ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"161"> le roi n'y venoit pas, il envoyoit le connétable à sa place.

Il y avoit encore beaucoup d'autres cérémonies dont nous omettons le détail, pour nous attacher à ce qui peut avoir un peu plus de rapport à la Jurisprudence. Ceux qui voudront savoir plus à fond tous les usages qui s'observoient en pareil cas, peuvent voir Lacolombiere en son traité des duels; Sauval, en ses antiquités de Paris, & autres auteurs qui ont écrit des duels.

Le vaincu encouroit l'infamie, étoit traîné sur la claie en chemise, ensuite pendu ou brûlé, ou du moins on lui coupoit quelque membre; la peine qu'on lui infligeoit étoit plus ou moins grande, selon la qualité du crime dont il étoit réputé convainou. L'autre s'en retournoit triomphant; on lui donnoit un jugement favorable.

La même chose s'observoit en Allemagne, en Espagne, & en Angleterre: celui qui se rendoit pour une blessure étoit infame; il ne pouvoit couper sa barbe, ni porter les armes, ni monter à cheval. Il n'y avoit que trois endroits dans l'Allemagne où on pût se battre; Witzbourg en Franconie, Uspach & Hall en Suabe: ainsi les duels y devoient être rares.

Ils étoient au contraire fort communs en France depuis le commencement de la monarchie jusqu'au tems de S. Louis, & même encore long - tems après.

Il n'étoit cependant pas permis à tout le monde indifféremment de se battre en duel: car outre qu'il falloit une permission du juge, il y avoit des cas dans lesquels on ne l'accordoit point.

Par exemple, lorsqu'une femme appelloit en duel, & qu'elle n'avoit point retenu d'avoüé: car elle ne pouvoit pas se battre en personne.

De même une femme en puissance de mari ne pouvoit pas appeller en duel sans le consentement & l'autorisation de son mari.

Le duel n'étoit pas admis non plus, lorsque l'appellant n'avoit aucune parenté ni affinité avec celui pour lequel il appelloit.

L'appellé en duel n'étoit pas obligé de l'accepter, lorsqu'il avoit combattu pour celui au nom duquel il étoit appellé.

Si l'appellant étoit serf, & qu'il appellât un homme franc & libre, celui - ci n'étoit pas obligé de se battre.

Un ecclésiastique, soit l'appellant ou l'appellé, ne pouvoit pas s'engager au duel en cour - laye; parce qu'il n'étoit sujet à cette jurisdiction que pour la propriété de son temporel.

Le duel n'avoit pas lieu non plus pour un cas sur lequel il étoit déja intervenu un jugement, ni pour un fait notoirement faux; ou lorsqu'on avoit d'ailleurs des preuves suffisantes, ou que la chose pouvoit se prouver par témoins ou autrement.

Un bâtard ne pouvoit pas appeller en duel un homme légitime & libre: mais deux bâtards pouvoient se battre l'un contre l'autre.

Lorsque la paix avoit été faite entre les parties, & confirmée par la justice supérieure, l'appel en duel n'étoit plus recevable pour le même fait.

Si quelqu'un étoit appellé en duel pour cause d'homicide, & que celui en la personne duquel l'homicide avoit été commis eût déclaré avant de mourir les auteurs du crime, & que l'accusé en étoit innocent, il ne pouvoit plus être poursuivi.

L'appellant ou l'appellé en duel étant mineur, on n'ordonnoit pas le duel.

Un lépreux ou ladre ne pouvoit pas appeller en duel un homme qui étoit sain, ni un homme sain se battre contre un lépreux.

Enfin il y avoit encore certains cas où l'on ne recevoit pas de gages de bataille entre certaines personnes, comme du pere contre le fils, ou du fils contre le pere, ou du frere contre son frere. Il y en a une disposition dans les assises de Jérusalem.

Du Tillet dit que les princes du sang sont dispensés de se battre en duel: ce qui en effet s'observoit déjà du tems de Beaumanoir, lorsqu'il ne s'agissoit que de meubles ou d'héritages; mais quand il s'agissoit de meurtre ou de trahison, les princes, comme d'autres, étoient obligés de se soûmettre à l'épreuve du duel.

On s'est toûjours recrié, & avec raison, contre cette coûtume barbare des duels.

Les papes, les évêques, les conciles, ont souvent condamné ces desordres: ils ont prononcé anathème contre les duellistes; entre autres le concile de Valence, tenu en 855; Nicolas I. dans une épître à Charles - le - Chauve; Agobard, dans ses livres contre la loi gombette & contre le jugement de Dieu; le pape Célestin III. & Alexandre III. & le concile de Trente, sess. 25. chap, xjx. Yves de Chartres dans plusieurs de ses épîtres; l'auteur du livre appellé fleta, & plusieurs écrivains contemporains.

Les empereurs, les rois, & autres princes, ont aussi fait tous leurs efforts pour déraciner cette odieuse coûtume. Luithprand, roi des Lombards, l'appelle impie, & dit qu'il n'avoit pû l'abolir parmi ses sujets, parce que l'usage avoit prévalu.

Frédéric I. dans ses constitutions de Sicile, défendit l'usage des duels. Frédéric II. accorda aux habitans de Vienne en Autriche le privilege de ne pouvoir être forcés d'accepter le duel. Edoüard, roi d'Angleterre, accorda le même privilége à certaines villes de son royaume. Guillaume comte de Flandre, ordonna la même chose pour ses sujets, en 1127.

En France, Louis VII. fut le premier qui commença à restraindre l'usage des duels: c'est ce que l'on voit dans des lettres de ce prince de l'an 1168, par - lesquelles en abolissant plusieurs mauvaises coûtumes de la ville d'Orléans, il ordonna entre autres choses que pour une dette de cinq sous ou de moins qui seroit niée, il n'y auroit plus bataille entre deux personnes, c'est - à - dire que le duel ne seroit plus ordonné.

S. Louis alla plus loin; après avoir défendu les guerres privées en 1245, par son ordonnance de 1260, il défendit aussi absolument les duels dans ses domaines, tant en matiere civile que criminelle; & au lieu du duel, il enjoignit que l'on auroit recours à la preuve par témoins: mais cette ordonnance n'avoit pas lieu dans les terres des barons, au moyen dequoi il étoit toûjours au pouvoir de ceux - ci d'ordonner le duel, comme le remarque Beaumanoir qui écrivoit en 1283; & suivant le même auteur, quand le plaid étoit commencé dans les justices des barons, on ne pouvoit plus revenir à l'ancien droit, ni ordonner les gages de bataille. Saint Louis accorda aussi aux habitans de Saint - Omer, qu'ils ne seroient tenus de se battre en duel que dans leur ville.

Les seigneurs refuserent long - tems de se conformer à ce que S. Louis avoit ordonné dans ses domaines; le motif qui les retenoit, est qu'ils gagnoient une amende de 60 sous, quand le vaincu étoit un roturier, & de 60 liv. quand c'étoit un gentil - homme.

Alphonse, comte de Poitou & d'Auvergne, suivit néanmoins en quelque sorte l'exemple de S. Louis, en accordant à ses sujets, en 1270, par forme de privilége, qu'on ne pourroit les contraindre au duel; & que celui qui refuseroit de se battre, ne seroit pas pour cela réputé convaincu du fait en question, mais que l'appellant auroit la liberté de se servir des autres preuves.

Du reste, les bonnes intentions de S. Louis demeurerent alors sans effet, même dans ses domaines, tant la coûtume du duel étoit invétérée. [p. 162]

Philippe - le - Bel dit dans une ordonnance de 1306, qu'il avoit déjà défendu généralement à tous ses sujets toutes manieres de guerre, & tous gages de bataille; que plusieurs malfaiteurs en avoient abusé, pour commettre secretement des homicides, trahisons, & autres maléfices griefs, & excès qui demeuroient impunis faute de témoins: mais pour leur ôter toute cause de mal faire, il modifie ainsi sa défense; savoir que quand il apérera évidemment d'un crime méritant peine de mort, tel qu'un homicide, trahison, ou autres griefs, violences, ou maléfices, excepté néanmoins le larcin, & qu'il n'y aura pas de témoins ou autre preuve suffisante: en ce cas celui qui par indices ou fortes présomptions sera soupçonné d'avoir commis le crime, pourra être appellé en duel.

En conséquence de cette ordonnance, il fut fait un formulaire très - détaillé pour les duels, qui explique les cas dans lesquels on pouvoit adjuger le gage de bataille & les conditions préalables; de quelle maniere le défendeur pouvoit se présenter devant le juge, sans être ajourné; les trois cris différens que faisoit le roi ou héraut d'armes, pour appeller les combattans & annoncer le duel; les cinq défenses qu'il faisoit aux assistans par rapport à un certain ordre qui devoit être observé dans cette occasion; les requêtes & protestations que les deux champions devoient faire à l'entrée du champ, & l'on voit que chacun d'eux pouvoit être assisté de son avocat; de quelle maniere l'échaffaud & les lices du champ, & les pavillons des combattans, devoient être dressés; la teneur des trois différens sermens que faisoient ceux qui alloient combattre, une main posée sur la croix, & l'autre sur le canon de la messe; enfin les deux cas où il étoit permis de oultrer le gage de bataille, savoir lorsque l'une des parties confessoit sa coulpe & étoit rendu, ou bien quand l'un mettoit l'autre hors des lices vif ou mort. Comme ce détail nous meneroit trop loin, nous renvoyons au glossaire de Ducange, & au recueil des ordonnances de la troi<-> sieme race, où cette piece est rapportée tout au long.

Ce qu'il y a encore de singulier, c'est que l'on traita juridiquement la question de savoir, si le duel devoit avoir lieu: ces sortes de causes se plaidoient au parlement par le ministere des avocats. C'est ce que l'on voit par l'ancien style du parlement, inséré dans les oeuvres de Dumolin. Cet ouvrage fut composé par Guillaume Dubreuil avocat, vers l'an 1330, peu de tems après que le parlement eut été rendu sédentaire à Paris. Il contient un chapitre exprès de duello, où il est parlé de la fonction des avccats dans les causes de duel: quelques - uns ont cru que cela devoit s'entendre des avoüés ou champions qui se battoient en duel pour autrui, & qu'on appelloit advoatos ou ad<-> vocatos. Mais M. Husson, en son traité de advocato, liv. I. ch. xlj. a très - bien démontré que l'on ne devoit pas confondre ce qui est dit des uns & des autres; & pour être convainou que les avocats étoient en cette occasion différens des avoüés, il suffit de lire la question 89 de Jean Galli, qui dit avoir plaidé de ces causes de duel, & distingue clairement ce qui étoit de la fonction des avocats & de celle des avoüés.

Le roi Jean fit aussi quelques réglemens au sujet des duels. On en trouve plusieurs dans les priviléges qu'il accorda aux habitans de Jonville sur Saône en 1354, & dans ceux qu'il accorda aux habitans de Pont - Orson, en 1366.

Les premieres lettres, c'est - à - dire celles des habitans de Jonville, portent en substance: que quand un habitant de Jonville se sera engagé à un duel, il pourra s'en départir, même le faire cesser, quoique déjà commencé, moyennant une amende de soixante sous, s'il est déjà armé, de cent sous, s'il est armé en - dedans des lices, & de dix livres, si le combat est commencé, & que les premiers coups nommés les coups le roi soient donnés; que dans tous ces cas il payera les dépenses faites par rapport au combat par le seigneur, par son conseil, & par son adversaire; & que celui qui sera vaincu dans un duel, sera soûmis à la peine que le seigneur voudra lui imposer.

Les priviléges des habitans de Pontorson portent que s'il arrive une dispute & batterie un jour de marché entre des bourgeois de ce lieu, & que l'on donne un gage de bataille, celui qui aura porté sa plainte en justice payera douze deniers mansois; que si la querelle s'accommode devant le juge, on ne payera rien pour la demande qui a été faite du gage de bataille; que si la querelle se renouvellant, on demande une seconde fois un gage de bataille, il sera payé douze deniers, quand même la querelle s'accommoderoit ensuite sans combat: que si dans la dispute il y a eu du sang répandu, & que cela donne lieu à une contestation devant le juge, on payera douze den. pour la premiere plainte; que si on soûtient qu'il n'y a pas eu de sang répandu, c'est le cas du duel, que le vaincu payera cent neuf sous d'amende; que si après le duel la dispute se renouvelle, le coupable payera soixante livres d'amende, ou qu'il aura le poing coupé; que les mêmes peines auront lieu lorsqu'on renouvellera d'anciennes inimitiés. Il étoit permis au créancier d'appeller en duel son débiteur qui prétendoit ne lui rien devoir; l'engagement de se battre devoit être répeté le troisieme jour devant deux temoins. Quand on faisoit un serment, on mettoit une obole sur le livre sur lequel on le faisoit; & quand ce serment pouvoit être suivi d'un duel, on mettoit quatre deniers sur ce livre.

On trouve encore plusieurs autres lettres ou priviléges semblables, accordés aux habitans de différentes villes & autres lieux, qui reglent à - peu - près de même les cas du duel, & les amendes & autres peines qui pouvoient avoir lieu.

Sous Charles VI on se battoit pour si peu de chose, qu'il fit défense sur peine de la vie d'en venir aux armes sans cause raisonnable, comme le dit Monstrelet; & Juvenal des Ursins assûre aussi qu'il publia une ordonnance en 1409, portant que personne en France ne fût reçû à faire gages de bataille, sinon qu'il y eût gage jugé par le roi ou par sa cour de parlement: il y avoit même déjà long - tems que le parlement connoissoit des causes de duel, témoins ceux dont on a parlé ci - devant, & entr'autres celui qu'il ordonna en 1386 entre Carouge & Legris; ce dernier étoit accusé par la femme de Carouge d'avoir attenté à son honneur. Legris fut tué dans le combat, & partant jugé coupable; néanmoins dans la suite il fut reconnu innocent par le témoignage de l'auteur même du crime, qui le déclara en mourant. Legris, avant de se battre, avoit fait prier Dieu pour lui dans tous les monasteres de Paris. Voyez Champion, Epreuves.

L'église souffroit aussi que l'on dît des messes pour ceux qui alloient se battre; & l'on trouve dans les anciens missels le propre de ces sortes de messes, sous le titre missa pro duello. On donnoit même la communion à ceux qui alloient se battre, ainsi que cela fut pratiqué en 1404 à l'égard des sept François qui se battirent contre sept Anglois; & le vainqueur encore tout couvert du sang de son adversaire, venoit à l'église faire son action de graces, offrir les armes de son ennemi, ou faire quelqu'autre offrande.

Le dernier duel qui fut autorisé publiquement, fut le combat qui se fit en 1547 entre Guy Chabot fils du sieur de Jarnac, & François de Vivonne sieur de la Chataigneraye: ce fut à Saint - Germain - en - Laye, en présence du roi & de toute la cour. Les parties se battirent à pié avec l'épée; Vivonne y fut blessé,

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