ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

RECHERCHE Accueil Mises en garde Documentation ATILF ARTFL Courriel

Previous page

"979"> cessité si absolue & si naturelle, que la supposition même qu'il n'existe pas soit une contradiction formelle; car la nécessité absolue d'exister, & la possibilité de n'exister pas, étant des idées contradictoires, il est évident que le monde matériel n'existe pas nécessairement, si je puis sans contradiction concevoir ou qu'il pourroit ne pas être, ou qu'il pourroit être tout autre qu'il n'est aujourd'hui. Or rien n'est plus facile à concevoir; car soit que je considere la forme de l'univers avec la disposition & le mouvement de ses parties, soit que je fasse attention à la matiere dont il est composé, je n'y vois rien que d'arbitraire: j'y trouve à la vérité une nécessité de convenance, je vois qu'il falloit que ses parties fussent arrangées; mais je ne vois pas la moindre apparence à cette nécessité de nature & d'essence pour laquelle les Athées combattent. V. Athéisme & Création.

Quatrieme proposition. Que l'être qui existe par lui - même, doit être infini & présent par - tout. L'idée de l'infinité ou de l'immensité, aussi - bien que celle de l'éternité, est si étroitement liée avec l'idée de l'existence par soi - même, que qui pose l'une, pose nécessairement l'autre: en effet, exister par soi - même, c'est exister en vertu d'une nécessité absolue, essentielle & naturelle. Or cette nécessité étant à tous égards absolue, & ne dépendant d'aucune cause intérieure, il est évident qu'elle est d'une maniere inaltérable la même par - tout, aussi - bien que toûjours; par conséquent tout ce qui existe en vertu d'une nécessité absolue en elle - même, doit nécessairement être innni aussi - bien qu'éternel. C'est une contradiction manifeste que de supposer qu'un être fini puisse exister par lui - même. Si sans contradiction je puis concevoir un être absent d'un lieu, je puis sans contradiction le concevoir absent d'un autre lieu, & puis d'un autre lieu, & enfin de tout lieu; ainsi quelque nécessité d'exister qu'il ait, il doit l'avoir reçue de quelque cause extérieure: il ne sauroit l'avoir tirée de son propre fonds, & par conséquent il n'existe point par lui - même.

De ce principe avoüé par la raison, je conclus que l'être existant par lui - même doit être un être simple, immuable & incorruptible, sans parties, sans figure, sans mouvement & sans divisibilité; & pour tout dire en un mot, un être en qui ne se rencontre aucune des propriétés de la matiere: car toutes les propriétés de la matiere nous donnent nécessairement l'idée de quelque chose de fini.

Cinquieme proposition. Que l'être existant par lui - même, doit nécessairement être unique. L'unité de l'être suprème est une conséquènce naturelle de son existence nécessaire; car la nécessité absolue est simple & uniforme, elle ne reconnoît ni différence ni variété, quelle qu'elle soit; & toute différence ou variété d'existence procede nécessairement de quelque cause extérieure de qui elle dépend. Or il y a une contradiction manifeste à supposer deux ou plusieurs natures différentes, existantes par elles - mêmes nécessairement & indépendamment; car chacune de ces natures étant indépendante de l'autre, on peut fort bien supposer que chacune d'elles existe toute seule, & il n'y aura point de contradiction à imaginer que l'autre n'existe pas; d'où il s'ensuit que ni l'une ni l'autre n'existera nécessairement. Il n'y a donc que l'essence simple & unique de l'être existant par lui - même, qui existe nécessairement.

Sixieme proposition. Que l'être existant par lui - même, est un être intelligent. C'est sur cette proposition que roule le fort de la dispute entre les Athées & nous. J'avoue qu'il n'est pas possible de démontrer d'une maniere directe à priori, que l'être existant par lui - même est intelligent & réellement actif; la raison en est que nous ignorons en quoi l'intelligence consiste, & que nous ne pouvons pas voir qu'il y ait entre l'existence par soi - même & l'intelligence, la même connexion immédiate & nécessaire, qui se trouve entre cette même existence & l'éternité, l'unité, l'infinité, &c. mais, à posteriori, il n'y a rien dans ce vaste univers qui ne nous démontre cette grande vérité, & qui ne nous fournisse des argumens incontestables, qui prouvent que le monde & tout ce qu'il contient, est l'effet d'une cause souverainement intelligente & souverainement sage.

1°. L'être existant par lui - même étant la cause & l'original de toutes choses, doit posséder dans le plus haut degré d'éminence toutes les perfections de tous les êtres. Il est impossible que l'effet soit revêtu d'aucune perfection qui ne se trouve aussi dans la cause: s'il étoit possible que cela fût, il faudroit dire que cette perfection n'auroit été produite par rien, ce qui est absurde.

2°. La beauté, la variété, l'ordre & la symmétrie qui éclatent dans l'univers, & sur - tout la justesse merveilleuse avec laquelle chaque chose se rapporte à sa fin, prouvent l'intelligence d'un premier être. Les moindres plantes & les plus vils animaux sont produits par leurs semblables, il n'y a point en eux de génération équivoque. Ni le soleil, ni la terre, ni l'eau, ni toutes les puissances de la nature unies ensemble, ne sont pas capables de produire un seul être vivant, non pas même d'une vie végétale; & à l'occasion de cette importante observation je remarquerai ici en passant qu'en matiere même de religion la philosophie naturelle & expérimentale est quelquefois d'un très - grand avantage.

Or les choses étant telles, il faut que l'athée le plus opiniâtre demeure d'accord, malgré qu'il en ait, ou que l'organisation des plantes & des animaux est dans son origine l'ouvrage d'un être intelligent, qui les a créés dans le tems; ou qu'ayant été de toute éternité construits & arrangés comme nous les voyons aujourd'hui, ils sont une production éternelle d'une cause éternelle & intelligente, qui déploie sans relâche sa puissance & sa sagesse infinie; ou enfin qu'ils naissent les uns des autres de toute éternité, dans un progrès à l'infini de causes dépendantes, sans cause originale existante par elle - même. La premiere de ces assertions est précisément ce que nous cherchons; la seconde revient au fond à la même chose, & n'est d'aucune ressource pour l'athée; & la troisieme est absurde, impossible, contradictoire, comme il a été démontré dans la seconde proposition générale. Voyez Création.

Septieme proposition. Que l'être existant par lui - même doit être un agent libre; car sila cause suprème est sans liberté & sans choix, il est impossible qu'aucune chose existe; il n'y aura pas jusqu'aux manieres d'être & aux circonctances de l'existence des choses, qui n'ayent dû être à tous égards précisémont ce qu'elles sont aujourd'hui. Or toutes ces conséquences étant évidemment fausses & absurdes, je dis que la cause suprème, bien loin d'être un agent nécessaire, est un être libre & qui agit par choix.

D'ailleurs si la cause suprème étoit un agent purement nécessaire, il seroit impossible qu'aucun effet de cette cause fût une chose finie; car un être qui agit nécessairement, n'est pas maître de ses actions pour les gouverner ou les désigner comme il lui plaît: il faut de toute nécessité qu'il fasse tout ce que sa nature est capable de faire. Or il est clair que chaque production d'une cause infinie, toûjours uniforme, & qui agit par une impétuosité aveugle, doit de toute nécessité être immense & infinie; une telle cause ne peut suspendre son action, il faut qu'elle agisse dans toure son étendue. Il n'y auroit donc [p. 980] point de créature dans l'univers qui pût être finie, ce qui est de la derniere absurdité, & contraire à l'expérience.

Enfin le choix que la cause suprème a fait parmi tous les mondes possibles, du monde que nous voyons, est une preuve de sa liberté; car ayant donné l'actúalité à une suite de choses qui ne contribuoit en rien par sa propre force à son existence, il n'y a point de raison qui dût l'empêcher de donner l'existence aux autres suites possibles, qui étoient toutes dans le même cas, quant à la possibilité. Elle a donc choisi la suite des choses qui composent cet univers; pour la rendre actuelle, parce qu'elle lui plaisoit le plus. L'être nécessaire est donc un être libre; car agir suivant les lois de sa volonté, c'est être libre. Voyez Liberté, Optimisme, &c.

Huitieme proposition. Que l'être existant par lui - même, la cause suprème de toutes choses, possede une puissance infinie. Cette proposition est évidente & incontestable; car puisqu'il n'y a que Dieu seul qui existe par soi - même, puisque tout ce qui existe dans l'univers a été fait par lui, & puis enfin que tout ce qu'il y a de puissance dans le monde vient de lui, & lui est parfaitement soûmise & subordonnée, qui ne voit qu'il n'y a rien qui puisse s'opposer à l'exécution de sa volonté?

Neuvieme proposition. Que la cause suprème & l'auteur de toutes choses doit être infiniment sage. Cette proposition est une suite naturelle & évidente des propositions précedentes; car n'est - il pas de la derniere évidence qu'un être qui est infini, présent partout, & souverainement intelligent, doit parfaitement connoître toutes choses? Revêtu d'ailleurs d'une puissance infinie, qui est - ce qui peut s'opposer à sa volonté, ou l'empêcher de faire ce qu'il connoît être le meilleur & le plus sage?

Il suit donc évidemment de ces principes, que l'être suprème doit toûjours faire ce qu'il connoît être le meilleur, c'est - à - dire qu'il doit toûjours agir conformément aux regles les plus séveres de la bonté, de la vérité, de la justice, & des autres perfections morales. Cela n'entraîne point une nécessité prise dans le sens des Fatalistes, une necessité aveugle & absolue, mais une nécessité morale, compatible avec la liberté la plus parfaite. Voyez les articles Manichéisme & Providence.

Argument historique. Moyse dit qu'au commencement Dieu créa le ciel & la terre; il marque avec précision l'époque de la naissance de l'univers; il nous apprend le nom du premier homme; il parcourt les siecles depuis ce premier moment jusqu'au tems où il écrivoit, passant de génération en génération, & marquant le tems de la naissance & de la mort des hommes qui servent à sa chronologie. Si on prouve que le monde ait existé avant le tems marqué dans cette chronologie, on a raison de rejetter cette histoire; mais si on n'a point d'argument pour attribuer au monde une existence plus ancienne, c'est agir contre le bon sens que de ne la pas recevoir.

Quand on fait réflexion que Moyse ne donne au monde qu'environ 2410 ans, selon l'hébreu, ou 3943 ans, selon le grec, à compter du tems où il écrivoit, il y auroit sujet de s'étonner qu'il ait si peu étendu la durée du monde, s'il n'eût été persuadé de cette vérité par des monumens invincibles.

Ce n'est pas encore tout: Moyse nous marque un tems dans son histoire, auquel tous les hommes parloient un même langage. Si avant ce tems - là on trouve dans le monde des nations, des inscriptions de différentes langues, la supposition de Moyse tombe d'elle - même. Depuis Moyse, en remontant à la confusion des langues, il n'y a dans l'hébreu que fix siecles ou environ, & onze, selon les Grecs: ce ne doit plus être une antiquité absolument inconnue. Il ne s'agit plus que de savoir si en traversant douze siecles tout au plus, on peut trouver en quelque lieu de la terre un langage usité entre les hommes, différent de la langue primitive usitée, à ce qu'on prétend, parmi les habitans de l'Asie. Examinons les histoires, les monumens, les archives du monde: renversent - elles le système & la chronologio de Moyse, ou tout concourt - il à en affermir la vérité? dans le premier cas, Moyse est un imposteur également grossier & odieux; dans l'autre, son récit est incontestable: & par conséquent il y a un Dieu, puisqu'il y a un être créateur. Or durant cette longue durée de siecles qui se sont écoulés avant nous, il y a eu des auteurs sans nombre qui ont traité des fondations - des empires & des villes, qui ont écrit des histoires générales, ou les histoires particulieres des peuples; celles même des Assyriens & des Egyptiens, les deux nations, comme l'on sait, les plus anciennes du monde; cependant avec tous ces secours dépositaires de la plus longue tradition, avec mille autres que je ne rapporte point, jamais on n'a pû remonter au - delà des guerres de Thebes & de Troye, jamais on n'a pû fermer la bouche aux philosophes qui soûtenoient la nouveauté du monde.

Avant le législateur des Juifs, il ne paroît dans ce monde aucun vestige des sciences, aucune ombre des arts. La Sculpture & la Peinture n'arriverent que par degrés à la perfection où elles monterent: l'une au tems de Phidias, de Polyclète, de Lysippe, de Miron, de Praxitèle & de Scopas; l'autre, par les travaux de Nicomachus, de Protogéne, d'Apelle, de Zeuxis & d'Aristide. La Philosophie ne commença à faire des recherches qu'à la trente - cinquieme olympiade, où naquit Thales; ce grand changement, époque d'une révolution dans les esprits, n'a pas une date plus ancienne. L'Astronomie n'a fait chez les peuples qui l'ont le plus cultivée, que de très - foibles progrès, & elle n'étoit pas même si ancienne parmi leurs savans qu'ils osoient le dire. La preuve en est évidente. Quoiqu'en effet ils eussent découvert le zodiaque, quoiqu'ils l'eussent divisé en douze parties & en 360 degrés, ils ne s'étoient pas néanmoins appercus du mouvement des étoiles d'oecident en orient; ils ne le soupçonnoient pas même, & ils les croyoient immuablement fixes. Auroient - ils pû le penser, s'ils eussent eu quelques observations antiques? Ils ont mis la constellation du bélier dans le zodiaque, précisément au point de l'équinoxe du printems: autre erreur. S'ils avoient eu des observations de 2202 ans seulement, n'auroient - ils pas dit que le taureau étoit au point de l'équinoxe? Les lettres mêmes, je veux dire, l'art de l'écriture, quel peuple en a connu l'usage avant Moyse? Tout ce que nous avons d'auteurs prosanes s'accordent à dire que cefut Cadmus qui apporta les lettres de Phénicie en Grece; & les Phéniciens, comme on le sait, étoient confondus avec les Assyriens & les Syriens, parmi lesquels on comprenoit aussi les Hébreux. Quelle apparence donc que le monde eût eu plus de durée que Moyse ne lui en donne, & toutefois que la Grece fût demeurée dans une si longue enfance, ne connoissant rien, ou ne perfectionnant rien de ce qui étoit trouvé déjà? On voit les Grecs en moins de quatre cents ans, devenus habiles & profonds dans les arts & dans les seiences. Est - ce donc que les hommes de ces quatre heureux siecles avoient un esprit d'une autre espece & d'une trempe plus heureuse que leurs ayeux?

On pouvoit dire à M. Jacquelot, de qui cet argument est tiré, qu'en se renfermant dans les connoissances & dans les inventions de la Grece, il prenoit la question du côté le plus avantageux à sa cause, & lui opposer l'ancienneté prodigieuse des

Next page


The Project for American and French Research on the Treasury of the French Language (ARTFL) is a cooperative enterprise of Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française (ATILF) of the Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), the Division of the Humanities, the Division of the Social Sciences, and Electronic Text Services (ETS) of the University of Chicago.

PhiloLogic Software, Copyright © 2001 The University of Chicago.