ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS
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& de ne pas tomber ou dans l'Eclectisme, ou dans le
Scepticisme.
Il ne faut pas confondre l'Eclectisme avec le Sincrétisme. Le sincrétiste est un véritable sectaire; il
s'est enrôlé sous des étendarts dont il n'ose presque
pas s'écarter. Il a un chef dont il porte le nom: Ce
sera, si l'on veut, ou Platon, ou Aristote, ou Descartes, ou Newton; il n'importe. La seule liberté
qu'il se soit reservée, c'est de modifier les sentimens
de son maître, de resserrer ou d'étendre les idées
qu'il en a reçues, d'en emprunter quelques autres
d'ailleurs, & d'étayer le système quand il menace
ruine. Si vous imaginez un pauvre insolent qui, mécontent
des haillons dont il est couvert, se jette sur
les passans les mieux vêtus, arrache à l'un sa casaque,
à l'autre son manteau, & se fait de ces dépouilles
un ajustement - bisarre de toute couleur &
de toute piece, vous aurez un emblème assez exact
du sincrétiste. Luther, cet homme que j'appellerois
volontiers, magnus autoritatis contemptor osorque, fut
un vrai sincrétiste en matiere de religion. Reste à
savoir si le Sincrétisme en ce genre est une action
vertueuse ou un crime, & s'il est prudent d'abandonner
indistinctement les objets de la raison & de la foi
au jugement de tout esprit.
Le Sincrétisme est tout au plus un apprentissage de
l'Eclectisme. Cardan & Jordanus Brunus n'allerent pas
plus loin; si l'un avoit été plus sensé, & l'autre plus
hardi, ils auroient été les fondateurs de l'Eclectisme
moderne. Le chancelier Bacon eut cet honneur,
parce qu'il sentit & qu'il osa se dire à lui - même, que
la nature ne lui avoit pas été plus ingrate qu'à Socrate, Epicure, Démocrite, & qu'elle lui avoit aussi
donné une tête. Rien n'est si commun que des Sincrétistes; rien n'est si rare que des Eclectiques. Celui qui reçoit le système d'un autre éclectique, perd
aussi - tôt le titre d'éclectique. Il a paru de tems en tems
quelques vrais éclectiques; mais le nombre n'en a
jamais été assez grand pour former une secte; & je
puis assûrer que dans la multitude des philosophes
qui ont porté ce nom, à peine en comptera - t - on
cinq ou six qui l'ayent mérité. Voyez les artic.
Aristotélisme, Platonisme, Epicuréismf, Baconisme
, &c.
L'éclectique ne rassemble point au hasard des vérités;
il ne les laisse point isolées; il s'opiniatre bien
moins encore à les faire quadrer à quelque plan déterminé;
lorsqu'il a examiné & admis un principe,
la proposition dont il s'occupe immédiatementaprès,
ou se lie évidemment avec ce principe, ou ne s'y
lie point du tout, ou lui est opposée. Dans le premier
cas, il la regarde comme vraie; dans le second,
il suspend son jugement jusqu'à ce que des notions
intermédiaires qui séparent la proposition qu'il
examine du principe qu'il a admis, lui démontrent
sa liaison ou son opposition avec ce principe: dans
le dernier cas, il la rejette comme fausse. Voilà la
méthode de l'éclectique. C'est ainsi qu'il parvient à
former un tout solide, qui est proprement son ouvrage,
d'un grand nombre de parties qu'il a rassemblées
& qui appartiennent à d'autres; d'où l'on voit que
Descartes, parmi les modernes, fut un grand éclectique.
L'Eclectisme qui avoit été la philosophie des bons
esprits depuis la naissance dû monde, ne forma une
secte & n'eut un nom que vers la fin du second siecle
& le commencement du troisieme. La seule raison
qu'on en puisse apporter; c'est que jusqu'alors
les sectes s'étoient, pour ainsi dire, succédées ou
souffertes, & que l'Eclectisme ne pouvoit guere sortir
que de leur conflit: ce qui arriva, lorsque la religion
chrétienne commença à les allarmer toutes
par la rapidité de ses progrès, & à les révolter par
une intolérance qui n'avoit point encore d'exemple.
Jusqu'alors on avoit été pyrrhonien, sceptique, cynique,
stoicien, platonicien, épicurien, sans conséquence.
Quelle sensation ne dut point produire au
milieu de ces tranquilles philosophes, une nouvelle
école qui établissoit pour premier principe, qu'hors
de son sein il n'y avoit ni probité dans ce monde,
ni salut dans l'autre; parce que sa morale étoit la
seule véritable morale, & que son Dieu étoit le seul
vrai Dieu! Le soulevement des prêtres, du peuple,
& des philosophes, auroit été général, sans un petit
nombre d'hommes froids, tels qu'il s'en trouve
toûjours dans les sociétés; qui demeurent long tems
spectateurs indifférens, qui écoutent, qui pesent,
qui n'appartiennent à aucun parti, & qui finissent
par se faire un système conciliateur, auquel ils se flatent
que le grand nombre reviendra.
Telle fut à peu - près l'origine de l'Ectectisme. Mais
par quel travers inconcevable arriva - t - il, qu'en
partant d'un principe aussi sage que celui de recueillir
de tous les philosophes, tros, rutulus - ve fuat, ce
qu'on y trouveroit de plus conforme à la raison, on
négligea tout ce qu'il falloit choisir, on choisit tout
ce qu'il falloit négliger, & l'on forma le systeme
d'extravagances le plus monstrueux qu'on puisse
imaginer; système qui dura plus de quatre cents ans,
qui acheva d'inonder la surface de la terre de pratiques
superstitieuses, & dont il est resté des traces qu'on
remarquera peut - être éternellement dans les préjugés
populaires de presque toutes les nations. C'est
ce phénomene singulier que nous allons développer.
Tableau général de la philosophie éclectique.
La philosophie éclectique, qu'on appelle aussi le
Platonisme réformé & la philosophie alexandrine, prit
naissance à Alexandrie en Egypte, c'est - à - dire au
centre des superstitions. Ce ne fut d'abord qu'un sincrétisme
de pratiques religieuses, adopté par les pretres
de l'Egypte, qui n'étant pas moins crédules sous
le regne de Tibere qu'au tems d'Hérodote, parce
que le caractere d'esprit qu'on tient du climat change
difficilement, avoient toûjours l'ambition de posséder
le système d'extravagances le plus complet qu'il
y eût en ce genre. Ce sincrétisme passa de - là dans la
merale, & dans les autres parties de la philosophie.
Les philosophes assez éclairés pour sentir le foible des
différens systèmes anciens, mais trop timides pour les
abandonner, s'occuperent seulement à les réformer
sur les découvertes du jour, ou plûtôt à les défigurer
sur les préjugés courans: c'est ce qu'on appella plato<->
niser, pythagoriser, &c.
Cependant le Christianisme s'étendoit; les dieux
du Paganisme étoient décriés; la morale des philosophes
devenoit suspecte; le peuple se rendoit en
foule dans les assemblées de la religion nouvelle; les
disciples même de Platon & d'Aristote s'y laissoient
quelquefois entraîner; les philosophes sincrétistes
s'en scandaliserent, leurs yeux se tournerent avec
indignation & jalousie, sur la cause d'une révolution,
qui rendoit leurs écoles moins fréquentées;
un intérêt commun les réunit avec les prêtres du
Paganisme, dont les temples étoient de jour en jour
plus deserts; ils écrivirent d'abord contre la personne
de Jesus - Christ, sa vie, ses moeurs, sa doctrine,
& ses miracles; mais dans cette ligue générale,
chacun se servit des principes qui lui étoient
propres: l'un accordoit ce que l'autre nioit; & les
Chrétiens avoient beau jeu pour mettre les philosophes
en contradiction les uns avec les autres, &
les diviser; ce qui ne manqua pas d'arriver; les objets
purement philosophiques furent alors entierement
abandonnés; tous les esprits se jetterent du
côté des matieres théologiques; une guerre intestine
s'alluma dans le sein de la Philosophie; le Christianisme ne fut pas plus tranquille au - dedans de lui - même;
une fureur d'appliquer les notions de la Phi<pb->
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losophiè à des dogmes mystérieux, qui n'en permettoient
point l'usage, fureur conçue dans les disputes
des écoles, fit éclore une foule d'hérésies qui
déchirerent l'Eglise. Cependant le sang des martyrs
continuoit de fructifier; la religion chrétienne de se
répandre malgré les obstacles; & la Philosophie, de
pordre sans cesse de son crédit. Quel parti prirent
alors les Philosophes? celui d'introduire le Sincrétisme dans la Théologie payenne, & de parodier
une religion qu'ils ne pouvoient étouffer. Les Chrétiens ne reconnoissoient qu'un Dieu; les Sincrétistes, qui s'appellerent alors Eclectiques, n'admirent
qu'un premier principe. Le Dieu des Chrétiens
étoit en trois personnes: le Pere, le Fils, & le S.
Esprit. Les Eclectiques eurent aussi leur Trinité:
le premier principe, l'entendement divin, & l'ame
du monde intelligible. Le monde étoit éternel, si
l'on en croyoit Aristote; Platon le disoit engendré;
Dieu l'avoit créé, selon les Chrétiens. Les
Eclectiques en firent une émanation du premier
principe; idée qui concilioit les trois systèmes, &
qui ne les empêchoit pas de prétendre comme auparavant,
que rien ne se fait de rien. Le Christianisme
avoit des anges, des archanges, des démons, des
saints, des ames, des corps, &c. Les Eclectiques, d'émanations
en émanations, tirerent du premier principe
autant d'êtres correspondans à ceux - là: des
dieux, des démons, des héros, des ames, & des corps;
ce qu'ils renfermerent dans ce vers admirable:
E)/NQEN A)/DHN TRW/SKEI GE/VEDIS2 POLUPO/IKIL> UC/LHS2;
De - là s'élance une abondance infinie d'étres de toute
espece. Les Chrétiens admettoient la distinction du
bien & du mal moral, l'immortalité de l'ame, un
autre monde, des peines & des récompenses à venir.
Les Eclectiques se conformerent à leur doctrine
dans tous ces points. L'Epicuréisme fut proserit d'un
commun accord; & les Eclectiques conserverent de
Platon, le monde intelligible, le monde sensible, &
la grande révolution des ames à - travers différens
corps, selon le bon ou le mauvais usage qu'elles
avoient fait de leurs facultés dans celui qu'elles quittoient.
Le monde sensible n'étoit, selon eux, qu'une
toile peinte qui nous séparoit du monde intelligible;
à la mort, la toile tomboit, l'ame faisoit un pas sur
son orbe, & elle se trouvoit à un point plus voisin
ou plus éloigné du premier principe, dans le sein
duquel elle rentroit à la fin, lorsqu'elle s'en étoit
rendue digne par les purifications théurgiques &
rationelles. Il s'en faut bien que les idéalistes de
nos jours ayent poussé leur extravagance aussi loin
que les Eclectiques du troisieme & du quatrieme siecles: ceux - ci en étoient venus à admettre exactement
l'existence de tout ce qui n'est pas, & à nier
l'existence de tout ce qui est. Qu'on en juge sur ces
derniers mots de l'entretien d'Eusebe avec Julien:
W(S2 TAU=TA E)/IH TA\ O)/NTWS2 O)NTA, A)/IDE\ TH\N A)/IQHSIN A)>ATW=SAI
MAGGANE=IAI KAI\ GOHTENO/USAI, QAUMATO>OIW=N E)/RGA: Il n'y a
de réel que ce qui existe par soi - même (ou les idées); tout
ce qui frappe les sens n'est que fausse apparence, & l'oeu<->
vre du prestige, du miracle, & de l'imposture. Les Chrétiens avoient différens cultes. Les Eclectiques imaginerent
les deux théurgies; ils supposerent des
miracles; ils eurent des extases; ils conférerent l'enthousiasme,
comme les Chrétiens conféroient le
S. Esprit; ils crurent aux visions, aux apparitions,
aux exorcismes, aux révélations, comme les Chrétiens y croyoient; ils pratiquerent des cérémonies
extérieures, comme il y en avoit dans l'église; ils
allierent la prêtrise avec la philosophie; ils adresserent
des prieres aux dieux; ils les invoquerent; ils
leur offrirent des sacrifices; ils s'abandonnerent à
toutes sortes de pratiques, qui ne furent d'abord que
fantasques & extravagantes, mais qui ne tarderent
pas à devenir criminelles. Quand la superstition cherche
les ténebres, & se retire dans des lieux soûterrains
pour y verser le sang des animaux, elle n'est
pas éloignée d'en répandre de plus précieux; quand
on a cru lire l'avenir dans les entrailles d'une brebis,
on se persuade bien - tôt qu'il est gravé en caracteres
beaucoup plus clairs, dans le coeur d'un homme.
C'est ce qui arriva aux Théurgistes pratiques;
leur esprit s'égara, leur ame devint féroce, & leurs
mains sanguinaires. Ces excès produisirent deux effets
opposés. Quelques chrétiens séduits par la ressemblance
qu'il y avoit entre leur religion & la philosophie
moderne, trompés par les mensonges que
les Eclectiques débitoient sur l'efficacité & les prodiges
de leurs rits, mais entraînés sur - tout à ce genre
de superstition par un tempérament pusillanime,
curieux, inquiet, ardent, sanguin, triste, & mélancholique,
regarderent les docteurs de l'Eglise
comme des ignorans en comparaison de ceux - ci, &
se précipiterent dans leurs écoles; quelques éclectiques au contraire qui avoient le jugement sain, à
qui toute la théurgie pratique ne parut qu'un mêlange
d'absurdités & de crimes, qui ne virent rien dans
la théurgie rationelle qui ne fût prescrit d'une maniere
beaucoup plus claire, plus raisonnable, & plus
précise, dans la morale chrétienne, & qui, venant à
comparer le reste de l'Eclectisme spéculatif avec les
dogmes de notre religion, ne penserent pas plus favorablement
des émanations que des théurgies, renoncerent
à cette philosophie, & se firent baptiser:
les uns se convertissent, les autres apostasient, &
les assemblées des Chrétiens & les écoles du Paganisme se remplissent de transfuges. La philosophie
des Eclectiques y gagna moins que la théologie des
Chrétiens n'y perdit: celle - ci se mêla d'idées sophistiques,
que ne proscrivit pas sans peine l'autorité
qui veille sans cesse dans l'Eglise à ce que la pureté
de la doctrine s'y conserve inaltérable. Lorsque les
empereurs eurent embrassé le Christianisme, & que
la profession publique de la religion payenne fut
défendue, & les écoles de la philosophie éclectique
fermées; la crainte de la persécution fut une raison
de plus pour les philosophes de rapprocher encore
davantage leur doctrine de celle des Chrétiens; ils
n'épargnerent rien pour donner le change sur leurs
sentimens & aux PP. de l'Eglise & aux maîtres de
l'état. Ils insinuerent d'abord que les apôtres avoient
altéré les principes de leur chef; que malgré cette
altération, ils différoient moins par les choses, que
par la maniere de les énoncer: Christum nescio quid
aliud scripsisse, quam Christiani docebant, nihilque sen<->
sisse contra deos suos, sed eos potius magico ritu coluisse;
que Jesus - Christ étoit certainement un grand philosophe,
& qu'il n'étoit pas impossible qu'initié à tous
les mysteres de la théurgie, il n'eût opéré les prodiges
qu'on en racontoit, puisque ce don extraordinaire
n'avoit pas été refusé à la plûpart des éclectiques du premier ordre. Porphyre disoit: Sunt spi<->
ritus terreni minimi, loco quodam malorum doemonum
subjecti potestati; ab his sapientes Hebroeorum quorum
unus etiam iste Jesus fuit, &c. Ils attribuoient cet oracle
à Apollon, interrogé sur Jesus - Christ: QNHTO\S2 EHN
HATA\ SA/RKA SOFO\S2 TETARW/DESIN E)/RGOIS2: Mortalis erat, secundum
carnem philosophus ille miraculosis operibus clarus.
Alexandre Sévere mettoit au nombre des personnages
les plus respectables par leur sainteté, inter ani<->
mas sanctiores, Abraham, Orphée, Apollonius, &
Jesus - Christ D'autres ne cessoient de crier: Discipu<->
los ejus de illo fuisse revera mentitos, dicendo illum
Deum, per quem facta sunt omnia, cum nihil aliud
quam homo fuerit, quamvis excellentissimoe sapientioe.
Ils ajoûtoient: Ipse vero pius, & in coelum sicut pii,
concessit; ita hunc quidem non blasphemabis; misere<->
beris autem hominum dementiam. Porphyre se trompa;
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