ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"959"> subordonnés à ceux - ci; la quantité ou la prononciation des mots, l'orthographe, & l'étymologie. Parcourons successivement ces six objets dans l'ordre que nous leur avons donné.

Les définitions doivent être claires, précises, & aussi courtes qu'il est possible; car la briéveté en ce genre aide à la clarté. Quand on est forcé d'expliquer une idée par le moyen de plusieurs idées accessoires, il faut au moins que le nombre de ces idées soit le plus petit qu'il est possible. Ce n'est point en général la briéveté qui fait qu'on est obscur, c'est le peu de choix dans les idées, & le peu d'ordre qu'on met entr'elles. On est toûjours court & clair quand on ne dit que ce qu'il faut, & de la maniere qu'il le faut; autrement on est tout - à - la - fois long & obscur. Les définitions & les démonstrations de Géométrie, quand elles sont bien faites, sont une preuve que la briéveté est plus amie qu'ennemie de la clarté.

Mais comme les définitions consistent à expliquer un mot par un ou plusieurs autres, il résulte nécessairement de - là qu'il est des mots qu'on ne doit jamais définir, puisqu'autrement toutes les définitions ne formeroient plus qu'une espece de cercle vicieux, dans lequel un mot seroit expliqué par un autre mot qu'il auroit servi à expliquer lui - même. De - là il s'ensuit d'abord que tout dictionnaire de langue dans lequel chaque mot sans exception sera défini, est nécessairement un mauvais dictionnaire, & l'ouvrage d'une tête peu philosophique. Mais quels sont ces mots de la langue qui ne peuvent ni ne doivent être définis? Leur nombre est peut - être plus grand que l'on ne s'imagine; ce qui le rend difficile à déterminer, c'est qu'il y a des mots que certains auteurs regardent comme pouvant être définis, & que d'autres croyent au contraire ne pouvoir l'être: tels sont par exemple les mots ame, espace, courbe, &c. mais il est au moins un grand nombre de mots, qui de l'aveu de tout le monde se refusent à quelqu'espece de définition que ce puisse être; ce sont principalement les mots qui désignent les propriétés gérérales des êtres, comme existence, étendue, pensée, sensation, tems, & un grand nombre d'autres.

Ainsi le premier objet que doit se proposer l'auteur d'un dictionnaire de langue, c'est de former, autant qu'il lui sera possible, une liste exacte de ces sortes de mots, qui seront comme les racines philosophiques de la langue: je les appelle ainsi, pour les distinguer des racines grammaticales, qui servent à former & non à expliquer les autres mots. Dans cette espece de liste des mots originaux & primitifs, il y a deux vices à éviter: trop courte, elle tomberoit souvent dans l'inconvénient d'expliquer ce qui n'a pas besoin de l'être, & auroit le défaut d'une grammaire daus laquelle des racines grammaticales seroient mises au nombre des dérivés; trop longue, elle pourroit faire prendre pour deux mots de signification très - différente, ceux qui dans le fond enferment la même idée. Par exemple, les mots de durée & de tems, ne doivent point, ce me semble, se trouver l'un & l'autre dans la liste des mots primitifs; il ne faut prendre que l'un des deux, parce que la même idée est enfermée dans chacun de ces deux mots. Sans doute la définition qu'on donnera de l'un de ces mots, ne servira pas à en donner une idée plus claire, que celle qui est présentée naturellement par ce mot; mais elle servira du moins à faire voir l'analogie & la liaison de ce mot avec celui qu'on aura pris pour terme radical & primitif. En général les mots qu'on aura pris pour radicaux doivent être tels, que chacun d'eux présente une idée absolument différente de l'autre; & c'est - là peut - être la regle la plus sûre & la plus simple pour former la liste de ces mots; car après avoir fait l'énumération la plus exacte de tous les mots d'une langue, on pourra former des especes de tables de ceux qui ont entr'eux quelque rapport. Il est évident que le même mot se trouvera souvent dans plusieurs tables; & dès - lors il sera aisé de voir par la nature de ce mot, & par la comparaison qu'on en fera avec ceux auquel il se rapporte, s'il doit être exclus de la liste des radicaux, ou s'il doit en faire partie. A l'égard des mots qui ne se trouveront que dans une seule table, on cherchera parmi ces mots celui qui renferme ou paroît renfermer l'idée la plus simple; ce sera le mot radical: je dis qui paroît renfermer; car il restera souvent un peu d'arbitraire dans ce choix; les mots de tems & de durée, dont nous avons parlé plus haut, suffiroient pour s'en convaincre. Il en est de même des mots être, exister; idèe, perception, & autres semblables.

De plus, dans les tables dont nous parlons, il faudra observer de placer les mots suivant leur sens propre & primitif, &.non suivant leur sens métaphorique ou figuré; ce qui abregera beaucoup ces différentes tables: un autre moyen de les abreger encore, c'est d'en exclure d'abord tous les mots dérivés & composés qui viennent évidemment d'autres mots, tous les mots qui ne renfermant pas des idées simples, ont évidemment besoin d'être définis; ce qu'on distinguera au premier coup d'oeil: par - ce moyen les tables se réduiront & s'éclairciront sensiblement, & le travail sera extrèmement simplifié. Les racines philosophiques étant ainsi trouvées, il sera bon de les marquer dans le dictionnaire par un caractere particulier.

Après avoir établi des regles pour distinguer les mots qui doivent être définis d'avec ceux qui ne doivent pas l'être, passons maintenant aux définitions mêmes. Il est d'abord évident que la définition d'un mot doit tomber sur le sens précis de ce mot, & non sur le sens vague. Je m'explique; le mot douleur, par exemple, s'applique également dans notre langue aux peines de l'ame, & aux sensations desagréables du corps: cependant la définition de ce mot ne doit pas renfermer ces deux sens à la fois; c'est - là ce que j'appelle le sens vague, parce qu'il renferme à la fois le sens primitif & le sens par extension: le sens précis & originaire de ce mot désigne les sensations desagréables du corps, & on l'a étendu de - là aux chagrins de l'ame; voilà ce qu'une définition doit faire bien sentir.

Ce que nous venons de dire du sens précis par rapport au sens vague, nous le dirons du sens propre par rapport au sens métaphorique; la définition ne doit jamais tomber que sur le sens propre, & le sens métaphorique ne doit y être ajoûté que comme une suite & une dépendance du premier. Mais il faut avoir grand soin d'expliquer ce sens métaphorique, qui fait une des prmcipales richesses des langues, & par le moyen duquel, sans multiplier les mots, on est parenu à exprimer un très - grand nombre d'idées. On peut remarquer, sur - tout dans les ouvrages de poésie & d'éloquence, qu'une partie très - considérable des mots y est employée dans le sens métaphorique, & que le sens propre des mots ainsi employés dans un sens métaphorique, désigne presque toûjours quelque chose de sensible. Il est même des mots, comme aveuglement, bassesse, & quelques autres, qu'on n'employe guere qu'au sens métaphorique: mais quoique ces mots pris au sens propre ne soient plus en usage, la définition doit néanmoins toûjours tomber sur le sens propre, en avertissant qu'on y a substitué le sens figuré. Au reste comme la signification métaphorique d'un mot n'est pas toûjours tellement fixée & limitée, qu'elle ne puisse recevoir quelqu'extension suivant le génie de celui qui écrit, il est visible qu'un dictionnaire ne peut tenir rigourement compte de toutes les significations [p. 960] & applications métaphoriques; tout ce que l'on peut exiger, c'est qu'il fasse connoître au moins celles qui sont le plus en usage.

Qu'il me soit permis de remarquer à cette occasion, comment la combinaison du sens métaphorique des mots avec leur sens figuré peut aider l'esprit & la mémoire dans l'étude des langues. Je suppose qu'on sache assez de mots d'une langue quelconque pour pouvoir entendre à - peu - près le sens de chaque phrase dans des livres qui soient écrits en cette langue, & dont la diction soit pure & la syntaxe facile; je dis que sans le secours d'un dictionnaire, & en se contentant de lire & de relire assidument les livres dont je parle, on apprendra le sens d'un grand nombre d'autres mots: car le sens de chaque phrase étant entendu à - peu - près, comme je le suppose, on en conclura quel est du moins à - peu - près le sens des mots qu'on n'entend point dans chaque phrase; le sens qu'on attachera à ces mots sera, ou le sens propre, ou le sens figuré: dans le premier cas on aura trouvé le vrai sens du mot, & il ne faudra que le rencontrer encore une ou deux fois pour se convaincre qu'on a deviné juste: dans le second cas, si on rencontre encore le même mot ailleurs, ce qui ne peut guere manquer d'arriver, on comparera le nouveau sens qu'on donnera à ce mot, avec celui qu'on lui donnoit dans le premier cas; on cherchera dans ces deux sens ce qu'ils peuvent avoir d'analogue, l'idée commune qu'ils penvent renfermer, & cette idée donnera le sens propre & primitif. Il est certain qu'on pourroit apprendre ainsi beaucoup de mots d'une langue en assez peu de tems. En effet il n'est point de langue étrangere que nous ne puissions apprendre, comme nous avons appris la nôtre; & il est evident qu'en apprenant notre langue maternelle, nous avons deviné le sens d'un grand nombre de mots, sans le secours d'un dictionnaire qui nous les expliquât: c'est par des combinaisons multipliées, & quelquefois très - fines, que nous y sommes parvenus; & c'est ce qui me fait croire, pour le dire en passant, que le plus grand effort de l'esprit est celui qu'on fait en apprenant à parler; je le crois encore au - dessus de celui qu'il faut faire pour apprendre à lire: celui - ci est purement de mémoire, & machinal; l'autre suppose au moins une sorte de raisonnement & d'analyse.

Je reviens à la distinction du sens précis & propre des mots, d'avec leur sens vague & métaphorique: cette distinction sera fort utile pour le développement & l'explication des synonymes, autre objet très - important dans un dictionnaire de langues. L'expérience nous a appris qu'il n'y a pas dans notre langue deux mots qui soient parfaitement synonymes, c'est - à - dire qui en toute occasion puissent être substitués indifféremment l'un à l'autre: je dis en toute occasion; car ce seroit une imagination fausse & puérile, que de prétendre qu'il n'y a aucune circonstance où deux mots puissent être employés sans choix l'un à la place de l'autre; l'expérience prouveroit le contraire, ainsi que la lecture de nos meilleurs ouvrages. Deuxmots exactement & absolument synonymes, seroient sans doute un défaut dans une langue, parce que l'on ne doit point multiplier sans nécessité les mots non plus que les êtres, & que la premiere qualité d'une langue est de rendre clairement toutes les idées avec le moins de mots qu'il est possible: mais ce ne seroit pas un moindre inconvénient, que de ne pouvoir jamais employer indifféremment un mot à la place d'un autre: non - seulement l'harmonie & l'agrément du discours en souffriroient, par l'obligation où l'on seroit de répéter souvent les mêmes termes; mais encore une telle langue seroit nécessairement pauvre, & sans aucune finesse. Car qu'est - ce qui constitue deux ou plusieurs mots synonymes? c'est un sens général qui est commun à ces mots: qu'est - ce qui fait ensuite que ces mots ne sont pas toûjours synonymes? ce sont des nuances souvent délicates, & quelquefois presqu'insensibles, qui modifient ce sens primitif & général. Donc toutes les fois que par la nature du sujet qu'on traite, on n'a point à exprimer ces nuances, & qu'on n'a befoin que du sens général, chacun des synonymes peut être indifféremment employé. Donc réciproquement toutes les fois qu'on ne pourra jamais employer deux mots l'un pour l'autre dans une langue, il s'ensuivra que le sens de ces deux mots différera, non par des nuances fines, mais par des différences très - marquées & très - grossieres: ainsi les mots de la langue n'exprimeront plus ces nuances, & dès - lors la langue sera pauvre & sans finesse.

Les synonymes, en prenant ce mot dans le sens que nous venons d'expliquer, sont très - fréquens dans notre langue. Il faut d'abord, dans un dictionnaire, déterminer le sens général qui est commun à tous ces mots; & c'est - là souvent le plus difficile: il faut ensuite déterminer avec précision l'idée que chaque mot ajoûte au sens général, & rendre le tout sensible par des exemples courts, clairs, & choisis.

Il faut encore distinguer dans les synonymes les différences qui sont uniquement de caprice & d'usage quelquefois bisarre, d'avec celles qui sont constantes & fondees sur des principes. On dit, p.ex. tout conspire à mon bonheur; tout conjure ma perte: voilà conspirer qui se prend en bonne part, & conjurer en mauvaise; & on seroit peut - ëtre tenté d'abord d'en faire une espece de regle: cependant on dit également bien conjurer la perte de l'état, & conspirer contre l'état: on dit aussi la con/piration, & non la conjuration des poudres. De même on dit indifféremment des pleurs de joie, ou des larmes de joie: cependant on dit des larmes de sang, plûtôt que des pleurs de sang; & des pleurs de rage, plûtôt que des larmes de rage: ce sont là des bisarreries de la langue, sur lesquelles est fondée en partie la connoissance des synonymes. Un auteur qui écrit sur cette matiere, doit marquer avec soin ces différences, au moins par des exemples qui donnent occasion au lecteur de les observer. Je ne crois pas non plus qu'il soit nécessaire dans les exemples de synonymes qu'on donnera, que chacun des mots qui composent un article de synonymes, fournisse dans cet article un nombre égal d'exemples: ce seroit une puérilité, que de ne vouloir jamais s'écarter de cette regle; il seroit même souvent impossible de la bien remplir: mais il est bon aussi de l'observer, le plus qu'il est possible, sans affectation & sans contrainte, parce que les exemples sont par ce moyen plus aisés à retenir. Enfin un article de synonymes n'en sera pas quelquefois moins bon, quoiqu'on puisse dans les exemples substituer un mot à la place de l'autre; il faudra seulement que cette substitution ne puisse être réciproque: ainsi quand on voudra marquer la différence entre pleurs & larmes, on pourra donner pour exemple entre plusieurs autres, les larmes d'une mere, & les pleurs de la vigne ou de l'aurore, quoiqu'on puisse dire aussi - bien les pleurs d'une mere, que ses larmes; parce qu'on ne peut pas dire de même les larmes de la vigne ou de l'aurore, pour les pleurs de l'une ou de l'autre. Les différens emplois des synonymes se démêlent en général par une définition exacte de la valeur précise de chaque mot, par les différentes circonstances dans lesquelles on en fait usage, les différens genres de styles où on les applique, les différens mots auxquels ils se joignent, leur usage au sens propre ou au figuré, &c. Voyez Synonyme.

Nous n'avons parlé jusqu'à présent que de la signification des mots, passons maintenant à la cons<pb->

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