ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

RECHERCHE Accueil Mises en garde Documentation ATILF ARTFL Courriel

Previous page

"271"> & de ne pas tomber ou dans l'Eclectisme, ou dans le Scepticisme.

Il ne faut pas confondre l'Eclectisme avec le Sincrétisme. Le sincrétiste est un véritable sectaire; il s'est enrôlé sous des étendarts dont il n'ose presque pas s'écarter. Il a un chef dont il porte le nom: Ce sera, si l'on veut, ou Platon, ou Aristote, ou Descartes, ou Newton; il n'importe. La seule liberté qu'il se soit reservée, c'est de modifier les sentimens de son maître, de resserrer ou d'étendre les idées qu'il en a reçues, d'en emprunter quelques autres d'ailleurs, & d'étayer le système quand il menace ruine. Si vous imaginez un pauvre insolent qui, mécontent des haillons dont il est couvert, se jette sur les passans les mieux vêtus, arrache à l'un sa casaque, à l'autre son manteau, & se fait de ces dépouilles un ajustement - bisarre de toute couleur & de toute piece, vous aurez un emblème assez exact du sincrétiste. Luther, cet homme que j'appellerois volontiers, magnus autoritatis contemptor osorque, fut un vrai sincrétiste en matiere de religion. Reste à savoir si le Sincrétisme en ce genre est une action vertueuse ou un crime, & s'il est prudent d'abandonner indistinctement les objets de la raison & de la foi au jugement de tout esprit.

Le Sincrétisme est tout au plus un apprentissage de l'Eclectisme. Cardan & Jordanus Brunus n'allerent pas plus loin; si l'un avoit été plus sensé, & l'autre plus hardi, ils auroient été les fondateurs de l'Eclectisme moderne. Le chancelier Bacon eut cet honneur, parce qu'il sentit & qu'il osa se dire à lui - même, que la nature ne lui avoit pas été plus ingrate qu'à Socrate, Epicure, Démocrite, & qu'elle lui avoit aussi donné une tête. Rien n'est si commun que des Sincrétistes; rien n'est si rare que des Eclectiques. Celui qui reçoit le système d'un autre éclectique, perd aussi - tôt le titre d'éclectique. Il a paru de tems en tems quelques vrais éclectiques; mais le nombre n'en a jamais été assez grand pour former une secte; & je puis assûrer que dans la multitude des philosophes qui ont porté ce nom, à peine en comptera - t - on cinq ou six qui l'ayent mérité. Voyez les artic. Aristotélisme, Platonisme, Epicuréismf, Baconisme , &c.

L'éclectique ne rassemble point au hasard des vérités; il ne les laisse point isolées; il s'opiniatre bien moins encore à les faire quadrer à quelque plan déterminé; lorsqu'il a examiné & admis un principe, la proposition dont il s'occupe immédiatementaprès, ou se lie évidemment avec ce principe, ou ne s'y lie point du tout, ou lui est opposée. Dans le premier cas, il la regarde comme vraie; dans le second, il suspend son jugement jusqu'à ce que des notions intermédiaires qui séparent la proposition qu'il examine du principe qu'il a admis, lui démontrent sa liaison ou son opposition avec ce principe: dans le dernier cas, il la rejette comme fausse. Voilà la méthode de l'éclectique. C'est ainsi qu'il parvient à former un tout solide, qui est proprement son ouvrage, d'un grand nombre de parties qu'il a rassemblées & qui appartiennent à d'autres; d'où l'on voit que Descartes, parmi les modernes, fut un grand éclectique.

L'Eclectisme qui avoit été la philosophie des bons esprits depuis la naissance dû monde, ne forma une secte & n'eut un nom que vers la fin du second siecle & le commencement du troisieme. La seule raison qu'on en puisse apporter; c'est que jusqu'alors les sectes s'étoient, pour ainsi dire, succédées ou souffertes, & que l'Eclectisme ne pouvoit guere sortir que de leur conflit: ce qui arriva, lorsque la religion chrétienne commença à les allarmer toutes par la rapidité de ses progrès, & à les révolter par une intolérance qui n'avoit point encore d'exemple. Jusqu'alors on avoit été pyrrhonien, sceptique, cynique, stoicien, platonicien, épicurien, sans conséquence. Quelle sensation ne dut point produire au milieu de ces tranquilles philosophes, une nouvelle école qui établissoit pour premier principe, qu'hors de son sein il n'y avoit ni probité dans ce monde, ni salut dans l'autre; parce que sa morale étoit la seule véritable morale, & que son Dieu étoit le seul vrai Dieu! Le soulevement des prêtres, du peuple, & des philosophes, auroit été général, sans un petit nombre d'hommes froids, tels qu'il s'en trouve toûjours dans les sociétés; qui demeurent long tems spectateurs indifférens, qui écoutent, qui pesent, qui n'appartiennent à aucun parti, & qui finissent par se faire un système conciliateur, auquel ils se flatent que le grand nombre reviendra.

Telle fut à peu - près l'origine de l'Ectectisme. Mais par quel travers inconcevable arriva - t - il, qu'en partant d'un principe aussi sage que celui de recueillir de tous les philosophes, tros, rutulus - ve fuat, ce qu'on y trouveroit de plus conforme à la raison, on négligea tout ce qu'il falloit choisir, on choisit tout ce qu'il falloit négliger, & l'on forma le systeme d'extravagances le plus monstrueux qu'on puisse imaginer; système qui dura plus de quatre cents ans, qui acheva d'inonder la surface de la terre de pratiques superstitieuses, & dont il est resté des traces qu'on remarquera peut - être éternellement dans les préjugés populaires de presque toutes les nations. C'est ce phénomene singulier que nous allons développer.

Tableau général de la philosophie éclectique.

La philosophie éclectique, qu'on appelle aussi le Platonisme réformé & la philosophie alexandrine, prit naissance à Alexandrie en Egypte, c'est - à - dire au centre des superstitions. Ce ne fut d'abord qu'un sincrétisme de pratiques religieuses, adopté par les pretres de l'Egypte, qui n'étant pas moins crédules sous le regne de Tibere qu'au tems d'Hérodote, parce que le caractere d'esprit qu'on tient du climat change difficilement, avoient toûjours l'ambition de posséder le système d'extravagances le plus complet qu'il y eût en ce genre. Ce sincrétisme passa de - là dans la merale, & dans les autres parties de la philosophie. Les philosophes assez éclairés pour sentir le foible des différens systèmes anciens, mais trop timides pour les abandonner, s'occuperent seulement à les réformer sur les découvertes du jour, ou plûtôt à les défigurer sur les préjugés courans: c'est ce qu'on appella plato<-> niser, pythagoriser, &c.

Cependant le Christianisme s'étendoit; les dieux du Paganisme étoient décriés; la morale des philosophes devenoit suspecte; le peuple se rendoit en foule dans les assemblées de la religion nouvelle; les disciples même de Platon & d'Aristote s'y laissoient quelquefois entraîner; les philosophes sincrétistes s'en scandaliserent, leurs yeux se tournerent avec indignation & jalousie, sur la cause d'une révolution, qui rendoit leurs écoles moins fréquentées; un intérêt commun les réunit avec les prêtres du Paganisme, dont les temples étoient de jour en jour plus deserts; ils écrivirent d'abord contre la personne de Jesus - Christ, sa vie, ses moeurs, sa doctrine, & ses miracles; mais dans cette ligue générale, chacun se servit des principes qui lui étoient propres: l'un accordoit ce que l'autre nioit; & les Chrétiens avoient beau jeu pour mettre les philosophes en contradiction les uns avec les autres, & les diviser; ce qui ne manqua pas d'arriver; les objets purement philosophiques furent alors entierement abandonnés; tous les esprits se jetterent du côté des matieres théologiques; une guerre intestine s'alluma dans le sein de la Philosophie; le Christianisme ne fut pas plus tranquille au - dedans de lui - même; une fureur d'appliquer les notions de la Phi<pb-> [p. 272] losophiè à des dogmes mystérieux, qui n'en permettoient point l'usage, fureur conçue dans les disputes des écoles, fit éclore une foule d'hérésies qui déchirerent l'Eglise. Cependant le sang des martyrs continuoit de fructifier; la religion chrétienne de se répandre malgré les obstacles; & la Philosophie, de pordre sans cesse de son crédit. Quel parti prirent alors les Philosophes? celui d'introduire le Sincrétisme dans la Théologie payenne, & de parodier une religion qu'ils ne pouvoient étouffer. Les Chrétiens ne reconnoissoient qu'un Dieu; les Sincrétistes, qui s'appellerent alors Eclectiques, n'admirent qu'un premier principe. Le Dieu des Chrétiens étoit en trois personnes: le Pere, le Fils, & le S. Esprit. Les Eclectiques eurent aussi leur Trinité: le premier principe, l'entendement divin, & l'ame du monde intelligible. Le monde étoit éternel, si l'on en croyoit Aristote; Platon le disoit engendré; Dieu l'avoit créé, selon les Chrétiens. Les Eclectiques en firent une émanation du premier principe; idée qui concilioit les trois systèmes, & qui ne les empêchoit pas de prétendre comme auparavant, que rien ne se fait de rien. Le Christianisme avoit des anges, des archanges, des démons, des saints, des ames, des corps, &c. Les Eclectiques, d'émanations en émanations, tirerent du premier principe autant d'êtres correspondans à ceux - là: des dieux, des démons, des héros, des ames, & des corps; ce qu'ils renfermerent dans ce vers admirable:

E)/NQEN A)/DHN TRW/SKEI GE/VEDIS2 POLUPO/IKIL UC/LHS2;
De - là s'élance une abondance infinie d'étres de toute espece. Les Chrétiens admettoient la distinction du bien & du mal moral, l'immortalité de l'ame, un autre monde, des peines & des récompenses à venir. Les Eclectiques se conformerent à leur doctrine dans tous ces points. L'Epicuréisme fut proserit d'un commun accord; & les Eclectiques conserverent de Platon, le monde intelligible, le monde sensible, & la grande révolution des ames à - travers différens corps, selon le bon ou le mauvais usage qu'elles avoient fait de leurs facultés dans celui qu'elles quittoient. Le monde sensible n'étoit, selon eux, qu'une toile peinte qui nous séparoit du monde intelligible; à la mort, la toile tomboit, l'ame faisoit un pas sur son orbe, & elle se trouvoit à un point plus voisin ou plus éloigné du premier principe, dans le sein duquel elle rentroit à la fin, lorsqu'elle s'en étoit rendue digne par les purifications théurgiques & rationelles. Il s'en faut bien que les idéalistes de nos jours ayent poussé leur extravagance aussi loin que les Eclectiques du troisieme & du quatrieme siecles: ceux - ci en étoient venus à admettre exactement l'existence de tout ce qui n'est pas, & à nier l'existence de tout ce qui est. Qu'on en juge sur ces derniers mots de l'entretien d'Eusebe avec Julien: W(S2 TAU=TA E)/IH TA\ O)/NTWS2 O)NTA, A)/IDE\ TH\N A)/IQHSIN A)ATW=SAI MAGGANE=IAI KAI\ GOHTENO/USAI, QAUMATOOIW=N E)/RGA: Il n'y a de réel que ce qui existe par soi - même (ou les idées); tout ce qui frappe les sens n'est que fausse apparence, & l'oeu<-> vre du prestige, du miracle, & de l'imposture. Les Chrétiens avoient différens cultes. Les Eclectiques imaginerent les deux théurgies; ils supposerent des miracles; ils eurent des extases; ils conférerent l'enthousiasme, comme les Chrétiens conféroient le S. Esprit; ils crurent aux visions, aux apparitions, aux exorcismes, aux révélations, comme les Chrétiens y croyoient; ils pratiquerent des cérémonies extérieures, comme il y en avoit dans l'église; ils allierent la prêtrise avec la philosophie; ils adresserent des prieres aux dieux; ils les invoquerent; ils leur offrirent des sacrifices; ils s'abandonnerent à toutes sortes de pratiques, qui ne furent d'abord que fantasques & extravagantes, mais qui ne tarderent pas à devenir criminelles. Quand la superstition cherche les ténebres, & se retire dans des lieux soûterrains pour y verser le sang des animaux, elle n'est pas éloignée d'en répandre de plus précieux; quand on a cru lire l'avenir dans les entrailles d'une brebis, on se persuade bien - tôt qu'il est gravé en caracteres beaucoup plus clairs, dans le coeur d'un homme. C'est ce qui arriva aux Théurgistes pratiques; leur esprit s'égara, leur ame devint féroce, & leurs mains sanguinaires. Ces excès produisirent deux effets opposés. Quelques chrétiens séduits par la ressemblance qu'il y avoit entre leur religion & la philosophie moderne, trompés par les mensonges que les Eclectiques débitoient sur l'efficacité & les prodiges de leurs rits, mais entraînés sur - tout à ce genre de superstition par un tempérament pusillanime, curieux, inquiet, ardent, sanguin, triste, & mélancholique, regarderent les docteurs de l'Eglise comme des ignorans en comparaison de ceux - ci, & se précipiterent dans leurs écoles; quelques éclectiques au contraire qui avoient le jugement sain, à qui toute la théurgie pratique ne parut qu'un mêlange d'absurdités & de crimes, qui ne virent rien dans la théurgie rationelle qui ne fût prescrit d'une maniere beaucoup plus claire, plus raisonnable, & plus précise, dans la morale chrétienne, & qui, venant à comparer le reste de l'Eclectisme spéculatif avec les dogmes de notre religion, ne penserent pas plus favorablement des émanations que des théurgies, renoncerent à cette philosophie, & se firent baptiser: les uns se convertissent, les autres apostasient, & les assemblées des Chrétiens & les écoles du Paganisme se remplissent de transfuges. La philosophie des Eclectiques y gagna moins que la théologie des Chrétiens n'y perdit: celle - ci se mêla d'idées sophistiques, que ne proscrivit pas sans peine l'autorité qui veille sans cesse dans l'Eglise à ce que la pureté de la doctrine s'y conserve inaltérable. Lorsque les empereurs eurent embrassé le Christianisme, & que la profession publique de la religion payenne fut défendue, & les écoles de la philosophie éclectique fermées; la crainte de la persécution fut une raison de plus pour les philosophes de rapprocher encore davantage leur doctrine de celle des Chrétiens; ils n'épargnerent rien pour donner le change sur leurs sentimens & aux PP. de l'Eglise & aux maîtres de l'état. Ils insinuerent d'abord que les apôtres avoient altéré les principes de leur chef; que malgré cette altération, ils différoient moins par les choses, que par la maniere de les énoncer: Christum nescio quid aliud scripsisse, quam Christiani docebant, nihilque sen<-> sisse contra deos suos, sed eos potius magico ritu coluisse; que Jesus - Christ étoit certainement un grand philosophe, & qu'il n'étoit pas impossible qu'initié à tous les mysteres de la théurgie, il n'eût opéré les prodiges qu'on en racontoit, puisque ce don extraordinaire n'avoit pas été refusé à la plûpart des éclectiques du premier ordre. Porphyre disoit: Sunt spi<-> ritus terreni minimi, loco quodam malorum doemonum subjecti potestati; ab his sapientes Hebroeorum quorum unus etiam iste Jesus fuit, &c. Ils attribuoient cet oracle à Apollon, interrogé sur Jesus - Christ: QNHTO\S2 EHN HATA\ SA/RKA SOFO\S2 TETARW/DESIN E)/RGOIS2: Mortalis erat, secundum carnem philosophus ille miraculosis operibus clarus. Alexandre Sévere mettoit au nombre des personnages les plus respectables par leur sainteté, inter ani<-> mas sanctiores, Abraham, Orphée, Apollonius, & Jesus - Christ D'autres ne cessoient de crier: Discipu<-> los ejus de illo fuisse revera mentitos, dicendo illum Deum, per quem facta sunt omnia, cum nihil aliud quam homo fuerit, quamvis excellentissimoe sapientioe. Ils ajoûtoient: Ipse vero pius, & in coelum sicut pii, concessit; ita hunc quidem non blasphemabis; misere<-> beris autem hominum dementiam. Porphyre se trompa;

Next page


The Project for American and French Research on the Treasury of the French Language (ARTFL) is a cooperative enterprise of Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française (ATILF) of the Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), the Division of the Humanities, the Division of the Social Sciences, and Electronic Text Services (ETS) of the University of Chicago.

PhiloLogic Software, Copyright © 2001 The University of Chicago.