ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"308"> distingue deux sortes d'alun, le naturel ou natif, & le factice, quoique celui - ci soit aussi naturel que l'autre. On a voulu faire entendre par cette épithete, qu'il faut faire plusieurs opérations pour le tirer de la mine, & que ce n'est qu'après avoir été travaillé que nous l'obtenons en crystaux, ou en masses salines. A peine connoissons - nous aujourd'hui l'alun naturel. Les Anciens au contraire en faisoient un très grand usage: ils en distinguerent de deux sortes, le liquide & le sec. L'alun naturel liquide, n'étoit pas absolument en liqueur. Il paroît par les descriptions, que cet alun étoit seulement humide & mouillé, & qu'il attiroit l'humidité de l'air. Ainsi on ne le disoit liquide, que pour le distinguer de l'alun sec: l'alun liquide étoit plus ou moins pur. Le plus pur étoit lisse & uni, quelquefois transparent, mais ordinairement nuageux. La surface de l'autre alun liquide étoit inégale, & il se trouvoit mêlé avec des matieres étrangeres, suivant la description des mêmes Auteurs.

Les Anciens distinguoient aussi deux sortes d'alun naturel sec; ils le reconnoissoient aux différences de la figure & de la texture: ou il étoit fendu & comme la fleur de celui qui est en masse, car il étoit formé en mottes ou en lattes; ou il se fendoit & se partageoit en cheveux blancs; ou il étoit rond & se distribuoit encore en trois especes; en alun moins serré & comme formé de bulles; en alun percé de trous fistuleux, & presque semblable à l'éponge; en alun presque rond & comme l'astragale: ou il ressembloit à de la brique; ou il étoit composé de croûtes. Et tous ces aluns avoient leurs noms.

M. de Tournefort trouva dans l'isle de Milo de l'alun naturel liquide. Voici en peu de mots ce qu'il rapporte sur les mines de ce sel. Rélation d'un voyage du Levant, tom. I. p. 163. « Les principales mines sont à une demi - lieue de la ville de Milo, du côté de Saint - Venerande: on n'y travaille plus aujourd'hui. Les habitans du pays ont renoncé à ce commerce, dans la crainte que les Turcs ne les inquiétassent par de nouveaux impôts. On entre d'abord dans une caverne, d'où l'on passe dans d'autres cavités qui ont été creusées autrefois à mesure que l'on en tiroit l'alun. Ces cavités sont en forme de voûtes, hautes seulement de quatre ou cinq piés sur neuf ou dix de largeur. L'alun est incrusté presque partout sur les parois de ces soûterrains. Il se détache en pierres plates de l'épaisseur de huit ou neuf lignes, & même d'un pouce. A mesure qu'on tire ces pierres, il s'en trouve de nouvelles par - dessous. La solution de cet alun naturel est aigrelette & styptique: elle fermente avec l'huile de tartre, & elle la coagule. Ce mêlange ne donne aucune odeur urineuse. On trouve aussi dans ces cavernes de l'alun de plume; il vient par gros paquets, composés de filets déliés comme la soie la plus fine, argentés, luisans, longs d'un pouce & demi ou deux. Ces faisceaux de fibres s'échappent à - travers des pierres qui sont très - légeres & friables. Cet alun a le même goût que l'alun en pierre dont on vient de parler, & il produit le même effet quand on le mêle avec l'huile de tartre ».

Le nom d'alun de plume vient de ce que ces filets déliés sont quelquefois disposés de façon qu'ils ressemblent aux barbes d'une plume. On confond souvent cette sorte d'alun avec l'amiante ou pierre incombustible; parce que cette pierre est composée de petits filets déliés comme ceux de l'alun. M. de Tournefort rapporte que dans tous les endroits où il avoit demandé de l'alun de plume en France, en Italie, en Hollande, en Angleterre, &c. on lui avoit toûjours présenté une mauvaise espece d'amiante, qui vient des environs de Carysto dans l'isle de Négrepont.

On fait encore à présent la même équivoque; parce que l'alun de plume est si rare, que l'on n'en trouve presque plus que dans les cabinets des curieux. Il est cependant fort aisé de le distinguer de l'amiante: cette pierre est insipide. L'alun de plume au contraire a le même goût que l'alun ordinaire. « On rencontre, continue M. de Tournefort, à quatre milles de la ville de Milo vers le sud, sur le bord de la mer, dans un lieu fort escarpé, une grotte d'environ quinze pas de profondeur, dans laquelle les eaux de la mer pénetrent quand elles sont agitées. Cette grotte, après quinze ou vingt piés de hauteur, a ses parois revêtues d'alun sublimé, aussi blanc que la neige dans quelques endroits, & roussâtres ou dorées dans d'autres. Parmi ces concrétions on distingue deux sortes de fleurs très - blanches & déliées comme des brins de soie; les unes sont alumineuses & d'un goût aigrelet, les autres sont pierreuses & insipides. Les filets alumineux n'ont que trois ou quatre lignes de longueur, & ils sont attachés à des concrétions d'alun: ainsi ils ne different pas de l'alun de plume. Les filets pierreux sont plus longs, un peu plus flexibles, & ils sortent des rochers ». M. de Tournefort croit qu'il y a beaucoup d'apparence que c'est la pierre que Dioscoride a comparée à l'alun de plume, quoiqu'elle soit sans goût & sans astriction, comme le dit ce dernier Auteur, qui la distingue de l'amiante.

Les incrustations de la grotte dont on vient de parler, ne brûlent point dans le feu: il reste une espece de rouille après qu'elles sont consumées. On trouve de semblables concrétions sur tous les rochers qui sont autour de cette grotte: mais il y en a qui sont de sel marin sublimé, aussi doux au toucher que la fleur de la farine. On voit des trous dans lesquels l'alun paroît pur & comme friable; si on le touche on le trouve d'une chaleur excessive. Ces concrétions fermentent à froid avec l'huile de tartre.

A quelques pas de distance de cette grotte, M. de Tournefort en trouva une autre dont le fond étoit rempli de soufre enflammé qui empêchoit d'y entrer. La terre des environs fumoit continuellement, & jettoit souvent des flammes. On voyoit dans quelques endroits du soufre pur & comme sublimé qui s'enflammoit à tout instant: dans d'autres endroits, il distilloit goutte à goutte une solution d'alun d'une stypticité presque corrosive. Si on la mêloit avec l'huile de tartre, elle fermentoit vivement.

On seroit porté à croire que cette liqueur seroit l'alun liquide dont Pline a parlé, & qu'il dit être dans l'isle de Melos. Mais on peut voir dans Dioscoride que cette espece d'alun n'étoit pas liquide; & que, comme nous l'avons déja dit, les descriptions que les Anciens nous ont laissées de l'alun liquide, prouvent qu'il n'étoit point en liqueur.

On suit différens procédés pour faire l'alun factice; & suivant les différentes matieres dont on se sert, on a ou l'alun rouge, ou le romain, ou le citronné, auxquels il faut ajoûter l'alun de plume, dont nous avons déjà fait mention, l'alun sucré, & l'alun brûlé.

Les mines d'alun les plus ordinaires sont 1°. les rocs un peu résineux: 2°. le charbon de terre: 3°. toutes les terres combustibles, brunes & feuilletées comme l'ardoise. La mine de charbon de terre de Laval au Maine, a donné de l'alun en assez grande quantité, dans les essais qu'en a fait M. Hellot de l'Académie Royale des Sciences de Paris, & de la Société Royale de Londres. 4°. Plusieurs autres terres tirant sur le gris - brun. Il y en a une veine courante sur terre dans la viguerie de Prades en Roussillon, qui a depuis une toise jusqu'à quatre de largeur dans une longueur de près de 4 lieues, & qui est abondante. En général, lorsque le minéral qui contient l'alun a été mis en tas & long - tems exposé à l'air, on voit fleurir l'a - [p. 309] lun à la surface du tas. Pour essayer ces matieres on en fait une lessive, comme on fait celle des pyrites calcinées par le vitriol. Cependant on ne calcine pas les mines d'alun qui ne sont pas sulphureuses. On réduit la lessive par ébullition dans la petite chaudiere de plomb, & on pese l'alun qui s'y trouve, après l'avoir fait secher. Voyez de la fonte des mines, des fonderies, &c. traduit de l'Allemand de Shlutter, publié par M. Hellot, tom. I. pag. 260.

L'Angleterre, l'Italie, la Flandre & la France, sont les principaux endroits où l'on fait l'alun. Les mines où se trouve l'alun de Rome sont aux environs de Civita - Vecchia; on les appelle l'aluminiere della Tolfa. On y trouve une sorte de pierre fort dure qui contient l'alun. Pour en séparer ce sel, on commence par tirer la pierre de la mine, de même que nous tirons ici la pierre à bâtir, ou le marbre de nos carrieres. Après avoir brisé ces pierres, on les jette dans un fourneau semblable à nos fourneaux à chaux, & on les y fait calciner pendant douze à quatorze heures au plus. On retire du fourneau les pierres calcinées, & on en fait plusieurs tas dans une grande place. Les monceaux ne sont point élevés; on les sépare les uns des autres par un fossé rempli d'eau. Cette eau sert à arroser les monceaux trois ou quatre fois par jour pendant l'espace de quarante jours, jusqu'à ce que la pierre calcinée semble fermenter & se couvre d'une efflorescence de couleur rouge. Alors on met cette chaux dans des chaudieres pleines d'eau que l'on fait bouillir pendant quelque tems pour faire fondre le sel. Ensuite on transvase l'eau imprégnée de sel, & on la fait bouillir pour la réduire jusqu'à un certain degré d'épaississement, & sur le champ on la fait couler toute chaude dans des vaisseaux de bois de chêne. L'alun se crystallise en huit jours dans ces vaisseaux; il se forme contre leurs parois une croûte de quatre à cinq doigts d'épaisseur, composée de crystaux transparens, & d'un rouge pâle, c'est ce qu'on appelle alun de roche, ou parce qu'il est tiré d'une espece de roche, ou parce qu'il est presque aussi dur que la roche.

Il y a en Italie une autre mine d'alun à une demi-lieue de Pouzzol du côté de Naples. C'est une montagne appellée le mont d'Alun, ou les soufri res, ou la solfatre; en Latin sulphureus mons, forum Vulcani, campi phlegroei, la demeure de Vulcain, les campagnes ardentes; parce qu'on voit dans cet endroit de la fumée pendant le jour, des flammes pendant la nuit. Ces exhalaisons sortent d'une fosse longue de quinze cens piés & large de mille. On en tire beaucoup de soufre & d'alun. L'alun paroît sur la terre en efflorescence. On ramasse tous les jours cette fleur avec des balais, & on la jette dans des fossés remplis d'eau, jusqu'à ce que l'eau soit suffisamment chargée de ce fel. Alors on la filtre, & ensuite on la verse dans des bassins de plomb qui sont enfoncés dans la terre. Après que la chaleur soûterraine, qui est considérable dans ce lieu, a fait évaporer une partie de l'eau, on filtre de nouveau le résidu, & on le verse dans des vaisseaux de bois. Sa liqueur s'y refroidit, & l'alun s'y crystallise. Les crystaux de ce sel sont blancs transparens.

On trouve aussi dans le solfatre des pierres dures qui contiennent de l'alun. On les travaille de la même façon que celles de l'aluminiere della Tolfa.

Les mines d'alun d'Angleterre qui se trouvent dans les Provinces d'York & de Lancastre, sont en pierres bleuâtres assez semblables à l'ardoise. Ces pierres contiennent beaucoup de soufre: c'est une espece de pyrite qui s'enflamme au feu, & qui fleurit à l'air: on pourroit tirer du vitriol de son efflorescence. On fait des monceaux de cette plerre, & on y met le feu pour faire évaporer le soufre qu'elle contient. Le feu s'éteint de lui - même après cette évaporation. Alors on met en digestion dans l'eau pendant vingt - quatre heures la pierre calcinée: ensuite on verse dans des chaudieres de plomb l'eau chargée d'alun. On fait bouillir cette eau avec une lessive d'algue marine, jusqu'à ce qu'elle soit réduite à un certain degré d'épaississement. Alors on y verse une assez grande quantité d'urine pour précipiter au fond du vaisseau le soufré, le itriol & les autres matieres étrangeres. Ensuite on transvase la liqueur dans des baquets de sapin. Peu à peu l'alun se crystallise & s'attache aux parois des vaisseaux. On l'en retire en crystaux blancs & transparens, que l'on fait fondre sur le feu dans des chaudieres de fer. Lorsque l'alun est en susion, on le verse dans des tonneaux; il s'y refioidit, & on a des masses d'alun de la même forme que les tonneaux qui ont servi de moules. On a aussi appellé cet alun, alun de roche, peut - être parce qu'il est en grandes masses, ou parce qu'il est tiré d'une pierre comme l'alun de l'aluminiere della Tolfa. Dans ces mines d'alun d'Angleterre, on voit couler sur les pierres alumineuses une eau claire d'un goût styptique. On tire de l'alun de cette eau en la faisant évaporer.

On trouve en Suede une sorte de pierre dont on peut tirer de l'alun, du vitriol & du soufre. C'est une belle pyrite fort pesante & fort dure, d'une couleur d'or, brillante; avec des taches de couleur d'argent. On fait chauffer cette pierre, & on l'arrose avec de l'eau froide pour la faire fendre & éclater. Ensuite on la casse aisément; on met les morceaux de cette pierre dans des vaisseaux convenables sur un fourneau de réverbere; le soufre que contient la pierre se fond, & coule dans des récipiens pleins d'eau. Lorsqu'il ne tombe plus rien, on retire la matiere qui reste dans les vaisseaux, & on l'expose à l'air pendant deux ans. Cette matiere s'échauffe beaucoup, jette de la fumée & même une petite flamme que l'on apperçoit à peine pendant le jour; enfin elle se réduit en cendres bleuâtres dont on peut tirer du vitriol par les lotions, les évaporations & les crystallisations. Lorsque le vitriol est crystallisé; il reste une eau crasse & épaisse que l'on fait bouillir avec une huitieme partie d'urine & de lessive de cendres de bois; il se précipite au fond du vaisseau beaucoup de sédiment rouge & grossier. On filtre la liqueur, & on la fait évaporer jusqu'à un certain degré d'épaississement; ensuite il s'y forme des crystaux d'alun bien transparens, que l'on appelle alun de Suede.

A Cypsele en Thrace, on prépare l'alun, en faisant calciner lentement les marcassites, & les laissant ensuite dissoudre à l'air par la rosée & la pluie; après quoi on fait bouillir dans l'eau, & on laiste crystalliser le sel. Bellon. M. Rays. trav. tom. 2. p. 351.

Nous n'avons point été à portée de mettre en planches tous ces travaux, & quand nous l'aurions pû, nous n'eussions pas été assez tentés de nous écarter de notre plan pour l'entreprendre. Nous nous contenterons de donner ici la maniere de faire l'alun qu'on suit à Dange, à trois lieues de Liége, & deux lieues d'Hui, l'appliquant à des planches que nous avons dessinées sur des plans exécutés en relief par les ordres de M. le Comte d'Herouville, Lieutenant Général, qui a eu la bonté de nous les communiquer. Ces plans ont été pris sur les lieux. Mais avant que d'entrer dans la Manufacture de l'alun, le lecteur ne sera pas fâché sans doute de descendre dans la mine & de suivre les préparations que l'on donne à la matiere qu'on en tire sur le chemin de la mine à la manufacture; c'est ce que nous allons expliquer, & appliquer en même tems à des planches sur l'exactitude desquelles on peut compter.

Les montagnes des environs de la mine de Dange sont couvertes de bois de plusieurs sortes: mais on n'y trouve que des plantes ordinaires, des geniévres, des fougeres, & autres. Les terres rapportent des grains de plusieurs especes & donnent des vins.

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