ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"1021"> Mabillon n'a pû cacher son dessein, & il paroît évidemment qu'il a voulu défendre & soûtenir les titres de son ordre, que le P. Papebroeck avoit un peu noircis par ses soupçons; & il est indubitable que l'endroit de son livre où il s'efforce de combattre ce qu'a donné M. Petit, est le centre de son ouvrage, d'autant plus que dans les dissertations jointes au pénitentiel, il y a des preuves assez fortes de ce que le savant Jésuite flamand ne faisoit que conjecturer. Voilà les blessures auxquelles il s'est crû obligé de remédier avec promptitude, opus esse existimavi diligentiâ. Ne m'en croyez pas, Monsieur (ce sont ses termes), hanc necessitatem probat operis occasio, l'occasion de cet ouvrage en prouve la nécessité; & parce que les principaux efforts de ses adversaires, comme il les appelle, sont tombés sur le chartrier de S. Denis, & quoniam proecipuus adversariorum conatus in Dionysianum archivium exsertus fuerat, la nécessité de se défendre lui a fait enfanter ce dessein nouveau, pour procurer de l'utilité au public, nempè utilitas argumenti cum novitate conjuncta, atque defensionis necessitas. Cependant quiconque lira l'un & l'autre, remarquera facilement lequel des deux a plus de force & de solidité dans l'attaque ou dans la défense; & pour vous le faire voir en deux mots, l'abbé Petit, dans ses notes sur Théodore, qui vivoit vers la fin du sixieme siecle, prétend que les exemptions de l'ordinaire & des souverains sont contraires à la discipline de l'Eglise; il le justifie par une tradition exacte des peres & des conciles jusqu'à son tems: il soûtient par conséquent que ces sortes de priviléges ne sont pas légitimes. Celui de S. Denis, que le P. Doublet a publié, lui sert d'exemple; il donne une copie de ce même titre, tirée d'un ancien manuscrit, qui contredit l'autre, & qui est conforme aux regles de l'Fglise. A cela le P. Mabillon répond que c'est une calomnie digne de réprimande, d'accuser ses confreres d'errer contre l'Eglise & la police des états, lorsqu'ils défendent des privileges, quoiqu'on leur ait montré qu'ils sont contraires aux canons de l'une & aux lois de l'autre. Il avoue le tirre que produit M. Petit, mais il prétend que celui du P. Doublet en est un autre; sur quoi il donne de mauvaises raisons: & pour montrer que celui qu'il défend, & pour lequel il a fait un si gros livre, n'est point contraire à l'Eglise, il ne rapporte ni passages des peres ni des conciles, mais une formule de Marculphe. Vous croyez peut - être, quoique ce ne soit pas une grande preuve, qu'elle parle en termes exprès, cependant c'est le contraire; il n'est parlé que de juges médiats ou subalternes, avec une clause que ni le prince ni le magistrat ne pourroit détruire cette grace, neczegalis sublimitas, nec cujuslibet judicum soeva cupiditas refragare tentet; & une preuve de cela est que dans un endroit de cette formule on y voit les mêmes expressions que dans le titre publié par M. Petit: statuentes ergo neque juniores, neque successores vestri, nec ulla publica judiciaria potestas, &c. Enfin pour derniere raison il rapporte uniquement un semblable privilége donné à Westminster par un Edoüard roi d'Angleterre, contre lequel assûrément les raisons du P. Papebroeck & de M. Petit ne perdent rien de leur force, aussi - bien que contre les autres titres.»

Il suffit que l'ouvrage du P. Mabillon ait eu beaucoup de réputation, pour qu'il se soit vû exposé à la critique & à de grandes contradictions, soit en France, soit dans les pays étrangers; s'il avoit été moins savant, on l'auroit laissé pourrir dans l'oubli & dans l'obscurité. C'est ce qui a produit en 1703 & aux années suivantes, les dissertations si savantes & si iudicieuses du P. Germon de la compagnie de Jesus. Ces nouvelles disputes ont procuré un avantage, & ont engagé le P. Mabillon à publier en 1704 un supplément considérable à sa diplomatique; & le P. dom Thierri Ruynart illustre associé du P. Mabillon, fit paroître alors contre leurs célebres adversaires, son livre ecclesia Parisiensis vindicata. L'année suivante M. Hickese, l'un des plus savans hommes de l'Angleterre, s'est aussi élevé contre le pere Mabillon, dans un ouvrage aussi nouveau & aussi singulier en son genre, que la diplomatique du P. Mabillon; c'est dans ce qu'il a donné sous le titre de litteratura septentrionalis, publié en 1705 en trois volumes in - fol. où il prétend détruire les regles diplomatiques établies par le savant bénédictin. Les Italiens s'en sont aussi mêlés, mais plus foiblement que ceux dont nous venons de parler: ainsi un bon, un excellent ouvrage en produit de bons & de médiocres, comme il est aussi la source de bonnes & de mauvaises critiques; c'est au public curieux à profiter de ce qu'il peut trouver d'utile jusque dans les moindres écrits qu'engendre une dispute.

On ne sauroit disconvenir que la diplomatique du P. Mabillon ne contienne d'excellentes & d'admirables recherches sur divers points de notre histoire; l'homme judicieux fera toûjours plus d'attention à ce qu'il y trouvera d'excellent & d'utile, qu'aux fautes qui peuvent se rencontrer en un travail qui jusqu'en 1681 n'avoit pas été tenté: les Anglois & les savans de France n'ont pas laissé, au milieu des critiques qu'ils en ont faites, d'admirer, de respecter même la grandeur, la nouveauté & l'utilité du dessein. En effet, rien n'auroit contribué davantage à approfondir les endroits les plus secrets & les plus obscurs des premiers tems de notre histoire & de celle des autres nations, si l'on avoit pû compter avec certitude sur les regles qu'il a proposées pour discerner les véritables diplomes, & les distinguer sûrement de ceux qui ont des marques de fausseté.

Cette matiere est devenue à la mode chez presque toutes les nations, & chacune l'a traitée suivant son goût, & relativement à son histoire ou à des vûes particulieres. Wiltheim a donné en 1659 à Liege, le dyptycon Leodiense & Bituricense: Luing, cet allemand si laborieux, en a fait un ample recueil, tant d'Allemagne que d'Italie; Rymer fit par ordre de la reine Anne, cette belle collection qui est connue sous le nom de l'éditeur: & pour revenir à notre France, combien André Duchéne en a - t - il publié dans les généalogies de plusieurs grandes maisons? L'histoire des congrégations religieuses des provinces, des villes, a pour fondement ces sortes de diplomes; c'est par - là que les Dupuy, les Ducange, les Godefroi, se sont distingués dans le monde savant, aussi - bien que Blondel, Baluze, Labbe & Martene; & Aubert Lemire a éclairci bien des faits particuliers de l'histoire des Pays - bas, par les recueils qu'il a donnés de ces sortes de titres, quoiqu'on puisse lui en disputer quelques - uns.

Le laborieux pere Papebroeck est un de ceux qui en ont le plus savamment écrit. Avant lui Conringius & Heiderus, s'y étoient exercés en Allemagne, aussi bien que Marsham, dans la préface du monasticon anglicanum; & Warthon, dans l'Anglia sacra, comme M. de Launoi l'avoit fait en France, en attaquant avec autant de courage que de hardiesse la plûpart des priviléges des abbayes, & de plusieurs communautés. Quelle perte pour ce dernier de n'avoir pû connoître un fait célebre, qui ne s'est développé que plus de quinze ans après la mort de ce célebre personnage! On sait que sous le pape Innocent II. qui siégea depuis l'an 1130 jusques vers la fin de l'an 1143, il se tint un concile à Reims, où assista l'évêque de Châlons, qui avoit été auparavant abbé de S. Médard de Soissons. Ce prélat tou<pb-> [p. 1022] ché d'une vérité qu'il étoit important même pour la postérité de faire venir jusqu'à nous, se crut obligé de découvrir au pape, que dans le tems qu'il gouvernoit l'abbaye de S. Médard, un de ses moines nommé Guernon s'étoit confessé publiquement avant sa mort d'avoir été un insigne faussaire, fur - tout dans la fabrication de deux actes essentiels qu'ilavoit faits sous le nom du pape même; l'un étoit le privilége de S. Oüen de Rouen, & l'autre celui de S. Augustin de Cantorbéri. Et comme les hommes récompensent souvent les crimes utiles plus libéralement qu'ils ne font les actions vertueuses, il avoüa qu'on lui avoit donné quelques ornemens d'église assez précieux pour mériter d'être offerts à son abbaye de S. Médard. C'est ce qu'on trouve dans une lettre originale de Gilles évêque d'Evreux au pape Alexandre, que le savant M. Warthon a fait imprimer dans son anglia sacra, in - folio 1691. La voici: ait catalaunensisepiscopus, duminecclesiasticis beati Medardi officio abbatis fungeretur, quemdam Guernonem nomine ex monachis suis in ultimo confessionis articulo se falsarium fuisse confessum, & inter catera quoe per diversas ecclesias frequentando, transcripserat, ecclesiam beati Audoeni & ecclesiam beati Augustini de Cantuaria, adulterinis privilegüs sub apostolico nomine se munüsse lamentabiliter poenitendo asseruit. Quin & ob mercedem iniquitatis quadam se proetiosa ornamenta recepisse, confessus est, & in B. Medardi ecclesiam contulisse. Je m'étonne que M. Languet, évêque de Soissons, n'ait point rapporté ce fait, qui auroit extrémement figuré dans les factums qu'il a publiés contre l'abbaye de S. Corneille de Compiegne.

Venons maintenant aux regles qu'on a données pour distinguer dans ces anciens actes ceux qui sont faux ou altérés, d'avec ceux dont on croit que la vérité n'est pas suspecte.

I. La premiere est, dit - on, d'avoir des titres authentiques pour en comparer l'écriture avec celle des diplomes de la vérité desquels on est en doute.

Mais ce sera une difficulré d'être assûré de la certitude de celui qui doit servir de piece de comparaison. On en trouve la preuve même dans cette contestation diplomatique. Le pere Papebroeck apporte comme véritable le diplome de Dagobert pour l'abbaye de S. Maximin de Treves, au lieu que le pere Mabillon le croit faux & supposé. Il en est de même de deux titres produits par le pere Papebroeck comme certains, & comme pouvant servir de pieces de comparaison. L'un regarde l'empereur Charlemagne, & l'autre Lothaire Il. fils de Lothaire I. empereur. Le pere Papebroeck les présente l'un & l'autre comme des titres incontestables, sur la vérité desquels on peut compter; au lieu que le pere Mabillon donne des preuves suffisantes pour rejetter le premier, & fait naître de légitimes soupçons sur celui de Lothaire: auquel croire de ces deux savans? On voit par - là que tous leurs égaux seront toûjours en dispute sur cette premiere regle, parce qu'ils seront rarement d'accord sur le titre qui doit les conduire & les guider dans leur examen. Les écritures d'un même siecle ont entr'elles quelque ressemblance, mais ce n'est pas la même main. C'est néanmoins cette main qu'il faudroit trouver pour en faire sûrement la comparaison; chose absolument impossible. Et dès qu'il s'agit des huit ou neuf premiers siecles de notre ere chretienne, on sait combien il est difficile d'assûrer la vérité des titres qu'on attribue à ces anciens tems. Je n'ignore pas que l'homme intelligent & versé dans les différentes écritures, distinguera le titre faux d'avec celui qui est incontestable. Le faussaire, quoiqu'industrieux, ne sauroit toûjours imiter exactement cette liberté d'une main originale: on y trouve ou de la contrainte, ou des différences qui sont sensibles à l'homme pra<cb-> tio dans l'examen des écritures: la précipitation, la crainte même de ne pas imiter assez bien son modele, empêche & embarrasse quelquefois le faussaire. Je ne dis rien de la différence qui se trouve en un même tems entre les écritures des divers pays, qui est encore plus sensible que celles des différens siecles.

Peut - être ne sera - t - on pas fâché de savoir un fait singulier qui m'est arrivé à Amsterdam en 1711, sur la ressemblance des écritures. On vint proposer à un prince curieux & amateur, que j'accompagnois alors, le faux évangile de S. Barnabé; c'est celui dont se servent les Mahométans, pour connoître l'histoire de J. C. qu'ils ne peuvent s'empêcher de regarder comme un grand prophete. Ce faux évangile qui manque au recueil de Fabricius, est en italien corrompu, ou plûtôt en langue franque, grand in - dix - huit, ou petit in octavo quarré, écrit il y a bien quatre cents ans. J'eus ordre de chercher un copiste pour le faire écrire; j'en trouvai un, qui, pour preuve de son savoir & de son talent, en écrivit une page, que l'on ne put pas distinguer de l'original, tant l'un & l'autre avoient de ressemblance: il n'y avoit que le papier qui pût faire connoître la différence; mais pour faire cesser le doute, il apporta le lendemain la même page imitée, au papier de laquelle il avoit donné le ton & la couleur de l'original qui étoit en papier du Levant. On peut conjecturer par ce fait, qui est certain, combien il est facile à quelques personnes d'imiter les écritures anciennes. Le prince acheta le faux évangile, & conserva la page imitée, & le tout est à présent dans la bibliotheque impériale de Vienne en Autriche. Ainsi cette premiere regle a ses difficultés, & ne peut être pratiquée que très - difficilement & avec beau, coup de circonspection. Passons à une autre.

Il. Il est nécessaire, en second lieu, d'examiner la conformité ou la différence du style d'une piece à l'autre. Il faut savoir de quelle maniere les princes ont commencé & fini leurs diplomes, de quels termes particuliers ils se sont servis: toutes ces choses n'ont pas été les mêmes dans les divers tems & dans les différens pays: & même chaque reférendaire ou chancelier peut avoir changé en quelque chose la maniere de son prédécesseur, quoiqu'il y eût alors des formules, mais qui n'ont pas toûjours été scrupuleusement suivies. Autre source d'obscurités.

Quand on parle de style, & même d'ortographe, il ne faut pas croire que les commis préposés pour dresser ou copier un acte, ou un diplome, fussent dans le même siecle également versés dans le latin qui est la langue de ces diplomes. Depuis que les François, les Bourguignons, & les Saxons passerent dans les Gaules, ils y introduisirent le langage de leur nation qui devint la langue vulgaire: par - là le latin se corrompit beaucoup. Les commis & les copistes des chartes parloient comme les autres cette langue vulgaire; & lorsqu'il falloit dresser ou copier un acte, ils introduisoient dans le latin & dans l'ortographe, celle qui étoit en usage dans la langue qui leur étoit la plus familiere.

Ne voyons - nous pas quelque chose de semblable dans les nations qui subsistent? Qu'un anglois dicte ou prononce un discours latin, je défie un françois, ou de l'entendre, ou de l'écrire avec l'exactitude qu'exige cette langue; j'en ai eu la preuve par moi - même: ce sont néanmoins des personnes du même tems. Le style aussi - bien que l'ortographe & la prononciation s'accommodoient à la langue qui se parloit vulgairement. Ainsi en Espagne, en Angleterre, en Hongrie, en Italie, le même mot s'écrivoit autrement que dans les Gaules. On connoît ces différences pour peu qu'on ait l'usage des manuscrits. Les fautes d'ortographe ne sont point par consé<pb->

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