ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"961"> truction & à la syntaxe. Remarquons d'abord que cette matiere est plûtôt l'objet d'un ouvrage suivi que d'un dictionnaire; parce qu'une bonne syntaxe est le résultat d'un certain nombre de principes philosophiques, dont la force dépend en partie de leur ordre & de leur liaison, & qui ne pourroient être que dispersés, ou même quelquefois déplacés, dans un dictionnaire de langues. Néanmoins pour rendre un ouvrage de cette espece le plus complet qu'il est possible, il est bon que les regles les plus difficiles de la syntaxe y soient expliquées, sur - tout celles qui regardent les articles, les participes, les prépositions, les conjugaisons de certains verbes: on pourroit même, dans un très - petit nombre d'articles généraux étendus, y donner une grammaire presque complete; & renvoyer à ces articles généraux dans les applications aux exemples & aux articles particuliers. J'insiste légerement sur tous ces objets, tant pour ne point donner trop d'étendue à cet article, que parce qu'ils doivent pour la plûpart être traités ailleurs plus à fond.

Ce qu'il ne faut pas oublier sur - tout, c'est de tâcher, autant qu'il est possible, de fixer la langue dans un dictionnaire. Il est vrai qu'une langue vivante, qui par conséquent change sans cesse, ne peut guere être absolument fixée; mais du moins peut - on empêcher qu'elle ne se dénature & ne se dégrade. Une langue se dénature de deux manieres, par l'impropriété des mots, & par celle des tours: on remédiera au premier de ces deux défauts, non - seulement en marquant avec soin, comme nous avons dit, la signification générale, particuliere, figurée, & metaphorique des mots; mais encore en proscrivant expressément les significations impropres & étrangeres qu'un abus négligé peut introduire, les applications ridicules & tout - à - fait éloignées de l'analogie, sur - tout lorsque ces significations & applications commenceront à s'autoriser par l'exemple & l'usage de ce qu'on appelle la bonne compagnie. J'en dis autant de l'impropriété des tours. C'est aux gens de lettres à fixer la langue, parce que leur état est de l'étudier, de la comparer aux autres langues, & d'en faire l'usage le plus exact & le plus vrai dans leurs ouvrages. Jamais cet avis ne leur fut plus nécessaire: nos livres se remplissent insensiblement d'un idiome tout - à - fait ridicule; plusieurs pieces de théatre modernes, joüées avec succès, ne seront pas entendues dans vingt années, parce qu'on s'y est trop assujetti au jargon de notre tems, qui deviendra bien - tôt suranné, & sera remplacé par une autre. Un bon écrivain, un philosophe qui fait un dictionnaire de langues, prévoit toutes ces révolutions: le précieux, l'impropre, l'obscur, le bisarre, l'entortillé, choquent la justesse de son esprit; il démêle dans les façons de parler nouvelles, ce qui enrichit réellement la langue, d'avec ce qui la rend pauvre ou ridicule; il conserve & adopte l'un, & fait main - basse sur l'autre.

On nous permettra d'observer ici qu'un des moyens les plus propres pour se former à cet égard le style & le goût, c'est de lire & d'écrire beaucoup sur des matieres philosophiques: car la sévérité de style, & la propriété des termes & des tours que ces matieres exigent nécessairement, accoûtumeront insensiblement l'esprit à acquérir ou à reconnoître ces qualités par - tout ailleurs, ou à sentir qu'elles y manquent: de plus, ces matieres étant peu cultivées & peu connues des gens du monde; leur dictionnaire est moins sujet à s'altérer, & la maniere de les traiter est plus invariable dans ses principes.

Concluons de tout ce que nous venons de dire, qu'un bon dictionnaire de langues est proprement l'histoire philosophique de son enfance, de ses progrès, de sa vigueur, de sa décadence. Un ouvrage fait dans ce goût, pourra joindre au titre de dictionnaire celui de raisonnè, & ce sera un avantage de plus: non - seulement on saura assez exactement la grammaire de la langue, ce qui est assez rare; mais ce qui est plus rare encore, on la saura en philosophe. Voyez Grammaire.

Venons présentement à la nature des mots qu'on doit faire. entrer dans un dictionnaire de langues. Premierement on doit en exclure, outre les noms propres, tous les termes de sciences qui ne sont point d'un usage ordinaire & familier; mais il est nécessaire d'y faire entrer tous les mots scientifiques que le commun des lecteurs est sujet à entendre prononcer, ou à trouver dans les livres ordinaires. J'en dis autant des termes d'arts, tant méchaniques que libéraux. On pourroit conclure de là que souvent les figures seront nécessaires dans un dictionnaire de langues: car il est dans les Sciences & dans les Arts une grande quantité d'objets, même très - familiers, dont il est très - difficile & souvent presque impossible de donner une définition exacte, sans présenter ces objets aux yeux; du moins est - il bon de joindre souvent la figure avec la définition, sans quoi la définition sera vague ou difficile à saisir. C'est le cas d'appliquer ici ce passage d'Horace: segnius irritant animos demissa per aurem, quam quoe sunt oculis subjecta fidelibus. Rien n'est si puéril que de faire de grands efforts pour expliquer longuement sans figures, ce qui avec une figure très - simple n'auroit besoin que d'une courte explication. Il y a assez de difficultés réelles dans les objets dont nous nous occupons, sans que nous cherchions à multiplier gratuitement ces difficultés. Reservons nos efforts pour les occasions où ils sont absolument nécessaires: nous n'en aurons besoin que trop souvent.

A l'exception des termes d'arts & de sciences dont nous venons de parler un peu plus haut, tous les autres mots entreront dans un dictionnaire de langues. Il faut y distinguer ceux qui ne sont d'usage que dans la conversation, d'avec ceux qu'on employe en écrivant; ceux que la prose & la poésie admettent également, d'avec ceux qui ne sont propres qu'à l'une ou à l'autre; les mots qui sont employés dans le langage des honnêtes gens, d'avec ceux qui ne le sont que dans le langage du peuple; les mots qu'on admet dans le style noble, d'avec ceux qui sont reservés au style familier; les mots qui commencent à vieillir, d'avec ceux qui commencent à s'introduire, &c. Un auteur de dictionnaire ne doit sans doute jamais créer de mots nouveaux, parce qu'il est l'historien, & non le réformateur de la langue; cependant il est bon qu'il observe la nécessité dont il seroit qu'on en fît plusieurs, pour désigner certaines idées qui ne peuvent être rendues qu'imparfaitement par des périphrases; peut - être même pourroit - il se permettre d'en hasarder quelques - uns, avec retenue, & en avertissant de l'innovation; il doit sur - tout réclamer les mots qu'on a laissé mal - à - propos vieillir, & dont la proscription a énervé & appauvri la langue au lieu de la polir.

Il faut quand il est question des noms substantifs, en désigner avec soin le genre, s'ils ont un plurier, ou s'ils n'en ont point; distinguer les adjectifs propres, c'est - à - dire qui doivent être nécessairement joints à unsubstantif, d'avec les adjectifs pris substantivement, c'est - à - dire qu'on employe comme substantifs, en sousentendant le substantif qui doit y être joint. Il faut marquer avec soin la terminaison des adjectifs pour chaque genre; il faut pour les verbes distinguer s'ils sont actifs, passifs, ou neutres, & désigner leurs principaux tems, sur - tout lorsque la conjugaison est irréguliere; il est bon même en ce cas de faire des articles séparés pour chacun de ces tems, en renvoyant à l'article principal: c'est le [p. 962] moyen de faciliter aux étrangers la connoissance de la langue. Il faut enfin pour les prépositions marquer avec soin leurs différens emplois, qui souvent sont en très - grand nombre (voyez Verbe, Nom, Cas, Genre, Participe , &c.) & les divers sens qu'elles désignent dans chacun de ces emplois. Voilà pour ce qui concerne la nature des mots, & la maniere de les traiter. Il nous reste à parler de la quantité, de l'orthographe, & de l'étymologie.

La quantité, c'est - à - dire la prononciation longue & breve, ne doit pas être négligée. L'observation exacte des accens suffit souvent pour la marquer. Voyez Accent & Quantité. Dans les autres cas on pourroit se servir des longues & des breves, ce qui abregeroit beaucoup le discours. Au reste la prosodie de notre langue n'est pas si décidée & si marquée que celle des Grecs & des Romains, dans laquelle presque toutes les syllabes avoient une quantité fixe & invariable. Il n'y en avoit qu'un petit nombre dont la quantité étoit à volonté longue ou breve, & que pour cette raison on appelle communes. Nous en avons plusieurs de cette espece, & on pourroit ou n'en point marquer la quantité, ou la désigner par un caractere particulier, semblable à celui dont on se sert pour désigner les syllabes communes en grec & en latin, & qui est de cette forme .

A l'égard de l'orthographe, la regle qu'on doit suivre sur cet article dans un dictionnaire, est de donner à chaque mot l'orthographe la plus communément reçûe, & d'y joindre l'orthographe conforme à la prononciation, lorsque le mot ne se prononce pas comme il s'écrit. C'est ce qui arrive très - fréquemment dans notre langue, & certainement c'est un défaut considérable: mais quelque grand que soit cet inconvénient, c'en seroit un plus grand encore que de changer & de renverser toute l'orthographe, sur - tout dans un dictionnaire. Cependant comme une réforme en ce genre seroit fort à desirer, je crois qu'on feroit bien de joindre à l'orthographe convenue de chaque mot, celle qu'il devroit naturellement avoir suivant la prononciation. Qu'on nous permette de faire ici quelques réflexions sur cette différence entre la prononciation & l'orthographe; elles appartiennent au sujet que nous traitons.

Il seroit fort à souhaiter que cette différence fût proscrite dans toutes les langues. Il y a pourtant sur cela plusieurs difficultés à faire. La premiere, c'est que des mots qui signifient des choses très - différentes, & qui se prononcent ou à - peu - près, ou absolument de même, s'écriroient de la même façon, ce qui pourroit produire de l'obscurité dans le discours. Ainsi ces quatre mots, tan, tant, tend, tems, devroient à la rigueur s'écrire tous comme le premier; parce que la prononciation de ces mots est la même, à quelques legeres différences près. Cependant ces quatre mots désignont quatre choses bien différentes. On peut répondre à cette difficulté, 1° que quand la prononciation des mots est absolument la même, & que ces mots signifient des choses différentes, il n'y a pas plus à craindre de les confondre dans la lecture, qu'on ne fait dans la conversation où on ne les confond jamais; 2° que si la prononciation n'est pas exactement la même, comme dans tan & tems, un accent dont on conviendroit, marqueroit aisément la différence sans multiplier d'ailleurs la maniere d'écrire un même son: ainsi l'a long est distingué de l'a bref par un accent circonflexe; parce que l'usage de l'accent est de distinguer la quantité dans les sons qui d'ailleurs se ressemblent. Je remarquerai à cette occasion, que nous avons dans notre langue trop peu d'accens, & que nous nous servons même assez mal du peu d'accens que nous avons. Les Musiciens ont des rondes, des blanches, des noires, des croches, simples, doubles, triples, &c. & nous n'avons que trois accens; cependant à consulter l'oreille, combien en faudroit - il pour la seule lettre e? D'ailleurs l'accent ne devroit jamais servir qu'à marquer la quantité, ou à désigner la prononciation, & nous nous en servons souvent pour d'autres usages: ainsi nous nous servons de l'accent grave dans succès, pour marquer la quantité de l'e, & nous nous en servons dans la préposition à, pour la distinguer du mot a, troisieme personne du verbe avoir; comme si le sens seul du discours ne suffisoit pas pour faire cette distinction. Enfin un autre abus dans l'usage des accens, c'est que nous désignons souvent par des accens différens, des sons qui se ressemblent; souvent nous employons l'accent grave & l'accent circonflexe, pour désigner des e dont la prononciation est sensiblement la même, comme dans bête, procès, &c.

Une seconde difficulté sur la réformation de l'orthographe, est celle qui est fondée sur les étymologies: si on supprime, dira - t - on, le ph pour lui substituer l'f, comment distinguera - t - on les mots qui viennent du grec, d'avec ceux qui n'en viennent pas? Je réponds que cette distinction seroit encore très - facile, par le moyen d'une espece d'accent qu'on feroit porter à l'f dans ces sortes de mots: ce qui seroit d'autant plus raisonnable, que dans philosophie, par exemple, nous n'aspirons certainement aucune des deux h, & que nous prononçons filosofie; au lieu que le F des Grecs dont nous avons formé notre ph, étoit aspiré. Pourquoi donc conserver l'h, qui est la marque de l'aspiration, dans les mots que nous n'aspirons point? Pourquoi même conserver dans notre alphabet cette lettre, qui n'est jamais ou qu'une espece d'accent, ou qu'une lettre qu'on conserve pour l'étymologie? ou du moins pourquoi l'employer ailleurs que dans le ch, qu'on feroit pentêtre mieux d'exprimer par un seul caractere? Voyez Orthographe, & les remarques de M. Duclos sur la grammaire de P. R. imprimées avec cette grammaire à Paris, au commencement de cette année 1754.

Les deux difficultés auxquelles nous venons de répondre, n'empêcheroient donc point qu'on ne pût du moins à plusieurs égards réformer notre orthographe; mais il seroit, ce me semble, presque impossible que cette réforme fût entiere pour trois raisons. La premiere, c'est que dans un grand nombre de mots il y a des lettres qui tantôt se prononcent & tantôt ne se prononcent point, suivant qu'elles se rencontrent ou non devant une voyelle: telle est, dans l'exemple proposé, la derniere lettre s du mot tems, &c. Ces lettres qui souvent ne se prononcent pas, doivent néanmoins s'écrire nécessairement; & cet inconvénient est inévitable, à moins qu'on ne prît le parti de supprimer ces lettres dans les cas où elles ne se prononcent pas, & d'avoir par ce moyen deux orthographes différentes pour le même mot: ce qui seroit un autre inconvénient. Ajoûtez à cela que souvent même la lettre surnuméraire devroit s'écrire autrement que l'usage ne le prescrit: ainsi l's dans tems devroit être un z, le d dans tend deyroit être un t, & ainsi des autres. La s conde raison de l'impossibilité de réformer entierement notre orthographe, c'est qu'il y a bien des mots dans lesquels le besoin ou le desir de conserver l'étymologie ne pourra être satisfait par de purs accens, à moins de multiplier tellement ces accens, que leur usage dans l'orthographe deviendroit une étude pénible. Il faudroit dans le mot tems un accent particulier au lieu de l's; dans le mot tend, un autre accent particulier au lieu du d; dans le mot tant, un autre accent particulier au lieu du t, &c. & il faudroit savoir que le premier accent indique une s, & se prononce

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