ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"332"> créa chevalier, comte Palatin, & joignit à ces titres une pension viagere fort considérable. Les poëtes célébrerent à l'envi ses talens. Le Giorgion mort jeune, le débarrassa d'un rival: son opulence le mit en état de vivre avec les grands, & de les recevoir à sa table avec splendeur; son caractere doux & obligeant lui procura des amis sinceres; son humeur gaie & enjouée écarta de son ame les chagrins & les soucis; son mérite le rendit respectable à tout le monde; & sa santé qu'il a conservée jusqu'à 99 ans, sema de fieurs tous les instans de sa vie; en un mot, s'il étoit permis de juger du bonheur de quelqu'un par les apparences trompeuses du dehors, on pourroit, ce me semble, mettre le Titien au nombre de ces hommes rares, dont les jours ont été heureux.

On rapporte que sur la fin de sa carriere, sa vûe s'étant affoiblie, il vouloit retoucher ses premiers tableaux, qu'il ne croyoit pas d'un coloris assez vigoureux; mais ses éleves mirent dans ses couleurs de l'huile d'olive qui ne seche point, & effaçoient son nouveau travail pendant son absence. C'est ainsi qu'ils nous ont conservé plusieurs chefs - d'oeuvre du Titien.

Les églises de Venise sont toutes embellies de ses productions. On y voit les morceaux précieux de la présentation de la Sainte Vierge, un S. Marc admirable, le martyre de S. Laurent, de S. Paul, & tant d'autres. Mais son tableau le plus connu & le plus vanté, est celui qui représente S. Pierre martyr, religieux Dominiquain, massacré par les Vaudois; il est non - seulement précieux par la richesse des couleurs locales, mais plus encore parce que l'action de ce tableau est intéressante, & que le Titien l'a traité avec plus de vraissemblance, & avec une expression de passions plus étudiée que celle de ses autres ouvrages. Enfin si les peintres de l'école de Rome & de Florence ont surpassé le Titien en vivacité de génie & par le goût du dessein, personne au moins ne lui dispute l'excellence du coloris.

Giorgion, (Georges) né dans le Trévisan en 1478, mort en 1511. Malgré son goût & ses talens pour la Musique, la Peinture eut encore pour lui plus d'attraits, il s'y livra tout entier, & surpassa bientôt Jean Bellin son maître: l'étude que le Giorgion fit des ouvrages de Leonard de Vinci, & surtout l'étude de la nature qu'il n'a jamais perdu de vûe, acheva de le perfectionner; mais une maîtresse qu'il chérissoit & qui lui devint infidele, fut la cause de sa mort qui l'enleva à l'âge de 33 ans, au milieu de sa gloire & de sa réputation. Il comptoit déja parmi ses disciples Pordenon, Sebastien del Piombo, & Jean d'Udine, trois peintres célebres.

Il entendoit parfaitement le clair - obscur, & cet art si difficile de mettre toutes les parties dans une parfaite harmonie. Son goût de dessein est délicat, & a quelque chose de l'école Romaine; ses carnations sont peintes d'une grande vérité. Il n'y employoit que quatre couleurs capitales, dont le judicieux mêlange faisoit toute la différence des âges & des sexes; il donnoit beaucoup de rondeur à ses figures; ses portraits sont vivans, ses paysages sont d'un goût exquis.

Il a fait un très - petit nombre de tableaux de chevalet, ce qui les rend d'autant plus précieux. Le roi & M. le duc d'Orléans possedent quelques morceaux de ce célebre artiste, qui suffiroient seuls à sa gloire. En un mot par le peu d'ouvrages qu'on connoît de cet excellent maître, on voit que dans l'espace d'une courte vie, il a porté la peinture à un degré surprenant de perfection; personne encore n'a pû l'atteindre pour la force & la fierté du coloris.

Sebastien del Piombo, aussi connu sous le nom de Sebastien de Venise, & de Fra - Bastien. Il naquit à Venise en 1485, & mourut en 1527. Sébastien reçut les principes de la peinture du Giorgion, duquel il prit le bon goût de couleur qu'il n'a jamais quitté. Sa réputation naissante le fit appeller à Rome, où il s'attacha à Michel - Ange, qui lui montra par reconnoissance les secrets de son art. Alors soûtenu par un si grand maître, il sembla vouloir disputer le prix de la peinture à Raphaël même; mais il s'en falloit infiniment qu'il eût ni le génie ni le goût de dessein du rival avec lequel il osoit se compromettre.

Le tableau de la résurrection de Lazare, dont on peut suivant les apparences, attribuer l'invention & le dessein sur la toile, au grand Michel - Ange, & que Sébastien ne fit peut - être que peindre pour l'opposer au tableau de la transfiguration, est un ouvrage précieux à plusieurs égards, & certainement admirable pour le grand goût de couleur; cependant il ne prévalut point sur celui de Raphaël: la cabale de Michel - Ange ne fit que suspendre pendant quelque tems les suffrages. Mais yoici un fait singulier qui a résulté du défi de Fra - Bastien: son tableau de la résurrection du Lazare, qui devoit naturellement rester sur les lieux, a passé en France, il est actuellement au palais royal; & le tableau de la transfiguration que Raphaël avoit fait pour François I. n'est pas sorti de Rome; l'Italie jalouse de se conserver ce trésor de peinture, n'a jamais voulu s'en désaisir.

Del Piombo travailloit bien, mais difficilement, & son irrésolution lui fit commencer plusieurs ouvrages qu'il n'a pû terminer. Cependant les peintures de la premiere chapelle à droite de l'église de S. Pierre in montorio, lui ont acquis un honneur singulier: il employoit quelquefois le marbre, & autres pierres semblables, pour faire servir leurs couleurs naturelles de fond à ses tableaux. Il est le premier qui ait peint à l'huile sur les murailles; & comme il avoit beaucoup de génie, il inventa un composé de poix, de mastic & de chaux vive, afin d'empêcher les couleurs de s'altérer.

Les desseins de ce célebre maître travaillés à la pierre noire, sont dans le goût de ceux de Michel - Ange.

Bordone, (Paris) né sur la fin du XV. siecle, de parens nobles, à Trévise ville d'Italie, mon à Venise âgé de 75 ans. Le Titien & le Giorgion lui montrerent les secrets de leur art. Il vint à Paris sous le regne de François I. en 1538, & eut l'honneur de peindre ce monarque. Il ne dédaigna point pendant son séjour en France d'exercer son pinceau à tirer le portrait de quelques seigneurs & dames de la premiere qualité, qui lui demanderent cette distinction. Au retour de ses voyages, il se fixa à Venise, où ses richesses, son amour pour les belles - lettres, son goût pour la Musique, & ses talens pour la Peinture, lui firent mener une vie délicieuse. Il fit aussi quelques ouvrages pittoresques pour sa réputation. Le plus considérable de tous est celui où il représenta l'avanture prétendue du pêcheur de Venise.

Bassan, (Jacques du Pont, connu sous le nom de) né en 1510 à Bassano, est mort à Venise en 1592. Le lieu où il prit naissance, lui donna son nom. Les ouvrages des grands maîtres, & surtout l'étude de la nature, développerent ses talens. Il ne les tourna pas avec gloire au genre héroïque ni historique; mais il excella dans la représentation des plantes, des animaux; dans le paysage & autres sujets semblables naturels & artificiels. Il emprunta du Titien & du Giorgion la beauté du coloris, & il y joignit une grande connoissance du clair - obscur. Il a traité avec le même succès beaucoup de sujets [p. 333] de nuit: l'habitude qu'il avoit prise de marquer ses ombres fortes, peut - avoir aussi contribué à celles qu'il a employées quelquefois hors de propos dans des sujets de jour.

Il a renouvellé les miracles qu'on raconte des peintres Grecs. Parmi les simples qu'il cultivoit, il mettoit des figures de serpens & d'animaux représentés avec tant d'art, qu'il étoit difficile de ne point s'y laisser abuser. Annibal Carrache lui - même étant venu chez le Bassan, fut tellement trompé par la représentation d'un livre que ce peintre avoit fait sur le mur, qu'il alla pour le prendre. Enfin personne peut - être ne l'a surpassé pour la vérité qu'il donnoit aux differens objets de ses tableaux, par leurs couleurs, leur fraîcheur & leur brillant.

Ses ouvrages en grand nombre, même ceux d'histoire, se sont répandus dans tous les cabinets de l'Europe; tant est puissant le charme du coloris, qu'il nous fait aimer les tableaux historiques de ce peintre, nonobstant les fautes énormes, dont ils sont remplis contre l'ordonnance & le dessein, contre la vraissemblance poëtique & pittoresque.

Ses desseins sont pour la plûpart heurtés & indécis; on en reconnoît l'auteur à ses figures rustiques, & à une maniere d'ajustement qui lui est propre.

Tintoret, (Jacques Robusti surnommé le) né à Venise en 1512, mort dans la même ville en 1594. On le nomma le Tintoret, parce qu'il étoit fils d'un teinturier; mais ses parens lui virent tant de goût pour la peinture, qu'ils se prêterent à ses dessems; alors il se proposa dans ses études de suivre Michel - Ange pour le dessein, & le Titien pour le coloris. En même tems, l'amour qu'il avoit pour sa profession, lui sit rechercher avec ardeur tout ce qui pouvoit le rendre habile. De tous les peintres vénitiens, il n'en est point dont le génie ait été si fécond & si facile, que celui du Tintoret. Il a rempli Venise de ses belles peintures; & si parmi l'abondance de ses ouvrages, il y en a de médiocres & de strapassés, pour me servir d'un terme de l'art, il faut avouer qu'il s'en trouve aussi d'admirables, qui mettent avec raison le Tintoret au rang des plus célebres peintres d'Italie.

Veronèse, (Paul) son nom de famille est Caliari; né à Vérone en 1532, il mourut en 1588, à Venise, où il a fait tant de belles choses, qu'on le met au rang des plus grands peintres de l'Europe.

Rival du Tintoret, chargé avec lui des grandes entreprises, il a toujours balancé la réputation de son collegue; & s'il ne mettoit point tant de force dans ses ouvrages, il rendoit la nature avec plus d'éclat & de majesté. Il faisoit encore honneur à son art par la noblesse avec laquelle il l'exerçoit, par sa politesse, & par sa vie splendide: c'étoit dans les grandes machines que Paul Véronèse excelloit; on remarque dans ses peintures une imagination féconde, vive & élevée, beaucoup de dignité dans ses airs de têtes, un coloris frais, & un bel accord dans ses couleurs locales; il a donné à ses draperies un brillant, une variété & une magnificence qui lui sont particulieres; la scène de ses tableaux est ornée des plus belles fabriques; & l'apparat superbe de l'architecture qu'il y a introduit, donne de la grandeur à ses ouvrages.

Ceux qu'il a faits au palais de S.Marc ont immortalisé son nom. On estime surtout ses banquets, & ses pélerins d'Emmaüs: mais les noces de Cana représentées dans le réfectoire de S. Georges majeur du palais S. Marc, forment un des plus beaux morceaux qui soit au monde.

Ce grand maître a pourtant ses défauts; il a peint quelquefois de pratique, ce qui fait que ses ouvrages ne sont pas tous de la même beauté: il peche souvent contre la convenance dans ses compo<cb-> sitions; on desireroit plus de choix dans ses attitudes, plus de finesse dans ses expressions, plus de goût & de correction dans le dessein, & plus d'intelligence du clair - obscur, dont il paroît qu'il n'a jamais bien compris l'artifice.

La plûpart de ses desseins arrêtés à la plume & lavés au bistre, ou à l'encre de la chine, sont terminés. Ils font les délices des amateurs, pour la richesse de l'ordonnance, la beauté des caracteres de têtes, le grand goût des draperies, &c.

Le roi de France possede plusieurs tableaux de Paul Véronèse, entr'autres celui des pélerins d'Emmaüs, & le repas chez Simon le lépreux, que la république de Venise a envoyé en présent à Louis XIV.

Ce célebre artiste a eu un frere, (Bénoit) Caliari, & un fils nommé Charles, qui se sont attachés à la peinture, & comme ils ont suivi la maniere de Paul, on ne sauroit garantir que tous les ouvrages qu'on lui attribue, soient pour cela de sa main; on en voit en effet plusieurs sous son nom, qui ne sont pas dignes de son génie, ni de son pinceau.

Palme le jeune, (Jacques) né à Venise en 1544, mort dans la même ville en 1628. Il fut disciple du Tintoret; & sa réputation s'augmentant avec sa fortune, l'amour du gain lui fit expédler ses tableaux. On remarque dans ceux qu'il a travaillés avec soin, une touche hardie, de bonnes draperies, & un coloris agréable; ses desseins sont recherchés; sa plume est fine & légere.

Palme le vieux, (Jacques) né à Seniralta, territoire de Bergame, en 1548, mort à Venise en 1596, peintre inégal. Dans ses ouvrages terminés avec patience, les couleurs y sont admirablement sondues & unies; mais on n'y trouve ni la correction, ni le bon goût de dessein; cependant on voit à Venise quelques peintures de Palme le vieux qui sont très - estimées, entr'autres une tempête représentée dans la chambre de l'école de S. Marc, & la Sainte Barbe qui orne l'eglise de Sancta Maria Formosa. Art. de M. le Chevalier de Jau court.

L'auteur de cet article nous en avoit communiqué un beaucoup plus étendu, dont celui - ci n'est que l'extrait: la nature de notre ouvrage, & les bornes que nous sommes forcés de nous preserire, ne nous ont pas permis de le donner en entier. L'Encyclopédie doit s'artêter légerement sur les faits purement historiques, parce que ces sortes de faits ne sont point son objet essentiel & immédiat. Mais nous croyons qu'on nous permettra d'ajoûter à cet abrégé historique, quelques réflexions sur les écoles de Peinture, & en général sur le mot école, lorsqu'il s'applique aux beaux Arts.

Ecole (Page 5:333)

Ecole, dans les beaux Arts, signifie proprement une classe d'artistes qui ont appris leur art d'un maître, soit en recevant ses leçons, soit en étudiant ses ouvrages, & qui en conséquence ont suivi plus ou moins la maniere de ce maître, soit à dessein de l'imiter, soit par l'habitude qui leur a fait adopter ses principes. Une habitude si ordinaire a des avantages sans doute, mais elle a peut - être encore de plus grands inconvéniens. Ces inconvéniens, pour ne parler ici que de la Peinture, se font principalement sentir dans la partie de la couleur, si j'en crois les habiles artistes & les connoisseurs vraiment éclairés. Selon eux, cette espece de convention tacite formée dans une école, pour rendre les effets de la lumiere par tels ou tels moyens, ne produit qu'un peuple servile d'imitateurs qui vont toûjours en dégénérant; ce qu'on pourroit prouver aisément par les exemples.

Une seconde observation non moins importante, que je dois aux mêmes connoisseurs, c'est qu'il est très - dangereux de porter un jugement général sur les ouvrages sortis d'une école; ce jugement est rare<pb->

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