ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"723"> manie & de Bourgogne; celle de Sixte III. aux Orientaux. Le grand saint Léon lui - même n'a point été à l'abri de ses téméraires entreprises; l'imposteur lui attribue faussement une lettre touchant les priviléges des chorévêques. Le P. Labbe avoit conjecturé la fausseté de cette piece, mais elle est démontrée dans la onzieme dissertation du P. Quesnel. Il suppose pareillement une lettre de Jean I. à l'archevêque Zacharie, une de Boniface II. à Eulalie d'Alexandrie, une de Jean III. adressée aux évêques de France & de Bourgogne, une de Grégoire le Grand, contenant un privilege du monastere de saint Médard; une du même, adressée à Félix évêque de Messine, & plusieurs autres qu'il attribue faussement à divers auteurs. Voyez le recueil qu'en a fait David Blondel dans son faux Isidore. En un mot l'imposteur n'a épargné personne.

L'artifice d'lsidore, tout grossier qu'il étoit, en imposa à toute l'église latine. Les noms qui se tròuvoient à la tête des pieces qui composoient ce recueil, étoient ceux des premiers souverains pontifes, dont plusieurs avoient souffert le martyre pour la cause de la religion. Ces noms ne pûrent que le rendre recommandable, & le faire recevoir avec la plus grande vénération. D'ailleurs l'objet principal de l'imposteur avoit été d'étendre l'autorité du S. siége & des évêques. Dans cette vûe il établit que les évêques ne peuvent être jugés définitivement que par le pape seul, & il répete souvent cette maxime. Toutefois on trouve dans l'histoire ecclésiastique bien des exemples du contraire; & pour nous arrêter à un des plus remarquables, Paul de Samosate évêque d'Antioche fut jugé & déposé par les évêques d'Orient & des provinces voisines, sans la participation du pape. Ils se contenterent de lui en donner avis après la chose faite, comme il se voit par leur lettre synodale, & le pape ne s'en plaignit point: Euseb. liv. VII. chapitre xxx. De plus, le faussaire représente comme ordinaires les appellations à Rome. Il paroît qu'il avoit fort à coeur cet article, par le soin qu'il prend de répandre dans tout son ouvrage, que non - seulement tout évêque, mais tout prêtre, & en général toute personne opprimée, peut en tout état de cause appeller directement au pape. Il fait parler sur ce sujet jusqu'à neuf souverains pontifes, Anaclet, Sixte I, Sixte II, Fabien, Corneille, Victor, Zephirin, Marcel, & Jules, Mais S. Cyprien qui vivoit du tems de S. Fabien & de S. Corneille, non - seulement s'est opposé aux appellations, mais encore a donné des raisons solides de n'y pas déferer, epist. ljx. Du tems de S. Augustin, elles n'étoient point encore en usage dans l'église d'Afrique, comme il paroît par la lettre du concile tenu en 426, adressée au pape Célestin; & si en vertu du concile de Sardique on en voit quelques exemples, ce n'est, jusqu'au neuvieme siecle, que de la part des évêques des grands siéges qui n'avoient point d'autre supérieur que le pape. Il pose encore comme un principe incontestable, qu'on ne peut tenir aucun concile, même provincial, sans la permission du pape. Nous avons démontré ailleurs qu'on étoit bien éloigné d'observer cette regle pendant les neuf premiers siecles, tant par rapport aux conciles oecuméniques, que nationaux & provinciaux; voyez l'article Concile.

Les fausses decrétales favorisant l'impunité des évêques, & plus encore les prétentions ambitieuses des souverains pontifes, il n'est pas étonnant que les uns & les autres les ayent adoptées avec empressement, & s'en soient servi dans les occasions qui se présenterent. C'est ainsi que Rotade évêque de Soissons, qui dans un concile provincial tenu à S. Crespin de Soissons en 861, avoit été privé de la communion épiscopale pour cause de desobéissance, appella au S. siege. Hincmar de Reims son métropolitain, non<cb-> obstant cet appel, le fit déposer dans un concile assemblé à S. Médard de Soissons, sous le prétexte que depuis il y avoit renoncé & s'étoit soûmis au jugement des évêques. Le pape Nicolas I. instruit de l'affaire, écrivit à Hincmar, & blâma sa conduite. Vous deviez, dit - il, honorer la mémoire de S. Pierre, & attendre notre jugement quand même Rotade n'eût point appellé. Et dans une autre lettre au même Hincmar sur la même affaire, il le menace de l'excommunier s'il ne rétablit pas Rotade. Ce pape fit plus encore; car Rotade étant venu à Rome, il le déclara absous dans un concile tenu la veille de Noel en 864, & le renvoya à son siége avec des lettres. Celle qu'il adresse à tous les évêques des Gaules est digne de remarque; c'est la lettre 47 de ce pontife: voici comme le pape y parle: « Ce que vous dites est absurde (nous nous servons ici de M. Fleuri), que Rotade, après avoir appellé au saint siége, ait changé de langage pour se soumettre de nouveau à votre jugement. Quand il l'auroit fait, vous deviez le redresser & lui apprendre qu'on n'appelle point d'un juge supérieur à un inférieur. Mais encore qu'il n'eût pas appellé au saint siége, vous n'a vez dû en aucune maniere déposer un évêque sans notre participation, au préjudice de tant de decrétales de nos prédécesseurs; car si c'est par leur jugement que les écrits des autres docteurs sont approuvés ou rejettés, combien plus doit - on respecter ce qu'ils ont écrit eux - mêmes pour décider sur la doctrine ou la discipline? Quelques uns de vous disent que ces decrétales ne sont point dans le code des canons; cependant quand ils les trouvent favorables à leurs intentions, ils s'en servent sans distinction, & ne les rejettent que pour diminuer la puissance du saint siége. Que s'il faut rejetter les decrétales des anciens papes, parce qu'elles ne sont pas dans le code des canons, il faut donc rejetter les écrits de S. Grégoire & des autres peres, & même les saintes Ecritures ». Là - dessus M. Fleuri fait cette observation, que quoiqu'il soit vrai que de n'être pas dans le corps des canons ne fut pas une raison suffisante pour les rejetter, il falloit du moins examiner si elles étoient véritablement des papes dont elles portoient les noms; mais c'est ce que l'ignorance de la critique ne permettoit pas alors. Le pape ensuite continue & prouve par l'autorité de S. Léon & de S. Gélase, que l'on doit recevoir généralement toutes les decrétales des papes. Il ajoute: « Vous dites que les jugemens des évêques ne sont pas des causes majeures; nous soûtenons qu'elles sont d'autant plus grandes, que les évêques tiennent un plus grand rang dans l'Eglise. Direz - vous qu'il n'y a que les affaires des métropolitains qui soient des causes majeures? Mais ils ne sont pas d'un autre ordre que les évêques, & nous n'exigeons pas des témoins ou des juges d'autre qualité pour les uns & pour les autres; c'est pourquoi nous voulons que les causes des uns & des autres nous soient reservées ». Et ensuite: « Se trouvera - t - il quelqu'un assez déraisonnable pour dire que l'on doive conserver à toutes les églises leurs priviléges, & que la seule église romaine doit perdre les siens »? Il conclud en leur ordonnant de recevoir Rota de & de le rétablir. Nous voyons dans cette lettre de Nicolas I. l'usage qu'il fait des fausses decrétales; il en prend tout l'esprit & en adopre toutes les maximes. Son successeur Adrien II. ne paroît pas moins zélé dans l'affaire d'Hincmar de Laon. Ce prélat s'étoit rendu odieux au clergé & au peuple de son diocèse par ses injustices & ses violences. Ayant été accusé au concile de Verberie, en 869, où présidoit Hincmar de Reims son oncle & son métropolitain, il appella au pape, & demanda la permission d'aller à Rome, qui lui fut refusée. On suspendit seulement la procédure, & on ne passa pas outre. Mais [p. 724] sur de nouveaux sujets de plaintes que le roi Charles le Chauve & Hincmar de Reims eurent contre lui, on le cita d'abord au concile d'Attigni où il comparut, mais bien - tôt après il prit la fuite; ensuite au concile de Douzi, où il renouvella son appel. Après avoir employé divers subterfuges pour éviter de répondre aux accusations qu'on lui intentoit, il y fut déposé. Le concile écrivit au pape Adrien une lettre synodale, en lui envoyant les actes dont il demande la confirmation, ou que du moins si le pape veut que la cause soit jugée de nouveau, elle soit renvoyée sur les lieux, & qu'Hincmar de Laon demeure cependant excommunié: la lettre est du 6 Septembre 871. Le pape Adrien loin d'acquiescer au jugement du concile, desaprouva dans les termes les plus forts la condamnation d'Hincmar de Laon, comme il paroît par ses lettres, l'une adressée aux évêques du concile, & l'autre au roi, tom. VIII. des conciles, pag. 932. & suiv. Il dit aux évêques, que puisqu'<-> Hincmar de Laon crioit dans le concile qu'il vouloit se défendre devant le saint siége, il ne falloit pas prononcer de condamnation contre lui. Dans sa lettre au roi Charles, il repete mot pour mot la même chose touchant Hincmar de Laon, & veut que le roi l'envoye à Rome avec escorte. Nous croyons ne pouvoir nous dispenser de rapporter la réponse vigoureuse que fit le roi Charles. Elle montre que ce prince justement jaloux des droits de sa couronne, étoit dans la ferme résolution de les soûtenir. Nous nous servirons encore ici de M. Fleuri. « Vos lettres portent, dit le roi au pape, nous voulons & nous ordonnons par l'autorité apostolique, qu'Hincmar de Laon vienne à Rome, & devant nous, appuyé de votre puissance. Nous admirons où l'auteur de cette lettre a trouvé qu'un roi obligé à corriger les méchans, & à venger les crimes, doive envoyer à Rome un coupable condamné selon les regles, vû principalement qu'avant sa déposition il a été convaincu dans trois conciles d'entreprises contre le repos public, & qu'après sa déposition il persevere dans sa desobéissance. Nous sommes obligés de vous écrire encore, que nous autres rois de France, nés de race royale, n'avons point passé jusqu'à présent pour les lieutenans des évêques, mais pour les seigneurs de la terre. Et, comme dit S. Léon & le concile romain, les rois & les empereurs que Dieu a établis pour commander sur la terre, ont permis aux évêques de regler les affaires suivant leurs ordonnances: mais ils n'ont pas été les oeconomes des évêques; & si vous feuilletez les registres de vos prédécesseurs, vous ne trouverez point qu'ils ayent écrit aux nôtres comme vous venez de nous écrire ». Il rapporte ensuite deux lettres de S. Grégoire, pour montrer avec quelle modestie il écrivoit non - seulement aux rois de France, mais aux exarques d'Italie. Il cite le passage du pape Gélase dans son traité de l'anatheme, sur la distinction des deux puissances spirituelle & temporelle, où ce pape établit que Dieu en a séparé les fonctions. « Ne nous faites donc plus écrire, ajoûte - t - il, des commandemens & des menaces d'excommunication contraires à l'Ecriture & aux canons; car, comme dit S. Leon, le privilége de S. Pierre subsiste quand on juge selon l'équité: d'où il s'ensuit que quand on ne suit pas cette équité, le privilége ne subsiste plus. Quant à l'accusateur que vous ordonnez qui vienne avec Hincmar, quoique ce soit contre toutes les regles, je vous déclare que si l'empereur mon neveu m'assûre la liberté des chemins, & que j'aye la paix dans mon royaume contre les payens, j'irai moi - même à Rome me porter pour accusateur, & avec tant de témoins irréprochables, qu'il paroîtra que j'ai eu raison de l'accuser. Enfin, je vous prie de ne me plus envoyer à moi ni aux évêques de mon royaume de telles lettres, afin que nous puissions toûjours leur rendre l'honneur & le respect qui leur convient ». Les évêques du concile de Douzi répondirent au pape à - peu - près sur le même ton; & quoique la lettre ne nous soit pas restée en entier, il paroît qu'ils vouloient prouver que l'appel d'Hincmar ne devoit pas être jugé à Rome, mais en France par des juges délegués, conformément aux canons du concile de Sardique.

Ces deux exemples suffisent pour faire sentir combien les papes dès - lors étendoient leur jurisdiction à la faveur des fausses decrétales: on s'apperçoit néanmoins qu'ils éprouvoient de la résistance de la part des évêques de France. Ils n'osoient pas attaquer l'authenticité de ces decrétales, mais ils trouvoient l'application qu'on en faisoit odieuse & contraire aux anciens canons. Hincmar de Reims sur - tout faisoit valoir, que n'étant point rapportées dans le code des canons, elles ne pouvoient renverser la discipline établie par tant de canons & de decrets des souverains pontifes, qui étoient & postérieurs & contenus dans le code des canons. Il soutenoit que lorsqu'elles ne s'accordoient pas avec ces canons & ces decrets, on devoit les regarder comme abrogées en ces points - là. Cette façon de penser lui attira des persécutions. Flodoard, dans son histoire des évêques de l'église de Reims, nous apprend, livre III. chap. xxj. qu'on l'accusa auprès du pape Jean VIII. de ne pas recevoir les decrétales des papes; ce qui l'obligea d'écrire une apologie que nous n'avons plus, où il déclaroit qu'il recevoit celles qui étoient approuvées par les conciles. Il sentoit donc bien que les fausses decrétales renfermoient des maximes inoüies; mais tout grand canoniste qu'il étoit, il ne put jamais en démêler la fausseté. Il ne savoit pas assez de critique pour y voir les preuves de supposition, toutes sensibles qu'elles sont, & lui - même allegue ces decrétales dans ses lettres & ses autres opuscules. Son exemple fut suivi de plusieurs prélats. On admit d'abord celles qui n'étoient point contraires aux canons plus récens; ensuite on se rendit encore moins scrupuleux: les conciles eux - mêmes en firent usage. C'est ainsi que dans celui de Reims tenu l'an 992, les évêques se servirent des fausses decrétales d'Anaclet, de Jules, de Damase, & des autres papes, dans la cause d'Arnoul, comme si elles avoient fait partie du corps des canons. Voyez M. de Marca, lib. II. de concordiâ sacerdot. & imp. cap. vj. §. 2. Les conciles qui furent célebrés dans la suite imiterent celui de Reims. Les papes du onzieme siècle, dont plusieurs furent vertueux & zélés pour le rétablissement de la discipline ecclésiastique, un Grégoire VII, un Urbain II, un Pascal II, un Urbain III, un Alexandre III, trouvant l'autorité de ces fausses decrétales tellement établie que personne ne pensoit plus à la contester, se crûrent obligés en conscience à soûtenir les maximes qu'ils y lifoient, persuadés que c'étoit la discipline des beaux jours de l'Eglise. Ils ne s'apperçurent point de la contrariété & de l'opposition qui regnent entre cette discipline & l'ancienne. Enfin, les compilateurs des canons, tels que Bouchard de Wormes, Yves de Chartres, & Gratien, en remplirent leur collection. Lorsqu'une fois on eut commencé à enseigner le decret publiquement dans les écoles & à le commenter, tous les théologiens polemiques & scholastiques, & tous les interpretes du droit canon, employerent à l'envi l'un de l'autre ces fausses decrétales pour confirmer les dogmes catholiques, ou établir la discipline, & en parsemerent leurs ouvrages. Ainsi pendant l'espace de 800 ans la collection d'Isidore eut la plus grande faveur. Ce ne fut que dans le seizieme siècle que l'on conçut les premiers soupçons sur son au<pb->

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