ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"711"> à Citations du Droit canonique. La premiere qui se présente est que Gratien n'a point mis à ses distinctions ou causes, des rubriques, c'est - à - dire des titres qui annoncent le sujet de chacune, comme on avoit déjà fait dans les livres du droit civil, & comme les compilateurs des decrétales qui sont venus après lui, l'ont pratiqué; mais les interpretes y ont suppléé dans Gratien, & ont pris soin de placer à la tête de chaque distinction ou question des sommaires de ce qui est traité dans le courant de la section. En second lieu, on trouve souvent dans le decret, des canons avec cette inscription, palea: les canonistes ne s'accordent pas entre eux sur la signification de ce mot; quelques - uns pensent qu'il est métaphorique, & sert à désigner que les canons ainsi appellés méritent peu d'attention, & doivent être séparés du reste comme la paille doit l'être du bon grain; d'autres ont cru qu'il dérivoit du mot grec TA\ PALAIA, c'est - à - dire antiqua, comme si cette inscription indiquoit que ces canons renferment des points de discipline entierement abrogés par l'usage: plusieurs enfin le font descendre de l'adverbe grec W=A/LIN, en latin iterum, & veulent lui faire signifier que ces canons ne sont autre chose que des répétitions d'autres canons; mais ces différentes étymologies sont toutes sans aucun fondement, puisqu'en effet ces canons contiennent souvent des choses importantes qui ne se trouvent point être répétées ni contraires à l'usage moderne: ainsi nous préférons comme plus vraissemblable le sentiment de ceux qui croyent que le mot palea est le nom propre de celui qui a fait ces additions, qu'il étoit un des disciples de Gratien, qu'on l'éleva par la suite à la dignité de cardinal. Antoine Augustin, qui penche vers cette derniere opinion, lib. I. de emendatione Gratiani, dialog. II. in fine, nous dit que de son tems il y avoit à Crémone une famille qui portoit le nom de Palea. Il conjecture que Palea le disciple de Gratien & l'auteur des canons qui ont cette inscription, étoit de la même famille. Quoi qu'il en soit, les correcteurs romains dans leur avertissement nous apprennent qu'il y a très - peu de ces canons dans trois exemplaires manuscrits de Gratien, fort anciens, qui paroissent écrits peu de tems après lui; que das un manuscrit très - corrigé ils sont en marge sans aucune note particuliere, mais qu'on n'y trouve point tous ceux qui sont dans les exemplaires imprimés, & réciproquement qu'il y en a plusieurs dans celui - ci qui manquent dans les imprimés; que dans un autre manuscrit dont le caractere est très - antique, tous les canons ainsi dénommés sont à la tête du volume, & d'une écriture plus récente; que dans un autre exemplaire ils y sont tous, ou du moins la plûpart, les uns avec l'inscription palea, & les autres sans rien qui les distingue. Ils concluent de ces diverses observations, que ces additions ne sont point toutes du même tems; qu'elles ont d abord été mises en marge; que plusieurs sont peut - être de Gratien lui - même; qu'ensuite par l'inattention des Libraires, les unes auront été omises, les autres insérées dans le texte, tantôt en les joignant aux canons précédens, tantôt en les en séparant. Antoine Augustin dans l'endroit cité ci - dessus, va plus loin; il prétend qu'aucune de ces additions n'est de Gratien; qu'elles ont toutes été mises après coup; & que même pour la plus grande partie, elles n'etoient point insérées dans le decret du tems de Jean Semeca, surnommé le Teutonique, un des premiers interpretes de Gratien, attendu qu'on trouve peu de gloses parmi celles qu'il a écrites sur le decret qui ayent rapport à ces canons.

Mais ce qu'il importe le plus de remarquer dans cette collection, ce sont les imperfections dont elle est remplie; il suffira de les réduire ici à quelques chefs principaux, & d'en indiquer les causes. Pre<cb-> mierement Gratien a fait usage de la compilation d'Isidore & de plusieurs autres monumens supposés. Il nous a proposé comme la vraie discipline de l'Eglise, celle qui a pour base ces fausses decrétales & ces monumens apocryphes; & parce qu'elle ne s'accorde pas avec la discipline établie sur les écrits de S. Léon, de S. Grégoire & des autres peres pendant l'espace de plus de huit siecles, il les a souvent altérés lorsqu'il les a cités, en y ajoûtant, retranchant ou changeant quelque chose; ou bien il a employé des moyens de conciliation absolument incompatibles, tant avec ces écrits qu'avec la discipline dont ils nous donnent l'idée. Il s'est pareillement servi sans aucun examen de tout ce qui pouvoit contribuer à étendre la jurisdiction ecclésiastique, & à soustraire les clercs à la jurisdiction séculiere. C'est dans cette vûe qu'il mutile des canons ou des lois, ou qu'il leur donne un sens contraire à celui qu'ils présentent. De plus, il a inséré dans son decret touchant l'ordre judiciaire ecclésiastique beaucoup de choses empruntées du droit civil, & entierement inconnues pendant les premiers siecles. Bien loin de rappeller à ce sujet les anciens canons & les écrits des SS. PP. il n'a cherché qu'à fomenter la cupidité des juges ecclésiastiques, en autorisant à la faveur des fausses decrétales la coûtume déjà introduite dans leurs tribunaux d'adopter toutes les formalités des lois civiles, & les abus pernicieux qui en résultent. Outre les altérations & les fausses interprétations dont nous venons de parler, il a mis souvent de fausses inscriptions à ses canons; il attribue aux papes ceux qui appartiennent à des conciles ou à de simples évêques. C'est ainsi qu'il rapporte des canons comme étant du pape Martin tenant concile, qui sont ou de conciles orientaux, ou de Martin de Brague auteur d'une compilation. Il se trompe encore fréquemment sur les noms des personnes, des villes, des provinces & des conciles. Enfin il cite comme d'auteurs recommandables, tels que S. Grégoire, S. Ambroise, S. Augustin & S. Jérôme, des passages qui ne se trouvent nulle part. Ce seroit néanmoins une imprudence de rejetter sans exception comme apocryphe ce que Gratien rapporte, par la raison qu'on ne trouve point le passage dans l'auteur ou le concile qu'il cite, Gratien a pû sans doute voir beaucoup de choses qui ont péri dans la suite par l'injure des tems, ou qui demeurent ensevelies dans les bibliotheques. Pour rendre sensible la possibilité de ce fait, nous nous contenterons d'un seul exemple. Le canon jv. caus. j. quest. 3. a pour inscription, ex concilio Urbani papoe habito Arvernioe: le P. Sirmond savant jésuite n'ayant pas trouvé ce canon parmi ceux de ce concile qui ont été publiés, mais parmi les canons non imprimés d'un concile que tint à Nîmes Urbain II. à la fin du second siecle, il avertit, in antirrhetico secundo adversus Petrum Aurelium, p. 97. que l'inscription de ce canon est fausse dans Gratien, & qu'on doit l'attribuer au concile de Nîmes. Mais ce reproche est mal fondé; car les anciens manuscrits prouvent que ce canon a d'abord été fait au concile de Clermont en Auvergne, tenu sous Urbain II. & ensuite renouvellé dans celui de Nîmes. Voyez les notes de Gabriel Cossart, tome X. col. 530.

Les erreurs de Gratien proviennent en partie de ce qu'il n'a pas consulté les conciles mêmes, les mémoires sur les souverains pontifes, ni les écrits des saints peres, mais uniquement les compilateurs qui l'ont précedé, dont il a adopté toutes les fautes que leur ignorance, leur inattention, ou leur mauvaise foi leur ont fait commettre; & en cela il est lui - même inexcusable: mais d'un autre côté on doit en imputer le plus grand nombre au siecle où il vivoit. En effet, l'art de l'Imprimerie n'étant pas alors découvert, on ne connoissoit les ouvrages des savans [p. 712] que par les manuscrits; les copistes dont on étoit obligé de se servir pour les transcrire, étoient ordinairement des gens peu exacts & ignorans: les fautes qu'ils avoient faites se perpétuoient, lorsque sur un même ouvrage on n'avoit pas plusieurs manuscrits, afin de les comparer ensemble, ou lorsqu'on négligeoit de prendre cette peine. D'ailleurs, du tems de Gratien on recevoit avec vénération des pieces supposées, entr'autres les fausses decrétales; la discipline qu'elles renferment étoit généralement reconnue pour celle de l'Eglise, sur - tout dans l'université de Bologne. Avoüons de plus, pour n'être pas injustes, qu'au milieu des fausses autorités qu'il allegue, ou de celles qu'il interprete mal, il rapporte des canons & des passages des saints peres, qui sont un miroir fidele de l'ancienne discipline; ainsi en séparant le vrai d'avec le faux, son ouvrage est d'une grande utilité pour bien connoître cette discipline que l'Eglise a prescrite autrefois; qu'elle a toûjours souhaite & qu'elle souhaite encore de retenir, autant que les circonstances des tems & des lieux le permettent, ou de rétablir dans les points qui sont négligés. Elle a dans tous les tems exhorté les prélats de travailler à cette réforme, & a fait des efforts continuels pour remettre en vigueur la pratique des anciens usages.

Après le tableau que nous venons de tracer, & où nous avons rassemblé sous un point de vûe facile à saisir, les imperfections du recueil de Gratien, qui ne s'étonnera de la prodigieuse rapidité avec laquelle il parvint au plus haut degré de réputation? cependant à peine vit - il le jour, que les jurisconsultes & les théologiens se réunirent à lui donner la préférenbe sur toutes les collections précedentes: on l'enseigna dans les écoles, on le cita dans les tribunaux, on en fit usage dans les nouveaux traités de jurisprudence & de théologie scholastique; les compilations des decrétales qui lui succéderent, en emprunterent pareillement beaucoup de choses, ou y renvoyerent, comme au code universel des canons. On s'embarrassa peu si Gratien étoit conforme aux originaux qu'il citoit, si ces originaux étoient eux - mêmes authentiques & non supposés, ou du moins interpolés; il parut suffisant de l'avoir pour garant de ce que l'on avançoit. Nous voyons que dans le cap. 1. de capellis monachorum in prima collectione, on attribue au concile de Clermont sous Urbain II. un decret qui ne se trouve dans aucun des conciles tenus sous ce pape, suivant la remarque des correcteurs romains, au canon II. cause xvj. quest. 2. mais dans cet endroit Gratien avoit rapporté ce canon comme appartenant à ce concile; & dans le cap. xj. extra de renuntiat le pape Innocent III. objecte l'autorité du faux concile de Constantinople tenu sous Photius contre Ignace ancien patriarche de ce siége, parce que Gratien avoit cité le deuxieme canon de ce conciliabule sous le nom du vrai concile de Constantinople. C'est ainsi que l'autorité de Gratien en imposoit; & pour en concevoir la raison, il faut recourir aux circonstances. Premierement, la méthode dont il se sert lui fut avantageuse; avant lui les compilateurs s'étoient contentés de rapporter simplement les canons des conciles, les decrets des papes, & les passages tirés soit des saints peres, soit des autres auteurs: mais Gratien voyant qu'il regnoit peu de conformité entre ces canons & ces passages, inventa pour les concilier de nouvelles interprétations, & c'est dans cette vûe qu'il agite différentes questions pour & contre, & les résout ensuite. Or la scholastique qui traite les matieres dans ce goût, avoit pris naissance environ vers ce tems - là; c'est pourquoi la méthode de Gratien dut plaire aux docteurs de son siecle. En second lieu, Gratien ayant emprunté beaucoup de choses des livres de Justinien retrouvés en 1137, & qu'on commençoit de son tems d'enseigner publiquement dans les écoles de l'université de Boulogne, les docteurs de cette université ne purent qu'accueillir favorablement un pareil ouvrage: or cette université étant la seule alors où florissoit le droit romain, le concours des étudians qui y venoient de toutes parts étoit prodigieux. Ils virent que sur le droit canonique les professeurs se bornoient à expliquer & commenter le decret, & de là ils eurent insensiblement pour ce recueil une grande estime. Lorsqu'après avoir fini leur cours d'études ils retournerent dans leur patrie, ils y répandirent l'idée favorable qu'ils avoient prise du decret, & de cette maniere il devint célebre chez toutes les nations policées. Mais ce qui contribua le plus à son succès, ce fut l'usage que fit Gratien des fausses decrétales fabriquées par Isidore, à dessein d'augmenter la puissance du pape, & des autres pieces supposées, tendantes au même but, que celui - ci n'avoit osé hasarder de son tems; ainsi l'ouvrage de Gratien fut extrèmement agréable aux souverains pontifes & à leurs créatures: il n'est donc pas étonnant qu'ils se soient portés à le faire recevoir par - tout avec autant d'ardeur qu'ils en avoient eu auparavant pour la collection d'Isidore.

La célébrité même du decret fut ce qui excita dans la suite plusieurs savans à le revoir avec soin, pour en corriger les fautes. Il parut honteux que ce qui faisoit le corps du droit canonique, demeurât ainsi défiguré. Vers le milieu du seizieme siecle, MM. de Monchy & Leconte, l'un théologien, & l'autre professeur en droit, furent les premiers qui se livrerent à ce pénible travail. Ils enrichirent cette collection de notes pleines d'érudition, dans lesquelles ils restituerent les inscriptions des canons, & distinguerent les vrais canons des apocryphes. M. Leconte avoit joint une préface où il montroit évidemment que les lettres attribuées aux souverains pontifes qui ont précedé le pape Sirice, étoient supposées. Il confia son manuscrit à une personne, qui le fit imprimer à Anvers l'an 1570, mais entierement mutilé & imparfait. Cette édition est défectueuse, en ce qu'on y a confondu les notes de MM. de Monchy & Leconte, quoiqu'elles soient très - différentes, & se combattent quelquefois. De plus, le censeur des livres s'imaginant que la préface portoit atteinte à l'autorité légitime du pape, en retrancha beaucoup de morceaux; il s'y prit néanmoins si mal - adroitement, qu'il nous reste des preuves certaines de sa supercherie. Cette préface de M. Leconte est rappellée dans quelques - unes de ses notes. Par exemple, sur le canon I. cause xxx. quest. 5. qui est tiré de la fausse decrétale du pape Evariste, M. Leconte fait cette remarque: tous les decrets qui portent le nom de ce pape, doivent être regardés comme supposés, ainsi que je l'ai fait voir dans ma préface. Nous avons d'ailleurs un long fragment de cette même préface à la tête du tome IV. des oeuvres de Charles Dumoulin, édit. de Paris de 1681. On y retrouve le jugement que porte M. Leconte sur les fausses decrétales & les autres monumens apocryphes employés par Gratien. Un pareil jugement lui fait d'autant plus d'honneur, que le flambeau de la critique n'avoit pas encore dissipé les ténebres profondes de l'ignorance où l'on étoit plongé à cet égard.

On vit bientôt succéder d'autres corrections, tant à Rome qu'en Espagne, à celle qu'avoient faite MM. de Monchy & Leconte. Les papes Pie IV. & Pie V. avoient d'abord conçu ce dessein, & choisi pour l'exécuter quelques personnes habiles; mais les recherches qu'entraînoit après elle une revision exacte, étoient si considérables, que du tems de ces souverains pontifes on ne put rien achever. A la mort de Pie V. on éleva sur le saint siége Hugues

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