ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"486"> qui est un petit in - 4°. de 19 pages en comptant la préface, est, comme on voit, en latin, & on pourroit la regarder, pour m'exprimer dans la langue favorite de l'auteur, veluti elenchum aliquot Medicinoe principum sententiarum: en effet, l'auteur parcourt les Medecins grecs, arabes, & latins; il en donne une liste, & il prouve qu'ils étoient la plûpart attachés au système des crises, ce dont je crois que personne n'a jamais douté. M. Normand paroît fort occupé à la lecture des anciens; c'est pourquoi sans doute il s'arrête parmi les modernes à M. Mead & au docteur Bark: de sorte qu'on ne sait pas si les Vanswienten, les Solano, les Nihell, & bien d'autres, sont encore parvenus jusqu'à Dole.

Au reste M. Normand cite beaucoup d'auteurs; son ouvrage n'est qu'une chaîne de passages & d'autorités. Une partie de la dissertation d'Hoffman, de fato medico & physico, dans laquelle ce medecin rapporte tout ce que l'on a dit des septenaires, fait le premier chapitre de la dissertation de M. Normand. L'auteur termine ce premier chapitre en citant contre Themison disciple d'Asclepiade, & par conséquent fort opposé aux crises, ce vers de Juvénal:

Quot Themison oegros autumno occiderit uno.

Bien des gens pourront penser que cette réflexion n'est pas plus concluante contre Themison, que tous les traits de Moliere contre les Medecins françois; il faut la regarder comme la plaisanterie de ce roi d'Angleterre, qui prétendoit que son medecin lui avoit tué plus de soldats que les ennemis. Ce sont - là de ces bons mots dont on ne peut jamais se servir sérieusement contre quelqu'un qu'on veut combattre; ils font honneur à ceux auxquels on les oppose, & on pourroit présumer par le vers seul de Juvénal, que Themison fut un medecin des plus célebres.

Le deuxieme chapitre de la dissertation de M. Normand fait, à proprement parler, le corps de l'ouvrage; on y trouve la plus pure doctrine des anciens: l'auteur n'y a rien changé. Le troisieme chapitre contient des réflexions fort judicieuses sur l'importance des crises & des jours critiques, & sur les différentes voies par lesquelles les crises se font; il remarque que les jours critiques sont rarement de vingt - quatre heures précises, adoequate. Enfin personne ne disconviendra jamais que cet ouvrage ne puisse être de quelque utilité pour ceux qui travailleront dans la suite sur les crises. Il est fâcheux que l'auteur se soit uniquement livré à l'autorité des anciens, & qu'il n'ait pas rapporté quelques - unes de ses observations particulieres, qui n'auroient certainement pas déparé sa dissertation.

On doit se rappeller que j'ai avancé ci - dessus qu'il y avoit toûjours eu dans la faculté de Paris des medecins attachés aux dogmes de Baillou, de Houllier, de Duret, & de Fernel, qui ont renouvellé dans cette fameuse école les opinions des anciens. Je tire mes preuves, tant des différens ouvrages qui sont entre les mains de tout le monde, que du recueil des theses dont M. Baron, doyen de la faculté, vient de faire imprimer le catalogue: ce catalogue fait connoître parfaitement la maniere de penser des Medecins, & les progrès de leurs opinions. C'est une espece de chronologie aussi intéressante pour l'histoire de la Medecine, que pour celle de l'esprit humain; on y découvre les vûes précieuses de nos prédécesseurs, & les traces des efforts qu'ils ont faits pour perfectionner notre art & toutes ses branches: c'est là la source pure des différens systèmes; ils s'y présentent tels qu'ils furent dans leur naissance. Semblable aux anciens temples dans lesquels on consacroit les observations & les découvertes en Medecine, la faculté de Paris conserve le dépôt sacré que ses illustres membres lui ont confié; & il seroit à sou<cb-> haiter que toutes celles de l'Europe l'imitassent à cet égard.

Or parmi les theses trop peu connues, qu'on a soûtenues à la faculté, & qui ont quelque rapport au système des crises; j'en choisis une qui est antérieure à tous les ouvrages des modernes dont je viens de parler, & dans laquelle on trouve la doctrine des crises exposée avec beaucoup de précision & de clarté. Cette these a pour titre: An à rectâ crisium doctrinâ & observatione medicina certior? savoir si la saine doctrine des crises & leurs observations rendent la medecine plus certaine. Année 1741. Elle a été soûtenue sous la présidence de M. Murry, qui en est l'auteur; & on voit qu'elle a beaucoup de rapport avec le programme de l'académie de Dijon.

M. Murry, après avoir fait quelques réflexions sur l'importance de la doctrine des crises, & sur la maniere dont elle a été arrêtée & pour ainsi dire ensevelie par les différens systèmes, en fait une exposition tirée d'Hippocrate & de Galien. Il insiste beaucoup après Prosper Martianus & Petrus Castellus, sur la nécessité qu'il y a de ne point compter scrupuleusement les jours naturels dans les maladies; il fait voir qu'il faut s'en tenir aux redoublemens, & qu'en suivant exactement leur marche, on trouve son compte dans le calcul des anciens: ce qui fournit en effet de très - grands éclaircissemens, & qui est conforme à l'avis de Celse, qui étoit ennemi déclaré des jours critiques. D'ailleurs la these dont il est question, est pleine de préceptes sages & de réflexions très - sensées. En un mot, on doit la regarder comme un abregé parfait de tout ce que les anciens ont dit de mieux sur cette matiere, & on y trouve bien des remarques qui sont propres à l'auteur.

Cette these qui manquoit à M. Normand, a beaucoup servi à M. Aymen, qui a eu la précaution de la citer. Il en a tiré notamment trois remarques particulieres. En premier lieu, une observation rare faite par M. Murry, & conforme en tout à la loi d'Hippocrate; cette loi est concûe en ces termes: In febribus ardentibus oculorum distorsio, aut coecitas, aut testium tumores, aut mammarum elevatio, febrem ardentem solvit: « La fievre ardente peut se terminer par le dérangement du corps des yeux, par la perte de la vûe, par une tumeur aux testicules, ou par l'élévation des mammelles ». L'auteur de la these a précisément vû le cas de la tumeur au testicule & de la perte de la vûe, & il a cité Hippocrate, dont il a eu le plaisir de confronter la décision avec sa propre observation. La deuxieme remarque que M. Aymen a pû extraire de la these dont il est question, regarde le docteur Clifton Witringham, qui a observé pendant seize ans les maladies des habitans d'Yorck, & le changement des saisons, qui a découvert que les maladies suivoient exactement les mouvemens de la liqueur du barometre, & qui s'est convaincu que ces maladies étoient semblables à celles de la Grece. Enfin la troisieme observation est une idée très - lumineuse de M. Duverney, medecin de la faculté de Paris, qui soûtint dans une these en 1719, qu'il y avoit beaucoup d'analogie entre la théorie des crises & celle des périodes des maladies; magnam cum periodis affiuitatem habet crisium theoria; si enim stati sunt morborum decursus, cur non & solutiones? Ce sont autant de matériaux pour l'éclaircissement de la doctrine des crises.

Il y auroit bien des réflexions à faire sur tous les ouvrages dont je viens de parler; je les réduis à trois principales. 1°. On ne peut qu'admirer la sagesse de tous ces auteurs modernes, qui se contentent d'admettre la doctrine des crises comme un tissu de phénomenes démontrés par l'observation; ils ne rappellent qu'avec une sorte d'indignation les explications [p. 487] que les anciens ont voulu donner de ces phénomenes; ils regardent ces explications prétendues comme des romans, ou plûtôt comme des rêveries, qui sont autant de taches faites à la pure doctrine d'Hippocrate. Ils ne sont pourtant pas bien d'accord sur l'usage qu'on peut faire de la théorie & des systèmes des nouvelles écoles pour l'explication des crises, & pour en découvrir les causes: vero consentaneum non censui, s'écrie M. Normand, propositum probare ex physicis vel hypotheticis ratiociniis, ut plurimum inconstantibus & incertis, ut ut magis multò pompam redoleant. « Chaque auteur, dit M. Aymen, a bâti selon son idée une hypothese, & donné un nom ridicule à la cause des crises»; & il avance bientôt après, que la cause des crises est simple, & qu'elle se présente naturellement. Ce qu'il y a de vrai, c'est qu'on est trop avancé aujourd'hui dans la physique du corps humain, pour qu'on ne puisse pas tenter au moins de déterminer si les crises sont possibles, & tâcher de chercher une explication de leur méchanisme. Je ne doute pas que ces efforts ne fissent un bien considérable au fonds de la doctrine des crises, & qu'elle ne reçût un nouvel éclat, si on la présentoit de maniere à satisfaire l'imagination des Physiciens. Il faut l'avoüer, les saits épars & isolés n'ont jamais autant de grace, sur - tout pour quiconque n'est pas en droit de douter, que lorsqu'ils sont liés les uns aux autres par un systême quel qu'il puisse être. Les systèmes sont la pâture de l'imagination, & l'imagination est toûjours de la partie dans les progrès de l'esprit; elle peint les objets de l'entendement, elle classe ceux de la mémoire. Sinesius & Plotin appelloient la nature magicienne (Gelée, trad. de Dulaurens): cette dénomination conviendroit mieux à l'imagination. Voilà la grande magicienne qui dirige les têtes les moins ordinaires comme les plus communes; le nombre des élûs qui lui résistent est infiniment petit, il faut qu'il le soit.

M'est - il permis, cela étant, & pour ne rien négliger de ce qui peut servir à bâtir un système, de rappeller ici ce que j'ai placé dans mes recherches anatomiques sur les glandes? Supposé, ai - je dit, §. 127, que tel organe agisse tous les jours dans le corps, c'est - à - dire qu'il exerce sa fonction à telle heure précisément, ne pourroit - on pas soupçonner qu'il concourt à produire les phénomenes qu'on observeroit dans ce même tems; & s'il y a des organes dont les actions ou les fonctions se rencontrent de deux en deux, ou de trois en trois jours, ne pourroit - on pas aussi établir les mêmes soupçons, éclaircir par - là bien des phénomenes dont on a tant parlé, les crises & les jours critiques, & distinguer ce qu'il y a d'imaginaire & de réel sur ces matieres? Ce sont - là des problèmes que je me suis proposé, & dont j'attendrai la résolution de la part de quelque grand physiologiste & medecin qui les trouvera dignes de son attention, jusqu'à ce que je sois en droit de proposer mes idées. Je ne puis m'empêchèr de parler d'une prétention d'Hippocrate, qui me paroît fort importante: il dit (de morb. lib. IV.) que la coction parfaite des alimens se fait ordinairement en trois jours; & que la nature suivant les mêmes lois dans les maladies que dans l'état de santé, les redoublemens doivent ordinairement être plus forts aux jours impairs. M. Murry tire un grand parti de cette remarque, qui mérite d'être encore examinée avec attention.

Ma deuxieme remarque roule sur le fameux passage de Celse, qui accusoit les anciens d'avoir été trompés par la philosophie de Pythagore, & d'avoir fondé leur système des jours critiques sur les dogmes de cette école, dans laquelle les nombres, surtout les impairs, joüoient un très - grand rôle. Ce passage porte un coup mortel à la doctrine des crises, il en sape les fondemens; aussi a - t - il été attaqué vi<cb-> vement par tous les sectateurs des crises, tant anciens que modernes. Genuina Hippocratis proeceptorum traditio, dit M. Murry, Celso non innotuit, cui per tempus non vacabat, aut quem animus non stimulabat, ut medicinoe clinicoe navaret operam... Celsus ait in proesatione recentiores sateri Hippocratem optime proesagisse, quamvis in curationibus quoedam mutaverint; « Celse n'a pas eu le tems de s'instruire, sur - tout par la pratique de la véritable doctrine d'Hippocrate; & il dit que les medecins de son tems avoüoient qu'Hippocrate étoit fort pour le prognostic ». Ainsi la plûpart de tous ceux qui ont parlé de Celse, l'ont acusé de n'être pas praticien, & par conséquent d'être hors d'état de rien statuer sur la matiere des crises. Je me suis contenté ci - dessus de révoquer son témoignage particulier en doute, & il me semble que c'est tout ce qu'on peut faire de plus. En effet, quand je vois que Celse prétend, dans le même endroit où il réfute le système des anciens sur le nombre des jours, qu'il faut observer les redoublemens & non point les jours, ipsas accessiones intueri debet medicus, cap. jv. lib. III. & que tous les modernes sont obligés d'en revenir à cette façon de calculer, je ne puis m'empêcher d'en conclure qu'il falloit que Celle y eût regardé de bien près, ou du moins qu'il eût reçu des éclaircissemens de la part des medecins les mieux instruits. Après tout, si Celse n'a pas été praticien, il est naturel de présumer qu'il s'en est uniquement tenu à la pratique des fameux medecins de son tems; & ces medecins disciples d'Asclépide ne peuvent pas être regardés comme n'ayant point vû de malades. Ajoûtez à tout cela la bonne - foi que Celse & ceux dont il expose le sentiment montrent à l'égard d'Hippocrate: il savoit, disent - ils, très - bien former un prognostic, mais nous avons changé quelque chose à sa facon de traiter les maladies; c'est - à - dire que si Hippocrate avoit été à portée d'observer les maladies vénériennes, par exemple, il auroit très - bien sû dire après des épreuves réitérées, & en voyant un malade atteint de cette maladie: dans tant de jours le palais sera carié, les os seront exostosés, les cheveux tomberont; & qu'Asclépiade auroit cherché unremede pour arrêter les progrès de la maladie; lequel vaut le mieux? Il est donc important de ne pas se décider légerement contre Celse; & comme je l'ai déjà remarqué, c'est beaucoup faire que de rester dans le doute sur ses lumieres particulieres; mais il sera toûjours vrai que les fameux praticiens de son tems étoient de l'avis qu'il expose.

Troisiemement enfin, quels que soient les travaux des modernes que nous venons de citer, quelle que soit leur exactitude, il ne faut pas penser que les anticritiques demeurent sans aucune ressource; il leur reste toûjours bien des raisons qui ont au moins l'air fort spécieux, pour ne rien avancer de plus. En effet, diront - ils, nous avoüons qu'il arrive des crises dans les maladies, & qu'il y a des jours marqués pour les redoublemens; s'ensuit - il delà que cette doctrine puisse avoir quelqu'application dans la pratique? C'est ici qu'il faut en appeller aux vrais praticiens, à ceux qui sont chargés du traitement des malades: ils ont souvent éprouvé qu'il est pour l'ordinaire impossible de connoître les premiers tems d'une maladie: ils nous apprendront qu'ils sont appellés chaque jour pour calmer de vives douleurs, pour remédier à des symptomes pressans; que les malades veulent être soulagés, & que les medecins leur deviennent inutiles s'ils prétendent attendre & compter les jours. La marche des crises sera, si l'on veut, aussi - bien réglée & aussi bien connue que la circulation du sang; en quoi ces connoissances peuvent - elles être utiles? qui oseroit se proposer d'en faire usage? Il peut être aussi certain qu'il y a des crises, comme il est certain qu'il se fait des changemens

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