ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

RECHERCHE Accueil Mises en garde Documentation ATILF ARTFL Courriel

Previous page

"476"> des gens qui croyoient à ces humeurs; la mélancholie, ajoûte - t - il, qui se meut de quatre en quatre jours, fait que tous les quartenaires sont critiques. En effet, il est vraissemblable que toutes les humeurs pechent plus ou moins dans la plûpart des maladies; ces humeurs peccantes sont celles dont la nature tâche de se défaire; elle ne le peut si ces humeurs ne sont préparées, la coction devant toûjours précéder une bonne crise: or la coction de la mélancholie ayant besoin de quatre jours pour être parfaite, puisque la coction doit suivre les mouvemens des humeurs, il suit de - là que la crise se fera de quatre en quatre jours, c'est - à - dire dans le tems du mouvement de la mélancholie, qui étant la plus épaisse & la plus lourde des humeurs, doit pour ainsi dire entraîner toutes les autres lorsqu'elle se meut, & causer une secousse qui fait la crise.

Mais l'humeur mélancholique ne se trouve pas toûjours en même quantité, & les autres sont plus ou moins abondantes qu'elle. Ces différences font qu'elle se meut plus ou moins évidemment ou plus ou moins vîte, & qu'elle paroît suivre quelquefois le mouvement des autres humeurs; & c'est de - là que dépendent les différentes maladies, & leurs différentes coctions ou crises: par exemple, les maladies aiguës étant occasionnées par une matiere extrèmement chaude autre que la mélancholie, leur mouvement commence dès le premier jour; au lieu que les humeurs étant lentes & tenaces dans les malaies longues, rien ne force la melancholie à se mouvoir avant le quatrieme jour; & elle se meut au deuxieme dans les maladies médiocres, vû le degré d'activité de la matiere qui la détermine. Si donc la mélancholie se meut dès le premier jour, les crises seront au quatrieme jour, au septieme, au dixieme, au treizieme, suivant le plus ou le moins de division des humeurs; si la mélancholie ne se meut qu'au deuxieme jour, alors les mouvemens critiques se manifesteront au cinquieme, au huitieme, au onzieme, au quatorzieme, au dix - septieme, au vingtieme; & enfin si la mélancholie ne se meut qu'au troisieme jour, alors le fixieme, le neuvieme, le douzieme, le quinzieme, le dix - huitieme, le vingt - unieme, le vingt - quatrieme, le vingt septieme, & le trentieme, seront les jours critiques, qui sont de trois ordres ou de trois especes dans l'opinion de Fracastor.

On voit que ce système dérange les calculs des anciens; c'est - là aussi ce qu'on lui a opposé de plus fort; & la plûpart des medecins qui ont succédé à Fracastor, s'en sont tenus à admettre les jours critiques à la façon de Galien, en donnant cependant pour causes des crises & des jours critiques la diversité des humeurs à cuire, la différence des tempéramens, & même l'action de la lune à laquelle on attribuoit plus ou moins de vertu: ils ont établi une de ces opinions mixtes qui sont intermédiaires entre les systèmes, ou qui sont des especes de recueils; ressource ordinaire des compilateurs. Prosper Alpin, qu'on doit mettre dans cette classe, mérite d'être consulté, tant par rapport à ses observations précieuses, que par rapport à ses mouvemens combinés de l'atrabile & de la bile, &c.

On trouvera tous les auteurs Galénistes qui ont travaillé depuis Fracastor, occupés des mêmes questions, & suivant à - peu - près le même plan, c'est - à - dire ce que leurs prédécesseurs leur avoient appris. Dulaurens chancelier de la faculté de Montpellier, & premier medecin d'Henri IV. a été un de ceux qui ont donné un traité des plus complets & des mieux faits sur les crises: il y a dans ce traité des idées particulieres à l'auteur, qui méritent beaucoup d'attention; & son exactitude a fait que plusieurs medecins qui ont travaillé depuis lui, se sont contentés de le copier: tel est entr'autres, pour le dire ici en passant, le fameux Sennert: ceux qui ont dit de ce dernier que Riviere, un des plus grands medecins de son siecle, l'avoit copié & abregé, auroient pû ajoûter que le medecin françois n'a fait que reprendre au sujet des crises, ce que Sennert a pris dans Dulaurens, & que pour le reste Riviere & Sennert ont puisé dans les mêmes sources, & n'ont fait que suivre leurs prédécesseurs dans la plûpart des questions; en cela fort ressemblans à bien des modernes qui se sont copiés les uns les autres, depuis Harvée, Vieussens, & Baglivi, jusqu'à nos jours.

Les Chimistes ayant foudroyé le Galénisme, & la plûpart des opinions répandues dans les écoles, qui avoient, à dire vrai, besoin d'une pareille secousse, la doctrine des crises se ressentit de la fougue des réformateurs. Ce fut en vain qu'Arnaud de Villeneuve qui se montre toûjours fort sage dans la pratique, se déclara pour les jours critiques, en avançant qu'on passoit les bornes de la Medecine, si on prétend aller plus loin qu'Hippocrate à cet égard. C'est en vain que Paracelse eut recours aux différens sels pour expliquer les crises: Il n'est rien, disoit Vanhelmont toûjours en colere, de plus impertinent que la comparaison qu'on a fait des crises avec un combat; un vrai médecin doit nécessairement négliger les crises auxquelles il ne faut point avoir recours, lorsqu'on sait enlever la maladie à propos. A quoi servent tant de pénibles recherches sur les jours critiques? Le vrai médecin est celui qui sait prévenir ou modérer la malignité des maladies mortelles, & abréger celles qui doivent être longues, en un mot empêcher les crises. J'ai, ajoûte - t - il, composé étant jeune cinq livres sur les jours critiques, & je les ai fait brûler depuis. Il y avoit déjà long - tems que la doctrine des crises avoit été combattue par des clameurs & des bons mots; on avoit traité la medecine des anciens de méditation sur la mort. Ainsi Vanhelmont se servoit pour lors des mêmes traits lancés par des esprits non moins ardens que le sien; & ces répétitions ne paroissent pas devoir faire regretter les livres qu'il a brûlés. Il faut pourtant convenir que les expressions ou la contenance de Vanhelmont ne peuvent que frapper tout lecteur impartial; on est naturellement porté à approuver ou à desirer une medecine héroïque & vigoureuse qui sut résister efficacement aux maladies & les emporter d'emblée. La doctrine des crises & des jours critiques a un air de lenteur qui semble devoir ennuyer les moins impatiens, & donner singulierement à mordre aux Pyrrhoniens.

Les chimistes plus modernes, & moins ennemis des écoles que Vanhelmont, tels que Sylvius - Deleboë, & quelques autres, n'ont pas même daigné parler des crises & des jours critiques, & on les a totalement perdues de vûe, ou du moins on n'a fait qu'étendre les railleries de Vanhelmont; il faut avoüer que la brillante théorie des chimistes, leurs spécifiques, & leurs altérans, ne pouvoient guere conduire qu'à cela: enfin les chimistes ont perdu peut - être trop tôt l'empire de la medecine qu'ils avoient arraché à force ouverte à ceux qui en étoient en possession, & qui avoient fait dans l'art une de ces grandes révolutions dont les avantages & les desavantages sont si confondus, qu'il est bien difficile de juger quels sont ceux qui l'emportent.

Baglivi parut, il consulta la nature; il crut la trouver bien peinte dans Hippocrate: Il est inutile, s'écria - t - il, de se moquer des anciens, & de ce qu'ils ont dit des jours critiques; laissons toutes les injures qu'on leur a dites, venons au fait. La fermentation à laquelle on convient que le mouvement du sang a du rapport, a ses lois, & son tems marqué pour se manifester; pourquoi les dépurations du sang n'auroient - elles pas les leurs? On observera les crises évidemment sur les paysans qui n'ont pas recours aux medecins; & il ne faut [p. 477] pas s'étonner qu'elles ne se fassent point, lorsqu'on les dérange pat la multitude des remedes; il faut pourtant avoüer qu'il y a des maladies malignes dans lesquelles on ne doit pas s'attendre aux coctions & aux crises: d'ailleurs le tempérament du malade, le pays qu'il habite, la constitution de l'année, & la différence des saisons, sont cause que les crises ne se font point dans nos pays précisément, comme en Grece, en Asie; ce que Houlier avoit déjà avancé avant lui.

La comparaison que Baglivi fait du mouvement des humeurs animales avec la fermentation des liqueurs spiritueuses, mérite une réflexion; elle est sortie de l'école des chimistes, & il me semble qu'elle prouve qu'il falloit bien que Baglivi fût persuadé de la vérité des crises & des jours critiques. En effet l'attachement que Baglivi avoit pour le solidisme, ne permet pas de douter qu'il n'eût fait des efforts pour l'appliquer à la marche des crises. Il nous a fait part ailleurs de ses essais à cet égard; mais ici il se sert du système des humoristes, soit qu'il voulût les persuader par leur propre système, soit qu'il préférât de bonne grace la vérité de l'observation à ses explications. Il seroit à souhaiter que tous les Medecins imitassent cette candeur; les exemples de ceux qui ne mettent au jour que les observations qui quadrent bien avec leur systeme particulier, & qui oublient ou qui n'apperçoivent peut - être pas celles qui pourroient le déranger, ne sont que trop communs. Chacun a sa maniere de voir les objets, chacun en juge à sa façon; c'est pourquoi la diversité même des systèmes peut avoir ses usages en Medecine.

Les Medecins plus modernes que Baglivi, ceux de l'école de Montpellier qui ont succédé à Riviere, tels que Barbeïrac qui est un des premiers législateurs parmi les modernes, & qu'un de ses compatriotes célebre professeur du dernier siecle, un des Châtelains, regarde (dans des manuscrits qui n'ont point vû le jour) comme le premier auteur de tout ce que Sidenham a publié de plus précieux, Barbeïrac, & ses àutres confreres, qui ont pratiqué & enseigné la Medecine avec beaucoup plus de netteté, de simplicité & de précision que les Chimistes & les Galénistes, ont négligé les crises, & n'en ont presque point parlé; ils ne les ont, ni adoptées comme les anciens, ni vilipendées comme les Chimistes, auxquels ils n'ont rien reproché à cet égard; en un mot ces questions sont devenues pour eux comme inutiles, comme non avenues, & comme tenans aux hypothèses des vieilles écoles. La même chose est arrivée à - peu - près aux medecins de l'école de Paris (à moins qu'on ne doive en excepter Hecquet qui a tant varié). Ils ont été long - tems à se concilier sur les systèmes chimiques; & il y en a eu beaucoup qui ont parû rester attaches à la méthode de Houlier, Duret, Baillou. Ces grands hommes auront assûré à l'école de Paris la prééminence sur toutes les autres de l'Europe, principalement si la doctrine des crises vient à reprendre le dessus, puisqu'ils ont été les restaurateurs des opinions anciennes sur cette matiere, & qu'ils ont fondé un système de pratique qui a duré malgré les Chimistes jusqu'aux tems des Chirac & des Silva.

Il y eut dans le dernier siecle, qui est celui dans lequel vivoient les médecins de Montpellier dont je viens de parler, bien de grands hommes dont Hofman cite quelques - uns dans sa dissertation sur les crises, qui crurent qu'il étoit inutile de s'attacher à la doctrine des crises dans nos climats, parce qu'elles ne pouvoient pas se faire comme dans les pays qu'habitoient les anciens médecins. Il ne les taxoient point de superstition ni d'ignorance, ainsi que les chimistes; ils tâchoient de concilier tous les partis, en donnant quelque chose à chacun d'eux. Ces medecins ne doivent donc pas être regardés comme des ennemis des crises, & ils different aussi de ceux de Montpellier dont il a été question ci - dessus, & qui gardoient un profond silence au sujet des crises.

On peut placer Sidenham au nombre de ces medecins, c'est - à - dire de ceux que j'appelle de Montpellier: tout le monde connoît la retenue & la modération de Sidenham, aussi - bien que le penchant qu'il avoit pour l'expectation, sur - tout dans les commencemens des épidémies. Je ne parlerai ici que d'une de ses prétentions, que je trouve dans son traitement de la pleurésie: cette prétention mérite quelque consideration; elle est conçûe en ces termes: Mediante venoe sectione morbifica materia penes meum est arbitrium, & orificium a phlebotomo incisum tracheoe vices subire cogitur; « je peus à mon gré tirer par la saignée toute la matiere morbifique qui auroit dû être emportée par les crachats ». Ce n'est point ici le lieu d'examiner si cette proposition est bien ou mal fondée; il suffit de remarquer qu'elle paroît directement opposée à la méthode des anciens, ou à leur attention à ne pas troubler la nature. C'est une assertion bardie, qui appuie singulierement la vivacité & l'activitié des Chimistes, & de tous les ennemis des crises, & des jours critiques: car enfin quelqu'un qui se flatte de maîtriser la nature comme Sidenham, & de lui dérober la matiere des excrétions, peut - il être regardé comme son ministre, dans le sens que les anciens donnoient à cette dénomination? Joignez à cette réflexion les loüanges que Harris donne à Sidenham, pour avoir osé purger dans tous les tems de la fievre, sans compter la maniere dont celui - ci s'efforçoit de diminuer la force de la fievre par l'usage des rafraîchissans dans la petite vérole, & vous serez obligé de convenir que la pratique de Sidenham pourroit bien n'avoir pas été conforme au ton de douceur qu'il avoit fû prendre, ni à la définition qu'il donnoit lui - même de la maladie, qu'il regardoit comme un effort utile & nécessaire de la nature. C'est où j'en voulois venir, & je conclus de - là qu'il ne faut pas toûjours juger de la pratique journaliere d'un medecin par ce qu'il se vante lui - même de faire; tel qui se donne pour un athlete prêt à combattre de front une maladie, est souvent très - timide dans le traitement: d'autre côté, il en est qui vantent leur prudence, leur attention à ne pas déranger la nature, & qui sont souvent ses ennemis les plus décidés. Seroit - ce que dans la Medecine comme ailleurs, les hommes ont de la peine à se guider par leurs propres principes? J'insisterois moins sur cette matiere, si je n'avois connu des medecins qui se trompent, pour ainsi dire, eux - mêmes, & qui pourroient induire à erreur les gens qui voudroient les croire sur ce qu'ils disent de leur méthode. C'est en les voyant agir vis - à - vis des malades, qu'on apprend à les bien connoître: c'est alors que le masque tombe.

Stahl & toute son école ont eu un penchant très décidé pour les crises & pour les jours critiques; leur autocratie les conduisoit à imiter la lenteur & la méthode des anciens, plûtôt que la vivacité des Chimistes; l'expectation devint un mot pour ainsi dire sacré dans cette secte, d'autant plus qu'il lui attira comme on sait, de piquantes railleries de la part d'un Harvée, fameux satyrique en Medecine. Nenter, Stahlien déclaré, a donné l'histoire & les divisions des jours critiques à la façon des anciens. En un mot il est à présumer, par tout ce qu'on trouve à ce sujet dans les ouvrages de Stahl & dans ceux de ses disciples, qu'ils auroient très - volontiers suivi & attendu les crises & les jours critiques, s'ils n'avoient été arrêtés par la difficulté qu'il y avoit de livrer l'ordre, la marche, & les changemens des redoublemens à l'ame, à laquelle ils n'avoient déjà donné que trop d'occupation. Comment oser dire en effet

Next page


The Project for American and French Research on the Treasury of the French Language (ARTFL) is a cooperative enterprise of Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française (ATILF) of the Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), the Division of the Humanities, the Division of the Social Sciences, and Electronic Text Services (ETS) of the University of Chicago.

PhiloLogic Software, Copyright © 2001 The University of Chicago.