ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"799"> surpasser de quinze coudées le sommet des plus hautes montagnes; suivant son calcul il n'auroit pas fallu moins que de huit océans. En supposant que la mer eût été entierement mise à sec, & que toutes les nuées de l'atmosphere se fussent dissoutes en pluie, il manqueroit encore la plus grande partie des eaux du déluge. Pour résoudre cette difficulté plusieurs excellens naturalistes, tels que Stenon, Burnet, Woodvard, Scheuchzer, &c. adoptent le système de Descartes sur la formation de la terre: ce philosophe prétend que la terre dans son origine étoit parfaitement ronde & égale, sans montagnes & sans vallées; il en établit la formation sur des principes de Méchanique, & suppose que dans son premier état c'étoit un tourbillon fluide & épais rempli de diverses matieres hétérogenes, qui après avoir pris consistance insensiblement & par degrés, ont formé suivant les lois de la pesanteur des couches ou lits concentriques, & composé ainsi à la longue le solide de la terre. Burnet pousse cette théorie plus loin; il prétend que la terre primitive n'étoit qu'une croûte orbiculaire qui recouvroit l'abysme, ou la mer qui s'étant fendue & brisée en morceaux dans le sein des eaux, noya tous ceux qui l'habitoient. Le même auteur ajoûte que par cette révolution le globe de la terre non - seulement fut ébranlé & s'ouvrit en mille endroits, mais que la violence de la secousse changea sa situation, ensorte que la terre qui auparavant étoit placée directement sous le zodiaque, lui est ensuite devenue oblique; d'où est née la différence des saisons, auxquelles la terre, selon lui & selon les idées de bien d'autres, n'étoit point sujette avant le déluge.

Mais comment accorder toutes les parties de ce système, & cette égalité prétendue de la surface de la terre, avec le texte de l'Ecriture que l'on vient de citer? il est expressément parlé des montagnes comme d'un point qui sert à déterminer la hauteur des eaux; & avec cet autre passage de la Genese, viij. 22. où Dieu promettant de ne plus envoyer de déluge & de rétablir toutes choses dans leur ancien état, dit que le tems des semences & la moisson, le froid & le chaud, l'été & l'hvver, le jour & la nuit, ne cesseront point de s'entre - suivre. « Circonstances qui ne se concilient point avec les idées de Burnet, & qui en nous apprenant que l'ancien monde étoit sujet aux mêmes vicissitudes que le nouveau, nous fait de plus connoître une des anecdotes du déluge à laquelle on a fait peu d'attention; c'est cette interruption du cours regle de la nature, & sur - tout du jour & de la nuit, qui indique qu'il y eut alors un grand dérangement dans le cours annuel du globe, dans sa rotation journaliere, & une grande altération dans la lumiere ou dans le soleil même. La mémoire de cette altération du soleil au tems du déluge s'étoit conservée aussi chez les Egyptiens & chez les Grecs. On peut voir dans l'histoire du ciel de M. Pluche, que le nom de Deucalion ne signifie autre chose qu'affoiblissement du soleil».

D'autres auteurs supposant dans l'abysme ou la mer une quantité d'eau suffisante, ne sont occupés que du moyen de l'en faire sortir; en conséquence quelques - uns ont recours à un changement du centre de la terre, qui entraînant l'eau après lui, l'a fait sortir de ses reservoirs, & a inondé successivement plusieurs parties de la terre.

Le savant Whiston, dans sa nouvelle théorie de la terre, donne une hypothèse extrèmement ingénieuse & tout - à - fait nouvelle: il juge par beaucoup de circonstances singulieres qu'une comete descendant sur le plan de l'écliptique vers son périhélie, passa directement au - dessus de la terre le premier jour du déluge. Les suites qui en résulterent furent premierement que cette comete, lorsqu'elle se trouva au - des<cb-> sous de la lune, occasionna une marée d'une étendue & d'une force prodigieuse dans toutes les petites mers, qui suivant son hypothèse faisoient partie de la terre avant le déluge (car il croit qu'il n'y avoit point alors de grand océan); que cette marée fut excitée jusque dans l'abysme qui étoit sous la premiere croûte de la terre; qu'elle grossit à mesure que la comete s'approcha de la terre, & que la plus grande hauteur de cette marée fut lorsque la comete se trouva le moins éloignée de la terre. Il prétend que la force de cette marée fit prendre à l'abysme une figure elliptique beaucoup plus large que la sphérique qu'elle avoit auparavant; que cette premiere croûte de la terre qui recouvroit l'abysme, forcée de se prêter à cette figure, ne le put à cause de la solidité & de l'ensemble de ses parties; d'où il prétend qu'elle fut nécessitée de se gonfler, & enfin de se briser par l'effort des marées & de l'attraction dont on vient de parler; qu'alors l'eau sortant des abysmes où elle se trouvoit renfermée, fut la grande cause du déluge: ce qui répond à ce que dit Moyse, que les sources du grand abysme furent rompues.

De plus, il fait voir que cette même comete s'approchant du soleil, se trouva si serrée dans son passage par le globe de la terre, qu'elle l'enveloppa pendant un tems considérable dans son atmosphere & dans sa queue, obligeant une quantité prodigieuse de vapeurs de s'étendre & de se condenser sur sa surface; que la chaleur du soleil en ayant raréfié ensuite une grande partie, elles s'éleverent dans l'atmosphere & retomberent en pluie violente; ce qu'il prétend être la même chose que ce que Moyse veut faire entendre par ces mots, les cataractes du ciel furent ouvertes, & sur - tout par la pluie de quarante jours: car quant à la pluie qui tomba ensuite, dont la durée forme avec la premiere un espace de cent cinquante jours, Whiston l'attribue à ce que la terre s'est trouvée une seconde fois enveloppée dans l'atmosphere de la comete, lorsque cette derniere est venue à s'éloigner du soleil. Enfin pour dissiper cet immense volume d'eau, il suppose qu'il s'éleva un grand vent qui en dessécha une partie, & força le reste de s'écouler dans les abysmes par les mêmes ouvertures qu'elles en étoient sorties, & qu'une boune partie resta dans le sein du grand océan qui venoit d'être formé, dans les autres petites mers, & dans les lacs dont la surface des continens est couverte & entrecoupée aujourd'hui.

Cette curieuse théorie ne fut d'abord proposée que comme une hypothèse, c'est - à - dire que l'auteur ne supposa cette comete que dans la vûe d'expliquer clairement & philosophiquement les phénomenes du déluge, sans vouloir assûrer qu'il ait effectivement paru dans ce tems une comete si près de la terre. Ces seuls motifs firent recevoir favorablement cette hypothèse. Mais l'auteur ayant depuis approfondi la matiere, il prétendit prouver qu'il y avoit eu en effet dans ce tems une comete qui avoit passé très près de la terre, & que c'étoit cette même comete qui avoit reparu en 1680; ensorte qu'il ne se contenta plus de la regarder comme une hypothèse, il donna un traité particulier intitulé la cause du déluge démontrée. Voyez Comete. « Si on doit faire quelque fond sur cette décision hardie, nous croyons que ce devroit moins être sur l'autorité de Whiston & de ses calculs, que sur l'effroi de tous les tems connus, & sur cette terreur universelle que l'apparition de ces astres extraordinaires a toûjours causée chez toutes les nations de la terre, sans que la diversité des climats, des moeurs, des religions, des usages & des coûtumes, y ayent mis quelqu'exception. On n'a point encore assez refléchi sur cette terreur & sur son origine, & l'on n'a point, comme on auroit dû faire, sondé sur cette matiere [p. 800] intéressante les anciennes traditions, & les allégories sous lesquelles l'Ecriture & le style figuré des premiers peuples rendoient les grands évenemens de la nature.

On peut juger par les seuls systèmes de Burnet & de Whiston, qui ont été adoptés en tout ou en partie par beaucoup d'autres physiciens après eux, combien cette question des causes physiques du déluge est embarrassante. On pourroit cependant soupçonner que ces savans se sont rendus à eux - mêmes ce problème plus difficile qu'il n'est peut - être én effet, en prenant avec trop d'étendue ce que dit la Genese des quinze coudées d'élevation dont les eaux du déluge surpasserent les plus hautes montagnes. Sur cette expression ils ont presque tous imaginé que la terre avoit dû par conséquent être environnée en entier d'un orbe d'eau qui s'étoit élevé à pareille hauteur au - dessus du niveau ordinaire des mers; volume énorme qui les a obligé tantôt de rompre notre globe en morceaux pour le faire écrouler sous les eaux, tantôt de le dissoudre & de le rendre fluide, & presque toûjours d'aller emprunter au reste de l'univers les eaux nécessaires pour remplir les vastes espaces qui s'étendent jusqu'au sommet de nos montagnes. Mais pour se conformer au texte de la Genese, est - il nécessaire de se jetter dans ces embarras, & de rendre si composés les actes qui se passerent alors dans la nature? La plûpart de ces auteurs ayant conçu qu'il y eut alors des marées excessives, ne pouvoient - ils pas s'en tenir à ce moyen simple & puissant, qui rend si vraissemblable la souplesse qu'on a lieu de soupçonner dans les continens de la terre? souplesse dont l'auteur d'une mappemonde nouvelle vient d'expliquer les phénomenes & les effets dans les grandes révolutions.

Si cette flexibilité des couches continues de la terre est une des principales causes conspirantes au mouvement périodique dont nos mers sont régulierement agitées dans leurs bassins, il est donc très - possible que le ressort de la voûte terrestre fortement agitée au tems du déluge, eût permis aux mers entieres de se porter sur les continens, & aux continens de se porter vers le centre de la terre en se submergeant sous les eaux avec une alternative de mouvement toute semblable à celui de nos marées journalieres; mais avec une telle action & une telle accélération, que tantôt l'hémisphere maritime étoit à sec quand l'hémisphere terrestre étoit submergée, & que tantôt celui - ci reprenoit son état naturel en repoussant les eaux dans leurs bassins ordinaires. La surface du globe est assez également divisée en continens & en mers, pour que les eaux de ces mers ayent seules suffi à couvrir une moitié du globe dans les tems où l'agitation du corps entier de la terre lui faisoit abandonner l'autre. Le physicien ne doit concevoir rien d'impossible dans une telle opération, & le théologien rien de contraire au texte de la Genese; il n'aura point fallu d'autres eaux que celles de notre globe, & aucun homme n'aura pû échapper à ces marées universelles.

La troisieme question sur le déluge roule sur ses effets, & les savans sont extrèmement partagés là - dessus: ils se sont tous accordés pendant longtems à regarder la dispersion des corps marins comme un des effets de ce grand évenement; mais la difficulté est d'expliquer cet effet d'une maniere conforme à la disposition & à la ation des bains, des couches & des contrées on les trouve; & c'est on quoi les Naturalistes ne s'accordent guere ».

Ceux qui suivent le systeme de Deseartes, comme Stenon, &c. prétendent que ces restes d'animaux de la terre & des eaux, ces branches d'arbres, ces feuil<cb-> les, &c. que l'on trouve dans les lits & couches des carrieres, sont une preuve de la fluidité de la terre dans son origine; mais alors ils sont obligés d'admettre une seconde formation des couches beaucoup postérieure à la premiere, n'y ayant lors de la premiere ni plantes ni animaux: c'est ce qui fait soûtenir à Stenon qu'il s'est fait dans différens tems de secondes formations, par des inondations, des tremblemens de terre, des volcans extraordinaires, &c. Burnet, Woodward, Scheuchzer, &c. aiment mieux attribuer au déluge une seconde formation générale sans cependant exclure les formations particulieres de Stenon. Mais la grande objection qui s'éleve contre le système de la fluidité, ce sont les montagnes; car si le globe de la terre eût été entierement liquide, comment de pareilles inégalités se seroient - elles formées?

« comment le mont Ararat auroit - il montré à Noé son pic & ses effroyables dégradations, telles dès ces premiers tems que M. Tournefort les a vûes au commencement de ce siecle, c'est - à - dire inspirant l'horreur & l'effroi »?

Scheuchzer est du sentiment de ceux qui prétendent qu'après le déluge Dieu, pour faire rentrer les eaux dans leurs réservoirs soûterrains, brisa & ôta de sa main toute - puissante un grand nombre de couches qui auparavant étoient placées hor sontalement, & les entassa sur la surface de la terre; raison, dit - il, pour laquelle toutes les couches qui se trouvent dans les montagnes, quoique concentriques, ne sont jamais horisontales.

Woodward regarde ces différentes couches comme les sédimens du déluge; & il tire un grand nombre de conséquences des poissons, des coquillages, & des autres débris qui expliquent assez clairement selon lui les effets du déluge. Premierement que les corps marins & les dépouilles des poissons d'eau douce ont été entraînés hors des mers & des fleuves par le déluge universel, & qu'ensuite les eaux venant à s'écouler les ont laissés sur la terre. 2°. Que pendant que l'inondation couvroit le globe de la terre, tous les solides, tels que les pierres, les métaux, les mineraux, ont été entierement dissous, à l'exception cependant des fossiles marins; que ces corpuscules se sont trouvés ensuite confondus avec les coquillages & les végétations marines & terrestres, & ont formé des masses communes. Troisiemement que toutes ces masses qui nageoient dans les eaux pêle - mêle, ont été ensuite précipitées au fond; & suivant les lois de la pesanteur, les plus lourdes ont occupé les premieres places, & ainsi des autres successivement: que ces matieres ayant de cette maniere pris consistance, ont formé les différentes couches de pierre, de terre, de charbon, &c. Quatriemement que ces couches étoient originairement toutes paralleles, égales & régulieres, & rendoient la surface de la terre parfaitement sphérique; que toutes les eaux étoient au - dessus, & formoient une sphere fluide qui enveloppoit tout le globe de la terre. Cinquiemement que quelque tems après par l'effort d'un agent renfermé dans le sein de la terre, ces couches furent brisées dans toutes les parties du globe, & changerent de situation; que dans certains endroits elles furent élevées, & que dans d'autres elles s'enfoncerent, & de - là les montagnes, les vallées, les grottes, &c. le lit de la mer, les îles, &c. en un mot tout le globe terrestre arrangé par cette rupture & ce déplacement de couches, selon la forme que nous lui voyons présentement. Sixiemement que par cette rupture des couches, l'enfoncement de quelques parties & l'élevation d'autres qui se firent vers la fin du déluge, la masse des eaux tomba dans les parties de la terre qui se trouverent les plus enfoncées & les plus basses, dans les lacs & autres cavités, dans le lit de l'océan, & remplit l'abysme par

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