ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"330"> Les chefs - d'oeuvre qu'il y fit contribuerent non seulement à sa fortune par les bienfaits dont le prince le combla, mais encore à sa sûreté par la puissante protection du duc. Elle sauva Jules des recherches qu'on faisoit de lui pour ses desseins des estampes dissolues, gravées par Marc Antoine, & que l'Arétin accompagna de sonnets non moins condamnables. L'orage tomba sur le graveur, qui auroit perdu la vie, sans la faveur & le crédit du cardinal de Medicis.

Les desseins que Jules a lavés au bistre, sont très estimés; on y remarque beaucoup de correction & d'esprit. Il y a aussi beaucoup de liberté & de hardiesse dans les traits qu'il faisoit toûjours à la plume, de fierté & de noblesse dans ses airs de tête; mais il ne faut point rechercher dans ses desseins des contours coulans, ni des draperies riches & d'un bon goût. Les batailles de Constantin de ce grand maître sont dans la chapelle de Sixte au vatican. Le martyre de St Etienne qu'on voit à Genes au maître autel de la petite église de saint Etienne, est admirable pour l'observation de la vraissemblance poétique.

Perrin del Vaga, né dans la Toscane en 1500, mort à Rome en 1547. Il vint fort jeune dans cette capitale par goût pour la peinture, & se mit à dessiner avec beaucoup d'assiduité. Raphaël remarquant ses talens & son génie, en fit son éleve, & lui procura des ouvrages considérables. Après sa mort, Jules Romain & François Penni partagerent avec lui les peintures, dont ils avoient la direction. La sale d'audience du vatican, celle où l'on reçoit les ambassadeurs des têtes couronnées, est presque entierement de ce maître; mais il n'a pas peint les trois tableaux de cette même sale qu'on y voit toûjours, & qui représentent l'affreux massacre de la S. Barthelemi.

Objectare oculis monstra indignantibus auso Horruit aspectu pietas, &c. Perrin del Vaga s'est distingué particulierement à décorer les lieux selon leur usage, genre dans lequel il a excellé.

Nicolo del Abbate, né à Modène en 1512, mort à Paris vers l'an 1580. Eleve du Primatice, ce peintre l'engagea de venir en France avec lui, & ils travaillerent ensemble à peindre à fresque dans le château de Fontainebleau la galerie d'Ulysse ainsi nommée, parce que les avantures du roi d'Ithaque étoient représentées dans cette galerie en cinquantehuit tableaux. L'ouvrage est presque entierement détruit. Les seuls desseins qui étoient de la main du Primatice, doivent subsister encore; du moins ils faisoient un des ornemens du cabinet de M: Crosat avant sa mort.

Baroche, (Fréderic) né à Urbin en 1528, mort dans la même ville en 1612. Le cardinal della Ro<-> vere prit sous sa protection ce célebre artiste, qui n'avoit encore que vingt ans, & l'occupa dans son palais. C'est un des plus gracieux, des plus judicieux, & des plus aimables peintres d'Italie. Il a fait beaucoup de tableaux d'histoire, mais il a surtout réussi dans les sujets de dévotion. Il se servoit pour ses vierges d'une soeur qu'il avoit, & pour le petit christ d'un enfant de cette même soeur.

L'usage du Baroche étoit de modeler d'abord en cire les figures qu'il vouloit peindre, ou bien il faisoit mettre des personnes choisies de l'un & de l'autre sexe dans les attitudes propres à son sujet. On reconnoît dans ses ouvrages le style, & les graces du Correge; mais quoiqu'il dessinât plus correctement que cet aimable peintre, ses contours n'étoient ni d'un si grand goût ni si naturels; il outroit les attitudes de ses figures, & prononçoit trop les parties du corps.

L'on a gravé d'après lui, & lui - même a gravé plusieurs morceaux à l'eau - forte, qui petillent de feu & de génie. Ses tableaux font un des ornemens des cabinets des curieux.

Feti, (Dominique) né à Rome en 1589, mort à Venise en 1624 à la fleur de son âge; sa passion. pour les femmes abregea sa carriere. Il fut disciple de Civoli, mais il perfectionna son goût par l'étude des ouvrages des premiers maîtres de Rome. Il avoit une grande maniere, de la finesse dans ses pensées, une expression vive, une touche piquante, & quelque chose de moëlleux; on lui desireroit seulement plus de correction, & un ton de couleur moins noir: ses tableaux sont fort goûtés des amateurs. Le palais du duc de Mantoue a été embelli des peintures du Feti. Ses desseins sont extrèmement rares; & heurtés d'un grand goût. Il a fait des études admirables peintes à l'huile sur du papier

Sacchi, (André) né à Rome en 1599, mort dans la même ville en 1661. On retrouve dans ses ouvrages les graces & la tendresse du coloris qu'on admire dans les tableaux de l'Albane, dont il fut éleve. Ses figures brillent par l'expression, ses draperies par la simplicité; ses idées sont nobles, & sa touche finie sans être peinée. Ses desseins sont aussi très - précieux; une belle composition, des expressions vives, une touche facile, des ombres & des clairs bien ménagés, en caractérisent le mérite.

Michel - Ange des Batailles, né à Rome en 1602, mort dans la même ville en 1660. Son nom de famille étoit Cercozzi. Son surnom des Batailles lui vint de son habileté à représenter ces sortes de sujets. Il se plaisoit aussi à peindre des fleurs, des fruits, surtout des pastorales, des marchés, des foires, en un mot des bambochades; ce qui le fit encore appeller Michel - Ange des Bambochades.

Il avoit une imagination vive, une grande prestesse de main, & mettoit beaucoup de force & de verité dans ses peintures; son coloris est bon, & sa touche très - legere; rarement il faisoit le dessein ou l'esquisse de son tableau. On a gravé quelques batailles d'après ce maître dans le Strada de Bello Bel<-> gico de l'édition de Rome in - folio.

Maratte, (Carle) né en 1625 à Camérano dans la Marche d'Ancône, mort à Rome en 1713. André Sacchi le reçut dans son école, où Carle Maratte resta 19 ans. Il étudia les ouvrages de Raphaël, des Carraches, & du Guide, & se fit d'après ces grands maîtres, une maniere qui le mit dans une haute réputation. Il devint un des plus gracieux peintres de son tems, & ses tableaux très - recherchés pendant sa vie, n'ont point perdu de leur mérite depuis sa mort.

Ce maître a excellé à peindre des vierges; il étoit fort instruit de toutes les parties de son art, possedoit bien la perspective, avoit un bon coloris, & un dessein très - correct. On a de lui plusieurs planches gravées à l'eau - forte, où il a mis beaucoup de goût & d'esprit. Ses principaux ouvrages sont à Rome. La maison professe des jésuites de Paris a un S. Xavier de ce maître, indépendamment de celui d'Annibal Carrache; on peut les comparer: mais n'oublions pas un trait à son honneur, rapporté par l'abbé Dubos. Carle Maratte ayant été choisi comme le premier peintre de Rome, pour mettre la main au plafond du palais Farnese, sur lequel Raphaël a représenté l'histoire de Psyché, il n'y voulut rien retoucher qu'au pastel, afin, dit - il, que s'il se trouve un jour quelqu'un plus digne que moi d'associer son pinceau avec celui de Raphaël, il puisse effacer mon ouvrage pour y substituer le sien.

Ecole Vénitienne (Page 5:330)

Ecole Vénitienne, (Peint.) Un savant coloris, une grande intelligence du clair - obscur, des touches gracieuses & spirituelles, une imitation simple & fidele de la nature, qui va jusqu'à séduire les yeux; voilà en général les parties qui caractérisent spécialement les beaux ouvrages de cette école On repro<pb-> [p. 331] che à l'école romaine d'avoir négligé le coloris, on peut reprocher à l'école vénitienne d'avoir négligé le dessein & l'expression. Comme il y a très - peu d'antiques à Venise, & très - peu d'ouvrages du goût romain, les peintres vénitiens se sont attachés à représenter le beau naturel de leur pays; ils ont caractérisé les objets par comparaison, non seulement en faisant valoir la véritable couleur d'une chose, mais en choisissant dans cette opposition, une vigueur harmonieuse de couleur, & tout ce qui peut rendre leurs ouvrages plus palpables, plus vrais, & plus surprenans.

Il est inutile d'agiter ici la question sur la prééminence du coloris, ou sur celle du dessein & de l'expression; jamais les personnes d'un sentiment opposé ne s'accorderont sur cette prééminence, dont on juge toûjours par rapport à soi - même: suivant que par des yeux plus ou moins voluptueux, on est plus ou moins sensible au coloris, ou bien à la poésie pittoresque par un coeur plus ou moins facile à être ému, on place le coloriste au - dessus du poëte, ou le poete au - dessus du coloriste. Le plus grand peintre pour nous, est celui dont les ouvrages nous font le plus de plaisir, comme le dit fort bien l'abbé du Bos. Les hommes ne sont pas affectés également par le coloris ni par l'expression, parce qu'ils n'ont pas le même sens également délicat, quoiqu'ils supposent toûjours que les objets affectent intérieurement les autres, ainsi qu'ils en sont eux - mêmes affectés.

Celui, par exemple, qui défend la supériorité du Poussin sur le Titien, ne conçoit pas qu'on puisse mettre au - dessus d'un poëte, dont les inventions lui donnent un plaisir extrème, un artiste qui n'a su que disposer les couleurs, dont l'harmonie & les richesses, lui sont un plaisir médiocre. Le partisan du Titien de son côté, plaint l'admirateur du Poussin, de préférer au Titien, un peintre qui n'a pas su charmer les yeux, & cela pour quelque invention, dont il juge que tous les hommes ne doivent pas être touchés, parce que lui - même ne l'est que foiblement. Chacun opine donc, en supposant comme une chose décidée, que la partie de la peinture qui lui plaît davantage, est la partie de l'art qui doit avoir le pas sur les autres. Mais laissons les hommes passionnés, s'accuser respectivement d'erreur ou de mauvais goût, il sera toûjours vrai de dire, que les tableaux les plus parfaits & les plus précieux, seront ceux qui réuniront les beautés de l'école romaine & florentine à celles de l'école lombarde & vénitienne. Je vais présentemen: nommer les principaux artistes de cette derniere école.

Les Bellino, freres, (Gentil & Jean) en jetterent les fondemens; mais c'est le Titien & le Giorgion qu'il faut mettre à la tête des celebres artistes de cette école: ce sont eux qui méritent d'en être regardés comme les fondateurs.

Bellin, (Gentil) né à Venise en 1421, mort en 1501 fit beaucoup d'ouvrages, la plûpart à détrempe, qu'on recherchoit alors avec empressement, & qui ne subsistent plus aujourd'hui. Mais on n'a point oublié ce qui se passa entre Bellin & Mahomet Il. Ce fameux conquérant qui dessinoit & qui aimoit la peinture, ayant vû des tableaux du peintre de Venise, pria la république de le lui envoyer. Gentili partit pour Constantinople, & remplit l'idée que sa hautesse avoit conçue de ses talens. Il fit pour ce prince la décollation de S. Jean - Baptiste, où le grand seigneur remarqua seulement, que la peau du cou dont la tête venoit d'être séparée, n'étoit pas exactement rendue; & pour prouver, diton, la justesse de sa critique, il offrit de faire décapiter un esclave. « Ah seigneur, répliqua vivement Bellin, dispensez - moi d'imiter la nature, en outrageant l'humanité.» Ce trait d'histoire pourroit n'être pas vrai; mais il n'en est pas de même de la maniere dont le sultan paya Bellin; il le traita comme Alexandre avoit fait Apelles. Tout le monde sait qu'il le congédia en lui mettant une couronne d'or sur la tête, une chaîne d'or au col, & une bourse de trois mille ducats d'or entre les mains. La république de Venise contente de la conduite de Bellino, lui assigna une forte pension à son retour, & le nomma chevalier de S. Marc.

Bellin, (Jean) né à Venise en 1422, mourut dans la même ville en 1512. Curieux de savoir le nouveau secret de la peînture à l'huile, il s'habilla en noble vénitien, vint trouver sous ce déguisement Antoine de Messine qui ne le connoissoit pas, & lui sit faire son portrait: après avoir ainsi découveit le mystère que ce peintre cachoit avec soin, & dont il tiroit toute sa gloire, il le rendit public dans sa patrie. On voit encore par quelques ouvrages de Jean & de Gentil Bellin, qui sont à Venise, que Jean manioit le pinceau plus tendrement que son frere, quoiqu'il y ait beaucoup de sécheresse dans ses peintures; mais il a travaillé le premier à joindre l'union à la vivacité des couleurs, & à donner un commencement d'harmonie, dont le Giorgion & le Titien ses éleves ont sçu faire un si bel usage. Le goût du dessein de Bellin est gothique, & ses attitudes sont forcées, il ne s'est montré que servile imitateur de la nature; cependant il a mis de la noblesse dans ses airs de têtes. On n'apperçoit point de vives expressions dans ses tableaux; aussi la plûpart des sujets qu'il a traités, sont des vierges. Le roi a le portrait des deux Bellino freres.

Titien Vecelli, naquit à Cador, dans le Frioul, l'an 1477, & mourut en 1576. Ce peintre, un des plus célebres du monde, étoit occupé depuis long - tems chez Bellin à copier servilement le naturel, lorsqu'entendant louer de toutes parts le coloris des ouvrages du Giorgion, qui avoit été son ancien camarade, il ne songea plus qu'à cultiver son amitié, pour profiter de sa nouvelle maniere. Le Giorgion le reçut d'abord sans défiance: s'appercevant ensuite des progrès rapides de son émule, & du véritable sujet de ses fréquentes visites, il rompit tout commerce avec lui. Cependant le Titien eut peu de tems après le champ libre dans la carriere de la peinture, par la mort prématurée de son rival de gloire. Ce fut alors que redoublant ses soins, ses réflexions & ses travaux, il parvint à surpasser le Giorgion dans la recherche des délicatesses du naturel, & dans l'art d'apprivoiser la fierté du coloris, par la fonte & la variété des teintes. On sait quels ont été ses succès.

On le chargea des ouvrages les plus importans à Venise, à Padoue, à Vicence & à Ferrare. Il se distingua presqu'également dans tous les genres, traitant avec la même facilité les grands & les petits sujets. Personne en Italie n'a mieux entendu le paysage, ni rendu la nature avec plus de vérité. Son pinceau tendre & délicat représente encore si bien les femmes & les enfans, ses touches sont si spirituelles & si conformes au caractere des objets, qu'elles piquent le goût des connoisseurs beaucoup plus que les coups sensibles d'une main hardie.

Le talent singulier qu'il avoit pour le portrait, augmenta sa renommée auprès des souverains & des grands seigneurs, qui tous ambitionnerent d'être peints de sa main. Le cardinal Farnèse l'engagea de venir à Rome pour faire le portrait du pape. Pendant son séjour dans cette ville, il y sit de petits tableaux qui furent admirés de Vasari, & même de Michel - Ange. Le Titien peignit trois fois Charles V. qui disoit à ce sujet, qu'il avoit reçu trois fois l'immortalité du Titien.

Ce prince le combla de biens & d'honneurs; il le

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