ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"597"> se montra donc dans leurs assemblées publiques; il y harangua avec sa franchise & sa véhémence ordinaires; & il réussit presque à en bannir les méchans, si non à les corriger. Sa plaisanterie fut plus redoutée que les lois. Personne n'ignore son entretien avec Alexandre; mais ce qu'il importe d'observer, c'est qu'en traitant Alexandre avec la derniere hauteur, dans un tems où la Grece entiere se prosternoit à ses genoux, Diogene montra moins encore de mépri pour la grandeur prétendue de ce jeune ambitieux, que pour la lâcheté de ses compatriotes. Personne n'eut plus de fierté dans l'ame, ni de courage dans l'esprit, que ce philosophe. Il s'éleva au - dessus de tout évenement, mit sous ses piés toutes les terreurs, & se joüa indistinctement de toutes les folies. A peine eut - on publié le decret qui ordonnoit d'adorer Alexandre sous le nom de Bacchus de l'Inde, qu'il demanda lui à être adoré sous le nom de Serapis de Grece.

Cependant ses ironies perpétuelles ne resterent point sans quelque espece de represaille. On le noircit de mille calomnies qu'on peut regarder comme la monnoie de ses bons mots. Il fut accusé de son tems, & traduit chez la postérité comme coupable de l'obscénité la plus excessive. Son tonneau ne se présente encore aujourd 'hui à notre imagination prévenue qu'avec un cortége d'images deshonnêtes; on n'ose regarder au fond. Mais les bons esprits qui s'occuperont moins à chercher dans l'histoire ce qu'elle dit, que ce qui est la vérité, trouveront que les soupçons qu'on a répandus sur ses moeurs n'ont eu d'autre fondement que la licence de ses principes. L'histoire fcandaleuse de Laïs est démentie par mille circonstances; & Diogene mena une vie si frugale & si laborieuse, qu'il put aisément se passer de femmes, sans user d'aucune ressource honteuse.

Voilà ce que nous devons à la vérité, & à la mémoire de cet indécent, mais très - vertueux philosophe. De petits esprits, animés d'une jalousie basse contre toute vertu qui n'est pas renfermée dans leur secte, ne s'acharneront que trop à déchirer les sages de l'antiquité, sans que nous les secondions. Faisons plûtôt ce que l'honneur de la philosophie & même de l'humanité doit attendre de nous: reclamons contre ces voix imbécilles, & tâchons de relever, s'il se peut, dans nos écrits les monumens que la reconnoissance & la vénération avoient érigés aux philosophes anciens, que le tems a détraits, & dont la superstition voudroit encore abolir la mémoire.

Diogene mourut à l'âge de quatre - vingts - dix ans. On le trouva sans vie, enveloppé dans son manteau. Le ministere public prit soin de sa sépulture. Il fut inhumé vers la porte de Corinthe, qui conduisoit à l'lsthme. On plaça sur son tombeau une colonne de marbre de Paros, avec le chien symbole de la secte; & ses concitoyens s'empresserent à l'envi d'éterniser leurs regrets, & de s'honorer eux - mêmes, en enrichissant ce monument d'un grand nombre de figures d'airain. Ce sont ces figures froides & muettes qui déposent avec force contre les calomniatcurs de Diogene; & c'est elles que j'en croirai, parce qu'elles sont sans passion.

Diogene ne forma aucun systeme de Morale; il suivit la méthode des philosophes de son tems. Elle consistoit à rappeller toute leur doctrine à un petit nombre de principes fondamentaux qu'ils avoient toûjours présens à l'csprit, qui dictoient leurs réponses, & qui dirigeoient leur conduite. Voici ceux du philosophe Diogene.

Il y a un exercice de l'ame, & un exercice du corps. Le premier est une source seconde d'images sublimes qui naissent dans l'ame, qui l'enflamment & qui l'élevent. Il ne faut pas négliger le second, parce que l'homme n'est pas en santé, si l'une des deux parties dont il est composé est malade.

Tout s'acquiert par l'exercice; il n'en faut pas même excepter la vertu. Mais les hommes ont travaillé à se rendre malheureux, en se livrant à des exercices qui sont contraires à leur bonheur, parce qu'ils ne sont pas conformes à leur nature.

L'habitude répand de la douceur jusque dans le mépris de la volupté.

On doit plus à la nature qu'à la loi.

Tout'est commun entre le sage & ses amis. Il est au milieu d'eux comme l'Être bien - faisant & suprême au milieu de ses créatures.

Il n'y a point de société sans loi. C'est par la loi que le citoyen joüit de sa ville, & le républicain de sa république. Mais si les lois sont mauvaises, l'homme est plus malheureux & plus méchant dans la société que dans la nature.

Ce qu'on appelle gloire est l'appas de la sottise, & ce qu'on appelle noblesse en est le masque.

Une république bien ordonnée seroit l'image de l'ancienne ville du Monde.

Quel rapport essentiel y a - t - il entre l'Astronomie, la Musique, la Géométrie, & la connoissance de son devoir & l'amour de la vertu?

Le triomphe de soi est la consommation de toute philosophie.

La prérogative du philosophe est de n'être surpris par aucun evenement.

Le comble de la folie est d'enseigner la vortu, d'en faire l'éloge, & d'en négliger la pratique. Il seroit à souhaiter que le mariage fût un vain nom, & qu'on mît en commun les femmes & les enfans.

Pourquoi seroit - il permis de prendre dans la Nature ce dont on a besoin, & non pas dans un Temple?

L'amour est l'occupation des desoeuvrés.

L'homme dans l'état d'imbécillité ressemble beaucoup à l'animal dans son état naturel.

Le médisant est la plus cruelle des bêtes farouches, & le flatteur la plus dangereuse des bêtes privées.

Il faut résister à la fortune par le mépris, à la loi par la nature, aux passions par la raison.

Aye les bons pour amis, afin qu'ils t'encouragent à saire le bien; & les méchans pour ennemis, afin qu'ils t'empêchent de faire le mal.

Tu demandes aux dieux ce qui te semble bon, & ils t'exauceroient peut - être, s'ils n'avoient pitié de ton imbécillité.

Traite les grands comme le feu, & n'en sois jamais ni trop éloigné, ni trop près.

Quand je vois la Philosophie & la Medecine, l'homme me paroît le plus sage des animaux, disoit encore Diogene; quand je jette les yeux sur l'Astrologie & la Divination, je n'en trouve point de plus fou; & il me semble, pouvoit - il ajoûter, que la superstition & le despotisme en ont fait le plus misérable.

Les succès du voleur Harpalus (c'étoit un des lieutenans d'Alexandre) m'inclineroient presque à croire, ou qu'il n'y a point de dieux, ou qu'ils ne prennent aucun souci de nos affaires.

Par courons maintenant quelques - uns de ses bons mots. Il écrivit à ses compatriotes: « Vous mlavez banni de votre ville, & moi je vous relegue dans vos maisons. Vous restez à Sinope, & jc m'cn vais à Athenes. Je m'entretiendrai tous les jours avec les plus honnétes gens, pendant que vous serez dans la plus mauvaise compagnie». On lui disoit un jour: on se moque de toi, Diogene; & il répondoit, & moi je ne me sens point moque. Il dit à quelqu'un qui lui remontroit dans unc maladic qu'au licu de supporter la douleur, [p. 598] il feroit beaucoup mieux de s'en débarrasser en se donnant la mort, lui surtout qui paroissoit tant mépriser la vie: « Ceux qui savent ce qu'il faut faire & ce qu'il faut dire dans le monde, doivent y demeurer; & c'est à toi d'en sortir qui me parois ignorer l'un & l'autre». Il disoit de ceux qui l'avoient fait prisonnier: « Les. lions sont moins les esclaves de ceux qui les nourrissent, que ceux ci ne snt les valets des lions». Consulté sur ce qu'on feroit de son corps après sa mort: « Vous le laisserez, dit - il, sur la terre». Et sur ce qu'on lui représenta qu'il demeureroit exposé aux bêtes féroces & aux oiseaux de proie: « Non, repliqua - til, vous n'aurez qu'à mettre auprès de moi mon bâton». J'omets ses autres bons mots qui sont assez connus.

Ceux - ci suffisent pour montrer que Diogene avoit le caractere tourné à l'enjoüement, & qu'il y avoit plus de tempérament encore que de philosophie dans cette insensibilité tranquille & gaie, qu'il a poussée aussi loin qu'il est possible à la nature humaine de la porter, « C'étoit, dit Montagne dans son style énergique & original qui plaît aux personnes du meilleur goût, lors même qu'il paroît bas & trivial, une espece de ladrerie spirituelle, qui a un air de santé que la Philosophie ne méprise pas». Il ajoûte dans un autre endroit: « Ce cynique qui baguenaudoit à part soi & hochoit du nez le grand Alexandre, nous estimant des mouches ou des vessies pleines de vent, étoit bien juge plus aigre & plus poignunt que Timon, qui fut surnommé le haïsseur des hommes; car ce qu'on hait, on le prend à coeur: celui - ci nous souhaitoit du mal, étoit passionné du desir de notre ruine, fuyoit notre conversation comme dangereuse; l'autre nous estimoit si peu, que nous ne pouvions ni le troubler, ni l'altérer par notre contagion; s'il nous laissoit de compagnie, c'étoit pour le dedain de notre commerce, & non pour la crainte qu'il en avoit; il ne nous tenoit capables ni de lui bien ni de lui mal faire».

Il y eut encore des Cyniques de réputation après la mort de Diogene. On peut compter de ce nombre:

Xéniade, dont il avoit été l'esclave. Celui - ci jetta les premiers fondemens du Scepticisme, en soûtenant que tout étoit faux, que ce qui paroissoit de nouveau naissoit de rien, & que ce qui disparoissoit retournoit à rien.

Onésicrite, homme puissant & considéré d'Alexandre. Diogene Laërce raconte qu'Onésicrite ayant envoyé le plus jeune de ses fils à Athenes où Diogene professoit alors la Philosophi, cet enfant eut à peine entendu quelques - unes de ses leçons, qu'il devint son disciple; que l'éloquence du philosophe produisit le même effet sur son frere aîné, & qu'Onésicrite lui - même ne put s'en défendre.

Ce Phocion, que Démosthene appelloit la coignée de ses périodes, qui fut surnommé l'homme de bien, que tout l'or de Philippe ne put corrompre, qui demandoit à son voisin, un jour qu'il avoit harangué avec les plus grands applaudissemens du peuple, s'il n'avoit point dit de sottises.

Stilpon de Megare, & d'autres hommes d'état.

Monime de Syracuse, qui prétendoit que nous étions trompés sans cesse par des simulacres; système dont Malbranche n'est pas éloigné, & que Berkley a suivi. Voyez Corps. Cratès de Thebes, celui qui ne se vengea d'un soufflet qu'il avoit reçu d'un certain Nicodromus, qu'en faisant écrire au bas de sa joue enflée du soufflet: « C'est de la main de Nicodrome, Nicodromus fecit»; allusion plaisante à l'usage des Peintres. Cratès sacrifia les avantages de la naissance & de la fortune à la pratique de la Philosophie cynique. Sa vertu lui mérita la plus haute considération dans Athenes. Il connut toute la force de cette es<cb-> pece d'autorité publique, & il en usa pour rendre ses compatriotes meilleurs. Quoiqu'il fût laid de visage & bossu, il inspira la passion la plus violente à Hipparchia, soeur du philosophe Métrocle. Il faut avoüer à l'honneur de Cratès qu'il fit jusqu'à l'indécence inclusivement tout ce qu'il falloit pour détacher une femme d'un goût un peu délicat, & à l'honneur d'Hipparchia que la tentative du philosophe fut sans succès. Il se présenta nud devant elle, & lui dit, en lui montrant sa figure contrefaite & ses vêtemens déchirés: voilà l'époux que vous demandez, & voilà tout son bien. Hipparchia épousa son cynique bossu, prit la robe de philosophe, & devint aussi indécente que son mari, s'il est vrai que Cratès lui ait proposé de consommer le mariage sous le portique, & qu'elle y ait consenti. Mais ce fait, n'en déplaise à Sextus Empiricus, à Apulée, à Théodoret, à Lactance, à S. Clément d'Alexandrie, & à Diogene Laërce, n'a pas l'ombre de la vraissemblance; ne s'accorde ni avec le caractere d'Hipparchia, ni avec les principes de Cratès, & ressemble tout - à - fait à ces mauvais contes dont la méchanceté se plaît à flétrir les grands noms, & que la crédulité sotte adopte avec avidité, & accrédite avec joie.

Métrocle, frere d'Hipparchia & disciple de Cratès. On fait à celui - ci un mérite d'avoir en mourant condamné ses ouvrages au feu; mais si l'on juge de ses productions par la foiblesse de son esprit & la pusillanimité de son caractere, on ne les estimera pas dignes d'un meilleur sort.

Théombrote & Cléomene, disciples de Métrocle. Démétrius d'Alexandrie, disciple de Théombrote. Timarque de la même ville, & Echecle d'Ephese, disciples de Cléomene. Menedeme, disciple d'Echecle. Le Cynisme dégénera dans celui - ci en frénésie; il se déguisoit en T y siphone, prenoit une torche à la main, & couroit les rues, en criant que les dieux des ensers l'avoient envoyé sur la terre pour discerner les bons des méchans.

Ménédeme le frénétique eut pour disciple Ctésibius de Chalcis, homme d'un caractere badin & d'un esprit gai, qui; plus philosophe peut - être qu'aucun de ses prédécesseurs, sut plaire aux grands sans se prostituer, & profiter de leur familiarité pour leur faire entendre la vérité & goûter la vertu.

Ménippe, le compatriote de Diogene. Ce fut un des derniers Cyniques de l'école ancienne; il se rendit plus recommandable par le genre d'écrire, auquel il a laissé son nom, que par ses moeurs & sa philosophie. Il étoit naturel que Lucien qui l'avoit pris pour son modele en Littérature, en fît son héros en Morale. Ménippe faisoit le commerce, composoit des satyres, & prétoit sur gage. Dévoré de la soif d'augmenter ses richesses, il confia tout ce qu'il en avoit amassé à des marchands qui le volerent. Diogene brisa sa tasse, lorsqu'il eut reconnu qu'on pouvoit boire dans le creux de sa main. Cratès vendit son patrimoine, & en jetta l'argent dans la mer, en criant: Je suis libre. Un des premiers disciples d'Antisthene auroit plaisanté de la perte de sa fortune, & se seroit reposé sur cet argent qui faisoit commettre de si vilaines actions, du soin de le vanger de la mauvaise foi de ses associés; le cynique usurier en perdit la tête, & se pendit.

Ainsi finit le Cynisme ancien. Cette philosophie reparut quelques années avant la naissance de J. C. mais dégradée. Il manquoit aux Cyniques de l'école moderne les ames fortes, & les qualités singulieres d'Antisthene, de Cratès, & de Diogene. Les maximes hardies que ces philosophes avoient avancées, & qui avoient été pour eux la source de tant d'actions vertueuses; outrées, mal entendues par leurs derniers successeurs, les précipiterent dans la débauche & le mépris. Les noms de Carnéade, de Muso -

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