ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS
Previous page
"797">
judaïques; mais d'un autre côté, un système qui
renverse toutes les antiquités & les chronologies
des peuples est - il resté sans replique? Non, sans
doute; il a trouvé un grand nombre d'opposans.
Quoique ce soit un des lieux communs des preuves
du déluge, il n'a été adopté d'aucun chronologiste,
& chacun d'eux n'en a pas moins assigné
des époques diverses & distinctes à chacun de ces
déluges, & il ne faut pas se hâter de les condamner.
Ce système, si favorable à l'universalité du
déluge par l'analogie frappante & singuliere des
détails des auteurs profanes avec ceux de l'auteur
sacré, est extrèmement défavorable d'ailleurs;
& loin d'en conclure que le déluge mosaïque a
été universel, & n'a laissé qu'une seule famille de
tout le genre humain, on pourroit au contraire
juger par les anecdotes particulieres & propres
aux contrées où ces traditions dispersées se sont
conservées, qu'il est évident qu'en toutes il est
resté quelques - uns des anciens témoins & des anciens
habitans, qui après en être échapés, ont
transmis à leur postérité ce qui étoit arrivé en leur
pays à telle & telle riviere, à telle & telle montagne,
& à telle ou telle mer; car Noé réclu &
enfermé dans une arche, errant au gré des vents
sur les sommets de l'Arménie, pouvoit - il être
instruit de ce qui se passoit alors aux quatre coins
du monde. Les Thessaliens, par exemple, disoient
qu'au tems du déluge, le fleuve Penée enflé considérablement
par les pluies, avoit franchi les bornes
de son lit & de sa vallée, avoit séparé le mont
Ossa du mont Olympe qui lui étoit auparavant uni
& continu, & que c'étoit par cette fracture que les
eaux s'étoient écoulées dans la mer. Hérodote qui,
bien des siecles après, alla vérifier la tradition sur
les lieux, jugea par l'aspect des côteaux & par la
position des escarpemens, que rien n'étoit plus
vraissemblable & mieux fondé.
On avoit de même conservé en Boeotie la mémoire
des effets du déluge sur cette contrée. Le
flcuve Colpias s'étoit prodigieusement accru; son
lit & sa vallée étant comblés, il avoit rompu les
sommets qui le contenoient à l'endroit du mont
Ptoüs, & ses eaux s'étoient écoulees par cette
nouvelle issue. Le curieux Wheler qui, dans son
voyage de la Grece eut occasion d'examiner le
terrein, vérifia la tradition historique sur les monumens
naturels qui en sont restés, & il convient
que le fait est certainement arrivé de la sorte.
Le dégorgement du Pont - Euxin dans l'Archipel
& dans la Méditerranée avoit aussi laissé chez les
Grecs & chez les peuples de l'Asie mineure une
infinité de circonstances propres aux seuls lieux
où il avoit causé des ravages; & le fameux M. de
Tournefort a de même reconnu tous les lieux &
les endroits où l'effort des eaux du Pont - Euxin débordé
s'étoit alternativement porté d'une rive à
l'autre, dans toute la longueur du détroit de Constantinople. Le détail qu'il en donne & la description
qu'il fait des prodigieux escarpemens que cette
subite & violente irruption y a produits autrefois,
en tranchant la masse & le solide de ce continent,
est un des morceaux des plus intéressans de son
voyage, & des plus instructifs pour les physiciens
& autres historiens de la nature. On ne rapportera
pas d'autres exemples que ceux - là (quoiqu'il y
en ait un plus grand nombre, soit en Europe, soit
en Asie, soit en Amérique même), de ces détails
propres & particuliers aux contrées où les traditions
d'un déluge sont restées, & qui, prouvant ce
semble d'une maniere évidente qu'en chacune de
ces contrées il y a eu des témoins qui y ont survêcu,
seroient par conséquent très - contraires au
texte formel de la Genese sur l'universalité du dé<cb->
luge. Mais tous ces déluges nationaux sont, dit - on
toûjours, de la même date que celui des Hébreux.
Quelque favorables que soient les observations
qui précedent, aux chronologistes qui n'ont point
voulu confondre tous les déluges nationaux avec
le nôtre, la preuve qui naît de l'analogie qu'ils ont
d'ailleurs avec lui est si forte, qu'elle doit nous engager
à les réunir; & elle est si convenable & si
conforme au texte qui parle de l'universalité, que
tout bon chrétien doit tenter de résoudre les objections
qui s'y opposent; ce qui n'est pas aussi
difficile que l'on pense peut - être, du moins relativement
aux observations particulieres aux peuples
& aux contrées. Les traditions qui nous parlent
des effets du déluge sur la Thessalie, la Boeotie, &
sur les contrées de la Thrace & de l'Asie mineure,
sont appuyées de monumens naturels si authentiques,
que l'on ne peut douter, après les observations
des voyageurs qui les ont examinés en historiens
& en physiciens, que les effets de ces déluges
n'ayent été tels que les traditions du pays le portent.
Or ces effets, c'est - à - dire ces furieuses & épouvantables dégradations qui se remarquent dans ces
contrées sur les montagnes & les continens qui
ont autrefois été tranchés par les débordemens
extraordinaires du Pénée, du Colpias, & du Pont - Euxin, sont - ils uniques sur la terre & propres seulement
à ces contrées? N'est - ce, par exemple, que
dans le détroit de Constantinople que se remarquent
ces côtes roides, escarpées & déchirées,
toûjours & constamment opposées à la chûte des
eaux des contrées supérieures & placées dans les
angles alternatifs & correspondans que forme ce
détroit? Et n'est - ce enfin que dans ce seul détroit
que l'on trouve ces angles alternatifs, & qui se
correspondent avec une si parfaite régularité? La
physique est instruite aujourd hui du contraire.
Cette admirable disposition des détroits, des vallées
& des montagnes, est propre à tous les lieux
de la terre sans aucune exception. C'est même un
problème des plus intéressans & des plus nouveaux
que les observateurs de ce siecle se soient proposés,
& dont ils cherchent encore la solution. Or
ne se présente - t - elle pas ici d'elle - même? Ces positions
& ces escarpemens régulierement distribués,
les uns à l'égard des autres, dans le cours
de toutes les vallées de la terre, sont semblables
en tout aux dispositions qui se voyent dans le détroit
de Constantinople & dans les vallées du Pénée & du Colpias. Elles ont donc la même origine;
elles sont donc les monumens du même fait, mais
ces monumens sont universels; il est donc constant
que le fait a été universel; c'est - à - dire, il est
donc vrai, ainsi que dit la Genese, que l'éruption
des sources & la chûte des pluies ayant été générales,
les torrens & les inondations qui en ont été
les suites, ont parcouru la surface entiere de la
terre, ce qu'il nous falloit prouver. A cette solution
se présentent deux objections: 1°. les physiciens
ne conviennent point encore que ces angles
alternatifs & tous ces escarpemens qui se voyent
dans nos vallées soient les effets du déluge; il les
regardent au contraire comme les monumens du
séjour des mers, & non comme ceux d'une inondation
passagere. 2°. Toute favorable que cette
solution paroisse, on sent encore néanmoins qu'il
faut toûjours qu'il soit resté des témoins en différentes
contrées de la terre, puisque les anecdotes
physiques qui font la base de notre solution ont
été conservées en plusieurs contrées particulieres.
Le déluge, à la vérité, aura été universel, mais on
ne pourra point dire de même que la destruction
de l'espece humaine ait été universelle. Nous répondrons
à la premiere objection au troisieme >
[p. 798]
ticle sur les effets du déluge, & nous tâcherons de
répondre ici à la seconde. Les terribles effets du
déluge ont été connus de Noé & de sa famille dans
les lieux de l'Asie où il a demeuré; ceci ne peut
se contester. Quoiqu'enfermé dans l'arche, Noé
dès le commencement des pluies voyoit autour de
lui tout ce qui se passoit; il vit les pluies tomber
du ciel, les goufres de la terre s'ouvrir & vomir
les eaux souterraines; il vit les rivieres s'enfler,
sortir de leur lit, remplir les vallées, tantôt se répandre
par - dessus les sommets collatéraux qui dirigeoient
leur cours, & tantôt rompre ces mêmes
sommets dans les endroits les plus foibles, & se
frayer de nouvelles routes au travers des continens
pour aller se précipiter dans les mers. Le
mont Ararat ne porte sans doute ce nom, qui signifie
en langue orientale malédiction du tremblement, que parce que la famille de Noé qui prit
terre aux environs de cette montagne d'Arménie,
y reconnut les affreux vestiges & les effroyables
dégradations que l'éruption des eaux, que la chûte
des torrens, & que les tremblemens de la terre,
maudite par le Seigneur, y avoient causé & laissé.
Or il en a pû être de même pour les autres lieux
de la terre, où des détails particuliers sur le déluge
se sont conservés. C'est de cette même famille de
Noé que nous les tenons; à mesure que les descendans
de ce patriarche se sont successivement
répandus sur tous les continens, ils y ont reconnu
par - tout les mêmes empreintes qu'avoient laissé le
déluge en Arménie, & ils ont dû juger par la nature
des dégradations, de la nature des causes destructives.
Telle est donc la source de ces détails
particuliers & propres aux contrées qui nous les
donnent; ce sont les monumens eux - mêmes qui
les ont transmis & qui les transmettront à jamais.
Mais, dira - t - on encore, les dates ne sont point les
mêmes. Et qu'importe, si c'est toûjours le même
fait? Les Hébreux, de qui nous tenons l'histoire
d'un déluge universel, sont - ils entr'eux plus d'accord
sur les époques? N'y a - t - il pas dans celles
qu'ils nous donnent, de prodigieuses différences,
& en convenons nous moins qu'il n'y a cependant
dans leurs differens systèmes qu'un seul & même
déluge? Croyons donc qu'il en est de même à l'égard
de l'histoire profane, qu'elle ne nous présente que
le même fait, malgré la difference des dates; &
quant aux circonstances particulieres, que ce sont
les seuls monumens qui les ont suggérées aux nouveaux
habitans de la terre, & non comme on le voudroit
conclure, la présence des differens témoins
qui y auront survêcu; ce qui seroit extrèmement
contraire à notre foi. Les chronologistes, à la vérité,
n'adopteront peut être jamais ce sentiment:
mais dès qu'ils conviennent du fait, c'est une raison
toute naturelle de s'en tenir pour l'époque au
parti des théologiens qui trouvent ici les physiciens
d'accoid avec eux. Au reste, s'il y a encore
dans cette solution quelque difficulté physique ou
historique, c'est aux siecles, aux tems & au progrès
de nos connoissances à nous les resoudre.
On a regardé encore comme une preuve physique
de l'universalité du déluge & des grands changemens
qu'il a operés sur toute la face du monde,
cette multitude étonnnate de corps marius qui se
trouvent répandus tant sur la surface de la terre
que dans l'intérieur même de tous les continens,
sans que l'éloignement des mers, l'étendue des régions,
la hauteur des montagnes, ou la profondeur
des fouilles, ayent encore pû faire connoître quelque
exception dans cette surprenante singularité.
Ce sont - là sans contredit des monumens encore
certains d'une révolution universelle, telle qu'elle
soit, & si on en excepte quelques naturalistes mo<cb->
dernes, tous les savans & tous les hommes mêmes
sont d'accord entr'eux pour les regarder comme
les médailles du déluge, & comme les reliques du
monde ancien qu'il a détruit.
Cette preuve est très - forte; aussi a - t - elle été
souvent employée. Cependant on lui a opposé l'antiquité
des pyramides d'Egypte; ces monumens
remontent presqu'à la naissance du monde: cependant
on découvre déja des coquilles décomposées
dans la formation des pierres dont on s'est servi
pour les construire. Or quelle suite énorme de siecles
cette formation ne suppose - t - elle pas? Et comment
expliquer ce phénomene, sans admettre l'éternité
du monde? Expliquera - t - on la présence des
corps marins dans les pierres des pyramides par
une cause, & la présence des mêmes corps dans
nos pierres, par une autre cause? cela seroit ridicule: mais d'un autre côté, dans les questions où
la foi est mêlée, quel besoin de tout expliquer?
D'ailleurs on doit noter ici que si la preuve que
nous avons tirée des escarpemens que l'on voit
régulierement disposés dans toutes les vallées du
monde, étoit reconnue pour bonne & solide, cette
seconde preuve, tirée des corps marins ensevelis
dans nos continens, ne pourroit cependant concourir
avec elle comme preuve du même fait. Car
si ce sont les eaux & les torrens du déluge qui, en
descendant du sommet & du milieu des continens
vers les mers, ont creusé en serpentant sur la
surface de la terre, tous ces profonds sillons
que les hommes ont appellés des vallées; & si
ce sont eux qui, en fouillant ainsi le solide de nos
continens & en les tranchant, ont produit les
escarpemens de nos côteaux, de nos côtes & de
nos montagnes dans tous les lieux dont la résistance
& l'exposition les ont obligés malgré eux à
changer de direction; ce ne peut être par conséquent
ces mêmes torrens qui y ayent apporté
les corps marins, puisque ces corps marins se trouvent
dans ce qui nous reste de la masse des anciens
terreins tranchés. Le tremblement de terre qui a
brisé le mont Ararat, & qui l'a rendu d'un aspect
hydeux & effroyable, n'est pas l'agent qui a pû
mettre des fossiles dans les débris entiers qui en
restent; ce n'est pas non plus l'acte qui a séparé
l'Europe de l'Asie au détroit du >ont - Euxin, qui a
mis dans les bancs dont l'extrémité & la coupe se découvrent
dans les escarpemens & les arrachemens
des terreins qui sont restés de part & d'autre, les
corps marins que contient l'intérieur du pays. Ceci, je crois, n'a pas besoin de plus longue explication
pour être jugé naturel & raisonnable, il
n'en résulte rien de défavorable au déluge, puisqu'une seule de ces deux preuves suffit pour montrer
physiquement les traces de son universalité. Il
s'ensuit seulement qu'un de ces deux monumens
de l'histoire de la terre appartient à quelqu'autre
fait fort différent du déluge, & qui n'a point de
rapport à l'époque que nous lui assignons ».
Il. Le déluge reconnu universel, les philosophes
ne savent où trouver l'eau qui l'a produit;
« tantôt
ils n'ont employé que les eaux du globe, & tantôt
des eaux auxiliaires qu'ils ont été chercher dans
la vaste étendue des cieux, dans l'athmosphere,
dans la queue d'une comete ».
Moyse en établit deux causes; les sources du
grand abysme furent lâchées, & les cataractes du ciel
furent ouvertes:
« ces expressions ne semblent nous
indiquer que l'éruption des eaux soûterraines &
la chûte des pluies; mais nos physiciens ont donné
bien plus de carriere à leur imagination ».
Burnet, dans son livre telluris theoria sacra, prouve
qu'il s'en faut de beaucoup que toutes les eaux
de l'océan eussent suffi pour submerger la terre, &
Next page
The Project for American and French Research on the Treasury of the
French Language (ARTFL) is a cooperative enterprise of Analyse et
Traitement Informatique de la Langue Française (ATILF) of the
Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), the Division
of the Humanities, the Division of the Social Sciences, and Electronic
Text Services (ETS) of the University of Chicago.
PhiloLogic Software, Copyright © 2001 The University of Chicago.