ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"687"> ne se prenoit que dans cette acception, & que depuis Andronicus la récitation & le geste des monologues se partageoient toûjours entre deux acteurs.

Mais le passage de Tite - Live dont on veut s'appuyer, ne présente pas un sens bien déterminé. Je vis, lorsque je le discutai dans une de nos assemblées, combien il reçut d'interprétations différentes de la part de ceux à qui les anciens auteurs sont le plus familiers, & la plûpart adopterent celui que je vais proposer.

Le canticum d'Andronicus étant composé de chants & de danses, on pourroit entendre par les termes cantioum egisse, &c. que cet auteur qui d'abord chantoit son cantique, ou, si l'on veut, sa cantate, & qui exécutoit alternativement ou en même tems les intermedes de danses, ayant altéré sa voix, chargea un autre acteur de la partie du chant, pour danser avec plus de liberté & de force, & que de - là vint l'usage de partager entre différens acteurs la partie du chant & celle de la danse.

Cette explication me paroît plus naturelle que le système du partage de la récitation & du geste; elle est même confirmée par un passage de Valere Maxime, qui, en parlant de l'avanture d'Andronicus, dit, tacitus gesticulationem peregit; or gesticulatio est communément pris pour la danse chez les anciens.

Lucien dit aussi (Dialogue sur la danse): « Autrefois le même acteur chantoit & dansoit; mais comme on observa que les mouvemens de la danse nuisoient à la voix & empêchoient la respiration, on jugea plus convenable de partager le chant & la danse.»

Si le jeu muet d'Andronicus étoit une simple gesticulation plûtôt qu'une danse, on en pourroit conclure encore que l'accident qui restreignit Andronicus à ne faire que les gestes, auroit donné l'idée de l'art des pantomimes. Il seroit plus naturel d'adopter cette interprétation, que de croire qu'on cût, par un bisarrerie froide, conservé une irrégularité que la nécessité seule eût pû faire excuser dans cette circonstance.

Si l'on rapporte communément l'art des pantomimes au siecle d'Auguste, cela doit s'entendre de sa perfection, & non pas de son origine.

En effet, les danses des anciens étoient presque toûjours des tableaux d'une action connue, ou dont le sujet étoit indiqué par des paroles explicatives. Les danses des peuples de l'Orient, décrites dans Pietro della Valle & dans Chardin, sont encore dans ce genre; au lieu que les nôtres ne consistent guere qu'à montrer de la légereté, ou présenter des attitudes agréables.

Ces pantomimes avoient un accompagnement de musique d'autant plus nécessaire, qu'un spectacle qui ne frappe que les yeux, ne soûtiendroit pas longtems l'attention. L'habitude où nous sommes d'entendre un dialogue, lorsque nous voyons des hommes agir de concert, fait qu'au lieu du discours que notre oreille attend machinalement, il faut du moins l'occuper par des sons musicaux convenables au sujet. Voyez Pantomime.

Si l'usage dont parle Tite - Live devoit s'entendre du partage de la récitation & du geste, il seroit bien étonnant que Ciceron ni Quintilien n'en eussent pas parlé: il est probable qu'Horace en auroit fait mention.

Donat dit simplement que les mesures des cantiques, ou, si l'on veut, des monologues, ne dépendoient pas des acteurs, mais qu'elles étoient reglées par un habile compositeur: diverbia histriones pronuntiabant; cantica verò temperabantur modis, non à poëtâ, sed à perito artis musices factis. Ce passage ne prouveroit autre chose, sinon que les monologues étoient des morceaux de chant; mais il n'a aucun rapport au partage de l'action.

Je ne m'étendrai pas davantage sur cet article, & je passe au second, qui demandera beaucoup plus de discussion.

Sur la déclamation notée. L'éclaircissement de cette question dépend de l'examen de plusieurs points; & pour procéder avec plus de méthode & de clarté, il est nécessaire de définir & d'analyser tout ce qui peut y avoir rapport.

La déclamation théatrale étant une imitation de la déclamation naturelle, je commence par définir celle - ci. C'est une affection ou modification que la voix reçoit, lorsque nous sommes mûs de quelque passion, & qui annonce cette émotion à ceux qui nous écoutent, de la même maniere que la disposition des traits de notre visage l'annonce à ceux qui nous regardent.

Cette expression de nos sentimens est de toutes les langues; & pour tâcher d'en connoître la nature, il faut pour ainsi dire décomposer la voix humaine, & la considérer sous divers aspects.

1°. Comme un simple son, tel que le cri des enfans.

2°. Comme un son articulé, tel qu'il est dans la parole.

3°. Dans le chant, qui ajoûte à la parole la modulation & la variété des tons.

4°. Dans la déclamation, qui paroît dépendre d'une nouvelle modification dans le son & dans la substance même de la voix; modification différente de celle du chant & de celle de la parole, puisqu'elle peut s'unir à l'une & à l'autre, ou en être retranchée.

La voix considérée comme un son simple, est produite par l'air chassé des poumons, & qui sort du larynx par la sente de la glotte; & il est encore augmenté par les vibrations des fibres qui tapissent l'intérieur de la bouche & le canal du nez.

La voix qui ne seroit qu'un simple cri, reçoit on sortant de la bouche deux especes de modifications qui la rendent articulée, & font ce qu'on nomme la parole.

Les modifications de la premiere espece produisent les voyelles, qui dans la prononciation dépendent d'une disposition fixe & permanente de la langue, des levres & des dents. Ces organes modifient par leur position, l'air sonore qui sort de la bouche; & sans diminuer sa vîtesse, changent la nature du son. Comme cette situation des organes de la bouche, propre à former les voyelles, est permanente, les sons voyelles sont susceptibles d'une durée plus ou moins longue, & peuvent recevoir tous les degrés d'élevation & d'abaissement possibles: ils sont même les seuls qui les reçoivent; & toutes les variétés, soit d'accens dans la prononciation simple, soit d'intonation musicale dans le chant, ne peuvent tomber que sur les voyelles.

Les modifications de la seconde espece, sont celles que reçoivent les voyelles par le mouvement subit & instantané des organes mobiles de la voix, c'est - à - dire de la langue vers le palais ou vers les dents, & par celui des levres. Ces mouvemens produisent les consonnes, qui ne sont que de simples modifications des voyelles, & toûjours en les précedant.

C'est l'assemblage des voyelles & des consonnes mêlées suivant un certain ordre, qui constitue la parole ou la voix articulée. Voyez Consonne, &c.

La parole est susceptible d'une nouvelle modification qui en fait la voix de chant. Celle - ci dépend de quelque chose de différent du plus ou du moins de vîtesse, & du plus ou du moins de force de l'air qui sort de la glotte & passe par la bouche. On ne doit pas non plus confondre la voix de chant avec le plus ou le moins d'élevation des tons, puisque [p. 688] cette variété se remarque dans les accens de la prononciation du discours ordinaire. Ces différens tons ou accents dépendent uniquement de l'ouverture plus ou moins grande de la glotte.

En quoi consiste donc la différence qui se trouve entre la parole simple & la voix de chant?

Les anciens Musiciens ont établi, après Aristoxene (Element. harmon.) 1°. que la voix de chant passe d'un degré d'élevation ou d'abaissement à un autre degré, c'est - à - dire d'un ton à l'autre, par sault, sans parcourir l'intervalle qui les sépare; au lieu que celle du discours s'éleve & s'abaisse par un mouvement continu: 2°. que la voix de chant se soûtient sur le même ton considéré comme un point indivisible, ce qui n'arrive pas dans la simple prononciation.

Cette marche par saults & avec des repos, est en effet celle de la voix de chant. Mais n'y a - t - il rien de plus dans le chant? Il y a eu une declamation tragique qui admettoit le passage par sault d'un ton à l'autre, & le repos sur un ton. On remarque la même chose dans certains orateurs. Cependant cette déclamation est encore différente de la voix de chant.

M. Dodart qui joignoit à l'esprit de discussion & de recherche, la plus grande connoissance de la Physique, de l'Anatomie, & du jeu méchanique des parties du corps, avoit particulierement porté son attention sur les organes de la voix. Il observe 1°. que tel homme dont la voix de parole est déplaisante, a le chant très - agréable, ou au contraire: 2°. que si nous n'avons pas entendu chanter quelqu'un, quelque connoissance que nous ayons de sa voix de parole, nous ne le reconnoîtrons pas à sa voix de chant.

M. Dodart, en continuant ses recherches, découvrit que dans la voix de chant il y a de plus que dans celle de la parole, un mouvement de tout le larynx, c'est - à - dire de cette partie de la trachée - artere qui forme comme un nouveau canal qui se termine à la glotte, qui en enveloppe & qui en soûtient les muscles. La différence entre les deux voix vient donc de celle qu'il y a entre le larynx assis & en repos sur ses attaches dans la parole, & ce même larynx suspendu sur ses attaches, en action & mû par un balancement de haut en - bas & de bas en - haut. Ce balancement peut se comparer au mouvement des oiseaux qui planent, ou des poissons qui se soûtiennent à la même place contre le fil de l'eau. Quoique les ailes des uns & les nageoires des autres paroissent immobiles à l'oeil, elles font de continuelles vibrations, mais si courtes & si promptes qu'elles sont imperceptibles.

Le balancement du larynx produit dans la voix de chant une espece d'ondulation qui n'est pas dans la simple parole. L'ondulation soûtenue & moderée dans les belles voix, se fait trop sentir dans les voix chevrotantes ou foibles. Cette ondulation ne doit pas se confondre avec les cadences & les roulemens qui se font par des changemens très - prompts & très délicats de l'ouverture de la glotte, & qui sont composés de l'intervalle d'un ton ou d'un demi - ton.

La voix, soit du chant, soit de la parole, vient toute entiere de la glotte, pour le son & pour le ton; mais l'ondulation vient entierement du balancement de tout le larynx: elle ne fait point partie de la voix, mais elle en affecte la totalité.

Il résulte de ce qui vient d'être exposé, que la voix de chant consiste dans la marche par sault d'un ton à un autre, dans le sejour sur les tons, & dans

Cette ouverture est ovale; sa longueur est depuis quatre jusqu'à huit lignes; sa largeur ne va guere qu'à une ligne dans les voix de basse - taille. Plus elle est resserrée, plus les sons deviennent aigus; & plus elle est ouverte, plus le son est grave & se porte plus loin.
cette ondulation du larynx qui affecte la totalité de la voix & la substance même du son.

Après avoir considéré la voix dans le simple cri, dans la parole, & dans le chant; il reste à l'examiner par rapport à la déclamation naturelle, qui doit être le modele de la déclamation artificielle, soit théatrale, soit oratolre.

La déclamation est, comme nous l'avons déjà dit, une affection ou modification qui arrive à notre voix lorsque passant d'un état tranquille à un état agité, notre ame est émûe de quelque passion ou de quelque sentiment vif. Ces changemens de la voix sont involontaires, c'est - à - dire qu'ils accompagnent nécessairement les émotions naturelles, & celles que nous venons à nous procurer par l'art, en nous pénétrant d'une situation par la force de l'imagination seule.

La question se réduit donc actuellement à savoir, 1°. si ces changemens de voix expressifs des passions consistent seulement dans les différens degrés d'élévation & d'abbaissement de la voix, & si en passant d'un ton à l'autre, elle marche par une progression successive & continue, comme dans les accens ou intonations prosodiques du discours ordinaire; ou si elle marche par sauts comme le chant.

2°. S'il seroit possible d'exprimer par des signes ou notes, ces changemens expressifs des passions.

L'opinion commune de ceux qui ont parlé de la déclamation, suppose que ses inflexions sont du genre des intonations musicales, dans lesquelles la voix procede dans des intervalles harmoniques, & qu'il est très - possible de les exprimer par les notes ordinaires de la musique, dont il faudroit tout au plus changer la valeur, mais dont on conserveroit la proportion & le rapport.

C'est le sentiment de l'abbé du Bos, qui a traité cette question avec plus d'étendue que de précision. Il suppose que la déclamation naturelle a des tons fixes, & suit une marche déterminée. Mais si elle consistoit dans des intonations musicales & harmoniques, elle seroit fixée & déterminée par le chant même du récitatif. Cependant l'expérience nous montre que de deux acteurs qui chantent ces mêmes morceaux avec la même justesse, l'un nous laisse froids & tranquilles, tandis que l'autre avec une voix moins belle & moins sonore nous émeut & nous transporte: les exemples n'en sont pas rares. Il est encore à - propos d'observer que la déclamation se marie plus difficilement avec la voix & le chant, qu'avec celle de la parole.

L'on en doit conclure que l'expression dans le chant, est quelque chose de différent du chant même & des intonations harmoniques; & que sans manquer à ce qui constitue le chant, l'acteur peut ajoûter l'expression ou y manquer.

Il ne faut pas conclure de - là que toute sorte de chant soit également susceptible de toute sorte d'expression. Les acteurs intelligens n'éprouvent que trop qu'il y a des chants très - beaux en eux - mêmes, qu'il est presque impossible de ployer à une déclamation convenable aux paroles.

Nous pouvons encore remarquer que dans la simple déclamation tragique deux acteurs jouent le même morceau d'une maniere différente, & nous affectent également; le même acteur joue le même morceau différemment avec le même succès, à moins que le caractere propre du personnage ne soit fixé par l'histoire ou dans l'exposition de la piece. Si les inflexions expressives de la déclamation ne sont pas les mêmes que les intonations harmoniques du chant; si elles ne consistent ni dans l'élévation, ni dans l'abbaissement de la voix, ni dans son renflement & sa diminution, ni dans sa lenteur & sa rapidité, non plus que dans les repos & dans les silen<pb->

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