ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"334"> ment assez exact pour satisfaire celui qui le porte, à plus forte raison pour satisfaire les autres. Les ouvrages de Peinture changent tous les jours, ils perdent l'accord que l'artiste y avoit mis; enfin ils ont, comme tout ce qui existe, une espece de vie dont le tems est borné, & dans laquelle il faut distinguer un état d'enfance; un état de perfection, du moins au degré où ils peuvent l'avoir, & un état de caducité: or ce n'est que dans le second de ces deux états qu'on peut les apprécier avec justice.

On dit pour l'ordinaire que l'école romaine s'est principalement attachée au dessein, l'école vénitienne au coloris, &c. On ne doit point entendre par - là que les peintres de ces écoles ayent eu le projet formé de préférer le dessein à la couleur, ou la couleur au dessein: ce seroit leur attribuer des vûes qu'ils n'eurent sans doute jamais. Il est vrai que par le résultat des ouvrages des différentes écoles, il s'est trouvé que certaines parties de la Peinture ont été plus en honneur dans certaines écoles que dans d'autres; mais il seroit très - difficile de démêler & d'assigner les causes de ces différences: elles peuvent être physiques & très - cachées, elles peuvent être morales & non moins obscures.

Est - ce à ces causes physiques ou aux causes morales, ou à la réunion des unes & des autres, qu'on doit attribuer l'état de langueur où la Peinture & la Sculpture sont actuellement en Italie? L'école de Peinture françoise est aujourd'hui, de l'aveu général, supérieure à toutes les autres. Sont - ce les récompenses, les occasions, l'encouragement & l'émulation, qui manquent aux Italiens? car ce ne sont pas les grands modeles. Ne seroit - ce point plûtôt un caprice de la nature, qui, en fait de talens & de génie, se plaît, pour ainsi dire, à ouvrir de tems en tems des mines, qu'elle referme ensuite absolument pour plusieurs siecles? Plusieurs des grands peintres d'Italie & de Flandres ont vécu & sont morts dans la misere: quelques - uns ont été persécutés, bien loin d'être encouragés. Mais la nature se joue de l'injustice de la fortune, & de celle des hommes; elle produit des génies rares au milieu d'un peuple de barbares, comme elle fait naître les plantes précieuses parmi des Sauvagés qui en ignorent la vertu.

On se plaint que notre école de Peinture commence à dégénérer sinon par le mérite, au moins par le nombre des bons artistes: notre école de Sculpture au contraire se soûtient; peut - être même, par le nombre & le talent des artistes, est - elle supérieure à ce qu'elle a jamais été. Les Peintres prétendent, pour se justifier, que la Peinture est sans comparaison plus difficile que la Sculpture; on juge bien que les Sculpteurs n'en conviennent pas, & je ne prétends point décider cette question: je me contenterai de demander si la Peinture avoit moins de difficultés lorsque nos peintres égaloient ou même surpassoient nos sculpteurs. Mais j'entrevois deux raisons de cette inégalité des deux écoles: la premiere est le goût ridicule & barbare de la nation pour les magots de porcelaine & les figures estropiées de la Chine. Comment avec un pareil goût aimera - t - on les sujets nobles, vastes & bien traités? Aussi les grands ouvrages de Peinture se sont - ils aujourd'hui réfugiés dans nos églises, où même on trouve rarement les occasions de travailler en ce genre. Une seconde raison non moins réelle que la premiere, & qui mérite beaucoup plus d'attention, parce qu'elle peut s'appliquer aux Lettres comme aux Arts, c'est la vie différente que menent les Peintres & les Sculpteurs. L'ouvrage de ceux - ci demandant plus de tems, plus de soins, plus d'assiduité, les force à être moins répandus: ils sont donc moins sujets à se corrompre le goût par le commerce, les vûes & les conseils d'une foule de prétendus connoisseurs, aussi ignorans que présomptueux. Ce seroit une question bien digne d'être proposée par une de nos académies, que d'examiner si le commerce des gens du monde a fait plus de bien que de tort aux gens de Lettres & aux ar<-> tistes. Un de nos plus grands sculpteurs ne va jamais aux spectacles que nous appellons sérieux & nobles, de crainte que la maniere étrange dont les héros & les dieux y sont souvent habillés, ne dérange les idées vraies, majestueuses & simples qu'il s'est formées sur ce sujet. Il ne craint pas la même chose des spectacles de farce, où les habillemens grotesques ne laissent dans son ame aucune trace nuisible. C'est à - peu - près par la même raison que le P. Malebranche ne se délassoit qu'avec des jeux d'enfant. Or je dis que le commerce d'un grand nombre de faux juges est aussi dangereux à un artiste, que la fréquentation de nos grands spectacles le seroit à l'artiste dont on vient de parler. Notre école de Peinture se perdra totalement, si les amateurs qui ne sont qu'amateurs (& combien peu y en a - t - il qui soient autre chose?) prétendent y donner le ton par leurs discours & par leurs écrits. Toutes leurs dissertations n'aboutiront qu'à faire de nos artistes de beaux esprits manqués & de mauvais peintres. Raphaël n'avoit guere lû d'écrits sur son art, encore moins de dissertations; mais il étudia la nature & l'antique. Jules II. & Léon X. laissoient faire ce grand homme, & le récompensoient en souverains, sans le conseiller en imbécilles. Les François ont peut - être beaucoup plus & beaucoup mieux écrit que les Italiens sur la Peinture, les Italiens n'en sont pas moins leurs maîtres en ce genre. On peut se rappeller à cette occasion l'histoire de ces deux architectes qui se présenterent aux Athéniens pour exécuter un grand ouvrage que la république vouloit faire. L'un d'eux parla très - long - tems & très - disertement sur son art, & l'autre se contenta de dire après un long silence: ce qu'il a dit, je le ferai.

On auroit tort de conclure de ce que je viens d'avancer, que les Peintres, & en général les artistes, ne doivent point écrire sur leur art; je suis persuadé au contraire qu'eux seuls en sont vraiment capables: mais il y a un tems pour faire des ouvrages de génie, & un tems pour en écrire: ce dernier tems est arrivé, quand le feu de l'imagination commence à être rallenti par l'âge; c'est alors que l'expérience acquise par un long travail, a fourni une matiere abondante de réflexions, & l'on n'a rien de mieux à faire que de les mettre en ordre. Mais un peintre qui dans sa vigueur abandonne la palette & les pinceaux pour la plume, me paroît semblable à un poëte qui s'adonneroit à l'étude des langues orientales; dès ce moment la nullité ou la médiocrité du talent de l'un & de l'autre est décidée. On ne songe guere à écrire sur la poétique, quand on est en état de faire l'Iliade.

La supériorité généralement reconnue, ce me semble, de l'école ancienne d'Italie sur l'école françoise ancienne & moderne, en fait de peinture, me fournit une autre réflexion que je crois devoir présenter à mes lecteurs. Si quelqu'un vouloit persuader que nos peintres effacent ceux de l'Italie, il pourroit raisonner en cette sorte: Raphaël & un grand nombre de dessinateurs italiens, ont manqué de coloris; la plûpart des coloristes ont péché dans le dessein: Michel - Ange, Paul Veronese, & les plus grands maîtres de l'école italienne, ont mis dans leurs ouvrages des absurdités grossieres. Nos Peintres françois au contraire ont été sans comparaison plus raisonnables & plus sages dans leurs compositions. On ne voit point dans les tableaux de le Sueur, du Poussin, & de le Brun, des contre - sens & des anachronismes ridicules; & dans les ouvrages de ces [p. 335] grands hommes la sagesse n'a point nui à la beauté: donc notre école est fort supérieure à celle d'Italie. Voilà un raisonnement très - faux, dont pourtant tout est vrai, excepté la conséquence. C'est qu'il saut juger les ouvrages de génie, non par les fautes qui s'y rencontrent, mais par les beautés qui s'y trouvent. Le tableau de la famille de Darius est le chef - d'oeuvre de le Brun; cet ouvrage est très - estimable par la composition, l'ordonnance, & l'expression même: cependant, de l'avis des connoisseurs, il se soûtient à peine auprès du tableau de Raul Veronese, qu'on voit à côté de lui dans les appartemens de Versailles, & qui représente les pélerins d'Emmaüs, parce que ce dernier tableau a des beautés supérieures, qui font oublier les fautes grossieres de sa composition. La Pucelle, si j'en crois ceux qui ont eu la patience de la lire, est mieux conduite que l'Enéide, & cela n'est pas difficile à croire; mais vingt beaux vers de Virgile écrasent toute l'ordonnance de la Pucelle. Les pieces de Shakespear ont des grossieretés barbares; mais à - travers cette épaisse fumée brillent des traits de génie que lui seul y pouvoit mettre; c'est d'après ces traits qu'on doit le juger, comme c'est d'après Cinna & Polieucte, & non d'après Tite & Bérénice, qu'on doit juger Corneille. L'école d'Italie, malgré tous ses défauts, est supérieure à l'école françoise, parce que les grands maîtres d'Italie sont sans comparaison en plus grand nombre que les grands maîtres de France, & parce qu'il y a dans les tableaux d'Italie des beautés que les François n'ont point atteintes. Qu'on ne m'accuse point ici de rabaisser ma nation, personne n'est plus admirateur que moi des excellens ouvrages qui en sont sortis; mais il me semble qu'il seroit aussi ridicule de lui accorder la supériorité dans tous les genres, qu'injuste de la lui refuser dans plusieurs.

Sans nous écarter de notre sujet (car il s'agit ici des écoles des beaux Arts en général), nous pouvons appliquer à la Musique une partie de ce que nous venons de dire. Ceux de nos écrivains qui dans ces derniers tems ont attaqué la Musique italienne, & dont la plûpart, très - féconds en injures, n'avoient pas la plus légere connoissance de l'art, ont fait contr'elle un raisonnement précisément semblable à celui qui vient d'être réfuté. Ce raisonnement transporté de la Musique à la Peinture, eût été, ce me semble, la meilleure réponse qu'on pût opposer aux adversaires de la Musique italienne. Il ne s'agit pas de savoir si les Italiens ont beaucoup de mauvaise Musique, cela doit être, comme ils ont sans doute beaucoup de mauvais tableaux; s'ils ont fait souvent des contre - sens; cela doit être encore (voy. Contre - sens); si leurs points d'orgue sont déplacés ou non (voyez Pojnt d'Orgue); s'ils ont prodigué ou non les ornemens mal - à - propos (voyez Gout): il s'agit de savoir si dans l'expression du sentiment & des passions, & dans la peinture des objets de toute espece, leur Musique est supérieure à la nôtre, soit par le nombre, soit par la qualité des morceaux, soit par tous les deux ensemble. Voilà, s'il m'est permis de parler ainsi, l'énoncé du problème à résoudre pour juger la question. L'Europe semble avoir jugé en faveur des Italiens, & ce jugement mérite d'autant plus d'attention, qu'elle a tout - à - la - fois adopté généralement notre langue & nos pieces de théatre, & proscrit généralement notre Musique. S'est - elle trompée, ou non? c'est ce que notre postérité décidera. Il me paroît seulement que la distinction si commune entre la Musique françoise & l'italienne, est frivole ou fausse. Il n'y a qu'un genre de Musique: c'est la bonne. A - t - on jamais parlé de la Peinture françoise & de la Peinture italienne? La nature est la même par - tout, ainsi les arts qui l'imitent, doivent aussi être par - tout semblables.

Comme il y a en Peinture différentes écoles, il y en a aussi en Sculpture, en Architecture, en Musique, & en général dans tous les beaux Arts. En Musique, par exemple, tous ceux qui ont suivi le style d'un grand maître (car la Musique a son style, comme le discours), sont ou peuvent être regardés comme de l'école de ce maître. L'illustre Pergolese est le Raphaël de la Musique italienne; son style est celui qui mérite le plus d'être suivi, & qui en effet l'a été le plus par les artistes de sa nation: peut - être commencent - ils à s'écarter un peu trop du ton vrai, noble & simple, que ce grand homme avoit donné. Il semble que la Musique en Italiè commence à approcher aujourd'hui du style de Seneque; l'art & l'esprit s'y montrent quelquefois un peu trop, quoiqu'on y remarque encore des beautés vraies, supérieures, & en grand nombre.

Les François n'ont eu jusqu'ici que deux écoles de Musique, parce qu'ils n'ont eu que deux styles; celui de Lulli, & celui du célebre M. Rameau. On sait la révolution que la musique de ce dernier artiste a causée en France; révolution qui peut - être n'a fait qu'en préparer une autre: car on ne peut se dissimuler l'effet que la Musique italienne a commencé à produire sur nous. Lulli causa de même une révolution de son tems, il appliqua à notre langue la Musique que l'Italie avoit pour lors; on commença par declamer contre lui, & on finit par avoir du plaisir, & par se taire. Mais ce grand homme étoit trop éclairé pour ne pas sentir que de son tems l'art étoit encore dans l'enfance: il avoüoit en mourant, qu'il voyoit beaucoup plus loin qu'il n'avoit été: grande leçon pour ses admirateurs outrés & exclusifs. Voyez Musique, Peinture, &c. (O)

Ecole (Page 5:335)

Ecole, (Manége.) Nous désignons dans nos manéges, la haute, la moyenne, & la basse école. Les chefs des académies se chargent des éleves les plus avancés; & les instructiôns des autres, qu'ils ne perdent pas de vûe, est confiée à des écuyers qui sont sous leurs ordres.

Cette division relative aux gentilshommes, en suppose une semblable relativement aux chevaux; l'une & l'autre sont égalément nécessaires. Si d'une part les académistes ne peuvent faire de véritables progrès qu'autant qu'on leur fera parcourir une chaîne de principes qui naissent les uns des autres, & qui se fortifient mutuellement, il est indispensable d'un autre côté de leur fournir des chevaux mis & ajustés de maniere a leur en faire sentir l'évidence.

Dès les premieres leçons il ne s'agit que de prescrire au cavalier les regles d'une belle assiete & d'une juste position; mais ces regles sont bientôt oubliées, si l'on ne frappe l'intelligence du disciple par l'explication des raisons sur lesquelles elles sont appuyées: peut - être que la plûpart des maîtres négligent trop ce point important. Quoi qu'il en soit, on comprend qu'un cheval fixé dans les piliers, & auquel on ne demande qu'une action de piaffer dans une seule & même place, dérangera moins un académiste uniquement occupé du soin de se placer conformément aux préceptes qu'on lui a déduits, que si on l'obligeoit à monter sur le champ un cheval en liberté, qu'il redouteroit, qu'il voudroit retenir ou conduire, & qui le distrairoit des uniques objets sur lesquels son attention doit se fixer.

Ce n'est que lorsqu'il a connu quel doit être l'arrangement des différentes parties de son corps, & que l'on apperçoit qu'elles se présentent en quelque façon à sa volonté, que l'on peut lui donner un second cheval accoûtumé à cheminer au pas. Alors on lui indique les différens mouvemens de la main,

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