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Cependant ses ironies perpétuelles ne resterent point sans quelque espece de represaille. On le noircit de mille calomnies qu'on peut regarder comme la monnoie de ses bons mots. Il fut accusé de son tems, & traduit chez la postérité comme coupable de l'obscénité la plus excessive. Son tonneau ne se présente encore aujourd 'hui à notre imagination prévenue qu'avec un cortége d'images deshonnêtes; on n'ose regarder au fond. Mais les bons esprits qui s'occuperont moins à chercher dans l'histoire ce qu'elle dit, que ce qui est la vérité, trouveront que les soupçons qu'on a répandus sur ses moeurs n'ont eu d'autre fondement que la licence de ses principes. L'histoire fcandaleuse de Laïs est démentie par mille circonstances; & Diogene mena une vie si frugale & si laborieuse, qu'il put aisément se passer de femmes, sans user d'aucune ressource honteuse.
Voilà ce que nous devons à la vérité, & à la mémoire de cet indécent, mais très - vertueux philosophe. De petits esprits, animés d'une jalousie basse contre toute vertu qui n'est pas renfermée dans leur secte, ne s'acharneront que trop à déchirer les sages de l'antiquité, sans que nous les secondions. Faisons plûtôt ce que l'honneur de la philosophie & même de l'humanité doit attendre de nous: reclamons contre ces voix imbécilles, & tâchons de relever, s'il se peut, dans nos écrits les monumens que la reconnoissance & la vénération avoient érigés aux philosophes anciens, que le tems a détraits, & dont la superstition voudroit encore abolir la mémoire.
Diogene mourut à l'âge de quatre - vingts - dix ans. On le trouva sans vie, enveloppé dans son manteau. Le ministere public prit soin de sa sépulture. Il fut inhumé vers la porte de Corinthe, qui conduisoit à l'lsthme. On plaça sur son tombeau une colonne de marbre de Paros, avec le chien symbole de la secte; & ses concitoyens s'empresserent à l'envi d'éterniser leurs regrets, & de s'honorer eux - mêmes, en enrichissant ce monument d'un grand nombre de figures d'airain. Ce sont ces figures froides & muettes qui déposent avec force contre les calomniatcurs de Diogene; & c'est elles que j'en croirai, parce qu'elles sont sans passion.
Diogene ne forma aucun systeme de Morale; il suivit la méthode des philosophes de son tems. Elle consistoit à rappeller toute leur doctrine à un petit nombre de principes fondamentaux qu'ils avoient toûjours présens à l'csprit, qui dictoient leurs réponses, & qui dirigeoient leur conduite. Voici ceux du philosophe Diogene.
Il y a un exercice de l'ame, & un exercice du corps. Le premier est une source seconde d'images sublimes qui naissent dans l'ame, qui l'enflamment & qui l'élevent. Il ne faut pas négliger le second,
Tout s'acquiert par l'exercice; il n'en faut pas même excepter la vertu. Mais les hommes ont travaillé à se rendre malheureux, en se livrant à des exercices qui sont contraires à leur bonheur, parce qu'ils ne sont pas conformes à leur nature.
L'habitude répand de la douceur jusque dans le mépris de la volupté.
On doit plus à la nature qu'à la loi.
Tout'est commun entre le sage & ses amis. Il est au milieu d'eux comme l'Être bien - faisant & suprême au milieu de ses créatures.
Il n'y a point de société sans loi. C'est par la loi que le citoyen joüit de sa ville, & le républicain de sa république. Mais si les lois sont mauvaises, l'homme est plus malheureux & plus méchant dans la société que dans la nature.
Ce qu'on appelle gloire est l'appas de la sottise, & ce qu'on appelle noblesse en est le masque.
Une république bien ordonnée seroit l'image de l'ancienne ville du Monde.
Quel rapport essentiel y a - t - il entre l'Astronomie, la Musique, la Géométrie, & la connoissance de son devoir & l'amour de la vertu?
Le triomphe de soi est la consommation de toute philosophie.
La prérogative du philosophe est de n'être surpris par aucun evenement.
Le comble de la folie est d'enseigner la vortu, d'en faire l'éloge, & d'en négliger la pratique. Il seroit à souhaiter que le mariage fût un vain nom, & qu'on mît en commun les femmes & les enfans.
Pourquoi seroit - il permis de prendre dans la Nature ce dont on a besoin, & non pas dans un Temple?
L'amour est l'occupation des desoeuvrés.
L'homme dans l'état d'imbécillité ressemble beaucoup à l'animal dans son état naturel.
Le médisant est la plus cruelle des bêtes farouches, & le flatteur la plus dangereuse des bêtes privées.
Il faut résister à la fortune par le mépris, à la loi par la nature, aux passions par la raison.
Aye les bons pour amis, afin qu'ils t'encouragent à saire le bien; & les méchans pour ennemis, afin qu'ils t'empêchent de faire le mal.
Tu demandes aux dieux ce qui te semble bon, & ils t'exauceroient peut - être, s'ils n'avoient pitié de ton imbécillité.
Traite les grands comme le feu, & n'en sois jamais ni trop éloigné, ni trop près.
Quand je vois la Philosophie & la Medecine, l'homme me paroît le plus sage des animaux, disoit encore Diogene; quand je jette les yeux sur l'Astrologie & la Divination, je n'en trouve point de plus fou; & il me semble, pouvoit - il ajoûter, que la superstition & le despotisme en ont fait le plus misérable.
Les succès du voleur Harpalus (c'étoit un des lieutenans d'Alexandre) m'inclineroient presque à croire, ou qu'il n'y a point de dieux, ou qu'ils ne prennent aucun souci de nos affaires.
Par courons maintenant quelques - uns de ses bons
mots. Il écrivit à ses compatriotes:
Ceux - ci suffisent pour montrer que Diogene avoit
le caractere tourné à l'enjoüement, & qu'il y avoit
plus de tempérament encore que de philosophie dans
cette insensibilité tranquille & gaie, qu'il a poussée
aussi loin qu'il est possible à la nature humaine de la
porter,
Il y eut encore des Cyniques de réputation après la mort de Diogene. On peut compter de ce nombre:
Xéniade, dont il avoit été l'esclave. Celui - ci jetta les premiers fondemens du Scepticisme, en soûtenant que tout étoit faux, que ce qui paroissoit de nouveau naissoit de rien, & que ce qui disparoissoit retournoit à rien.
Onésicrite, homme puissant & considéré d'Alexandre. Diogene Laërce raconte qu'Onésicrite ayant envoyé le plus jeune de ses fils à Athenes où Diogene professoit alors la Philosophi>, cet enfant eut à peine entendu quelques - unes de ses leçons, qu'il devint son disciple; que l'éloquence du philosophe produisit le même effet sur son frere aîné, & qu'Onésicrite lui - même ne put s'en défendre.
Ce Phocion, que Démosthene appelloit la coignée de ses périodes, qui fut surnommé l'homme de bien, que tout l'or de Philippe ne put corrompre, qui demandoit à son voisin, un jour qu'il avoit harangué avec les plus grands applaudissemens du peuple, s'il n'avoit point dit de sottises.
Stilpon de Megare, & d'autres hommes d'état.
Monime de Syracuse, qui prétendoit que nous
étions trompés sans cesse par des simulacres; système
dont Malbranche n'est pas éloigné, & que Berkley
a suivi. Voyez
Métrocle, frere d'Hipparchia & disciple de Cratès. On fait à celui - ci un mérite d'avoir en mourant condamné ses ouvrages au feu; mais si l'on juge de ses productions par la foiblesse de son esprit & la pusillanimité de son caractere, on ne les estimera pas dignes d'un meilleur sort.
Théombrote & Cléomene, disciples de Métrocle. Démétrius d'Alexandrie, disciple de Théombrote. Timarque de la même ville, & Echecle d'Ephese, disciples de Cléomene. Menedeme, disciple d'Echecle. Le Cynisme dégénera dans celui - ci en frénésie; il se déguisoit en T y siphone, prenoit une torche à la main, & couroit les rues, en criant que les dieux des ensers l'avoient envoyé sur la terre pour discerner les bons des méchans.
Ménédeme le frénétique eut pour disciple Ctésibius de Chalcis, homme d'un caractere badin & d'un esprit gai, qui; plus philosophe peut - être qu'aucun de ses prédécesseurs, sut plaire aux grands sans se prostituer, & profiter de leur familiarité pour leur faire entendre la vérité & goûter la vertu.
Ménippe, le compatriote de Diogene. Ce fut un des derniers Cyniques de l'école ancienne; il se rendit plus recommandable par le genre d'écrire, auquel il a laissé son nom, que par ses moeurs & sa philosophie. Il étoit naturel que Lucien qui l'avoit pris pour son modele en Littérature, en fît son héros en Morale. Ménippe faisoit le commerce, composoit des satyres, & prétoit sur gage. Dévoré de la soif d'augmenter ses richesses, il confia tout ce qu'il en avoit amassé à des marchands qui le volerent. Diogene brisa sa tasse, lorsqu'il eut reconnu qu'on pouvoit boire dans le creux de sa main. Cratès vendit son patrimoine, & en jetta l'argent dans la mer, en criant: Je suis libre. Un des premiers disciples d'Antisthene auroit plaisanté de la perte de sa fortune, & se seroit reposé sur cet argent qui faisoit commettre de si vilaines actions, du soin de le vanger de la mauvaise foi de ses associés; le cynique usurier en perdit la tête, & se pendit.
Ainsi finit le Cynisme ancien. Cette philosophie
reparut quelques années avant la naissance de J. C.
mais dégradée. Il manquoit aux Cyniques de l'école
moderne les ames fortes, & les qualités singulieres
d'Antisthene, de Cratès, & de Diogene. Les maximes
hardies que ces philosophes avoient avancées,
& qui avoient été pour eux la source de tant d'actions
vertueuses; outrées, mal entendues par leurs
derniers successeurs, les précipiterent dans la débauche
& le mépris. Les noms de Carnéade, de Muso -
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