ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

RECHERCHE Accueil Mises en garde Documentation ATILF ARTFL Courriel

Previous page

"965"> sentir de lui - même la vraie signification du mot appliqué à la circonstance & au cas dont il est question dans l'auteur: les enfans qui apprennent à parler, & qui le savent à l'âge de trois ou quatre ans au plus, ont fait bien d'autres combinaisons plus difficiles. Je réponds en second lieu que quand on s'écarteroit de la regle que je propose ici dans les dictionnaires faits pour les enfans, il me semble qu'il faudroit s'y conformer dans les autres; une langue étrangere en seroit plûtôt apprise, & plus exactement sûe.

Dans les dictionnaires de langues mortes, il faut marquer avec soin les auteurs qui ont employé chaque mot; c'est ce qu'on exécute pour l'ordinaire avec beaucoup de négligence, & c'est pourtant ce qui peut être le plus utile pour écrire dans une langue morte (lorsqu'on y est obligé) avec autant de pureté qu'on peut écrire dans une telle langue. D'ailleursil ne faut pas croire qu'un mot latin ou grec, pour avoit été employé par un bon auteur, soit toûjours dans le cas de pouvoir l'être. Térence, qui passe pour un auteur de la bonne latinité, ayant écrit des comédies, a dû, ou du moins a pû souvent employer des mots qui n'étoient d'usage que dans la conversation, & qu'on ne devroit pas employer dans le discours oratoire; c'est ce à quoi un auteur de dictionnaire doit faire observer, d'autant que plusieurs de nos humanistes modernes sont quelquefois tombés en faute sur cet article. Voyez Latinité. Ainsi quand on cite Térence, par exemple, ou Plaute, il faut, ce me semble, avoir soin d'y joindre la piece & la scene, afin qu'en recourant à l'endroit même, on puisse juger si on doit se servir du mot en question. Que ce soit un valet qui parle, il faudra être en garde pour employer l'expression ou le tour dont il s'agit, & ne se résoudre à en faire usage qu'après s'être assûré que cette façon de parler est bonne en elle - même, indépendamment & du personnage, & de la circonstance où il est. Ce n'est pas tout: il faut même prendre des précautions pour distinguer les termes & les tours employés par un seul auteur, quelque excellent qu'il puisse être. Cicéron, qu'on regarde comme le modele de la bonne latinité, a écrit différentes sortes d'ouvrages, dans lesquels ni les expressions, ni les tours n'ont dû être de la même nature & du même genre. Il a varié son style selon les matieres qu'il traitoit; ses harangues different beaucoup par la diction de ses livres sur la Rhétorique, ceux - ci de ses ouvrages philosophiques, & tous different extrémement de ses épitres familieres. Il faut donc, quand on attribue à Cicéron un terme ou une façon de dire, marquer l'ouvrage & l'endroit d'où on l'a tiré. Il en est ainsi en général de tout auteur, même de ceux qui n'ont fait que des ouvrages d'un seul genre, parce que dans aucun ouvrage le style ne doit être uniforme, & que le ton qu'on y prend, & la couleur qu'on y employe dépendent de la nature des choses qu'on a à dire. Les harangues de Tite - Live ne sont point écrites comme ses préfaces, ni celles - ci comme ses narrations. De plus, quand on cite un mot ou un tour comme appartenant à un auteur qui n'a pas été du bon siecle, ou qui ne passe pas pour un modele irreprochable, il faut marquer avec soin si ce tour ou ce mot a été employé par quelqu'un des bons auteurs, & citer l'endroit; ou plûtôt on pourroit pour s'épargner cette peine ne citer jamais un mot ou un tour comme employé par un auteur suspect, lorsque ce mot a été employé par de bons auteurs, & se contenter de citer ceux - ci. Enfin quand un mot ou un tour est employé par un bon auteur, il faut marquer encore s'il se trouve dans les autres bons auteurs du même tems, poëtes, historiens &c. afin de connoître si ce mot appartient également bien à tous les styles. Ce travail paroît immense, & comme impraticable; mais il est plus long que difficile, & les concordances qu'on a faites des meilleurs auteurs y aideront beaucoup.

Dans ce même dictionnaire il sera bon de marquer par des exemples choisis les différens emplois d'un mot; il sera bon d'y faire sentir même les synonymes autant qu'il est possible dans un dictionnaire de langue morte: par exemple, la différence de vereor & de metuo, si bien marquée au commencement de l'oraison de Cicéron pour Quintius; celle d'oegritudo, meror, arumna, luctus, lamentatio, détaillée au quatrieme livre des Tusculanes, & tant d'autres qui doivent rendre les écrivains latins modernes fort suspects, & leurs admirateurs fort circonspects.

Dans un dictionnaire latin on pourra joindre au mot de la langue les étymologies tirées du grec. On pourra placer les longues & les breves sur les mots; cette précaution, il est vrai, ne remédiera pas à la maniere ridicule dont nous prononçons un très - grand nombre de mots latins en faisant long ce qui est bref, & bref ce qui est long; mais elle empêchera du moins que la prononciation ne devienne encore plus vitieuse. Enfin, il seroit peut - être à - propos dans les dictionnaires latins & grecs de disposer les mots par racines, suivies de tous leurs dérivés, & d'y joindre un vocabulaire par ordre alphabétique qui indiqueroit la place de chaque mot, comme on a fait dans le dictionnaire grec de Scapula, & dans quelques autres. Un lecteur doüé d'une mémoire heureuse pourroit apprendre de suite ces racines, & par ce moyen avanceroit beaucoup & en peu de tems dans la connoissance de la langue; car avec un peu d'usage & de syntaxe, il reconnoîtroit bien - tôt aisément les dérivés.

Il ne faut pas croire cependant qu'avec un dictionnaire rel que je viens de le tracer, on eût une connoissance bien entiere d'aucune langue morte. On ne la saura jamais que très - imparfaitement. Il est premierement une infinité de termes d'art & de conversation qui sont nécessairement perdus, & que par conséquent on ne saura jamais: il est de plus une infinité de finesses, de fautes, & de négliger ces qui nous échapperont toûjours. Voyez Latinité.

Quand j'ai parlé plus haut des synonymes dans les langues mortes, je n'ai point voulu parler de ceux qu'on entasse sans vérité, sans choix, & sans goût dans les dictionnaires latins, qu'on appelle ordinairement dans les colléges du nom de synonymes, & qui ne servent qu'à faire produire aux enfans de très mauvaise poésie latine. Ces dictionnaires, J'ose le dire, me paroissent fort inutiles, à moins qu'ils ne se bornent à marquer la quantité & à recueillir sous chaque mot les meilleurs passages des excellens poëtes. Tout le reste n'est bon qu'à gâter le goût. Un enfant né avec du talent ne doit point s'aider de pareils ouvrages pour faire des vers latins, supposé même qu'il soit bon qu'il en fasse; & il est absurde d'en faire faire aux autres. Voyez College & Éducation.

Dans les dictionnaires de langue vivante étrangere, on observera, pour ce qui regarde la syntaxe & l'emploi des mots, ce qui a été prescrit plus haut sur cet article pour les dictionnaires de langue vivante maternelle; il sera bon de joindre à la signification françoise des mots leur signification latine, pour graver par plus de moyens cette signification dans la mémoire. On pourroit même croire qu'il seroit à propos de s'en tenir à cette signification, parce que le latin étant une langue que l'on apprend ordinairement dès l'enfance, on y est pour l'ordinaire plus versé que dans une langue étrangere vivante que l'on apprend plus tard & plus imparfaitement, & qu'ainsi un auteur de dictionnaire traduira mieux d'anglois en latin que d'anglois en françois; par ce [p. 966] moyen la langue latine pourroit devenir en quelque sorte la commune mesure de toutes les autres. Cette considération mérite sans dòute beaucoup d'égard; néanmoins il faut observer que le latin étant une langue morte, nous ne sommes pas toûjours aussi à portée de connoître le sens précis & rigoureux de chaque terme, que nous le sommes dans une langue étrangere vivante; que d'ailleurs il y a une infinité de termes de sciences, d'arts, d'oeconomie domestique, de conversation, qui n'ont pas d'équivalent en latin; & qu'enfin nous supposons que le dictionnaire soit l'ouvrage d'un homme très - versé dans les deux langues, ce qui n'est ni impossible, ni même fort rare. Enfin, il ne faut pas s'imaginer que quand on traduit des mots d'une langue dans l'autre, il soit toûjours possible, quelque versé qu'on soit dans les deux langues, d'employer des équivalens exacts & rigoureux; on n'a souvent que des à - peu - près. Plusieurs mots d'une langue n'ont point de correspondant dans une autre, plusieurs n'en ont qu'en apparence, & different par des nuances plus ou moins sensibles des équivalens qu'on croit leur donner. Ce que nous disons ici des mots, est encore plus vrai & plus ordinaire par rapport aux tours; il ne faut que savoir, même imparfaitement, deux langues, pour en être convaincu: cette différence d'expression & de construction constitue principalement ce qu'on appelle le génie des langues, qui n'est autre chose que la propriété d'exprimer certaines idées plus ou moins heureusement. Voyez sur cela une excellente note que M. de Voltaire a placée dans son discours à l'académie Françoise, tome II. de ses oeuvres, Paris 1751, page 121. Voyez aussi Langue, Traduction, &c.

La disposition des mots par racines, est plus difficile & moins nécessaire dans un dictionnaire de langue vivante, que dans un dictionnaire de langue morte; cependant comme il n'y a point de langue qui n'ait des mots primitifs & des mots dérivés, je crois que cette disposition, à tout prendre, pourroit être utile, & abregeroit beaucoup l'étude de la langue, par exemple celle de la langue angloise, qui a tant de mots composés, & celle de l'italienne, qui a tant de diminutifs, & d'analogie avec le latin. A l'égard de la prononciation de chaque mot, il faut aussi la marquer exactement, conformément à l'orthographe de la langue dans laquelle on traduit; & non de la langue étrangere. Par exemple, on sait que l'e en anglois se prononce souvent comme notre i; ainsi au mot sphere on dira que ce mot se prononce sphire. Cette derniere orthographe est relative à la prononciation françoise, & non à l'angloise; car l'i en anglois se prononce quelquefois comme aï: ainsi sphire, si on le prononçoit à l'angloise, pourroit faire sphaïre.

Voilà tout ce que nous avions à dire sur les dictionnaires de langue. Nous n'avons qu'un mot à ajoûter sur les dictionnaires de la langue françoise traduits en langue étrangere, soit morte, soit vivante. Nous parlerons de l'usage des premiers à l'article Latinité; & à l'égard des autres, ils ne serviroient (si on s'y bornoit) qu'à apprendre très - imparfaitement la langue; l'étude des bons auteurs dans cette langue, & le commerce de ceux qui la parlent bien, sont le seul moyen d'y faire de véritables & solides progrès.

Mais en général le meilleur moyen d'apprendre promptement une langue quelconque, c'est de se mettre d'abord dans la mémoire le plus de mots qu'il est possible: avec cette provision & beaucoup de lecture, on apprendra la syntaxe par le seul usage, sur - tout celle de plusieurs langues modernes, qui est fort courte; & on n'aura guere besoin de lire des livres de Grammaire, sur - tout si on ne veut pas écrire ou parler la langue, & qu'on se contente de lire les auteurs; car quand il ne s'agit que d'entendre, & qu'on connoît les mots, il est presque toûjours facile de trouver le sens. Voulez - vous donc apprendre promptement une langue, & avez - vous de la mémoire? apprenez un dictionnaire, si vous pouvez, & lisez beaucoup; c'est ainsi qu'en ont usé plusieurs gens de lettres.

Dictionnaires historiques (Page 4:966)

Dictionnaires historiques. Les dictionnaires de cette espece sont ou généraux ou particuliers, & dans l'un & l'autre cas ils ne sont proprement qu'une histoire générale ou particuliere, dont les matieres sont distribuées par ordre alphabétique. Ces sortes d'ouvrages sont extrèmement commodes, parce qu'on y trouve, quand ils sont bien faits, plus aisément même que dans une histoire suivie, les choses dont on veut s'instruire. Nous ne parlerons ici que des dictionnaires généraux, c'est - à - dire qui ont pour objet l'histoire universelle; ce que nous en dirons, s'appliquera facilement aux dictionnaires particuliers qui se bornent à un objet limité.

Ces dictionnaires renferment en général trois grands objets; l'Histoire proprement dite, c'est - à - dire le récit des évenemens; la Chronologie, qui marque le tems où ils sont arrivés; & la Géographie, qui en indique le lieu. Commençons par l'Histoire proprement dite.

L'histoire est ou des peuples en général, ou des hommes. L'histoire des peuples renferme celle de leur premiere origine, des pays qu'ils ont habités avant celui qu'ils possedent actuellement, de leur gouvernement passé & présent, de leurs moeurs, de leurs progrès dans les Sciences & dans les Arts, de leur commerce, de leur industrie, de leurs guerres: tout cela doit être exposé succintement dans un dictionnaire, mais pourtant d'une maniere suffisante, sans s'appesantir sur les détails, & sans négliger ou passer trop rapidement les circonstances essentielles: le tout doit être entremêlé des réflexions philosophiques que le sujet fournit, car la Philosophie est l'ame de l'Histoire. On ne doit pas oublier d'indiquer les auteurs qui ont le mieux écrit du peuple dont on parle, le degré de foi qu'ils méritent, & l'ordre dans lequel l'on doit les lire pour s'instruire plus à fond.

L'histoire des hommes comprend les princes, les grands, les hommes célebres par leurs talens & par leurs actions. L'histoire des princes doit être plus ou moins détaillée, à proportion de ce qu'ils ont fait de mémorable; il en est plusieurs dont il faut se contenter de marquer la naissance & la mort, & renvoyer pour ce qui s'est fait sous leur regne, aux articles de leurs généraux & de leurs ministres. C'est sur - tout dans un tel ouvrage qu'il faut préparer les princes vivans à ce qu'on dira d'eux, par la maniere dont on parle des morts. Car comme un dictionnaire historique est un livre que presque tout le monde se procure pour sa commodité, & qu'on consulte à chaque instant, il peut être pour les princes une le çon forcée, & par conséquent plus sûre que l'histoire. La vérité, si on peut parler ainsi, peut entrer dans ce livre par toutes les portes; & elle le doit, puisqu'elle le peut.

On en usera encore plus librement pour les grands. On sera sur - tout très - attentif sur la vérité des généalogies: rien sans doute n'est plus indifférent en soi - même; mais dans l'etat où sont aujourd'hui les choses, rien n'est quelquefois plus nécessaire. On aura donc soin de la donner exacte, & sur - tout de ne la pas faire remonter au - delà de ce que prouvent les titres certains. On accuse Morery de n'avoir pas été assez scrupuleux sur cet article. La connoissance des généalogies emporte celle du blason, dont nos ayeux ignorans ont jugé à - propos de faire une scien<pb->

Next page


The Project for American and French Research on the Treasury of the French Language (ARTFL) is a cooperative enterprise of Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française (ATILF) of the Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), the Division of the Humanities, the Division of the Social Sciences, and Electronic Text Services (ETS) of the University of Chicago.

PhiloLogic Software, Copyright © 2001 The University of Chicago.