ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS
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manie & de Bourgogne; celle de Sixte III. aux Orientaux. Le grand saint Léon lui - même n'a point été à
l'abri de ses téméraires entreprises; l'imposteur lui
attribue faussement une lettre touchant les priviléges
des chorévêques. Le P. Labbe avoit conjecturé
la fausseté de cette piece, mais elle est démontrée
dans la onzieme dissertation du P. Quesnel. Il suppose
pareillement une lettre de Jean I. à l'archevêque
Zacharie, une de Boniface II. à Eulalie d'Alexandrie, une de Jean III. adressée aux évêques de France
& de Bourgogne, une de Grégoire le Grand, contenant
un privilege du monastere de saint Médard;
une du même, adressée à Félix évêque de Messine, &
plusieurs autres qu'il attribue faussement à divers
auteurs. Voyez le recueil qu'en a fait David Blondel
dans son faux Isidore. En un mot l'imposteur n'a
épargné personne.
L'artifice d'lsidore, tout grossier qu'il étoit, en
imposa à toute l'église latine. Les noms qui se tròuvoient
à la tête des pieces qui composoient ce recueil,
étoient ceux des premiers souverains pontifes,
dont plusieurs avoient souffert le martyre pour la cause
de la religion. Ces noms ne pûrent que le rendre recommandable,
& le faire recevoir avec la plus grande
vénération. D'ailleurs l'objet principal de l'imposteur
avoit été d'étendre l'autorité du S. siége & des
évêques. Dans cette vûe il établit que les évêques
ne peuvent être jugés définitivement que par le pape
seul, & il répete souvent cette maxime. Toutefois
on trouve dans l'histoire ecclésiastique bien des exemples
du contraire; & pour nous arrêter à un des plus
remarquables, Paul de Samosate évêque d'Antioche
fut jugé & déposé par les évêques d'Orient & des
provinces voisines, sans la participation du pape. Ils
se contenterent de lui en donner avis après la chose
faite, comme il se voit par leur lettre synodale, &
le pape ne s'en plaignit point: Euseb. liv. VII. chapitre
xxx. De plus, le faussaire représente comme
ordinaires les appellations à Rome. Il paroît qu'il
avoit fort à coeur cet article, par le soin qu'il prend
de répandre dans tout son ouvrage, que non - seulement tout évêque, mais tout prêtre, & en général
toute personne opprimée, peut en tout état de cause
appeller directement au pape. Il fait parler sur ce
sujet jusqu'à neuf souverains pontifes, Anaclet, Sixte I, Sixte II, Fabien, Corneille, Victor, Zephirin,
Marcel, & Jules, Mais S. Cyprien qui vivoit du tems
de S. Fabien & de S. Corneille, non - seulement s'est
opposé aux appellations, mais encore a donné des
raisons solides de n'y pas déferer, epist. ljx. Du tems
de S. Augustin, elles n'étoient point encore en usage
dans l'église d'Afrique, comme il paroît par la lettre
du concile tenu en 426, adressée au pape Célestin;
& si en vertu du concile de Sardique on en voit quelques
exemples, ce n'est, jusqu'au neuvieme siecle,
que de la part des évêques des grands siéges qui n'avoient
point d'autre supérieur que le pape. Il pose
encore comme un principe incontestable, qu'on ne
peut tenir aucun concile, même provincial, sans la
permission du pape. Nous avons démontré ailleurs
qu'on étoit bien éloigné d'observer cette regle pendant
les neuf premiers siecles, tant par rapport aux
conciles oecuméniques, que nationaux & provinciaux;
voyez l'article Concile.
Les fausses decrétales favorisant l'impunité des évêques, & plus encore les prétentions ambitieuses des
souverains pontifes, il n'est pas étonnant que les uns
& les autres les ayent adoptées avec empressement,
& s'en soient servi dans les occasions qui se présenterent.
C'est ainsi que Rotade évêque de Soissons,
qui dans un concile provincial tenu à S. Crespin de
Soissons en 861, avoit été privé de la communion
épiscopale pour cause de desobéissance, appella au
S. siege. Hincmar de Reims son métropolitain, non<cb->
obstant cet appel, le fit déposer dans un concile assemblé
à S. Médard de Soissons, sous le prétexte que
depuis il y avoit renoncé & s'étoit soûmis au jugement
des évêques. Le pape Nicolas I. instruit de l'affaire,
écrivit à Hincmar, & blâma sa conduite. Vous
deviez, dit - il, honorer la mémoire de S. Pierre, &
attendre notre jugement quand même Rotade n'eût
point appellé. Et dans une autre lettre au même
Hincmar sur la même affaire, il le menace de l'excommunier
s'il ne rétablit pas Rotade. Ce pape fit
plus encore; car Rotade étant venu à Rome, il le
déclara absous dans un concile tenu la veille de Noel
en 864, & le renvoya à son siége avec des lettres.
Celle qu'il adresse à tous les évêques des Gaules est
digne de remarque; c'est la lettre 47 de ce pontife:
voici comme le pape y parle:
« Ce que vous dites
est absurde (nous nous servons ici de M. Fleuri),
que Rotade, après avoir appellé au saint siége, ait
changé de langage pour se soumettre de nouveau à
votre jugement. Quand il l'auroit fait, vous deviez
le redresser & lui apprendre qu'on n'appelle point
d'un juge supérieur à un inférieur. Mais encore qu'il
n'eût pas appellé au saint siége, vous n'a vez dû en
aucune maniere déposer un évêque sans notre participation,
au préjudice de tant de decrétales de nos
prédécesseurs; car si c'est par leur jugement que les
écrits des autres docteurs sont approuvés ou rejettés,
combien plus doit - on respecter ce qu'ils
ont écrit eux - mêmes pour décider sur la doctrine
ou la discipline? Quelques uns de vous disent que
ces decrétales ne sont point dans le code des canons;
cependant quand ils les trouvent favorables à leurs
intentions, ils s'en servent sans distinction, & ne
les rejettent que pour diminuer la puissance du saint
siége. Que s'il faut rejetter les decrétales des anciens
papes, parce qu'elles ne sont pas dans le code des
canons, il faut donc rejetter les écrits de S. Grégoire & des autres peres, & même les saintes Ecritures ».
Là - dessus M. Fleuri fait cette observation,
que quoiqu'il soit vrai que de n'être pas dans
le corps des canons ne fut pas une raison suffisante
pour les rejetter, il falloit du moins examiner si elles
étoient véritablement des papes dont elles portoient
les noms; mais c'est ce que l'ignorance de la critique
ne permettoit pas alors. Le pape ensuite continue &
prouve par l'autorité de S. Léon & de S. Gélase, que
l'on doit recevoir généralement toutes les decrétales
des papes. Il ajoute:
« Vous dites que les jugemens
des évêques ne sont pas des causes majeures; nous
soûtenons qu'elles sont d'autant plus grandes, que
les évêques tiennent un plus grand rang dans l'Eglise. Direz - vous qu'il n'y a que les affaires des métropolitains
qui soient des causes majeures? Mais
ils ne sont pas d'un autre ordre que les évêques,
& nous n'exigeons pas des témoins ou des juges
d'autre qualité pour les uns & pour les autres; c'est
pourquoi nous voulons que les causes des uns &
des autres nous soient reservées ».
Et ensuite:
« Se
trouvera - t - il quelqu'un assez déraisonnable pour
dire que l'on doive conserver à toutes les églises
leurs priviléges, & que la seule église romaine doit
perdre les siens »?
Il conclud en leur ordonnant de
recevoir Rota de & de le rétablir. Nous voyons dans
cette lettre de Nicolas I. l'usage qu'il fait des fausses
decrétales; il en prend tout l'esprit & en adopre toutes
les maximes. Son successeur Adrien II. ne paroît
pas moins zélé dans l'affaire d'Hincmar de Laon. Ce
prélat s'étoit rendu odieux au clergé & au peuple de
son diocèse par ses injustices & ses violences. Ayant
été accusé au concile de Verberie, en 869, où présidoit
Hincmar de Reims son oncle & son métropolitain,
il appella au pape, & demanda la permission
d'aller à Rome, qui lui fut refusée. On suspendit seulement
la procédure, & on ne passa pas outre. Mais
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sur de nouveaux sujets de plaintes que le roi Charles le Chauve & Hincmar de Reims eurent contre
lui, on le cita d'abord au concile d'Attigni où il comparut,
mais bien - tôt après il prit la fuite; ensuite au
concile de Douzi, où il renouvella son appel. Après
avoir employé divers subterfuges pour éviter de répondre
aux accusations qu'on lui intentoit, il y fut
déposé. Le concile écrivit au pape Adrien une lettre
synodale, en lui envoyant les actes dont il demande
la confirmation, ou que du moins si le pape veut que
la cause soit jugée de nouveau, elle soit renvoyée
sur les lieux, & qu'Hincmar de Laon demeure cependant
excommunié: la lettre est du 6 Septembre
871. Le pape Adrien loin d'acquiescer au jugement
du concile, desaprouva dans les termes les plus forts
la condamnation d'Hincmar de Laon, comme il paroît
par ses lettres, l'une adressée aux évêques du
concile, & l'autre au roi, tom. VIII. des conciles,
pag. 932. & suiv. Il dit aux évêques, que puisqu'<->
Hincmar de Laon crioit dans le concile qu'il vouloit
se défendre devant le saint siége, il ne falloit pas
prononcer de condamnation contre lui. Dans sa lettre
au roi Charles, il repete mot pour mot la même
chose touchant Hincmar de Laon, & veut que le roi
l'envoye à Rome avec escorte. Nous croyons ne
pouvoir nous dispenser de rapporter la réponse vigoureuse
que fit le roi Charles. Elle montre que ce
prince justement jaloux des droits de sa couronne,
étoit dans la ferme résolution de les soûtenir. Nous
nous servirons encore ici de M. Fleuri.
« Vos lettres
portent, dit le roi au pape, nous voulons &
nous ordonnons par l'autorité apostolique, qu'Hincmar de Laon vienne à Rome, & devant nous, appuyé
de votre puissance. Nous admirons où l'auteur
de cette lettre a trouvé qu'un roi obligé à corriger
les méchans, & à venger les crimes, doive
envoyer à Rome un coupable condamné selon les
regles, vû principalement qu'avant sa déposition
il a été convaincu dans trois conciles d'entreprises
contre le repos public, & qu'après sa déposition
il persevere dans sa desobéissance. Nous sommes
obligés de vous écrire encore, que nous autres
rois de France, nés de race royale, n'avons point
passé jusqu'à présent pour les lieutenans des évêques, mais pour les seigneurs de la terre. Et, comme
dit S. Léon & le concile romain, les rois & les
empereurs que Dieu a établis pour commander sur
la terre, ont permis aux évêques de regler les affaires
suivant leurs ordonnances: mais ils n'ont
pas été les oeconomes des évêques; & si vous feuilletez
les registres de vos prédécesseurs, vous ne
trouverez point qu'ils ayent écrit aux nôtres comme
vous venez de nous écrire ».
Il rapporte ensuite
deux lettres de S. Grégoire, pour montrer avec
quelle modestie il écrivoit non - seulement aux rois
de France, mais aux exarques d'Italie. Il cite le passage
du pape Gélase dans son traité de l'anatheme,
sur la distinction des deux puissances spirituelle &
temporelle, où ce pape établit que Dieu en a séparé
les fonctions.
« Ne nous faites donc plus écrire,
ajoûte - t - il, des commandemens & des menaces
d'excommunication contraires à l'Ecriture & aux
canons; car, comme dit S. Leon, le privilége de
S. Pierre subsiste quand on juge selon l'équité: d'où
il s'ensuit que quand on ne suit pas cette équité, le
privilége ne subsiste plus. Quant à l'accusateur que
vous ordonnez qui vienne avec Hincmar, quoique
ce soit contre toutes les regles, je vous déclare
que si l'empereur mon neveu m'assûre la liberté
des chemins, & que j'aye la paix dans mon royaume
contre les payens, j'irai moi - même à Rome
me porter pour accusateur, & avec tant de témoins
irréprochables, qu'il paroîtra que j'ai eu
raison de l'accuser. Enfin, je vous prie de ne me
plus envoyer à moi ni aux évêques de mon royaume
de telles lettres, afin que nous puissions toûjours
leur rendre l'honneur & le respect qui leur
convient ».
Les évêques du concile de Douzi répondirent
au pape à - peu - près sur le même ton; &
quoique la lettre ne nous soit pas restée en entier, il
paroît qu'ils vouloient prouver que l'appel d'Hincmar ne devoit pas être jugé à Rome, mais en France par des juges délegués, conformément aux canons
du concile de Sardique.
Ces deux exemples suffisent pour faire sentir combien
les papes dès - lors étendoient leur jurisdiction à
la faveur des fausses decrétales: on s'apperçoit néanmoins
qu'ils éprouvoient de la résistance de la part
des évêques de France. Ils n'osoient pas attaquer
l'authenticité de ces decrétales, mais ils trouvoient
l'application qu'on en faisoit odieuse & contraire
aux anciens canons. Hincmar de Reims sur - tout faisoit
valoir, que n'étant point rapportées dans le code
des canons, elles ne pouvoient renverser la discipline
établie par tant de canons & de decrets des
souverains pontifes, qui étoient & postérieurs &
contenus dans le code des canons. Il soutenoit que
lorsqu'elles ne s'accordoient pas avec ces canons &
ces decrets, on devoit les regarder comme abrogées
en ces points - là. Cette façon de penser lui attira
des persécutions. Flodoard, dans son histoire
des évêques de l'église de Reims, nous apprend, livre III. chap. xxj. qu'on l'accusa auprès du pape
Jean VIII. de ne pas recevoir les decrétales des papes;
ce qui l'obligea d'écrire une apologie que nous
n'avons plus, où il déclaroit qu'il recevoit celles
qui étoient approuvées par les conciles. Il sentoit
donc bien que les fausses decrétales renfermoient des
maximes inoüies; mais tout grand canoniste qu'il
étoit, il ne put jamais en démêler la fausseté. Il ne
savoit pas assez de critique pour y voir les preuves
de supposition, toutes sensibles qu'elles sont, & lui - même
allegue ces decrétales dans ses lettres & ses
autres opuscules. Son exemple fut suivi de plusieurs
prélats. On admit d'abord celles qui n'étoient point
contraires aux canons plus récens; ensuite on se rendit
encore moins scrupuleux: les conciles eux - mêmes en firent usage. C'est ainsi que dans celui de
Reims tenu l'an 992, les évêques se servirent des
fausses decrétales d'Anaclet, de Jules, de Damase, &
des autres papes, dans la cause d'Arnoul, comme si
elles avoient fait partie du corps des canons. Voyez
M. de Marca, lib. II. de concordiâ sacerdot. & imp.
cap. vj. §. 2. Les conciles qui furent célebrés dans
la suite imiterent celui de Reims. Les papes du onzieme
siècle, dont plusieurs furent vertueux & zélés
pour le rétablissement de la discipline ecclésiastique,
un Grégoire VII, un Urbain II, un Pascal II, un
Urbain III, un Alexandre III, trouvant l'autorité de
ces fausses decrétales tellement établie que personne
ne pensoit plus à la contester, se crûrent obligés en
conscience à soûtenir les maximes qu'ils y lifoient,
persuadés que c'étoit la discipline des beaux jours
de l'Eglise. Ils ne s'apperçurent point de la contrariété
& de l'opposition qui regnent entre cette discipline
& l'ancienne. Enfin, les compilateurs des canons,
tels que Bouchard de Wormes, Yves de Chartres, & Gratien, en remplirent leur collection. Lorsqu'une fois on eut commencé à enseigner le decret
publiquement dans les écoles & à le commenter,
tous les théologiens polemiques & scholastiques, &
tous les interpretes du droit canon, employerent à
l'envi l'un de l'autre ces fausses decrétales pour confirmer
les dogmes catholiques, ou établir la discipline,
& en parsemerent leurs ouvrages. Ainsi pendant
l'espace de 800 ans la collection d'Isidore eut la plus
grande faveur. Ce ne fut que dans le seizieme siècle
que l'on conçut les premiers soupçons sur son au<pb->
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