ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"963"> comme un z; que le second indique un d, & se prononce comme un t; que le troisieme indique un t, & se prononce de même, &c. Ainsi notre facon d'écrire pourroit être plus réguliere, mais elle seroit encore plus incommode. Enfin la derniere raison de l'impossibilité d'une réforme exacte & rigoureuse de l'orthographe, c'est que si on prenoit ce parti il n'y auroit point de livre qu'on pût lire, tant l'écriture des mots y différeroit à l'oeil de ce qu'elle est ordinairement. La lecture des livres anciens qu'on ne réimprimeroit pas, deviendroit un travail; & dans ceux même qu'on réimprimeroit, il seroit presque aussi nécessaire de conserver l'orthographe que le style, comme on conserve encore l'orthographe surannée des vieux livres, pour montrer à ceux qui les lisent les changemens arrivés dans cette orthographe & dans notre prononciation.

Cette différence entre notre maniere de lire & d'écrire, différence si bisarre & à laquelle il n'est plus tems aujourd'hui de remédier, vient de deux causes; de ce que notre langue est un idiome qui a été formé sans regle de plusieurs idiomes mêlés, & de ce que cette langue ayant commencé par être barbare, on a tâché ensuite de la rendre réguliere & douce. Les mots tirés des autres langues ont été défigurés en passant dans la nôtre; ensuite quand la langue s'est formée & qu'on a commencé à l'écrire, on a voulu rendre à ces mots par l'orthographe une partie de leur analogie avec les langues qui les avoient fournis, analogie qui s'étoit perdue ou altérée dans la prononciation: à l'égard de celle - ci, on ne pouvoit guere la changer; on s'est contenté de l'adoucir, & de - là est venue une seconde difference entre la prononciation & l'orthographe étymologique. C'est cette différence qui fait prononcer l's de tems comme un z, le d de tend comme un t, & ainsi du reste. Quoi qu'il en soit, & quelque réforme que notre langue subisse ou ne subisse pas à cet égard, un bon dictionnaire de langues n'en doit pas moins tenir compte de la différence entre l'orthographe & la prononciation, & des variétés qui se rencontrent dans la prononciation même. On aura soin de plus, lorsqu'un mot aura plusieurs orthographes reçues, de tenir compte de toutes ces différentes orthographes, & d'en faire même différens articles avec un renvoi à l'article principal: cet article principal doit être celui dont l'orthographe paroîtra la plus réguliere, soit par rapport à la prononciation, soit par rapport à l'étymologie; ce qui dépend de l'auteur. Par exemple, les mots tems & temps sont aujourd'hui à - peu - près également en usage dans l'orthographe; le premier est un peu plus conforme à la prononciation, le second à l'étymologie: c'est à l'auteur du dictionnaire de choisir lequel des deux il prendra pour l'article principal; mais si par exemple il choisit temps, il faudra un article tems avec un renvoi à temps. A l'égard des mots où l'orthographe étymologique & la prononciation sont d'accord, comme savoir & savant qui viennent de sapere & non de scire, on doit les écrire ainsi: néanmoins comme l'orthographe sçavoir & sçavant, est encore assez en usage, il faudra faire des renvois de ces articles. Il faut de même user de renvois pour la commodité du lecteur, dans certains noms venus du grec par étymologie: ainsi il doit y avoir un renvoi d'antropomorphite à anthropomorphite; car quoique cette derniere façon d'écrire soit plus conforme à l'étymologie, un grand nombre de lecteurs chercheroient le mot écrit de la premiere façon; & ne s'avisant peut - être pas de l'autre, croiroient cet article oublié. Mais il faut surtout se souvenir de deux choses: 1°. de suivre dans tout l'ouvrage l'orthographe principale, adoptée pour chaque mot: 2°. de suivre un plan uniforme par rapport à l'orthographe, considérée relativement à la prononciation, c'est - à - dire de faire toûjours prévaloir (dans les mots dont l'orthographe n'est pas universellement la même) ou l'orthographe à la prononciation, ou celle ci à l'orthographe.

Il seroit encore à propos, pour rendre un tel ouvrage plus utile aux étrangers, de joindre à chaque mot la maniere dont il devroit se prononcer suivant l'orthographe des autres nations. Exemple. On sait que les Italiens prononcent u & les Anglois w, comme nous prononçons ou, &c. ainsi au mot ou d'un dictionnaire, on pourroit dire: les Itoliens prononcent ainsi l'u, & les Anglois l'w; ou, ce qui seroit encore plus précis, on pourroit joindre à ou les lettres u & w, en marquant que toutes ces syllabes se prononcent comme ou, la premiere à Rome, la seconde à Londres: par ce moyen les étrangers & les François apprendroient plus aisément la prononciation de leurs langues réciproques. Mais un tel objet bien rempli, supposeroit peut - être une connoissance exacte & rigoureuse de la prononciation de toutes les langues, ce qui est physiquement impossible; il supposeroit du moins un commerce assidu & raisonné avec des étrangers de toutes les nations qui parlassent bien: deux circonstances qu'il est encore fort difficile de réunir. Ainsi ce que je propose est plûtôt une vûe pour rendre un dictionnaire parfaitement complet, qu'un projet dont on puisse espérer la parfaite exécution. Ajoûtons néanmoins (puisque nous nous bornons ici à ce qui est simplement possible) qu'on ne feroit pas mal de former au commencement du dictionnaire une espece d'alphabet universel, composé de tous les véritables sons simples, tant voyelles que consonnes, & de se servir de cet alphabet pour indiquer non - seulement la prononciation dans notre langue, mais encore dans les autres, en y joignant pourtant l'orthographe usuelle dans toutes. Ainsi je suppose qu'on se servît d'un caractere particulier pour marquer la voyelle ou (car ce son est une voyelle, puisque c'est un son simple) on pourroit joindre aux syllabes ou, u, w, &c. ce caractere particulier, que toutes les langues feroient bien d'adopter. Mais le projet d'un alphabet & d'une orthographe universelle, quelque raisonnable qu'il soit en lui - même, est aussi impossible aujourd'hui dans l'exécution que celui d'une langue & d'une écriture universelle. Les philosophes de chaque nation seroient peut - être inconciliables là - dessus: que seroitce s'il falloit concilier des nations entieres?

Ce que nous venons de dire de l'orthographe nous conduit à parler des étymologies, voyez ce mot. Un bon dictionnaire de langues ne doit pas les négliger, sur - tout dans les mots qui viennent du grec ou du latin; c'est le moyen de rappeller au lecteur les mots de ces langues, & de faire voir comment elles ont servi en partie à former la nôtre. Je crois ne devoir pas omettre ici une observation que plusieurs gens de lettres me semblent avoir faite comme moi; c'est que la langue françoise est en général plus analogue dans ses tours avec la langue greque qu'avec la languelatine: supposé ce fait vrai, commeje le crois, quelle peut en être la raison? c'est aux savans à la chercher. Dans un bon dictionnaire on ne feroit peut - être pas mal de marquer cette analogie par des exemples: car cestours empruntés d'une langue pour passer dans une autre, rentrent en quelque maniere dans la classe des étymologies. Au reste, dans les étymologies qu'un dictionnaire peut donner, il faut exclure celles qui sont puériles, ou tirées de trop loin pour ne pas être douteuses, comme celle qui fait venir laquais du mot latin verna, par son dérivé vernacula. Nous avons aussi dans notre langue beaucoup de termes tirés de l'ancienne langue celtique, dont [p. 964] il est bon de tenir compte dans un dictionnaire; mais comme cette langue n'existe plus, ces étymologies sont bien inférieures pour l'utilité aux étymologies greques & latines, & ne peuvent guere être que de simple curiosité.

Indépendamment des racines étrangeres d'une langue, & des racines philosophiques dont nous avons parlé plus haut; je crois qu'il seroit bon d'inserer aussi dans un dictionnaire les mots radicaux de la langue même, en les indiquant par un caractere particulier. Ces mots radicaux peuvent être de deux especes; il y en a qui n'ont de racines ni ailleurs, ni dans la langue même, & ce sont là les vrais radicaux; il y en a qui ont leurs racines dans une autre langue, mais qui sont eux - mêmes dans la leur racines d'un grand nombre de dérivés & de composés. Ces deux especes de mots radicaux étant marqués & désignés, on reconnoítra aisément, & on marquera les dérivés & les composés. Il faut distinguer entre dérivés & composés: tout mot composé est dérivé; tout dérivé n'est pas composé. Un composé est formé de plusieurs racines, comme abaissement, de à & bas, &c. Un dérivé est formé d'une seule racine avec quelques différences dans la terminaison, comme fortement, de fort, &c. Un mot peut être à la fois dérivé & composé, comme abaissement, dérivé de abaissé, qui est lui - même composé de à & de bas. On peut observer que les mots composés de racines étrangeres sont plus fréquens dans notre langue que les mots composés de racines même de la langue; on trouvera cent composés tirés du grec, contre un composé de mots françois, comme dioptrique, catoptrique, misanthrope, anthropophage. Toutes ces remarques ne doivent pas échapper à un auteur de dictionnaire. Elles font connoître la nature & l'analogie mutuelle des langues.

Il y a quelquefois de l'arbitraire dans le choix des racines: par exemple, amour & aimer peuvent être pris pour racines indifféremment. J'aimerois mieux cependant prendre aimer pour racine, parce qu'aimer a bien plus de dérivés qu'amour; tous ces dérivés sont les différens tems du verbe aimer. Dans les verbes il faut toûjours prendre l'infinitif pour la racine des dérivés, parce que l'infinitif exprime une action indéfinie, & que les autres tems désignent quelque circonstance jointe à l'action, celle de la personne, du tems, &c. & par conséquent ajoûtent une idée à celle de l'infinitif. Voyez Dérivé, &c.

Tels sont les principaux objets qui doivent entrer dans un dictionnaire de langues, lorsqu'on voudra le rendre le plus complet & le plus parfait qu'il sera possible. On peut sans doute faire des dictionnaires de langues, & même des dictionnaires estimables, où quelques - uns de ces objets ne seront pas remplis; il vaut même beaucoup mieux ne les point remplir du tout que les remplir imparfaitement; mais un dictionnaire de langues, pour ne rien laisser à desirer, doit réunir tous les avantages dont nous venons de faire mention. On peut juger après cela si cet ouvrage est celui d'un simple grammairien ordinaire, ou d'un grammairien profond & philosophe; d'un homme de lettres retiré & isolé, ou d'un homme de lettres qui fréquente le grand monde; d'un homme qui n'a étudié que sa langue, ou de celui qui y a joint l'étude des langues anciennes; d'un homme de lettres seul, ou d'une société de savans, de littérateurs, & même d'artistes; enfin, on pourra juger aisément, si en supposant cet ouvrage fait par une société, tous les membres doivent y travailler en commun, ou s'il n'est pas plus avantageux que chacun se charge de la partie dans laquelle il est le plus versé, & que le tout soit ensuite discuté dans des assemblées générales. Quoi qu'il en soit de ces ré<cb-> flexions que nous ne faisons que proposer, on ne peut nier que le dictionnaire de l'académie françoise ne soit, sans contredit, notre meilleur dictionnaire de langue, malgré tous les défauts qu'on lui a reprochés; défauts qui étoient peut - être inévitables, sur - tout dans les premieres éditions, & que cette compagnie travaille à réformer de jour en jour. Ceux qui ont attaqué cet ouvrage auroient été bien embarrassés pour en faire un meilleur; & il est d'ailleurs si aisé de faire d'un excellent dictionnaire une critique tout à la fois très - vraie & très - injuste! Dix articles foibles qu'on relevera, contre mille excellens dont on ne dira rien, en imposeront au lecteur. Un ouvrage est bon lorsqu'il s'y trouve plus de bonnes choses que de mauvaises; il est excellent lorsque les bonnes choses y sont excellentes, ou lorsque les bonnes surpassent de beaucoup les mauvaises. Il n'y a point d'ouvrages que l'on doive plus juger d'après cette regle, qu'un dictionnaire, par la variété & la quantité de matieres qu'il renferme & qu'il est moralement impossible de traiter toutes également.

Avant de finir sur les dictionnaires de langues, je dirai encore un mot des dictionnaires de rimes. Ces sortes de dictionnaires ont sans doute leur utilité; mais que de mauvais vers ils produisent! Siune liste de rimes peut quelquefois faire naître une idée heureuse à un excellent poëte, en revanche un poëte médiocre ne s'en sert que pour mettre la raison & le bon sens à la torture.

Dictionnaires de langues étrangeres mortes ou vivantes. Après le détail assez considérable dans lequel nous sommes entrés sur les dictionnaires de langue françoise, nous serons beaucoup plus courts sur les autres; parce que les principes établis précédemment pour ceux - ci, peuvent en grande partie s'appliquer à ceux - là. Nous nous contenterons donc de marquer les différences principales qu'il doit y avoir entre un dictionnaire de langue françoise & un dictionnaire de langue étrangere morte ou vivante; & nous dirons de plus ce qui doit être observé dans ces deux especes de dictionnaire de langues étrangeres.

En premier lieu, comme il n'est question ici de dictionnaires de langues étrangeres qu'en tant que ces dictionnaires servent à faire entendre une langue par une autre; tout ce que nous avons dit au commencement de cet article sur les définitions dans un dictionnaire de langues, n'a pas lieu pour ceux dont il s'agit: car les définitions y doivent être supprimées. A l'égard de la signification des termes, je pense que c'est un abus d'en entasser un grand nombre pour un même mot, à moins qu'on ne distingue exactement la signification propre & précise d'avec celle qui n'est qu'une extension ou une métaphore; ainsi quand on lit dans un dictionnaire latin impellere, pousser, forcer, faire entrer ou sortir, exciter, engager, il est nécessaire qu'on y puisse distinguer le mot pousser de tous les autres, comme étant le sens propre. On peut faire cette distinction en deux manieres, ou en écrivant ce mot dans un caractere différent, ou en l'écrivant le premier, & ensuite les autres suivant leur degré de propriété & d'analogie avec le premier, mais je crois qu'il vaudroit mieux encore s'en tenir au seul sens propre, sans y en joindre aucun autre; c'est charger, ce me semble, la mémoire assez inutilement; & le sens de l'auteur qu'on traduit suffira toûjours pour déterminer si la signification du mot est au propre ou au figuré. Les enfans, dira - t - on peut - être, y seront plus embarrassés, au lieu qu'ils démêleront dans plusieurs significations jointes à un même mot, celle qu'ils doivent choisir. Je réponds premierement que si un enfant a assez de discernement pour bien faire ce choix, il en aura assez pour

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