ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"709"> connu sous le nom de decret, quoiqu'il l'eût intitulé, Excerptiones ecclesiasticarum regularum. Ce titre étoit d'autant plus convenable, qu'on ne trouve dans ce recueil aucun decret d'Yves de Chartres, mais seulement des extraits tirés, soit des actes de divers conciles, soit des lettres des souverains pontifes, des écrits des SS. peres, ou bien enfin des ordonnances des princes chrétiens. La préface qu'il y a jointe, annonce dans quelle vûe il a ramassé ces monumens: c'est, dit - il, afin que ceux qui sont hors d'état de se procurer tous ces écrits, puisent dans cette collection ce qui peut leur être utile; nous commençons, ajoûte - t - il, par ce qui concerne la foi, comme étant la base de la religion chrétienne; nous mettons ensuite sous différens titres ce qui regarde les sacremens, la morale, la discipline: & de cette façon chacun trouvera facilement ce qu'il lui importe de connoître. Cette préface mérite d'être lûe; elle montre un grand fonds d'érudition dans son auteur, & fait sentir avec force combien il est nécessaire aux prélats d'être versés dans la discipline ecclésiastique. L'ouvrage est divisé en dix - sept parties, dont chacune renferme un nombre considérable d'articles: elles répondent aux 20 livres de Bouchard, & sont rangées à - peu - près dans le même ordre. La premiere partie traite du baptême & de la confirmation. La seconde, de l'eucharistie, du sacrifice de la messe, & des autres sacremens. La troisieme, de l'Eglise & des choses qui lui appartiennent, & du respect qu'on doit avoir pour elles. La quatrieme, des fêtes, des jeûnes, des écritures canoniques, des coûtumes, & de la célébration du concile. La cinquieme, de la primatie de l'évêque de Rome, du droit des primas, des métropolitains, & des évêques. La sixieme, de la vie, de l'ordination, & de la correction des clercs, & des cas où elle a lieu. La septieme, de la tranquillité & de la retraite prescrites aux religieux & religieuses, & des peines que méritent ceux qui n'ont point gardé le voeu de continence. Dans la huitieme, il est parlé des mariages légitimes, des vierges, & des veuves non voilées, de ceux qui les ravissent, des concubines. Dans la neuvieme, des différentes especes de fornication; du degré dans lequel les fideles peuvent se marier, ou doivent être séparés. Dans la dixieme, des homicides volontaires ou involontaires. Dans la onzieme, de la magie, des sorciers. Dans la douxieme, du mensonge, du parjure, des accusateurs, des juges, des faux témoins. Dans chacune de ces parties, on voit aussi quelle est la pénitence qu'on impose à ceux qui sont dans l'un de ces différens cas. Les voleurs, les médisans, l'ivrognerie, les furieux, & les Juifs, font la matiere de la treizieme. La suivante traite de l'excommunication, des causes pour lesquelles on l'encourt, & de la procédure suivant laquelle elle doit être lancée. La quinzieme, de la pénitence de ceux qui sont en santé ou malades, & comment elle peut être adoucie. La seizieme, des devoirs & des causes des laïcs. Enfin la derniere contient les sentences des SS. PP. sur la foi, l'espérance, & la charité.

Yves a emprunté dans sa collection beaucoup de choses de Bouchard de Wormes; souvent même il se contente de le copier mot à mot, & il ne l'abandonne totalement qu'en deux circonstances: 1° sur ce qui regarde l'hérésie de Berenger qui s'étoit élevée de son tems, & qu'il réfute en rapportant dans sa seconde partie beaucoup de passages des conciles & des SS. PP. pour confirmer le dogme catholique sur la présence réelle de J. C. dans le sacrement de l'eucharistie; au lieu que Bouchard a gardé sur cette matiere un profond silence: 2°. en ce que dans sa seizieme partie à l'occasion des causes des laïcs dont il parle, il cite souvent le code Théodosien, les pan<cb-> dectes, le code, les novelles, les instituts de Justinien, & les capitulaires de nos rois; ce que Bouchard n'a point fait. Yves est même regardé comme le premier qui dans l'Occident ait joint le droit civil au droit canonique; il a été imité en cela par les compilateurs qui l'ont suivi.

Nous avons un autre recueil de canons d'Yves de Chartres, divisé en huit livres, qui porte le nom de pannormie. Ce nom est composé des mots grecs PAN & VO/MOS2, ou à la place de ce dernier du mot latin norma, & il indique que cette compilation renferme toutes les regles de la discipline ecclésiastique: quelques - uns doutent que cette collection soit d'Yves de Chartres, & ils se fondent, 1°. sur ce que la préface est la même que celle du decret, d'où ils concluent que l'un des deux ouvrages n'est point de cet auteur: 2°. sur ce qu'on y trouve des decrets des papes Calixte II. & Innocent II. qui n'ont cependant occupé le saint - siége que depuis la mort d'Yves de Chartres: 3°. sur ce que les livres de Justinien y sont cités. Or ces livres n'ont été recouvrés, suivant Jacques Godefroi in manuali juris, qu'en l'année 1136 dans les ruines de Melphi ville de la Pouille, lorsque l'empereur Lothaire II. chassa les Normands d'Italie, & Yves de Chartres est mort en 1115: ainsi ils croyent qu'il faut l'attribuer à un certain Hugues de Châlonssur - Marne, ou à quelqu'autre écrivain qui aura fait un extrait du decret d'Yves. Ils alleguent le témoignage de Vincent de Beauvais, qui dit lib. XXV. speculi historialis, cap. lxxxjv. que d'après le decret d'Yves de Chartres, Hugues a composé un petit livre portatif intitulé la somme des decrets d'Yves de Chartres. Mais M. Baluze, dans sa préface sur les dialogues d'Antoine Augustin, de emendatione Gratiani, rapporte qu'il a consulté un manuscrit très ancien de l'abbaye de S. Victor de Paris, & deux autres manuscrits du monastere de S. Aubin d'Angers; que cette collection y est appellée par - tout pannormie, & jamais somme des decrets d'Yves; d'où il paroît, dit il, que le livre dont Vincent de Beauvais fait mention, est différent de celui - ci. Il présume même que le manuscrit de S. Victor est antérieur au tems d'Hugues de Châlons, & il juge ainsi sans doute par le caractere de l'écriture: ajoûtez à cela que, selon la remarque d'Antoine Augustin évêque de Lérida, puis archevêque de Tarragone en Espagne, la pannormie ne peut être un extrait du decret d'Yves, puisque ces deux collections se ressemblent en tres - peu de choses.

Quant aux objections précédentes, on répond à la premiere qui naît de la répétition de la préface, qu'elle n'est point dans plusieurs exemplaires de la pannormie; voyez Antoine Augustin, lib. I. de emendat. Gratiani, cap. j. D'ailleurs l'auteur a pû se servir de la même préface pour deux ouvrages qui ont le même objet, quoique distribués & traités différemment. La seconde objection est détruite par le P. Mabillon: ce savant Bénédictin, dont on ne peut sans injustice soupçonner la bonne foi, assûre avoir vû deux manuscrits très - anciens de ce recueil, où le nom d'Yves de Chartres est écrit, & où les decrets des papes Calixte II. & Innocent II. ne sont point. En troisieme lieu, si les livres de Justinien se trouvent cités dans ce recueil, cela prouve simplement qu'ils ont été connus en France avant la prise de Melphi, quoique ce soit - là l'époque où on ait commencé à les enseigner publiquement dans les écoles. Nous ne balançons donc point à reconnoître la pannormie pour être d'Yves de Chartres, mais on ignore si elle a précédé le decret ou non; on est obligé de s'en tenir sur ce sujet à des conjectures bien legeres. Les uns disent qu'il est assez vraissemblable que la pannormie étant d'un moindre volume, & son auteur la voyant reçûe favorablement, & entre les [p. 710] mains de ceux qui s'appliquoient à l'étude du droit canonique, il se soit dans la suite proposé un plus grand ouvrage, tel que le decret, pour y traiter les choses avec plus d'étendue. Les autres prétendent au contraire que par cela même que la pannormie est plus abregee, il y a lieu de croire qu'elle a été faite depuis, & avec plus de soin. D'ailleurs elle a, dit - on, dans plusieurs exemplaires cette inscription, decreta parva Yvonis, qui semble avoir rapport à quelque ouvrage antérieur plus considérable, qu'on aura simplement appellé decreta. Quoi qu'il en soit, ces deux compilations d'Yves de Chartres sont recommandables, en ce qu'il y traite avec précision tout ce qui regarde la discipline ecclésiastique, & qu'il les a enrichies de décisions tirées du droit civil, comme nous l'avons déjà observé: de plus, elles sont d'un grand usage pour réformer Gratien; & Dumoulin, professeur en droit de Louvain, qui nous a donné en 1561 la premiere édition du decret d'Yves de Chartres, déclare s'en être utilement servi à cet égard. Mais Yves de Chartres est repréhensible d'avoir suivi les fausses decrétales, & de n'avoir pas consulté les véritables sources. Ce que nous venons de dire sur ces deux collections nous paroît suffire; nous nous étendrons davantage sur celle de Gratien comme plus importante, & faisant partie du corps du droit canonique.

Gratien de Chiusi en Toscane, embrassa la regle de S. Benoît dans le monastere de S. Felix de Boulogne. Vers l'an 1151, sous le pontificat d'Eugene III. & le regne de Louis VII. dit le Jeune, il publia un nouveau recueil de canons, qu'il intitula la concorde des canons discordans, parce qu'il y rapporte plusieurs autorités qui semblent opposées, & qu'il se propose de concilier. Dans la suite il fut appellé simplement decret. La matiere de ce recueil sont les textes de l'écriture, les canons des apôtres, ceux d'environ 105 conciles, savoir des neuf premiers conciles oecuméniques, en y comprenant celui de Trulle ou le Quini - Sexte, & de 96 conciles particuliers; les decrétales des papes, les extraits des SS. PP. comme de S. Ambroise, S. Jérôme, S. Augustin, S. Grégoire, Isidore de Seville, &c. les extraits tirés des auteurs ecclésiastiques, les livres pénitentiaux de Théodore, de Bede, & de Raban - Maur archevêque de Mayence; le code Théodosien, les fragmens des jurisconsultes Paul & Ulpien, les capitulaires de nos rois, l'histoire ecclésiastique, le livre appellé pontifical, les mémoires qui sont restés sur les souverains pontifes, le diurnal & l'ordre romain. A ces autorités il joint fréquemment ses propres raisonnemens, dont la plûpart tendent à la conciliation des canons: il met aussi à la tête de chaque distinction, cause, ou question, des especes de préfaces qui annoncent en peu de mots la matiere qu'il va traiter. Au reste l'énumération des sources qu'employe Gratien, prouve qu'il étoit un des hommes les plus savans de son siecle, malgré le grand nombre de fautes qu'on lui reproche avec raison, comme nous le démontrerons incessamment.

L'ouvrage de Gratien est divisé en trois parties. La premiere renferme cent & une distinctions; il nomme ainsi les différentes sections de cette premiere partie & de la troisieme, parce que c'est surtout dans ces deux parties qu'il s'efforce de concilier les canons qui paroissent se contredire, en distinguant les diverses circonstances des tems & des lieux, quoiqu'il ne néglige point cette méthode dans la seconde. Les vingt premieres distinctions établissent d'abord l'origine, l'autorité, & les différentes especes du droit, qu'il divise en droit divin & humain, ou naturel & positif; en droit écrit & coûtumier, en droit civil & ecclésiastique. Il indique ensuite les principales sources du droit ecclésiastique, sur lesquelles il s'étend depuis la distinction 15e jusqu'à la 20e: ces sources sont les canons des conciles, les decrétales des papes, & les sentences des SS. PP. De - là il passe aux personnes, & on peut soûdiviser ce traité en deux parties, dont l'une qui tient depuis la 21e distinction jusqu'à la 92e, regarde l'ordination des clercs & des évêques; & l'autre, qui commence à la 93e distinction & conduit jusqu'à la fin, parle de la hiérarchie & des différens degrés de jurisdiction.

La seconde partie du decret contient trente - six causes, ainsi nommées de ce qu'elles sont autant d'especes & de cas particuliers, sur chacun desquels il éleve plusieurs questions. Il les discute ordinairement en alléguant des canons pour & contre, & les termine par l'exposition de son sentiment. Cette partie roule entierement sur les jugemens ecclésiastiques; il en distingue de deux sortes, les criminels & les civils. Il traite en premier lieu des jugemens criminels comme plus importans, puisqu'ils ont pour fin la punition des délits, & passe ensuite aux jugemens civils institués pour décider les contestations qui naissent entre les particuliers. Dans cette seconde partie, Gratien observe peu d'ordre, non - seulement il interrompt celui que d'abord il semble s'être prescrit, & s'éloigne de son objet, mais quelquefois même il le perd entierement de vûe: c'estce qui lui arrive à la question 3 de la cause 35e; il avoit commencé dans la cause 27e à parler du mariage, & avoit destiné dix causes à cette matiere qui est très - abondante; mais à l'occasion d'un raisonnement qu'il fait avant le canon XII. quest. ij. cause 3. il quitte son sujet pour examiner s'il est permis aux pénitens de contracter mariage. Une pareille digression n'étoit peut - être pas tout - à - fait déplacée, à cause que suivant l'ancienne discipline, la pénitence publique étoit un des empêchemens du mariage; du moins on pouvoit l'excuser, sur - tout Gratien reconnoissant au commencement de la question 3e qu'il s'étoit un peu écarté: mais dans cet ondroit là même il fait un autre écart bien plus considérable; car à l'occasion de cette question 3e dont le sujet est, si on peut satisfaire à Dieu par la seule contrition intérieure sans aucune confession de bouche, il s'étend sur la pénitence d'une maniere si prolixe, que les interpretes ont jugé à - propos de soûdiviser ce traité en sept distinctions: ensuite à la question 4e il reprend le mariage, & continue d'en parler jusqu'à la cause 36e, où finit la seconde partie du decret.

La troisieme partie est divisée en cinq distinctions, & est intitulée de la consécration. Dans la premiere il s'agit de la consécration des églises & des autels: dans la seconde, du sacrement de l'eucharistie: dans la troisieme, des fêtes solennelles: dans la quatrieme, du sacrement de baptême: & dans la derniere, du sacrement de la confirmation, de la célébration du service divin, de l'observation des jeûnes, & enfin de la très - sainte Trinité. Cette troisieme partie n'est point entremêlée des raisonnemens de Gratien, si ce n'est au canon 50e de la distinction 1re, & aux canons 19 & 20 de la 4e: la raison qu'en donne l'auteur de la glose, est qu'il faut parler sobrement & avec retenue des sacremens; un pareil motif dans Gratien eût été extrèmement sage, & mériteroit sans doute nos éloges: mais nous croyons être en droit de les lui refuser à ce sujet, & c'est ce dont le lecteur jugera, lorsque dans la suite nous lui aurons rendu compte de la réflexion que fait cet auteur sur les canons de la distinction 1re de poenitentiâ.

L'observation que nous venons de faire sur la troisieme partie du decret étant particuliere à cette partie, il convient de joindre ici celles qui regardent toutes les trois également, excepté néanmoins que sur la maniere de citer les canons, nous renvoyons

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