ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"127"> tingue deux sortes de droit public, l'un général qui est commun à toutes les nations, l'autre particulier qui est propre à un état seulement, le terme de droit des gens est plus ancien & plus usité, pour exprimer le droit qui est commun à toutes les nations.

Les lois romaines distinguent le droit naturel d'avec le droit des gens; & en effet le premier considéré dans le sens le plus étendu que ce terme présente, est un certain sentiment que la nature inspire à tous les animaux aussi - bien qu'aux hommes.

Mais si l'on considere le droit naturel qui est propre à l'homme, & qui est fondé sur les seules lumieres de la raison, dont les bêtes ne sont pas capables, il faut convenir que dans ce point de vûe le droit naturel est la même chose que le droit des gens, l'un & l'autre étant fondé sur les lumieres naturelles de la raison: aussi voit - on que la plûpart des auteurs qui ont écrit sur cette matiere, ont confondu ces deux objets; tels que le baron de Puffendorf, qui a intitulé son ouvrage li droit de la nature & des gens, ou système général de la morale, de la jurisprudence, & de la politique.

On distinguoit aussi chez les Romains deux sortes de droit des gens; savoir, l'un primitif appellé pri<-> marium, l'autre secundarium.

Le droit des gens appellé primarium, c'est - à - dire primitif ou plus ancien, est proprement le seul que la raison naturelle a suggéré aux hommes: comme le culte que l'on rend à Dieu, le respect & la soûmission que les enfans ont pour leurs pere & mere, l'attachement que les citoyens ont pour leur patrie, la bonne - foi qui doit être l'ame des conventions, & plusieurs autres choses semblables.

Le droit des gens appellé secundarium, sont de certains usages qui se sont établis entre les hommes par succession de tems, à mesure que l'on en a senti la nécessité.

Les effets du droit des gens par rapport aux personnes, sont la distinction des villes & des états, le droit de la guerre & de la paix, la servitude personnelle, & plusieurs autres choses semblables Ses effets par rapport aux biens, sont la distinction des patrimoines, les relations que les hommes ont entre eux pour le commerce & pour les autres besoins de la vie; & la plûpart des contrats, lesquels tirent leur origine du droit des gens, & sont appellés contrats du droit des gens, parce qu'ils sont usités également chez toutes les nations: tels que les contrats de vente, d'échange, de loüage, de prêt, &c.

On voit par ce qui vient d'être dit, que le droit des gens ne s'applique pas seulement à ce qui fait partie du droit public général, & qui a rapport aux liaisons que les différentes nations ont les unes avec les autres, mais aussi à certains usages du droit privé, lesquels sont aussi regardés comme étant du droit des gens, parce que ces usages sont communs à toutes les nations, tels que les différens contrats dont on a fait mention; mais quand on parle simplement du droit des gens, on entend ordinairement le droit public des gens.

Le droit primitif des gens est aussi ancien que les hommes; & il a tant de rapport avec le droit naturel, qui est propre aux hommes, qu'il est par essence aussi invariable que le droit naturel. Les cérémonies de la religion peuvent changer, mais le culte que l'on doit à Dieu ne doit souffrir aucun changement: il en est de même des devoirs des enfans envers les peres & meres, ou des citoyens envers la patrie, & de la bonne - foi dûe entre les contractans; si ces devoirs ne sont pas toûjours remplis bien pleinement, au moins ils doivent l'être, & sont invariables de leur nature.

Pour ce qui est du second droit des gens appellé par les Romains secundarium, celui - ci ne s'est for<cb-> mé, comme on l'a déjà dit, que par succession de tems, & à mesure que l'on en a senti la nécessité: ainsi les devoirs réciproques des citoyens ont commencé lorsque les hommes ont bâti des villes pour vivre en société; les devoirs des sujets envers l'état ont commencé, lorsque les hommes de chaque pays qui ne composoient entre eux qu'une même famille soûmise au seul gouvernement paternel, établirent au - dessus d'eux une puissance publique, qu'ils déférerent à un ou plusieurs d'entre eux.

L'ambition, l'intérêt, & autres sujets de différends entre les puissances voisines, ont donné lieu aux guerres & aux servitudes personnelles, telles sont les sources funestes d'une partie de ce second droit des gens.

Les différentes nations, quoique la plûpart divisées d'intérêt, sont convenues entre elles tacitement d'observer, tant en paix qu'en guerre, certaines regles de bienséance, d'humanité, & de justice: comme de ne point attenter à la personne des ambassadeurs, ou autres personnes envoyées pour faire des propositions de paix ou de treve; de ne point empoisonner les fontaines; de respecter les temples; d'épargner les femmes, les vieillards, & les enfans: ces usages & plusieurs autres semblables, qui par succession de tems ont acquis force de loi, ont formé ce que l'on appelle droit des gens, ou droit commun aux divers peuples.

Les nations policées ont cependant plus ou moins de droits communs avec certains peuples qu'avec d'autres, selon que ces peuples sont eux - mêmes plus ou moins civilisés, & qu'ils connoissent les lois de l'humanité, de la justice & de l'honneur.

Par exemple, avec les sauvages antropophages, qui sont dans une profonde ignorance & sans forme de gouvernement, il y a peu de communication, & presqu'aucune sûreté de leur part. Il est permis aux autres hommes de s'en défendre, même par la force, comme des bêtes féroces; on ne doit cependant jamais leur faire de mal sans nécessité: on peut habiter dans leur pays pour le cultiver, & s'ils veulent trafiquer avec nous, les instruire de la vraie religion, & leur communiquer les commodités de la vie.

Chez les Barbares qui vivent en forme d'état, on peut trafiquer & faire toutes les autres choses qu'ils permettent, comme on feroit avec des peuples plus polis.

Avec les infideles on peut faire tout ce qui ne tend point à autoriser leur religion, ni à nier ou déguiser la nôtre.

Les diverses nations mahométanes, quoiqu'attachées la plûpart à différentes sectes & soûmises à diverses puissances, ont entr'elles plusieurs droits communs qui forment leur droit des gens, l'alcoran étant le fondement de toutes leurs lois, même pour le temporel.

Les Chrétiens, lorsqu'ils sont en guerre les uns contre les autres, font des prisonniers, comme les autres nations; mais ils ne traitent point leurs prisonniers en esclaves: c'est aussi une loi entr'eux, de se donner un mutuel secours contre les infideles.

Le droit des gens qui s'observe présentement en Europe, s'est formé de plusieurs usages venus en partie des Romains, en partie des loix germaniques, & n'est arrivé que par degrés au point de perfection où il est aujourd'hui.

Les Germains, d'où sont sortis les Francs, ne connoissoient encore presqu'aucun droit des gens du tems de Tacite; puisque cet auteur, en parlant des moeurs de ces peuples, dit que toute leur politique à l égard des étrangers, consistoit à enlever ouvertement à leurs voisins le fruit de leur labeur, ayant pour maxime qu'il y avoit de la lâcheté à n'acquérir qu'à [p. 128] force de travaux & de sueurs, ce que l'on pouvoit avoir en un moment au prix de son sang.

Les lois & les moeurs de la France s'étendirent depuis Charlemagne dans toute l'Italie, Espagne, Sicile, Hongrie, Allemagne, Pologne, Suede, Danemark, Angleterre, & généralement dans toute l'Europe, excepté ce qui dépendoit de l'empire de Constantinople. Dans tous ces pays le nom d'empe<-> reur romain a toûjours été respecté; & celui qui en a le titre, tient le premier rang entre les souverains. On remarque aussi que dans ces différens états de l'Europe on use à - peu - près des mêmes titres de dignité; que dans chaque état il y a un roi ou autre souverain; que les principaux seigneurs portent partout les mêmes titres de princes, ducs, comtes, &c. que les officiers ont aussi les mêmes titres de connétables, chanceliers, maréchaux, sénéchaux, amiraux, &c. qu'il y a par - tout des assemblées publiques à - peu - près semblables, sous le nom de parle<-> mens, états, dietes, conseils, chambres, &c. qu'on y observe par - tout la distinction des différens ordres, tels que le clergé, la noblesse, & le tiers - état; celle de la robe avec l'épée, celle des nobles d'avec les roturiers: enfin que toute la forme du gouvernement y est prise sur le même modele; ce qui vient de ce que ces peuples étoient tous sujets de Charlemagne, ou ses voisins, qui faisoient gloire de l'imiter.

C'est aussi de - là que plusieurs de ceux qui ont traité du droit public ou droit des gens de l'Europe, disent que la véritable origine de ce droit ne remonte qu'au tems de Charlemagne, parce qu'en effet les diverses nations de l'Europe étoient jusqu'alors peu civilisées, & observoient peu de regles entr'elles. C'est à cette époque mémorable du regne de Charlemagne, que commence le corps universel diplomatique du droit des gens, par Jean Dumont, qui contient en dix - sept tomes in - folio tous les traités d'alliance, de paix, de navigation & de commerce, & autres actes relatifs au droit des gens depuis Charlemagne.

D'autres prétendent que l'on ne doit reprendre l'étude du droit des gens qu'au tems de l'empereur Maximilien I. de Louis XI. & de Ferdinand le Catholique, tous deux rois, l'un de France, l'autre d'Espagne; que tout ce qui se trouve au - dessus de ce tems, sert moins pour l'instruction que pour la curiosité, & que ce n'est que depuis ces princes que l'on voit une politique bien formée & bien établie. Voyez l'Europe pacifiée par l'équité de la reine de Hon<-> grie, p. 5.

Ce que dit cet auteur seroit véritable, si par le terme de politique on n'entendoit autre chose que la science de vivre avec les peuples voisins, & les regles que l'on doit observer avec eux; mais suivant l'idée que l'on attache communément au terme de politique, c'est une certaine prudence propre au gouvernement, tant pour l'intérieur que pour les affaires du dehors: c'est l'art de connoître les véritables intérêts de l'état, & ceux des puissances voisines; de cacher ses desseins, de prévenir & rompre ceux des ennemis; or en ce sens la politique est totalement différente du droit public des gens, qui n'est autre chose que certaines regles observées par toutes les nations entr'elles, par rapport aux liaisons réciproques qu'elles ont.

Le traité de Grotius, de jure belli & pacis, qui, suivant ce titre, semble n'annoncer que les lois de la guerre, lesquelles en font en effet le principal objet, ne laisse pas de renfermer aussi les principes du droit naturel & ceux du droit des gens. Il y traite du droit en général, des droits communs à tous les hommes, des différentes manieres d'acquérir, du mariage, du pouvoir des peres sur leurs enfans, de celui des maures sur leurs esclaves, & des souverains sur leurs sujets, des promesses, contrats, fermens, traités publics, du droit des ambassadeurs, des droits de sépulture; des peines, & autres matieres qui sont du droit des gens. Les lois mêmes de la guerre & de la paix en font partie; c'est pourquoi il examine ce que c'est que la guerre, en quel cas elle est juste; ce qu'il est permis de faire pendant la guerre, & comment on doit garder la foi promise aux ennemis, de quelle maniere on doit traiter les vaincus.

Mais quoique cet ouvrage contienne d'excellentes choses sur le droit des gens, on ne peut le regarder comme un traité méthodique de ce droit en général; & c'est sans doute ce qui a engagé Puffendorf à composer son traité de jure naturoe & gentium, dans lequel il a observé plus d'ordre pour la distribution des matieres. Ce traité a été traduit en françois, comme celui de Grotius, par Barbeyrac, & accompagné de notes très - utiles: on en va faire ici une courte analyse, rien n'étant plus propre à donner une juste idée des matieres qu'embrasse le droit des gens.

L'auteur (Puffendorf) dans le premier livre cherche d'abord la source du droit naturel & des gens dans l'essence des êtres moraux, dont il examine l'origine & les différentes sortes. Il appelle étres moraux certains modes que les êtres intelligens attachent aux choses naturelles ou aux mouvemens physiques: en vûe de diriger & de restraindre la libérté des actions volontaires de l'homme, & pour mettre quelqu'ordre, quelque convenance & quelque beauté dans la vie humaine, il examine ce que l'on doit penser de la certitude des Sciences morales, comment l'entendement humain & la volonté sont des principes des actions morales: il traite ensuite des actions morales en général, & de la part qu'y a l'agent, ou ce qui fait qu'elles peuvent être imputées; de la regle qui dirige les actions morales, & de la loi en général; des qualités des actions morales, de la quantité ou de l'estimation de ces actions, & de leur imputation actuelle.

Après ces préliminaires sur tout ce qui a rapport à la morale, l'auteur, dans le livre second, traite de l'état de nature, & des fondemens généraux de la loi naturelle même. Il établit qu'il n'est pas convenable à la nature de l'homme de vivre sans quelque loi; puis il examine singulierement ce que c'est que l'état de nature, & ce que c'est que la loi naturelle en général; quels sont les devoirs de l'homme par rapport à lui - même, tant pour ce qui regarde le soin de son ame, que pour ce qui concerne le soin de son corps & de sa vie; jusqu'où s'étendent la juste défense de soi - même, & les droits & priviléges de la nécessité.

Jusqu'ici il ne s'agit que du droit naturel; mais dans le livre troisieme l'auteur paroît avoir en vûe le droit des gens: en effet, il traite en général des devoirs absolus des hommes les uns envers les autres, & des promesses ou des conventions en général. Les principes qu'il établit, sont qu'il ne faut faire du mal à personne; que si l'on a causé du dommage, on doit le réparer; que tous les hommes doivent se regarder les uns les autres comme naturellement égaux, & à cette occasion il explique les devoirs communs de l'humanité; avec quelle fidélité inviolable on doit tenir sa parole, & accomplir les différentes sortes d'obligations; quelle est la nature des promesses & des conventions en général, ce qui en fait la matiere, & quel consentement y est requis; les conditions & autres clauses que l'on peut ajoûter aux engagemens, & comment on peut contracter par procureur.

Le quatrieme livre paroît se rapporter à deux principaux objets; l'un est l'obligation qui concerne l'usage de la parole & l'usage du serment: il traite aussi à cette occasion de la nature du mensonge. L'autre

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