ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS
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connu sous le nom de decret, quoiqu'il l'eût intitulé,
Excerptiones ecclesiasticarum regularum. Ce titre étoit
d'autant plus convenable, qu'on ne trouve dans ce
recueil aucun decret d'Yves de Chartres, mais seulement
des extraits tirés, soit des actes de divers
conciles, soit des lettres des souverains pontifes,
des écrits des SS. peres, ou bien enfin des ordonnances
des princes chrétiens. La préface qu'il y a jointe,
annonce dans quelle vûe il a ramassé ces monumens:
c'est, dit - il, afin que ceux qui sont hors d'état de se
procurer tous ces écrits, puisent dans cette collection
ce qui peut leur être utile; nous commençons,
ajoûte - t - il, par ce qui concerne la foi, comme
étant la base de la religion chrétienne; nous mettons
ensuite sous différens titres ce qui regarde les
sacremens, la morale, la discipline: & de cette façon
chacun trouvera facilement ce qu'il lui importe
de connoître. Cette préface mérite d'être lûe; elle
montre un grand fonds d'érudition dans son auteur,
& fait sentir avec force combien il est nécessaire aux
prélats d'être versés dans la discipline ecclésiastique.
L'ouvrage est divisé en dix - sept parties, dont chacune
renferme un nombre considérable d'articles:
elles répondent aux 20 livres de Bouchard, & sont
rangées à - peu - près dans le même ordre. La premiere
partie traite du baptême & de la confirmation. La
seconde, de l'eucharistie, du sacrifice de la messe,
& des autres sacremens. La troisieme, de l'Eglise
& des choses qui lui appartiennent, & du respect
qu'on doit avoir pour elles. La quatrieme, des fêtes,
des jeûnes, des écritures canoniques, des coûtumes,
& de la célébration du concile. La cinquieme,
de la primatie de l'évêque de Rome, du droit
des prima>s, des métropolitains, & des évêques. La
sixieme, de la vie, de l'ordination, & de la correction
des clercs, & des cas où elle a lieu. La septieme,
de la tranquillité & de la retraite prescrites aux
religieux & religieuses, & des peines que méritent
ceux qui n'ont point gardé le voeu de continence.
Dans la huitieme, il est parlé des mariages légitimes,
des vierges, & des veuves non voilées, de
ceux qui les ravissent, des concubines. Dans la neuvieme,
des différentes especes de fornication; du
degré dans lequel les fideles peuvent se marier, ou
doivent être séparés. Dans la dixieme, des homicides
volontaires ou involontaires. Dans la onzieme,
de la magie, des sorciers. Dans la douxieme,
du mensonge, du parjure, des accusateurs, des juges,
des faux témoins. Dans chacune de ces parties,
on voit aussi quelle est la pénitence qu'on impose
à ceux qui sont dans l'un de ces différens cas.
Les voleurs, les médisans, l'ivrognerie, les furieux,
& les Juifs, font la matiere de la treizieme. La suivante
traite de l'excommunication, des causes pour
lesquelles on l'encourt, & de la procédure suivant
laquelle elle doit être lancée. La quinzieme, de la
pénitence de ceux qui sont en santé ou malades, &
comment elle peut être adoucie. La seizieme, des
devoirs & des causes des laïcs. Enfin la derniere contient
les sentences des SS. PP. sur la foi, l'espérance,
& la charité.
Yves a emprunté dans sa collection beaucoup de
choses de Bouchard de Wormes; souvent même il
se contente de le copier mot à mot, & il ne l'abandonne
totalement qu'en deux circonstances: 1° sur
ce qui regarde l'hérésie de Berenger qui s'étoit élevée de son tems, & qu'il réfute en rapportant dans
sa seconde partie beaucoup de passages des conciles
& des SS. PP. pour confirmer le dogme catholique
sur la présence réelle de J. C. dans le sacrement de
l'eucharistie; au lieu que Bouchard a gardé sur cette
matiere un profond silence: 2°. en ce que dans sa seizieme
partie à l'occasion des causes des laïcs dont il
parle, il cite souvent le code Théodosien, les pan<cb->
dectes, le code, les novelles, les instituts de Justinien, & les capitulaires de nos rois; ce que Bouchard n'a point fait. Yves est même regardé comme
le premier qui dans l'Occident ait joint le droit
civil au droit canonique; il a été imité en cela par
les compilateurs qui l'ont suivi.
Nous avons un autre recueil de canons d'Yves de
Chartres, divisé en huit livres, qui porte le nom de
pannormie. Ce nom est composé des mots grecs PAN
& VO/MOS2, ou à la place de ce dernier du mot latin norma, & il indique que cette compilation renferme
toutes les regles de la discipline ecclésiastique: quelques - uns doutent que cette collection soit d'Yves de
Chartres, & ils se fondent, 1°. sur ce que la préface
est la même que celle du decret, d'où ils concluent
que l'un des deux ouvrages n'est point de cet auteur:
2°. sur ce qu'on y trouve des decrets des papes Calixte II. & Innocent II. qui n'ont cependant occupé le
saint - siége que depuis la mort d'Yves de Chartres:
3°. sur ce que les livres de Justinien y sont cités. Or
ces livres n'ont été recouvrés, suivant Jacques Godefroi in manuali juris, qu'en l'année 1136 dans les
ruines de Melphi ville de la Pouille, lorsque l'empereur
Lothaire II. chassa les Normands d'Italie, &
Yves de Chartres est mort en 1115: ainsi ils croyent
qu'il faut l'attribuer à un certain Hugues de Châlonssur - Marne, ou à quelqu'autre écrivain qui aura fait
un extrait du decret d'Yves. Ils alleguent le témoignage
de Vincent de Beauvais, qui dit lib. XXV.
speculi historialis, cap. lxxxjv. que d'après le decret
d'Yves de Chartres, Hugues a composé un petit livre
portatif intitulé la somme des decrets d'Yves de
Chartres. Mais M. Baluze, dans sa préface sur les
dialogues d'Antoine Augustin, de emendatione Gratiani, rapporte qu'il a consulté un manuscrit très ancien
de l'abbaye de S. Victor de Paris, & deux
autres manuscrits du monastere de S. Aubin d'Angers; que cette collection y est appellée par - tout
pannormie, & jamais somme des decrets d'Yves; d'où
il paroît, dit il, que le livre dont Vincent de Beauvais fait mention, est différent de celui - ci. Il présume
même que le manuscrit de S. Victor est antérieur
au tems d'Hugues de Châlons, & il juge ainsi sans
doute par le caractere de l'écriture: ajoûtez à cela
que, selon la remarque d'Antoine Augustin évêque
de Lérida, puis archevêque de Tarragone en Espagne, la pannormie ne peut être un extrait du decret
d'Yves, puisque ces deux collections se ressemblent
en tres - peu de choses.
Quant aux objections précédentes, on répond à
la premiere qui naît de la répétition de la préface,
qu'elle n'est point dans plusieurs exemplaires de la
pannormie; voyez Antoine Augustin, lib. I. de emendat.
Gratiani, cap. j. D'ailleurs l'auteur a pû se servir
de la même préface pour deux ouvrages qui ont le
même objet, quoique distribués & traités différemment.
La seconde objection est détruite par le P. Mabillon: ce savant Bénédictin, dont on ne peut sans
injustice soupçonner la bonne foi, assûre avoir vû
deux manuscrits très - anciens de ce recueil, où le
nom d'Yves de Chartres est écrit, & où les decrets
des papes Calixte II. & Innocent II. ne sont point.
En troisieme lieu, si les livres de Justinien se trouvent
cités dans ce recueil, cela prouve simplement
qu'ils ont été connus en France avant la prise de Melphi, quoique ce soit - là l'époque où on ait commencé
à les enseigner publiquement dans les écoles.
Nous ne balançons donc point à reconnoître la pannormie
pour être d'Yves de Chartres, mais on ignore
si elle a précédé le decret ou non; on est obligé de
s'en tenir sur ce sujet à des conjectures bien legeres.
Les uns disent qu'il est assez vraissemblable que la
pannormie étant d'un moindre volume, & son auteur
la voyant reçûe favorablement, & entre les
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mains de ceux qui s'appliquoient à l'étude du droit
canonique, il se soit dans la suite proposé un plus
grand ouvrage, tel que le decret, pour y traiter les
choses avec plus d'étendue. Les autres prétendent
au contraire que par cela même que la pannormie
est plus abregee, il y a lieu de croire qu'elle a été
faite depuis, & avec plus de soin. D'ailleurs elle a,
dit - on, dans plusieurs exemplaires cette inscription,
decreta parva Yvonis, qui semble avoir rapport à
quelque ouvrage antérieur plus considérable, qu'on
aura simplement appellé decreta. Quoi qu'il en soit,
ces deux compilations d'Yves de Chartres sont recommandables,
en ce qu'il y traite avec précision
tout ce qui regarde la discipline ecclésiastique, &
qu'il les a enrichies de décisions tirées du droit civil,
comme nous l'avons déjà observé: de plus, elles
sont d'un grand usage pour réformer Gratien; & Dumoulin, professeur en droit de Louvain, qui nous a
donné en 1561 la premiere édition du decret d'Yves
de Chartres, déclare s'en être utilement servi à cet
égard. Mais Yves de Chartres est repréhensible d'avoir
suivi les fausses decrétales, & de n'avoir pas
consulté les véritables sources. Ce que nous venons
de dire sur ces deux collections nous paroît suffire;
nous nous étendrons davantage sur celle de Gratien
comme plus importante, & faisant partie du corps
du droit canonique.
Gratien de Chiusi en Toscane, embrassa la regle
de S. Benoît dans le monastere de S. Felix de Boulogne. Vers l'an 1151, sous le pontificat d'Eugene III.
& le regne de Louis VII. dit le Jeune, il publia un
nouveau recueil de canons, qu'il intitula la concorde
des canons discordans, parce qu'il y rapporte plusieurs
autorités qui semblent opposées, & qu'il se propose
de concilier. Dans la suite il fut appellé simplement
decret. La matiere de ce recueil sont les textes de l'écriture,
les canons des apôtres, ceux d'environ 105
conciles, savoir des neuf premiers conciles oecuméniques,
en y comprenant celui de Trulle ou le Quini - Sexte, & de 96 conciles particuliers; les decrétales
des papes, les extraits des SS. PP. comme de S. Ambroise, S. Jérôme, S. Augustin, S. Grégoire, Isidore
de Seville, &c. les extraits tirés des auteurs ecclésiastiques,
les livres pénitentiaux de Théodore, de
Bede, & de Raban - Maur archevêque de Mayence;
le code Théodosien, les fragmens des jurisconsultes
Paul & Ulpien, les capitulaires de nos rois, l'histoire
ecclésiastique, le livre appellé pontifical, les mémoires
qui sont restés sur les souverains pontifes,
le diurnal & l'ordre romain. A ces autorités il joint
fréquemment ses propres raisonnemens, dont la plûpart
tendent à la conciliation des canons: il met aussi
à la tête de chaque distinction, cause, ou question,
des especes de préfaces qui annoncent en peu de mots
la matiere qu'il va traiter. Au reste l'énumération
des sources qu'employe Gratien, prouve qu'il étoit
un des hommes les plus savans de son siecle, malgré
le grand nombre de fautes qu'on lui reproche avec
raison, comme nous le démontrerons incessamment.
L'ouvrage de Gratien est divisé en trois parties.
La premiere renferme cent & une distinctions; il
nomme ainsi les différentes sections de cette premiere
partie & de la troisieme, parce que c'est surtout
dans ces deux parties qu'il s'efforce de concilier les
canons qui paroissent se contredire, en distinguant
les diverses circonstances des tems & des lieux, quoiqu'il ne néglige point cette méthode dans la seconde.
Les vingt premieres distinctions établissent d'abord
l'origine, l'autorité, & les différentes especes
du droit, qu'il divise en droit divin & humain, ou
naturel & positif; en droit écrit & coûtumier, en
droit civil & ecclésiastique. Il indique ensuite les
principales sources du droit ecclésiastique, sur lesquelles
il s'étend depuis la distinction 15e jusqu'à la
20e: ces sources sont les canons des conciles, les
decrétales des papes, & les sentences des SS. PP.
De - là il passe aux personnes, & on peut soûdiviser
ce traité en deux parties, dont l'une qui tient
depuis la 21e distinction jusqu'à la 92e, regarde l'ordination
des clercs & des évêques; & l'autre, qui
commence à la 93e distinction & conduit jusqu'à la
fin, parle de la hiérarchie & des différens degrés de
jurisdiction.
La seconde partie du decret contient trente - six
causes, ainsi nommées de ce qu'elles sont autant d'especes
& de cas particuliers, sur chacun desquels il
éleve plusieurs questions. Il les discute ordinairement
en alléguant des canons pour & contre, &
les termine par l'exposition de son sentiment. Cette
partie roule entierement sur les jugemens ecclésiastiques;
il en distingue de deux sortes, les criminels
& les civils. Il traite en premier lieu des jugemens
criminels comme plus importans, puisqu'ils ont pour
fin la punition des délits, & passe ensuite aux jugemens
civils institués pour décider les contestations
qui naissent entre les particuliers. Dans cette seconde
partie, Gratien observe peu d'ordre, non - seulement il interrompt celui que d'abord il semble s'être
prescrit, & s'éloigne de son objet, mais quelquefois
même il le perd entierement de vûe: c'estce
qui lui arrive à la question 3 de la cause 35e;
il avoit commencé dans la cause 27e à parler du mariage,
& avoit destiné dix causes à cette matiere
qui est très - abondante; mais à l'occasion d'un raisonnement
qu'il fait avant le canon XII. quest. ij.
cause 3. il quitte son sujet pour examiner s'il est permis
aux pénitens de contracter mariage. Une pareille
digression n'étoit peut - être pas tout - à - fait déplacée,
à cause que suivant l'ancienne discipline,
la pénitence publique étoit un des empêchemens du
mariage; du moins on pouvoit l'excuser, sur - tout
Gratien reconnoissant au commencement de la question
3e qu'il s'étoit un peu écarté: mais dans cet ondroit
là même il fait un autre écart bien plus considérable;
car à l'occasion de cette question 3e dont
le sujet est, si on peut satisfaire à Dieu par la seule
contrition intérieure sans aucune confession de bouche,
il s'étend sur la pénitence d'une maniere si prolixe,
que les interpretes ont jugé à - propos de soûdiviser
ce traité en sept distinctions: ensuite à la question
4e il reprend le mariage, & continue d'en parler
jusqu'à la cause 36e, où finit la seconde partie
du decret.
La troisieme partie est divisée en cinq distinctions,
& est intitulée de la consécration. Dans la premiere il
s'agit de la consécration des églises & des autels:
dans la seconde, du sacrement de l'eucharistie: dans
la troisieme, des fêtes solennelles: dans la quatrieme,
du sacrement de baptême: & dans la derniere,
du sacrement de la confirmation, de la célébration
du service divin, de l'observation des jeûnes, & enfin
de la très - sainte Trinité. Cette troisieme partie
n'est point entremêlée des raisonnemens de Gratien,
si ce n'est au canon 50e de la distinction 1re, & aux
canons 19 & 20 de la 4e: la raison qu'en donne l'auteur
de la glose, est qu'il faut parler sobrement &
avec retenue des sacremens; un pareil motif dans
Gratien eût été extrèmement sage, & mériteroit sans
doute nos éloges: mais nous croyons être en droit
de les lui refuser à ce sujet, & c'est ce dont le lecteur
jugera, lorsque dans la suite nous lui aurons rendu
compte de la réflexion que fait cet auteur sur les canons
de la distinction 1re de poenitentiâ.
L'observation que nous venons de faire sur la troisieme
partie du decret étant particuliere à cette partie,
il convient de joindre ici celles qui regardent
toutes les trois également, excepté néanmoins que
sur la maniere de citer les canons, nous renvoyons
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