ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"977"> premier, il est visible que pour être sûr que l'idée de l'Être divin est innée, & ne vient pas de l'éducation, mais de la nature, il faut chercher dans l'histoire si tous les hommes sont imbus de l'opinion qu'il y a un Dieu. Or ce sont ces trois principes que M. Bayle combat vivement dans ses pensées diversessur la comete. Voiciun précis de ses raisonnemens.

1°. Le consentement de tous les peuples à reconnoître un Dieu, est un fait qu'il est impossible d'éclaircir. Montrez - moi une mappemonde; voyez - y combien il reste encore de pays à découvrir, & combien sont vastes les terres australes qui ne sont marquées que comme inconnues. Pendant que j'ignorerai ce que l'on pense en ces lieux - là, je ne pourrai point être sûr que tous les peuples de la terre ayent donné le consentement dont vous parlez. Si je vous accorde par grace qu'il doit vous suffire de savoir l'opinion des peuples du monde connu, vous serez encore hors d'état de me donner une entiere certitude: car que me répondrez - vous, si je vous objecte les peuples athées dont Strabon parle, & ceux que les voyageurs modernes ont découverts en Afrique & en Amérique?

Voici un nouveau champ de recherches très - pénibles & inépuisables. Il resteroit encore à examiner si quelqu'un a nié cette existence. Il se faudroit informer du nombre de ces athées; si c'étoient des gens d'esprit, & qui se piquassent de méditation. On sait que la Grece fertile en esprits forts, & comme dit un de nos plus beaux esprits, berceau des arts & des erreurs, a produit des athées, qu'elle en a même puni quelques - uns; ce qui a fait dire que bien d'autres eussent déclaré leur irréligion, s'ils eussent pû s'assûrer de l'impunité.

2°. Il est extrèmement difficile, pour ne pas dire impossible, de discerner ce qui vient de la nature d'avec ce qui vient de l'éducation. Voudriez - vous bien répondre, après y avoir bien pensé, qu'on découvriroit des vestiges de religion dans des enfans à qui l'on n'auroitjamais dit qu'il y a un Dieu? C'est ordinairement par - là qu'on commence à les nstruire, dès qu'ils sont capables de former quelques sons & de bégayer. Cette coûtume est tres - loüable; mais elle empêche qu'on ne vérisie si d'eux memes, & par les seules impressions de la nature, ils se porteroient à reconnoîue un Dieu.

3°. Le consentement des nations n est point une marque caractéristique de la vérité: 1°. parce qu'il n'est point sûr que les impressions de la nature portent ce caractere de la vérité; 2°. parce que le polythéisme se trouveroit par - là autorisé. Rien ne nous dispense donc d'examiner si ce à quoi la nature de tous les hommes donne son consentement, est nécessairement vrai.

En effet si le consentement des nations étoit de quelque force, il prouveroit plus pour l'existence de plusieurs fausses divinités, que pour celle du vrai Dieu. Il est clair que les Payens considéroient la nature divine comme une espece qui a sous soi un grand nombre d'individus, dont les uns étoient mâles & les autres femelles, & que les peuples étoient imbus de cette opinion ridicule. S'il falloit donc reconnoître le consentement général des nations pour une preuve de vérité, il faudroit rejetter l'unité de Dieu, & embrasser le polythéisme.

Pour répondre à la premiere objection de M. Bayle (voyez l'article Athéisme), on y prouve qu'il n'y a jamais eu de nations athées. Les hommes, dès qu'ils sont hommes, c'est - à - dire capables de société & de raisonnement, reconnoissent un Dieu. Quand même j'accorderois ce que je ne crois pas vrai, que l'athéisme se seroit glissé parmi quelques peuples barbares & féroces, cela ne tireroit point à conséquence; leur athéisme auroit été tout au plus néga<cb-> tif; ils n'auroient ignoré Dieu, que parce qu'ils n'auroient pas exercé leur raison. Il faut donc les mettre au rang des enfans qui vivent sans réflexion, & qui ne paroissent capables que des actions animales; & comme l'on ne doit point conclure qu'il n'est pas naturel à l'homme de se garantir des injures de l'air, parce qu'il y a des sauvages qui ne s'en mettent point en peine, on ne doit pas insérer aussi que parce qu'il y a des gens stupides & abrutis, qui ne tirent aucune conséquence de ce qu'ils voyent, il n'est pas naturel à l'homme de connoître la sagesse d'un Dieu qui agit dans l'univers.

On peut renverser avec une égalc facilité la seconde objection de M. Bayle. Il n'est pas si mal - aisé qu'il le suppose, de discerner si l'idée que nous avons de Dieu vient seulement de l'éducation & non pas de la nature. Voici les marques à quoi l'on peut le reconnoître. Les principes de l'éducation varient sans cesse; la succession des tems, la révolution des affaires, les divers intérêts des peuples, le mêlange des nations, les différentes inclinations des hommes, changent l'éducation, donnent cours à d'autres maximes, & établissent d'autres regles d'honneur & de bienséance. Mais la nature est semblable dans tous les hommes qui sont & qui ont été: ils sentent le plaisir, ils desirent l'estime, ils s'aiment eux - mêmes aujourd'hui comme autrefois. Si donc nous trouvons que ce sentiment qu'il y a un Dieu s'est conservé parmi tous les changemens de la société, qu'en pouvons - nous conclure, sinon que ce sentiment ne vient pas de la simple éducation, mais qu'il est fondé sur quelque liaison naturelle qui est entre cette premiere vérité & notre entendement? Donc ce principe qu'il y a un Dieu est une impression de la nature.

D'où ie conclus que ce n'est point l'ouvrage de la politique, toûjours changeante & mobile au gré des différentes passions des hommes. Il n'est point vrai, quoi qu'en dise M. Bayle, que le magistrat législateur soit le premier instituteur de la religion. Pour s'en convaincre il ne faut que jetter les yeux sur l'antiquité greque & romaine, & même barbare; on y verra que jamais aucun législateur n'a entrepris de policer une nation, quelque barbare ou féroce qu'elle fût, qu'il n'y ait trouvé une religion: au contraire l'on voit que tous les législateurs, depuis celui des Thraces jusqu'à ceux des Amériquains, s'adresseront aux hordes sauvages qui composoient ces nations, comme leur parlant de la part des dieux qu'elles adoroient.

Nous voici enfin à la troisieme objection, qui paroît à M. Bayle la plus forte & la plus solide des trois. La premiere raison qu'il apporte pour ôter au consentement général des nations tout son poids en fait de preuve, est des plus subtiles. Son argument se réduit à cet enthymème. Le fond de notre ame est gâté & corrompu: donc un sentiment que nous inspire la nature, doit pour le moins nous paroître suspect. Je n'aurois jamais crû que nous dùssions nous prémunir contre l'illusion, quand il est question de croire qu'il y a un Dieu. Distinguons en nous deux sentimens, dont l'un nous trompe toùjours, & l'autre ne nous trompe jamais. L'un est le sentiment de l'homme qui pense & qui suit la raison, & l'autre est le sentiment de l'homme de cupidité & de passions: celui - ci trompe la raison, parce qu'il précede toutes les réflexions de l'esprit; mais l'autre ne la trompe jamais, puisque c'est des plus pures lumieres de la raison qu'il tire sa naissance. Cela posé, venons à l'argument du polythéisme qui auroit été autorisé si le consentement des nations étoit toûjours marqué au sceau de la vérité. Je n'en éluderai point la force en disant que le polythéisme n'a jamais été universel, que le peuple juif n'en a point été infecté, que tous les Philosophes étoient persuadés de [p. 978] l'existence d'un seul Dieu, aussi - bien que ceux qui étoient initiés aux grands mysteres. J'accorde à M. Bayle que le polythéisme a dominé tous les esprits, à quelques philosophes près; mais jesoûtiens que le sentiment que nous avons de l'existence de Dieu, n'est point une erreur universelle, & voici sur quoi je me fonde. Il y a deux sortes de causes dans nos erreurs; les unes extérieures, & les autresintérieures. Je mets au premier rang l'exemple, l'éducation, les mauvais raisonnemens, & les sophismes du discours. Les causes intérieures de nos erreurs & de nos préjugés seréduisent à trois, qui sont les sens, l'imagination, & les passions du coeur. Si nous examinons les causes extérieures de nos erreurs, nous trouverons qu'elles dépendent des circonstances, des tems, des lieux, & qu'ainsi elles varient perpétuellement. Qu'on considere toutes les erreurs qui regnent, & toutes celles qui ont regné parmi les peuples, l'on trouvera que l'exemple, l'éducation, les sophismes du discours, ou les fausses couleurs de l'éloquence, ont produit des erreurs particulieres, mais non pas des erreurs générales. On peut tromper quelques hommes, ou les tromper tous dans certains lieux & en certains tems, mais non pas tous les hommes dans tous les lieux & dans tous les siecles: or puisque l'existence de Dieu a rempli tous les tems & tous les lieux, elle n'a point sa source dans les causes extérieures de nos erreurs. Pour les causes intérieures de nos erreurs, comme elles se trouvent dans tous les hommes du monde, & que chacun a des sens, une imagination & un coeur qui sont capables de le tromper, quoique cela n'arrive que par accident, & par le mauvais usage que nous en faisons, elles peuvent faire naître des erreurs constantes & universelles.

Ces observations conduisent au dénouement de la difficulté qu'on tire du polythéisme. On conçoit aisément que le polythéisme a pû devenir une erreur universelle, & que par conséquent ce consentement unanime des nations ne prouve rien par rapport à lui; il n'en faut chercher la source que dans les trois causes intérieures de nos erreurs. Pour contenter les sens, les hommes se firent des dieux visibles & revêtus d'une forme humaine. Il falloit bien que ces êtres - là fussent faits comme des hommes: quelle autre figure eussent - ils pû avoir? Du moment qu'ils sont de figure humaine, l'imagination leur attribue naturellement tout ce qui est humain: les voilà hommes en toutes manieres, à cela près qu'ils sont toûjours un peu plus puissans que des hommes. Lisez l'origine des fables de M. de Fontenelle, vour y verrez comment l'imagination, de concert avec les passions, a enfanté les dieux & les déesses, & les a souillés de toutes sortes de crimes.

L'existence de Dieu étant une de ces premieres vérités qui s'emparent avec force de tout esprit qui pense & qui réfléchit, il semble que les gros volumes qu'on fait pour la prouver, sont inutiles, & en quelque sorte injurieux aux hommes; du moins cela devroit être ainsi. Mais enfin, puisque l'impiété produit tous les jours des ouvrages pour détruire cette vérité, ou du moins pour y répandre des nuages, ceux qui sont bien intentionnés pour la religion, doivent employer toute la sagacité de leur esprit pour la soûtenir contre toutes les attaques de l'irreligion.

Pour contenter tous les goûts, je joindrai ici des preuves métaphysiques, historiques & physiques de l'existence de Dieu. M. Clarke, par les mains de qui les matieres les plus obscures, les plus abstruses, ne peuvent passer sans acquérir de l'évidence & de l'ordre, nous fournira les preuvesmétaphysiques. M. Jaquelot, l'homme du monde qui a réuni le plus de savoir & de raisonnement, & qui a le mieux fondu ensemble la philosophie & la critique, nous fournira les preuves historiques. Nous puiserons dans l'ingénieux Fontenelle les preuves physiques, mais parées de tous les ornemens que l'esprit peut prêter à un fond si sec & si aride de lui - même.

Argumens métaphysiques. Les raisonnemens que met en oeuvre M. Clarke, sont un tissu serré, une chaîne suivie de propositions liées étroitement, & nécessairement dépendantes les unes des autres, par lesquelles il démontre la certitude de l'existence de Dieu, & donr il déduit ensuite l'un après l'autre les attributs essentiels de sa nature, que notre raison bornée est capable de découvrir.

Premiere proposition. Que quelque chose a existé de toute éternité. Cette proposition est évidente; car puisque quelque chose existe aujourd'hui, il est clair que quelque chose a toûjours existé.

Seconde proposition. Qu'un être indépendant & immuable a existé de toute éternité. En effet, si quelqu'être. a nécessairement existé de toute éternité, il faut ou que cet être soit immuable & indépendant, ou qu'il y ait eu une succession infinie d'êtres dépendans & sujets au changement, qui se soient produits les uns les autres dans un progrès à l'infini, sans avoir eu aucune cause originale de leur existence. Mais cette derniere supposition est absurde, car cette gradation à l'infini est impossible & visiblement contradictoire. Si on envisage ce progrès à l'infini comme une chaîne infinie d'êtres dêpendans qui tiennent les uns aux autres, il est évident que tout cet assemblage d'êtres ne sauroit avoir aucune cause externe de son existence, puisqu'on suppose que tous les êtres qui sont & qui ont été dans l'univers, y entrent. Il est évident, d'un autre côté, qu'il ne peut avoir aucune cause interne de son existence, parce que dans cette chaine infinie d'êtres il n'y en a aucun qui ne dépende de celui qui le précede Or si aucune des parties n'existe nécessairement, il est clair que tout ne peut exister nécessairement, la nécessité absolue d'exister n'étant pas une chose extérieure, relative & accidentelle de l'être qui existe nécessairement. Une succession infinie d'êtres dépendans, sans cause originale & indépendante, est donc la chose du monde la plus impossible.

Troisieme proposition. Que cet être immuable & indépendant, qui a existé de toute éternité, existe aussi par lui - même; car tout ce qui existe, ou est sorti du néant, sans avoir été produit par aucune cause que ce soit; ou il a été produit par quelque cause extérieure, ou il existe par lui - même. Or il y a une contradiction formelle à dire qu'une chose est sortie du néant, sans avoir été produite par aucune cause. De plus, il n'est pas possible que tout ce qui existe ait été produit par des causes externes, comme nous venons de le prouver: donc &c.

De cette troisieme proposition je conclus, 1° qu'on ne peut nier, sans une contradiction manifeste, l'existence d'un être qui existe nécestairement & par lui - même; la nécessité en vertu de laquelle il existe étant absolue, essentielle & naturelle, on ne pout pas plus nier son existence, que la relation d'égalité entre ces deux nombres, deux fois deux est quatre, que la rondeur du cercle, que les trois côtés d'un triangle.

La seconde conséquence que je tire de ce principe, est que le monde matériel ne peut pas être cet être premier, original, incréé, indépendant & éternel par lui - même; car il a été démontré que tout être qui a existé de toute éternité, qui est indépendant, & qui n'a point de cause externe, doit avoir existé par soi - même, doit nécessairement exister en vertu d'une nécessité naturelle & essentielle. Or de tout cela il suit évidemment que le monde matériel ne peut être indépendant & éternel par lui - même, à moins qu'il n'existe nécessairement, & d'une né<pb->

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