'une éternelle infamie; les crimes de ses peres, & ses propres attentats; l'inceste de Juda, les cruautés des enfans de Jacob contre les Sichimites, leur perfidie & leur barbarie envers leur frere Joseph; & après la sortie d'Egypte, leurs murmures contre Dieu dans le desert, leurs fréquentes révoltes & leurs séditions contre Moyse, leur penchant à l'idolatrie, leur opiniâtreté, & mille autres traits également deshonorans: voilà ce que la passion, l'intérêt & l'esprit de parti, pour peu qu'ils eussent été éclairés, n'auroient pas manqué de supprimer, du consentement général de la nation. La chose devint encore plus impossible depuis le schisme des dix tribus. Le royaume d'Israël & celui de Juda conservoient également le Pentateuque; pour peu que l'une des deux nations eût voulu l'altérer, l'autre eût réclamé sur le champ, avec cette véhémence que donne la diversité d'opinions en matiere de religion. La même raison est d'un poids égal pour les tems qui suivirent la captivité. Les dix tribus qui étoient restées en Assyrie, & les nouveaux habitans [p. 363] de la Samarie, qui conservoient le Pentateuque écrit en anciens caracteres hébraïques, n'eussent pas manqué de convaincre Esdras d'imposture, s'il eût changé la moindre chose dans la nouvelle édition du Pentateuque, qu'il donna aux Juifs en lettres chaldéennes. L'altération du Pentateuque faite du consentement général de toute la nation juive, est donc une chimere. Il est encore plus insensé de prétendre qu'elle ait été l'ouvrage de quelques particuliers. De quelle autorité auroient - ils entrepris une pareille innovation? personne n'auroit - il réclamé? Par quelle voie auroient - ils sans contradiction altéré tous les exemplaires, tant ceux dont chaque citoyen étoit possesseur, que ceux qui étoient déposés dans les archives publiques, & notamment dans l'arche d'alliance? Les mêmes raisons sont exactement applicables aux Livres du nouveau Testament: les églises qui en étoient dépositaires, n'auroient pû les falsifier d'un commun consentement, sans soûlever contr'elles les Hérétiques mêmes, qui dès le premier siecle de l'Eglise conservoient des exemplaires authentiques de ces Livres; à plus forte raison les particuliers n'auroient - ils osé tenter une pareille innovation; un cri général se seroit élevé contre un tel attentat, ainsi qu'il s'est pratiqué toutes les fois que les Juifs ou les Hérétiques ont voulu altérer tant soit peu le sens des Livres divins. C'est donc une these insoûtenable que celle de cette altération prétendue, dont on n'articule d'ailleurs ni le tems, ni le lieu, ni les auteurs, ni la maniere, & qui n'a d'autre fondement que la présomption avec laquelle on l'avance, soit quant au fond, soit quant aux circonstances. 5°. Enfin la difficulté tirée du style des Ecritures, n'est pas plus solide; car, comme nous l'exposerons dans un instant, ou le S. Esprit, en inspirant les écrivains sacrés sur le fond des choses, les a laissés libres sur le choix des expressions, ou il les a inspirés également quant à l'un & à l'autre point: l'une & l'autre de ces opinions est libre; les Interpretes & les Théologiens sont partagés a cet égard, sans que la foi périclite. Or dans l'un ou l'autre sentiment, les Ecritures sont à couvert des objections des incrédules: dans le premier elles sont divines quant à leur principe, & quant au fond des choses: dans le second elles le sont même quant au coloris dont les choses sont revêtues. Falloit - il, en effet, que pour en démontrer la divinité ou l'authenticité, tout ce que contiennent les divines Ecri<-> tures fût exprimé d'une maniere sublime? nullement. Les mysteres sont exposés avec une sorte d'obscurité, parce qu'ils sont du ressort de la foi, & non de la raison ou de l'évidence. Les vérités de pratique sont exprimées d'une maniere claire, précise & sentencieuse, comme autant de préceptes ou de conseils qu'on a besoin de graver aisément dans sa mémoire, pour se les rappeller sur le champ. Les faits y sont racontés avec cette noble simplicité si connue des anciens, si propre à peindre sans prévention comme sans affectation, & si peu propre en même tems à masquer la vérité. Enfin quand il s'agit d'annoncer aux peuples leurs destinées, à Israël sa réprobation, à l'univers son libérateur, quels traits, quelles images dans les Prophetes! A parler humainement, je demande à l'incrédule ce qu'il trouve de mieux dans les écrivains profanes, & si l'éloquence du cantique de Moyse, de David, d'Isaïe, de S. Jean - Baptiste, de Jesus - Christ, & de saint Paul, ne vaut pas bien l'atticisme ou l'urbanité de Platon, la véhémence de Démosthene, & l'élégance abondante de Ciceron. Il faut avoir des regles de goût bien peu sûres ou d'étranges préjugés pour admirer ces derniers, quand on traite les écrivains sacrés d'auteurs quelquefois médiocres. Mais nous examinerons encore cet article plus à fond dans un moment.

II. La solution de la question de la divinité des Ecritures dépend d'un seul point, du sentiment qu'on prend sur la maniere dont elles sont émanées de Dieu comme cause premiere ou efficiente, ou des hommes comme cause seconde ou instrumentale. Tous les chrétiens, en effet, conviennent que l'Ecri<-> ture sainte est la parole de Dieu, mais les Théologiens sont partagés sur la maniere que Dieu lui - même a choisi pour la transmettre aux hommes. Les uns prétendent que tous les livres de l'Ecriture ont été inspirés par le Saint - Esprit aux écrivains sacrés non - seulement quant au fonds & aux pensées, mais encore quant au style & aux expressions. d'autres soutiennent que l'inspiration s'est bornée aux pensées, sans s'étendre jusqu'au style que l'Esprit - Saint a laissé au choix des autres. D'autres théologiens modernes ont avancé sur la fin du seizieme siecle, qu'il suffisoit pour la divinité des Ecritures d'une simple direction ou assistance du Saint - Esprit; mais que l'inspiration proprement dite, n'étoit nullement nécessaire pour toutes les sentences & vérités contenues dans les livres saints. Ils allerent plus loin & prétendirent qu'un livre, tel que peut être le second des Ma<-> chabées, écrit par une industrie humaine, devient écriture sainte, si le Saint - Esprit témoigne ensuite qu'il ne con - tient rien de faux. C'étoit réduire à bien peu de chose la divinité des Ecritures: aussi la faculté de théologie de Louvain s'éleva - t - elle contre cette doctrine qu'elle censura en 1588. Grotius n'admettoit dans les écrivains sacrés qu'un pieux mouvement, mais sans inspiration ni direction ou assistance. Spinosa dans son traité théologo - politique, chap. xj. & xij. ne reconnoît nulle inspiration, même dans les prophetes. M. Simon dans son histoire critique du nouveau Testament, chap. xxiij. & xxjv. s'est déclaré contre les docteurs de Louvain. Néanmoins il reconnoît que le Saint - Esprit est auteur de toute l'Ecriture sainte, soit par l'inspiration, soit par un instinct ou secours particulier dont M. Simon n'a pas assez développé la nature: quoi qu'il en soit, il soûtient que l'esprit de Dieua tellement assisté les auteurs sacrés, non - seulement dans les pensées, mais encore dans le style, qu'ils ont été garantis de toute erreur qui auroit pû venir de l'oubli ou du défaut d'attention. M. le Clerc a avancé sur l'origine des Ecritures un systeme hardi, & qui ne differe presqu'en rien de celui de Spinosa. Voici en substance ce qu'on en trouve dans un recueil de lettres imprimées sous le titre de Sentimens de quelques théologiens de Hollande, lettre xj. L'auteur anonyme (M. le Clerc) dont le sentiment est rapporté dans cette lettre, prétend qu'on ne doit reconnoître dans les écrivains sacrés aucun secours surnaturel ou assistance particuliere, à moins que ce ne soit dans des cas fort rares & fort singuliers. Il dit que les historiens sacrés n'ont eu besoin que de leur mémoire en employant d'ailleurs tout le soin & l'exactitude que l'on demande dans ceux qui se mêlent d'écrire l'histoire: à l'égard des prophetes, il reconnoît qu'il y a eu du surnaturel dans les visions dont ils ont été favorisés, & que le Seigneur leur a apparu pour leur manifester certaines vérités cachées, ou leur révéler quelques grands mysteres: mais il ne voit rien que de naturel dans la maniere dont les prophetes ont écrit leurs visions; ils n'ont eu besoin, selon lui, que de leur mémoire pour se souvenir de ce qui leur avoit été montré pendant qu'ils veilloient, ou dans le sommeil. Il étoit inutile, ajoute - t - il, que leur mémoire fût aidée d'aucun secours surnaturel: on retient aisément ce qui a fait une impression vive sur l'imagination, & ce qui a été gravé profondément dans la mémoire; les visions que Dieu accordoit aux prophetes produisoient naturellement ces effets. Cet auteur prétend encore que ce que les prophetes disoient naturellement &

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