ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"474"> d'éluder l'argument qu'on peut en tirer contre son opinion favorite, en disant que les livres des épidémies étoient informes, & destinés seulement à l'usage particulier d'Hippocrate. Dulaurens va plus loin, & il veut faire croire qu'Hippocrate n'avoit pas encore acquis, lorsqu'il composoit ses livres des épidémies, une connoissance complette des jours critiques. Mais à quoi servent ces subterfuges? Tout ce qu'on peut supposer de plus raisonnable en faveur d'Hippocrate, s'il est l'auteur de ces ouvrages dans lesquels on trouve des contradictions, c'est que ces contradictions sont dans la nature, & qu'il a dans toutes les occasions peint la nature telle qu'elle s'est présentée à lui; mais il a toûjours eu tort de se presser d'établir des regles générales: ses épidémies doivent justifier ses aphorismes, sans quoi ceux - ci manquant de preuves, ils peuvent être regardés comme des assertions sur lesquelles il ne faut pas compter.

D'ailleurs, Dioclès & Archigene dont nous avons déjà parlé, ne comptoient point les jours comme Hippocrate & Galien; ils prétendoient que le 21 devoit être mis à la place du 20, d'où il s'ensuivoit que le 18 devenoit jour indicatif, & que le 25, le 28, le 32, & les autres dans cet ordre, étoient critiques. Dioclès & Archigene avoient leurs partisans; Celse, s'il faut compter son suffrage sur cette matiere, donne même la préférence au 21 sur le 20. On en appelloit de part & d'autre à l'expérience & à l'observation; pourquoi nous déterminerions - nous pour un des partis plûtôt que pour l'autre, n'ayant d'autre motif que le témoignage ou l'autorité des parties intéressées elles - mêmes?

Nous l'avons déjà dit, les anciens sentoient la force de ces difficultés, ils se les faisoient à eux - mêmes, & malgré cela la doctrine des jours critiques leur paroissoit si essentielle, qu'ils n'osoient se résoudre à l'abandonner: ceux qui se donnoient cette sorte de liberté, tels qu'un des Asclépiades, étoient regardés par tous leurs confreres comme tres - peu medecins, ou comme téméraires. Cependant Celfe loue Asclépiade de cette entreprise, & donne une très - bonne raison du zele des anciens pour les jours critiques: c'est, dit - il en parlant des premiers medecins qu'il nomme antiquissimi, qu'ils ont été trompés par les dogmes des Pythagoriciens.

Il y a apparence que les dogmes devinrent à la mode, qu'ils pénétrerent jusqu'au sanctuaire des sectes des medecins. Ceux - ci furent aussi surpris de découvrir quelques rapports entre les opinions des philosophes & leurs expériences, que charmés de se donner l'air savant: en un mot, ils payerent le tribut aux systèmes dominans de leur siecle; ce qui est arrivé tant de fois depuis, & ce que nous conclurons sur - tout d'un passage d'Hippocrate que voici.

Il recommande à son fils Thessalus de s'attacher exactement à l'étude de la science des nombres; parce que la connoissance des nombres suffit pour lui enseigner, & le circuit ou la marche des fievres, & leur transmutation, & les crises des maladies, & leur danger ou leur sûreté. C'est évidemment le Pythagoricien qui donne un pareil conseil, & non le medecin. Il n'en faut pas davantage pour prouver qu'avec de pareilles dispositions Hippocrate étoit très - porté à tâcher de plier l'observation à la théorie des nombres. L'esprit de système perce ici manifestement; on ne peut le méconnoître dans ce passage, qui découvre admirablement les motifs d'Hippocrate dans toutes les peines qu'il s'est donné pour arranger méthodiquement les jours critiques. C'est ainsi que par des traits qui ont échappé à un fameux moderne, on découvre facilement sa maniere de philosopher en Medecine. Voici un de ces traits, qui paroîtra bien singulier sans doute à quiconque n'aura pas donné dans les illusions de la medecine rationnelle. Après avoir donné pour la cause des fievres intermittentes la viscosité des humeurs, l'auteur dont nous parlons avance, qu'il est plus difficile de distinguer la vraie cause des fievres, que d'en imaginer une au moyen de laquelle on puisse tout expliquer; & tout de suite il procede à la création de cette cause, il raisonne, & il propose des vûes curatives d'après sa chimere, &c.

Quant à Galien, qui auroit dû être moins attaché qu'Hippocrate à la doctrine des nombres qui avoit déjà vieilli de son tems, on peut le regarder comme un commentateur & comme un copiste d'Hippocrate: d'ailleurs, son opinion sur l'action de la lune, dont nous parlerons plus bas, & plus que tout cela, son imagination vive, son génie incapable de supporter le doute, dubii impatiens, ont dû le faire échoüer contre le même écueil.

Cependant il faut convenir que Galien montre de la sagesse & de la retenue dans l'examen de la question des jours critiques; car outre ce que nous avons déjà rapporté de la bonne - foi avec laquelle il avoüoit que cette doctrine pouvoit souvent induire en erreur, il paroît avoir des égards singuliers pour les lumieres & les connoissances d'Archigene & des autres medecins qui n'étoient pas de son avis. Galien fait d'ailleurs un aveu fort remarquable au sujet de ce qu'il a écrit sur la vertu ou l'efficacité des jours: Ce que j'ai dit sur cette matiere, je l'ai dit comme malgrè moi, & pour me prêter aux vives instances de quelques - uns de mes amis: ô dieux! vous savez ce qui en est; je vous fais les témoins de ma sincérité. Vos, ô dü immortales, novistis! vos in testimonium voco. On ne sauroit ce semble soupconner que Galien ait voulu tromper ses lecteurs & ses dieux sur une pareille matiere; & cette espece de serment indique qu'il n'étoit pas tout - à - fait content de ses idées: eût - il pensé qu'elles devoient passer pour des lois sacrées pendant plusieurs siecles, & qu'en se prêtant aux instances de ses amis intéressés à le voir briller, il deviendroit le tyran de la Medecine?

C'est donc sur la prétendue efficacité intrinseque des jours & des nombres, qu'étoient fondés les dogmes des jours critiques: c'est de leur force naturelle que les Pythagoriciens tiroient leurs arcanes, & ces arcanes etoient sacrés pour tout ce qui s'appelloit philosophe. On ne peut voir sans étonnement toutes leurs prétentions à cet égard, & sur - tout l'amas singulier de conformités ou d'analogies qu'ils avoient recueillies pour prouver cette prétendue force: par exemple, celle du septieme jour ou du nombre septenaire, au sujet duquel, dit Dulaurens, les Egyptiens, les Chaldéens, les Grecs, & les Arabes, ont laisse beaucoup de choses par écrit. Le nombre septenaire, dit Renaudot, medêcin de la faculté de Paris, est tant estimé des Platoniciens, pour être composé du premier nombre impair, & du premier tout pair ou quarré, qui sont le 3 & le 4 qu'ils appellent mâle & femelle, & dont ils font un tel cas qu'ils en fabriquent l'ame du monde; & c'est par leur moyen que tout subsiste: la conception de l'enfant se fait au septieme jour; la naissance au septieme mois. Tant d'autres accidens arrivent aux septenaires: les dents poussent à sept mois; l'enfant se soûtient à deux fois sept; il délie sa langue à trois fois sept; il marche fermement à quatre fois sept; à sept ans les dents de lait sont chassées; à deux fois sept il est pubere; à trois fois sept il cesse de croître, mais il devient plus vigoureux jusqu'à sept fois . . . . . le nombre sept est donc un nombre plein, appellé des Grecs d'un nom qui veut dire vénérable. Hoffman n'a pas manqué de répéter toutes ces belles remarques, dans sa differtation de fato physico & medico.

Voilà la premiere cause de tous les calculs des medecins, voilà l'idole à laquelle ils sacrifioient [p. 475] leurs propres observations, qu'ils retournoient toûjours jusqu'à ce qu'elles fussent conformes à leur opinion maîtresse ou fondamentale; trop semblables dans cette sorte de fanatisme à la plûpart des modernes, dont les uns ont tout rappellé à la matiere subtile, les autres à l'attraction, à l'action des esprits animaux, à l'inflammation, aux acrimonies, & à tant d'autres dogmes, qui n'ont peut - être d'autre avantage sur la doctrine des nombres, que celui d'être nés plûtard, & d'être par - là plus conformes à notre maniere de penser.

Cette doctrine des nombres vicillissoit du tems de Galien, nous l'avons déjà dit; elle s'usoit d'elle - même peu - à - peu; l'opinion des jours critiques s'affoiblissoit à proportion: la théorie hardie & sublime d'Asclépiade, fort opposée au génie calculateur ou numérique des anciens, si on peut ainsi parler, auroit infailliblement pris le dessus, si Galien lui - même n'avoit ménagé une ressource aux sectateurs des crises. C'est à l'influence de la lune, dont les anciens avoient aussi parlé avant lui, qu'il eut recours pour les expliquer: il porta les choses jusquà imaginer un mois medical ou medicinal, au moyen duquel les révolutions de la lune s'accordant avec celles des crises, celles - ci lui paroissoient dépendre des phases de la lune.

Les Arabes ne changerent presque rien à la doctrine des crises & des jours critiques; ils la supposoient irrévocable & connue, & ils eurent occasion de l'appliquer à la petite - vérole, à laquelle elle ne va pas mal: ils étoient trop décidés en faveur de Galien, d'AEtius & d'Oribase, pour former quelque doute sur leur système. Hali - Abbas regardoit le 20 & le 21 comme des jours critiques; il semble qu'il voulût concilier Galien & Archigene.

L'Astrologie étant devenue fort à la mode dans le tems du renouvellement des Sciences, elle se glissa bien - tôt dans la théorie medicinale: il y eut quelques medecins qui oserent traiter le mois medical de Galien de monstrueux & d'imaginaire. Mais le commun des praticiens ne renonça pas pour cela à l'influence de la lune sur les crises & les jours critiques; on ne manquoit jamais de consulter les astres avant d'aller voir un malade. J'ai connu un medecin mathématicien qui ayant été mandé pour un malade qui avoit la salivation à la suite des frictions mercurielles, ne voulut partir qu'après avoir calculé si la chose étoit possible, vû la dose de minéral employée. Ce mathématicien eût été sûrement astrologue il y a deux siecles.

La lune, disoient les Astrologues, a autant d'influence sur les maladies, que sur la plûpart des changemens qui arrivent dans notre globe; c'est d'elle que dépendent les variations des maladies, & la vertu ou l'action des jours critiques. Un calcul bien simple le prouve: si quelqu'un tombe malade le jour de la nouvelle lune, il se trouvera qu'au 7 la lune sera au premier quartier, qu'on aura pleine lune au 14, & qu'au troisieme septenaire elle sera dans son dernier quartier. D'où il paroît qu'il y a un rapport évident entre les jours critiques, le 7, le 14, & le 21, & les phases de la lune, sans compter ses rapports avec les jours indices. Aussi toutes les maladies qui se trouveront suivre exactement les changemens de la lune, & commencer avec la nouvelle lune, auront elles des crises completes & parfaites.

Mais comme il y a beaucoup de maladies qui ne commencent pas à la nouvelle lune, les révolutions de chaque quartier ne sauroient avoir lieu dans ces cas; cependant il y aura toûjours dans les mouvemens de la lune des révolutions notables, qui répondront au 7, au 14 & au 21, & au 4, au 11 & au 17, ainsi que peut le découvrir tout lecteur assez patient & assez curieux de calculs.

Parmi les medecins qui ont déduit la marche des crises de cette cause, il y en avoit qui ne trouvant pas bien leur compte avec la lune seule, avoient recours à tous les astres, aux signes du zodiaque & aux planetes, qui présidoient chacune à des maladies particulieres.

Le dirai - je? Cette action de la lune à laquelle Vanhelmont même n'a osé se dispenser de soûmettre son grand archée, & en général les influences des astres sur les corps sublunaires, pourroient peut - être être expliquées assez physiquement, ainsi que M. Richard Mead a commencé de le faire parmi les modernes, ou au moins être reçûes comme phénomenes existans dans la nature, quoique non compris. Ce n'est pas qu'il faille ajoûter foi aux ridicules & puériles calculs des anciens: mais on ne peut, lorsqu'on examine les choses de bien près, s'empêcher de se rendre à certains faits généraux, qui méritent au moins qu'on les examine & qu'on doute. On trouve tous les jours tant de gens de bon sens qui assûrent avoir des preuves de l'action de la lune sur les plantes, & sur des maladies mêmes, telles que la goute & les rhûmatismes, qu'on ne sauroit se déterminer, ce me semble, sans témérité à regarder ces sortes d'assertions comme destituées de tout fondement, quelques folles applications que le peuple en fasse. Car de quelle vérité n'abuse - t - on point en Physique? Il en est comme des effets ou de l'influence de l'imagination des femmes grosses sur leurs enfans; le peuple les admet; les Philosophes, ceux sur - tout qui ont une antipathie marquée pour toutes les idées populaires, qui ne sont que les restes des opinions de l'antiquité, ces philosophes rejettent l'influence de l'imagination des femmes grosses sur leurs enfans; mais il paroît malheureusement que c'est parce qu'ils n'en savent point la cause. N'est - ce pas pour la même raison à - peu - près qu'on rejette l'action ou l'influence de la lune & des autres astres sur nos corps? Après tout, pourquo prendre sans hésiter un ton si décisif contre des choses que les anciens les plus respectables ont admis, jusqu'à ce qu'on ait démontré par des faits constatés, qu'ils se sont trompés autant dans leurs observations, que dans les applications qu'ils en ont faites? On a laissé présider la lune au flux & reflux de la mer; comment peut - on assûrer après cela que la lune occasionnant des revolutions si singulieres sur la mer, & plus que probablement sur l'air, ne produise pas quelque esset sur nos humeurs? Pourquoi notre frêle machine sera - t - elle à l'abri de l'action de cette planete? n'est - elle ni compressible ni attirable en tout ou en partie? la sensibilité animale n'est - elle pas même une propriété qui expose plus qu'aucune autre, cette machine dont nous parlons, à un agent qui cause tant de révolutions dans l'atmosphere?

Quoi qu'il en soit, Fracastor qui vivoit au xv, siecle, fut un des plus redoutables ennemis du systeme dominant au sujet de l'action de la lune sur les jours critiques & les crises; il étoit d'autant plus intéressé à la destruction de ce systeme, qu'il en substituoit un autre fort ingénieux; le desir de faire recevoir ses propres idées, a fait faire à plus d'un philosophe des efforts efficaces contre les opinions reçûes avant lui. On aura peut - être besoin de l'hypothese de Fracastor, lorsqu'on viendra à discuter la question des crises & des jours critiques, comme elle mérite de l'être; c'est ce qui nous engage à en donner iciun court extrait.

Fracastor part des principes reçûs chez tous les Galénistes au sujet des humeurs, la pituite, la bile, & la mélancholie, qui ont, disoient - ils, différens mouvemens, qui occasionnent chacune leurs maladies particulieres, leurs fievres, leurs tumeurs, &c. c'étoit débuter d'une maniere bien séduisante pour

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