ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"713"> Buoncompagno, qui prit à son avénement le nom de Grégoire XIII. Il étoit de Boulogne, & y avoit professé le droit canonique. Étant ensuite parvenu au cardinalat, il fut un de ceux qu'on chargea de corriger le decret. Ce fut sous son pontificat qu'on mit la derniere main à cette grande entreprise. Dans le tems qu'on s'y appliquoit à Rome, Antoine Augustin travailloit de son côté en Espagne, & écrivoit sur ce sujet deux livres de dialogues. Il étoit à la fin de son ouvrage quand on lui apporta l'édition de Rome, ce qui lui fit composer des additions qu'il plaça à la suite de chaque dialogue, & on y retrouve les corrections fomaines. Ces deux livres de dialogues ont été réimprimés par les soins de M. Baluze, qui y a joint des notes, tant sur Antoine Augustin que sur Gratien. Elles servent sur - tout à indiquer les différentes leçons des plus anciens exemplaires de Gratien, soit imprimés, soit manuscrits.

Pour parvenir au but qu'on se proposoit à Rome, de purger le recueil de Gratien de toutes les fautes dont il étoit rempli, on fouilla dans la bibliotheque du Vatican, dans celle du monastere de S. Dominique, & dans plusieurs autres. On invita les sçavans de tous les pays à faire la même chose, & à envoyer à Rome leurs découvertes. Ces précautions ne furent point inutiles; on réussit en grande partie à remettre chaque chose dans le vrai rang qu'elle devoit occuper dans cette collection; c'est - à - dire qu'on distingua avec assez d'exactitude ce qui appartenoit aux conciles généraux, aux papes, aux conciles provinciaux & aux saints peres. L'avertissement au lecteur qui est à la tête du decret, annonce le plan qu'on a suivi dans la revision qu'on en a faite, soit pour restituer les véritables inscriptions des canons, soit pour corriger le texte même. A l'égard de la restitution des inscriptions, si l'erreur étoit évidente, & si quelques exemplaires de Gratien s'accordoient avec la véritable inscription & la citation faite par les autres compilateurs, on ne balançoit pas dans ce cas d'ôter la fausse inscription, & de substituer la vraie à sa place. Si le canon, quoique de l'auteur cité par Gratien, se trouvoit pareillement dans un autre auteur (car souvent les mêmes sentences se rencontrent dans plusieurs auteurs), alors on retenoit la citation de Gratien, & on se contentoit d'indiquer l'endroit où l'on trouvoit le même canon dans un autre auteur; & comme quelquefois il arrive qu'une partie du canon soit de l'auteur cité, & l'autre n'en soit pas, ou du moins que les paroles en soient fort changées, on a eu soin de prévenir le lecteur sur toutes ces choses; & de plus on a noté en marge les endroits où se trouvoit ce même canon dans les autres compilateurs, sur - tout dans ceux qui ont beaucoup servi à réformer Gratien.

Quant à la correction du texte, voici la méthode qu'on a observée. 1°. On n'a point changé les commencemens des canons; mais lorsqu'ils différoient de l'original, on a mis à la marge ou dans une note la vraie leçon. La précaution de retenir les commencemens des canons étoit nécessaire, parce que jusqu'au tems de M. Leconte, qui le premier a distingué les canons par chiffres, on les citoit par les premiers mots; ensorte que sans cette précaution on auroit eu peine à trouver dans les compilateurs plus anciens, les endroits de Gratien rapportés par M. Leconte. 2°. On a eu cet égard pour la glose, qu'on n'a point changé le texte, toutes les fois que le changement pouvoit empêcher de sentir ce que la glose avoit voulu dire; mais on a indiqué seulement la faute à la marge ou en note. Si le changement du texte ne produisoit pas cet inconvénient, on se déterminoit pour lors suivant l'intention que Gratien paroissoit avoir eue. S'il sembloit avoir voulu rapporter les propres termes des auteurs qu'il citoit, on les corrigeoit d'après l'original; quelquefois même, si cela étoit très - utile, on ajoûtoit quelques mots: mais si la leçon vulgaire paroissoit la meilleure, on la conservoit, & on mettoit en marge le texte original. Si l'intention de Gratien n'étoit pas de rapporter les mêmes paroles, mais seulement un sommaire qu'il eût fait lui - même, ou Yves de Chartres, ou quelqu'autre compilateur, alors on corrigeoit, ou on n'ajoûtoit presque rien, à moins qu'il ne parût très - utile de restituer la leçon de l'endroit d'où Gratien avoit tiré ce qu'il rapportoit. Enfin on a répeté très - souvent cette note, qu'on a rapporté les termes de l'original, afin que cela n'échappe point au lecteur, & qu'il puisse s'épargner la peine d'aller consulter les originaux. Tel est le plan auquel les correcteurs romains se sont conformés exactement, & dont on a la preuve dans le texte des notes, & dans les différences qui se rencontrent entre le decret corrigé & celui qui ne l'est pas.

On présume aisément que la correction du decret de Gratien fut agréable aux sçavans; mais ils trouverent qu'on avoit péché dans la forme en plusieurs points. Ils auroient sur - tout desiré qu'on n'eût pas altéré les anciennes & vulgaires leçons de Gratien, & qu'on se fût contenté d'indiquer les variantes, en laissant au lecteur la faculté de juger par lui - même laquelle de ces leçons étoit la plus vraie. Cette variété de leçons auroit quelquefois servi, soit à éclaircir l'obscurité d'un canon, soit à lever les doutes qu'il présente, soit à découvrir l'origine de la leçon employée par des auteurs plus anciens. On crut encore qu'il n'étoit pas convenable que les correcteurs romains eussent pris sur eux de changer l'inscription de Gratien, quoiqu'elle se trouvât quelquefois constamment la même dans tous les exemplaires, soit imprimés soit manuscrits. En effet, il est arrivé de - là qu'on a souvent fait dire à Gratien autre chose que ce qu'il avoit en vûe; le canon iij. de la distinction 54e. en fournit une preuve. Dans toutes les anciennes éditions il y a cette inscription, ex concilio Moguntiensi, si ce n'est que MM. de Monchy & Leconte au lieu de Moguntiensi mettent Guntinensi, & ils remarquent à la marge que ce canon est tiré du canon 8e. du premier concile de Carthage. Les correcteurs romains voyant que cette observation étoit juste, ont effacé l'inscription qui se trouve dans toutes les éditions, & ont substitué celle - ci, ex concilio Carthaginensi primo, ce qui ne devoit être mis qu'en marge, comme avoient fait MM. de Monchy & Leconte. A la vérité dans la note qui est au - dessous, ils font mention de l'ancienne inscription, & indiquent la source d'où la correction est tirée; mais ils n'ont pas toûjours eu pareille attention dans toutes les occasions: prenons pour exemple le canon 34. de la distinction 50. qui a cette inscription dans toutes les anciennes éditions, Rabanus archiepiscopus scribit ad Heribaldum. Les correcteurs romains ont ajoûté, lib. poenitentiali, cap. 1°. sans faire aucune mention que c'étoit une addition de leur part. Or cette inscription non - seulement n'est point celle de Gratien, mais elle est fausse en elle - même, tandis que l'inscription de Gratien étoit la vraie. Il n'y a aucun livre pénitenciel de Raban qui soit adressé à Héribalde; mais nous avons une lettre de lui à ce même Héribalde, où l'on trouve ce canon au chap. x. & non au premier. Voyez là - dessus M. Baluze, tant dans ses notes sur ce canon, que dans sa préface sur cette lettre de Raban. De même l'inscription du canon jv. de la distinction 68. suivant la correction romaine, est: de his ita scribit Leo primus ad episcopos Germanioe & Gallioe. Cette inscription est non - seulement contraire à celle de toutes les éditions de Gratien, elle est encore manifestement fausse. Il est certain par la teneur de la lettre, qu'on ne peut l'attribuer à S. Léon [p. 714] comme l'observe M. Baluze dans ses notes sur ce canon, & comme le prouve très - solidement le P. Quesnel dans sa onzieme dissertation, qui est jointe aux oeuvres de S. Léon, où il avertit qu'elle est selon les apparences de Léon III. & conséquemment que l'inscription de Gratien qui la donne simplement à Léon, sans marquer si c'est au premier ou au troisieme, peut être vraie. Ces exemples font voir qu'on se plaint avec raison de ce qu'on a ôté les inscriptions de Gratien pour en substituer d'autres; mais on se plaint encore plus amerement de ce qu'on n'a point laissé le texte même du canon, tel que Gratien l'avoit rapporté. C'est ainsi que dans le canon III. cause viij. quest. 1. après ces mots, judicio episcoporum, les correcteurs romains ont effacé, de leur aveu, celles - ci qui suivoient, & electione clericorum, qu'on trouvoit dans tous les exemplaires de Gratien, même manuscrits. Ils justifient cette licence en disant que ces paroles ne sont ni dans la source originale, ni dans les autres compilateurs. Mais n'eût - il pas été plus à - propos de conserver le texte en entier, & d'avertir seulement dans les notes que cette addition ne se trouvoit nulle part? Peut - être Gratien avoit - il vû quelqu'exemplaire du concile d'Antioche d'où est tiré ce canon III. qui contenoit cette addition. Quelquefois ils ont changé le texte, en avertissant en général qu'il y a quelque chose de changé, sans dire en quoi consiste ce changement, comme dans le can. VII. cause xxxjv. quest. 1. Enfin ils ont fait des additions sans faire mention d'aucune correction, comme au canon IV. de la distinction xxij. dans lequel, après ces paroles, de Constantinopolitanâ ecclesiâ quod dicunt, quis eam dubitet sedi apostolicoe esse subjectam, on lit celles - ci, quod & D. piissimus imperator, & frater noster Eusebius ejusdem civitatis episcopus, assiduè profitentur. Or cette phrase n'est ni dans les anciennes éditions de Gratien, ni dans les manuscrits, ni dans l'édition de MM. de Monchy & Leconte; d'où il est évident qu'elle a été ajoûtée par les correcteurs romains, quoiqu'ils ne l'insinuent en aucune maniere. Il s'ensuit de ces divers changemens d'inscriptions & de textes, que c'est moins l'ouvrage de Gratien que nous avons, que celui des correcteurs romains. Il s'ensuit encore que beaucoup d'autres passages cités d'après Gratien par d'autres auteurs, ne se trouvent plus aujourd'hui dans sa collection. En un mot, il est hors de doute que les fautes mêmes des auteurs ne servent souvent qu'à éclaircir la vérité, sur - tout celles d'un auteur qui pendant plusieurs siecles a été regardé dans les écoles, dans les tribunaux, & par tous les théologiens & canonistes, comme un recueil complet de droit ecclésiastique. Concluons donc que quoique le decret corrigé soit plus conforme en plusieurs endroits aux textes des conciles, des peres, & des autres auteurs où Gratien a puisé, cependant si on veut consulter la collection de Gratien, telle qu'elle a été donnée par lui, reçue & citée par les anciens théologiens & canonistes, il faut alors recourir aux éditions qui ont précedé celle de Rome.

Lorsque la revision du decret fut finie à Rome, Grégoire XIII. donna une bulle qui en fait l'éloge, & où il ordonne à tous les fideles de s'en tenir aux corrections qui ont été faites, sans y rien ajoûter, changer ou diminuer. Mais les éloges du souverain pontife n'empêchent pas qu'il ne soit resté dans le decret beaucoup de fautes qui ont échappé à la vigilance des correcteurs romains, & de pieces supposées qu'ils ont adoptées; & c'est ce dont Bellarmin lui - même convient, de script. eccl. in Gratian. En effet qui ne sait que le decret est parsemé de fausses decrétales fabriquées par Isidore, sans qu'il ait essuyé à cet égard la censure des correcteurs romains? Ils y renvoyent même souvent, comme à des sources pures; & bien loin de regarder ces decrétales comme supposées, ils ont omis de dessein prémédité les notes de M. Leconte, qui les rejettoit pour la plûpart. Que dirons-nous des canons que Gratien rapporte sous le nom du concile d'Elvire, & sur lesquels les correcteurs romains ne forment aucun doute, quoique le sçavant Ferdinand Mendoza, lib. 1. de confirm. conc. Eliberit. cap. vj. fasse voir évidemment qu'ils sont supposés, & que plusieurs d'entr'eux sont des canons de divers conciles confondus en un seul? Qui ignore que dans ces derniers siecles nous avons eu des éditions corrigées de plusieurs saints peres, où l'on rejette comme fausses beaucoup de choses que Gratien a rapportées sous le nom de ces peres, & que les correcteurs romains ont crû leur appartenir. Cela étant ainsi, on ne doit point, d'après la correction romaine, admettre comme pur & conforme aux sources originales, tout ce dont Gratien a fait usage, ni les changemens & les notes que les correcteurs ont faits. Il faut convenir en même tems que depuis cette correction, celle de M. Leconte n'est point inutile, 1°. parce qu'il a rejetté plusieurs canons dont tout le monde reconnoît aujourd'hui la fausseté, quoique les correcteurs romains les aient retenus: 2°. parce qu'il a mis en marge bien des choses d'après l'original pour suppléer aux fragmens de Gratien, lesquelles ont été omises par les correcteurs: 3°. parce que les mêmes correcteurs ont quelquefois suppléé d'après l'original aux canons rapportés par Gratien, sans faire aucune distinction du supplément & du texte de Gratien; ensorte qu'on ne peut savoir précisément ce que Gratien a dit. Mais lorsque M. Leconte supplée quelque chose d'après les sources ou d'ailleurs, soit pour éclaircir ou rendre le texte complet, il distingue le supplément du reste du texte, par un caracteré différent. La liberté néanmoins qu'il prend de suppléer, quoiqu'avec cette précaution, lui est reprochée par Antoine Augustin, parce que, dit - il, la chose est dangereuse, les libraires étant sujets à se tromper dans ces occasions, & à confondre ce qui est ajoûté avec ce qui est vraiment du texte. Nous avons vû en quoi consistent les diverses corrections du decret, il nous reste à examiner quelle est l'autorité de cette collection.

Il n'est pas douteux que le recueil de Gratien n'a reçu de son auteur aucune autorité publique, puisqu'il étoit un simple particulier, & que la législation est un des attributs de la souveraine puissance. On ne peut croire pareillement que le sceau de cette autorité publique ait été donné au decret, parce qu'on l'enseigne dans les écoles; autrement la pannormie auroit été dans ce cas, puisqu'avant Gratien on l'expliquoit dans plusieurs universités; & c'est néanmoins ce qui n'a été avancé par qui que ce soit. Plusieurs écrivains ont prétendu que le decret avoit été approuvé par Eugene III, sous le pontificat duquel Gratien vivoit: mais ils ne se fondent que sur le seul témoignage de Tritheme, qui en cela paroît très - suspect; puisque S. Antonin archevêque de Florence, dans sa somme historique; Platina, de vitis pontificum, & les autres auteurs qui sont entrés, sur l'histoire des papes, dans les plus grands détails, n'en font aucune mention. Aussi voyons - nous qu'Antoine Augustin dans sa préface sur les canons pénitenciaux, n'hésite point à dire que ce qui est rapporté par Gratien, n'a pas une plus grande autorité qu'il n'en avoit auparavant. C'est ce que confirme une dissertation de la faculté de Théologie deParis, écrite en 1227, & qu'on trouve à la fin du maître des sentences. Le but de cette dissertation est de prouver que ce que disent S. Thomas, le maître des sentences, & Gratien, ne doit pas toûjours être regardé comme vrai; qu'ils sont sujets à l'erreur; qu'il leur est arrivé d'y tomber, & on en cite des exemples.

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