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Critique, Censure, (Page 4:490)
Critique (Page 4:490)
Les restituteurs de la Littérature ancienne n'avoient qu'une voie, encore très - incertaine; c'étoit de rendre les auteurs intelligibles l'un par l'autre, & à l'aide des monumens. Mais pour nous transmettre cet or antique, il a fallu périr dans les mines. Avoüons - le, nous traitons cette espece de critique avec trop de mépris, & ceux qui l'ont exercée si
Cette partie de la critique comprendroit encore
la vérification des calculs chronologiques, si ces
calculs pouvoient se vérifier; mais le peu de fruit
qu'ont retiré de ce travail les sçavans illustres qui
s'y sont exercés, prouve qu'il seroit desormais aussi
inutile que pénible de revenir sur leurs recherches.
Il faut savoir ignorer ce qu'on ne peut connoître;
or il est vraissemblable que ce qui n'est pas connu
dans l'histoire des tems, ne le sera jamais, &
l'esprit humain y perdra peu de chose. Voyez
Le second point de vûe de la critique, est de la considérer comme un examen éclairé & un jugement équitable des productions humaines. Toutes les productions humaines peuvent être comprises sous trois chefs principaux; les Sciences, les Arts libéraux, & les Arts méchaniques: sujet immense que nous n'avons pas la témérité de vouloir approfondir, sur - tout dans les bornes d'un article. Nous nous contenterons d'établir quelques principes généraux que tout homme capable de sentiment & de réflexion est en état de concevoir; & s'il en est qui manquent de justesse ou de clarté, à quelque sévere examen que nous ayons pû le soûmettre, le lecteur trouvera dans les articles relatifs auxquels nous aurons soin de le renvoyer, de quoi rectifier ou développer nos idées.
Critique dans les Sciences. Les sciences se réduisent à trois points: à la démonstration des vérités anciennes, à l'ordre de leur exposition, à la découverte des nouvelles vérités.
Les vérités anciennes sont ou de fait ou de spéculation. Les faits sont ou moraux ou physiques. Les faits moraux composent l'histoire des hommes, dans laquelle souvent il se mêle du physique, mais toûjours relativement au moral.
Comme l'histoire sainte est révelée, il seroit impie de la soûmettre à l'examen de la raison; mais il est une maniere de la discuter pour le triomphe même de la foi. Comparer les textes, & les concilier entr'eux; rapprocher les évenemens des prophéties qui les annoncent; faire prévaloir l'évidence morale à l'impossibilité physique; vaincre la répugnance de la raison par l'ascendant des témoignages; prendre la tradition dans sa source, pour la présenter dans toute sa force; exclure enfin du nombre des preuves de la vérité tout argument vague, foible ou non concluant, espece d'armes communes à toutes les religions, que le faux zele employe & dont l'impiété se joüe: tel seroit l'emploi du critique dans cette partie. Plusieurs l'ont entrepris avec autant de succès que de zele, parmi lesquels Pascal doit occuper la premiere place, pour la céder à celui qui exécutera ce qu'il n'a fait que méditer.
Dans l'histoire profane, donner plus ou moins d'autorité aux faits, suivant leur degré de possibilité, de vraissemblance, de célébrité, & suivant le poids des témoignages qui les confirment: examiner le caractere & la situation des historiens; s'ils ont été libres de dire la vérité, à portée de la connoître, en état de l'approfondir, sans intérêt de la déguiser: [p. 491]
Les faits purement physiques composent l'histoire naturelle, & la vérité s'en démontre de deux manieres: ou en répetant les observations & les expériences; ou en pesant les témoignages, si l'on n'est pas à portée de les vérifier. C'est faute d'expérience qu'on a regardé comme des fables une infinité de faits que Pline rapporte, & qui se confirment de jour en jour par les observations de nos Naturalistes.
Les anciens avoient soupçonné la pésanteur de
l'air, Toricelli & Pascal l'ont démontrée. Newton
avoit annoncé l'applatissement de la terre, des philosophes
ont passé d'un hémisphere à l'autre pour la
mesurer. Le miroir d'Archimede confondoit notre
raison, & un physicien, au lieu de nier ce phénomene,
a tenté de le reproduire, & le prouve en le
répetant. Voilà comme on doit critiquer les faits.
Mais suivant cette méthode les sciences auront peu
de critiques. Voyez
Ces exemples doivent rendre un critique bien circonspect dans ses décisions. La crédulité est le partage des ignorans; l'incrédulité décidée, celui des demi - sçavans; le doute méthodique, celui des sages. Dans les connoissances humaines, un philosophe démontre ce qu'il peut; croit ce qui lui est démontré; rejeite ce qui y répugne, & suspend son jugement sur tout le reste.
Il est des vérités que la distance des lieux & des
tems rend inaccessibles à l'expérience, & qui n'étant
pour nous que dans l'ordre des possibles, ne
peuvent être observées que des yeux de l'esprit.
Ou ces vérités sont les principes des faits qui les
prouvent, & le critique doit y remonter par l'enchaînement
de ces faits; ou elles en sont des conséquences,
& par les mêmes degrés il doit descendre jusqu'à elles. Voyez
Souvent la vérité n'a qu'une voie par où l'inventeur y est arrivé, & dónt il ne reste aucun vestige: alors il y a peut - être plus de mérite à retrouver la route, qu'il n'y en a eu à la découvrir. L'inventeur n'est quelquefois qu'un aventurier que la tempête a jetté dans le port; le critique est un pilote habile que son art seul y conduit: si toutefois il est permis d'appeller art une suite de tentatives incertaines & de
Le desir de connoître est souvent stérile par trop d'activité. La vérité veut qu'on la cherche, mais qu'on l'attende; qu'on aille au - devant d'elle, mais jamais au - delà. C'est au critique, en guide sage, d'obliger le voyageur à s'arrêter où finit le jour, de peur qu'il ne s'égare dans les ténebres. L'éclipse de la nature est continuelle, mais elle n'est pas totale; & de siecle en siecle elle nous laisse appercevoir quelques nouveaux points de son disque immense, pour nourrir en nous, avec l'espoir de la connoître, la constance de l'étudier.
Lucrece, S. Augustin, Boniface, & le pape Zacharie, étoient debout sur notre hémisphere, & ne concevoient pas que leurs semblables pussent être dans la même situation sur un hémisphere opposé: ut per aquas quoe nunc rerum simulacra videmus, dit Lucrece, (De rer. nat. lib. I.) pour exprimer qu'ils auroient la tête en bas. On a reconnu la tendance des graves vers un centre commun, & l'opinion des Antipodes n'a plus révolté personne. Les anciens voyoient tomber une pierre, & les slots de la mer s'élever; ils étoient bien loin d'attribuer ces deux effets à la même cause. Le mystere de la gravitation nous a été révélé: ce chaînon a lié les deux autres; & la pierre qui tombe & les flots qui s'élevent, nous ont paru soûmis aux mêmes lois. Le point essentiel dans l'étude de la nature, est donc de découvrir les milieux des vérités connues, & de les placer dans l'ordre de leur enchaînement: tels faits paroissent isolés, dont le noeud seroit sensible s'ils étoient mis à leur place. On trouvoit des carrieres de marbre dans le sein des plus hautes montagnes; on en voyoit former sur les bords de l'Océan par le ciment du sel marin; on connoissoit le parallélisme des couches de la terre: mais répandus dans la Physique, ces faits n'y jettoient aucune lumiere; ils ont été rapprochés, & l'on reconnoît les monumens de l'immersion totale ou successive de ce globe. C'est à cet ordre lumineux que le critique devroit sur - tout contribuer.
Il est pour les découvertes un tems de maturité
avant lequel les recherches semblent infructueuses.
Une vérité attend pour éclore la réunion de ses élémens. Ces germes ne se rencontrent & ne s'arrangent
que par une longue suite de combinaisons: ainsi
ce qu'un siecle n'a fait que couver, s'il est permis
de le dire, est produit par le siecle qui lui succede;
ainsi le problème des trois corps proposé par Newton,
n'a été résolu que de nos jours, & l'a été par trois
hommes en même tems. C'est cette espece de fermentation
de l'esprit humain, cette digestion de nos
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