ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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L'usage & l'emploi des diplomes & des chartes sert aussi pour la connoissance de l'ancienne origine des grandes maisons: comme leurs chefs ont fondé plusieurs abbayes ou monasteres, ou que du moins ils en ont été les bienfaiteurs, ils ont eu soin à ce premier acte de religion d'en ajoûter un second, qui étoit d'établir des prieres pour le repos de l'ame de leurs peres & de leurs ancêtres, dont les noms se trouvent expressément marqués dans la plûpart de ces diplomes ou de ces chartes. C'est ainsi que les titres ou les diplomes de l'abbaye de Mure ou Muri en Suisse, imprimés en 1618, 1627, & 1718, nous font connoître l'origine de la maison d'Autriche.

On n'ignore pas qu'en matiere de généalogie, l'histoire & les titres se prêtent un mutuel secours: dès que l'histoire nous manque, on a recours aux titres; & au défaut des titres on employe l'autorité des historiens, sur - tout des contemporains. Ce sont des témoignages publics, qui souvent font plus de foi que les titres, qui sont des témoins secrets & particuliers. Cependant dès qu'il s'agit de se faire restituer quelques fiefs aliénés, des principautés, des domaines usurpés par des étrangers, ou des droits qui tombent en litige, alors les titres sont beaucoup plus nécessaires que l'histoire, parce qu'ils entrent dans un plus grand détail. Les magistrats & les dépositaires de la justice ne connoissent que ces sortes d'actes; c'est ce qui les détermine dans leurs jugemens & dans leurs arrêts. L'histoire ne sert que pour développer l'illustration des maisons: elle fait connoître la dignité des personnes, la grandeur de leur origine; & jamais on ne l'employe pour les matieres d'intérêt; ce n'est pas son objet. C'est ainsi que la maison d'Autriche, qui selon le P. Hergott son dernier historien, ne remonte par titres qu'à neuf générations au - dessus de Rodolphe d'Habsbourg, s'éleve encore selon cet auteur à neuf autres générations, mais seulement par l'histoire, au - delà des neuf qu'elle prouve par les titres; ce qui fait dix - huit générations au - dessus du milieu du xiij. siecle. Ainsi la maison de France qui remonte par titres jusqu'au roi Eudes en 888, porte par l'histoire sa généalogie à des tems beaucoup plus anciens, quelque sentiment que l'on embrasse, au - delà de Robert - le - Fort qui vivoit au milieu du jx. siecle.

On se sert encore des diplomes pour l'histoire particuliere des églises cathédrales, des abbayes, des villes, & même quelquefois des provinces; mais ils sont de peu d'usage pour l'histoire générale: nous avons pour cette derniere des monumens qui sont moins exposés à la critique ou à la mauvaise humeur des savans.

Mais par une fatalité qui vient souvent de la malignité des hommes, il n'est rien que l'on n'ait dit contre les titres, les diplomes, les chartes & les archives des communautés, sur - tout de celles des personnes d'église. Bien des gens n'y ajoûtent que très peu de foi, parce qu'y en ayant beaucoup de supposés, grand nombre de falsifiés & d'altérés, on a fait porter aux vrais diplomes la peine qui n'est dûe qu'à ceux qui sont faux ou contrefaits par des faussaires. Il est vrai, & tous généralement conviennent qu'on en a fabriqué ou falsifié un grand nombre; il se trouve même des livres où il y a plus de faux titres que de véritables: c'est le jugement qu'André Duchêne, dans sa bibliotheque des historiens de France, a porté des mémoires & recherches de France & de la Gaule aquitanique, imprimés à Paris en 1581, sous le nom de Jean de Lastage. Plusieurs savans ont crû que des communautés assez régulieres avoient peine à lever les doutes qu'on formoit sur les bulles qui servent de fondement à leurs priviléges: on a mis dans ce nombre ceux de S. Germain des Prés, de S. Denis, de S. Médard de Soissons, de Prémontré, & même jusqu'à la bulle sabbatine des Carmes. On croit cependant qu'il faut avoir trop de délicatesse pour n'être pas content des apologies qu'on a faites de ces priviléges.

J'ai dit qu'il y avoit des chartes totalement supposées, & d'autres qui ne sont que falsifiées. Ces dernieres sont les plus difficiles à reconnoître, parce que ceux qui étoient les maîtres des originaux, ajoûtoient dans leurs copies ce qui convenoit à leurs intérêts. L'on ne peut vérifier la falsification que par les chartes originales, quand elles sont encore en nature, ou par d'autres priviléges postérieurs, opposés à ceux contre lesquels on forme quelques soupçons.

Il est beaucoup plus facile de reconnoître les chartes qui sont entierement supposées. On peut dans ces suppositions avoir pris une de ces deux voies: 1°. Un homme versé dans la lecture de ces pieces, en aura lû une dans laquelle on retrouve les moeurs & le caractere du siecle où vivoit le faussaire, & non pas celui auquel il impute sa prétendue charte: 2°. L'on aura peut - être pris le corps d'une autre charte, dans la copie ou l'imitation de laquelle on se sera contenté de changer l'endroit qui sert de motif à la supposition.

Une regle qui découvre également la fausseté de ces deux sortes de chartes, consiste dans les notes chronologiques qu'on y met ordinairement: par exemple, si l'on se sert d'époques qui n'étoient point encore en usage au tems où l'on suppose que le titre a été fait, comme cela peut arriver dans les pieces qu'on croiroit du dixieme siecle ou des précedens, & qui cependant seroient marquées par les années de l'ere chrétienne, qui n'a été en usage dans ces sortes de monumens que dans l'onzieme siecle; ou s'il s'y trouvoit quelque faute par rapport au regne des princes sous lesquels on dit qu'elles ont été faites, ou même si elles étoient signées par des personnes qui fussent déjà mortes, on si l'on y trouvoit le nom & la signature de quelqu'autre qui n'auroit vécu que long - tems après. Il faut néanmoins se servir de ce dernier article avec quelque précaution & beaucoup de modération. Il est arrivé dans la suite qu'on a joint des notes chronologiques qui n'étoient point dans les originaux: c'est ce que le P. Mabillon reinarque à l'occasion d'une lettre du pape Honorius, datée de l'an de Jesus - Christ 634, & rapportée par le vénérable Bede, qui paroît y avoir lui - même ajoûté cette date. Il pourra même y avoir quelque faute par rapport au regne des princes, sans que pour cela on soit en droit de s'inscrire en faux contre ces chartes, pourvu que ces fautes ne viennent point des originaux, mais seulement des copistes. Il n'est pas difficile de connoître par d'autres caracte, res, si ce mécompte vient d'inadvertance ou de falsification réelle. Et quant à ce qu'on a dit ci - dessus, qu'on voit quelquefois dans des chartes la signature de personnes qui n'étoient pas encore au monde, ce n'est pas toûjours une marque de fausseté, parce qu'un roi, un prince, un prélat, auront été priés de confirmer par leur signature, un privilége accordé long - tems avant eux.

Je pourrois apporter encore beaucoup d'autres observations qui servent à faire connoître ces faussetés. Il suffit ici d'avertir qu'une charte peut être fausse, quoique le privilege qui s'y trouve énoncé soit certain. Des personnes qui ont eu des titres authentiques, & qui les auront perdus, ne faisoient pas difficulté de supposer un nouveau diplome, pour se maintenir dans la possession des droits qui leur étoient acquis, & qu'ils appréhendoient qu'on ne leur disputât; ainsi ils auront commis un crime dont leur intérêt leur cachoit l'énormité.

Toutes ces difficultés n'ont servi qu'à décrier les [p. 1020] chartes, les diplomes & les archives particulieres où ils sont déposés. Sans parler des tems antérieurs, Conringius célebre littérateur allemand, l'avoit fait en 1672, lorsqu'il attaqua les diplomes de l'abbaye de Lindau, monastere considérable vers l'extrémité orientale du lac de Constance. Le P. Papebroeck, le plus illustre des continuateurs du recueil de Bollandus, se déclara en 1675 contre la plûpart des titres: il proposa des regles qui depuis ont été contestées. M. l'abbé Petit qui publia en 1677 le pénitentiel de Théodore archevêque de Cantorbery, se déclara contre la plûpart des chartes & des diplomes. Le P. Mabillon, touché de tant de plaintes qui pouvoient retomber sur ses confreres, se présenta pour les justifier; c'est ce qui produisit en 1681 le grand & célebre ouvrage de re diplomaticà, qui ne pouvoit être que le travail d'une cinquantaine d'années, tant on y trouve de savoir & de recherches précieuses & importantes. On doit regarder cet écrivain comme un pere de famille qui cherche à défendre les biens qui lui sont acquis par une longue possession. Son ouvrage fut reçû différemment, & a fait depuis le sujet de plusieurs disputes aussi obscures qu'elles sont intéressantes. On a prétendu que son travail n'avoit pas une étendue assez générale, parce qu'on n'y trouve pas les différens caracteres usités en Espagne, en Italie, en Angleterre & en Allemagne: mais que chaque savant en état de travailler cette matiere dans les différens royaumes, fasse sur sa nation ce que le P. Mabillon a fait sur la France, & l'on pourra dire que par ce moyen on arrivera à une diplomatique universelle.

Pour en venir à quelque détail, deux ans après que le livre de la diplomatique eut paru, le P. Jourdan, de la compagnie de Jesus, se déclara contre les titres & les diplomes en général, dans sa critique de l'origine de la maison de France, publiée ou travaillée sur de faux titres par M. d'Espernon. « Toutes ces chartes particulieres (dit le P. Jourdan pag. 232.) sont des sources cachées, secretes, ténébreuses & écartées, & l'on ne sair que trop qu'elles sont sujettes à une infinité d'accidens, d'altérations, de surprises & d'illusions: elles ressemblent à des torrens échappés à - travers les terres, qui grossissent à la vérité l'eau des rivieres, mais qui la troublent ordinairement par la boue qu'ils y portent. Ces chartes peuvent donner quelquefois de l'accroissement à l'histoire; mais souvent cet accroissement est fort trouble, & il en ôte la clarté & la pureté, à moins qu'elles ne soient bien certaines & bien éprouvées. Nous ne devons pas juger de la vérité de l'histoire par ces chartes particulieres, mais nous devons juger de la vérité de ces chartes par l'histoire.» Le P. Jourdan continue sur le même ton, page 257 de sa critique. Enfin, page 259, il conclut par ces paroles: que « le monde se raffine tous les jours en matiere de chartes, & qu'il n'est pas sûr d'exposer de mauvaises pieces, avec cette présomption qu'elles pourront passer pour vraies, qu'on ne les reconnoîtra pas. J'apprends aussi (ditil) que je ne suis pas le seul qui se soit apperçû de l'infidélité de ces chartes, & que bien des personnes reviennent de ces premiers applaudissemens qu'elles avoient d'abord causés ».

M. Gibert, homme savant & avocat au parlement, en avoit parlé à - peu - près dans le même sens, dans ce qu'il a écrit de l'origine des François & des Gaulois; mais il a sû se radoucir par une remarque particuliere qu'il a mise à la fin de son livre, & il veut bien qu'on en appelle à l'histoire & aux historiens pour examiner la vérité des chartes & des diplomes. C'est encore beaucoup que de savoir employer ce sage tempérament en une matiere douteuse.

M. Baudelot de Dairval porta les choses plus loin en 1686, dans son livre de l'utilité des voyages, tome II. page 436. où il dit que « quoique le P. Mabillon ait touché quelque chose du caractere gothique & du lombard, il n'a point parlé de ceux des autres pays & des autres langues; ce qui néanmoins auroit été nécessaire, puisqu'ils ne renferment pas moins ce qu'il y a de précieux dans la Religion, l'Histoire, la Politique & les autres Sciences. Delà vient que bien des gens avec moi, & quelques-uns même de ses amis, ont trouvé que cet ouvrage ne donnè qu'une connoissance fort legere & très bornée sur cette matiere, pour l'intelligence des titres & des autres manuscrits.»

Cet ouvrage du P. Mabillon est devenu célebre par les disputes qu'il a causées depuis plus de cinquante ans, par rapport à la matiere en elle - même, & je me persuade qu'on ne sera pas fâché de savoir quelle en a été l'origine: je tire cette remarque du savant auteur que je viens de citer. « Au reste, comme vous aimez l'histoire littéraire (continue - t - il page 437 de son utilité des voyages) vous ne serez pas fâché de savoir quel motif a fait entreprendre cet ouvrage au P. Mabillon & à son collegue (le P. Germain.) Cette connoissance donne souvent beaucoup d'ouverture pour l'intelligence des livres; & la plûpart des auteurs en sont si persuadés, qu'ils ne manquent jamais d'en prétexter quelquesunes, ou d'en donner des indices dans leurs ouvrages: c'est aussi ce que je ferai remarquer dans celui - ci. Le P. Papebroeck, Jésuite, dans la préface de son second volume des actes des Saints du mois d'Avril (publié en 1675), parlant des manuscrits, dit en passant que les titres publiés par nos religieux sont fort suspects; il n'oublie pas même le titre de S. Denys donné par Dagobert, comme un des principaux: il ajoûte ensuite beaucoup de raisons pour fortifier ses conjectures. Le P. Mabillon ne s'en plaignit point d'abord, & il méprisa cette attaque, comme ces vieilles calomnies que le tems obscurcit ou rend moins dangereuses. Mais en 1677 il parut un livre (c'est le pénitentiel de Théodore de Cantorbery), dans lequel il y a des notes qui combattent le titre de S. Denys dont je viens de parler, qu'un bénédictin a publié, & par lequel ces religieux se prétendent exempts de la jurisdiction même du Roi. On a joint à ces notes une copie du véritable titre, tirée d'un manuscrit de M. de Thou, qui est présentement dans la bibliotheque de M. Colbert (& depuis quelques années dans celle de Sa Majesté); & cette copie est entierement contraire à celle qu'avoit imprimée le P. Doublet dans ses antiquités (de S. Denis.) Ces notes prouvent encore que le titre, tel qu'il étoit chez M. Colbert, est non - seulement l'original, mais qu'il est conforme à la displine de son tems & à l'usage qui l'a précedé, & que celui du P. Doublet par conséquent est falsifié, & qu'il est contraire aux lois de l'Eglise & à celles de l'état; ce qui est démontré par une infinité de monumens de l'une & de l'autre police. Ceux qui y avoient intérêt, & pour qui on avoit publié ce titre, ne purent souffrir qu'on l'attaquât ainsi; cependant ils n'oserent y répondre ouvertement. Il courut, ou, pour mieux dire, il parut un petit libelle de quelque moine impatient, mais qui s'évanoüit aussi - tôt, & que le P. Mabillon & les plus raisonnables d'entr'eux desavoüerent, parce qu'il n'y avoit que des injures & de l'ignorance: il n'effleuroit pas même la difficulté, bien loin de la résoudre. On prit donc une autre voie, & ce fut ce traité de re diplomaticâ, qui fut le palladium qu'on voulut opposer aux remarques curieuses que l'abbé Petit a jointes à son pénitentiel de Théodore. Le P.

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