ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"442"> Dieu eût créé le monde plutôt qu'il n'a fait d'autant de millions d'années qu'il y a de grains de sable sur le rivage des mers, ne pourroit - on pas encore demander d'où vient qu'il n'auroit pas commencé plutôt? Ainsi il suffit de dire qu'une éternité a dû le précéder, pour faire comprendre qu'il n'a été créé ni trop tôt ni trop tard.

Les philosophes s'embarrassoient de savoir si les oiseaux avoient été avant les oeufs, ou les oeufs avant les oiseaux; & ne pouvant décider cette question, ils se sauvoient dans l'éternité du monde, & soûtenoient qu'il devoit y avoir une espece de cercle dans les semences, & que les oeufs & les oiseaux avoient toûjours été engendrés & produits alternativement l'un par l'autre, sans que leur espece eût jamais eu ni origine ni commencement. Quand on suppose un créateur de l'univers, cette difficulté tombe aussitôt; car on conçoit clairement qu'il créa toutes les especes d'animaux qui sont sur la terre, qui se conserverent ensuite par la génération. Mais la difficulté seroit beaucoup plus grande à supposer l'éternité du monde, parce que le monde étant en mouvement, il semble qu'il y ait de la contradiction à supposer un mouvement éternel. Car tout mouvement étant successif, une partie va devant l'autre, & cela ne peut compatir avec l'éternité. Par exemple, le jour & la nuit ne peuvent être en même tems, en même pays; par conséquent il faut nécessairement que la nuit ait précédé le jour, ou que le jour ait existé le premier: si la nuit a précédé le jour, il s'ensuit démonstrativement que le jour n'est pas éternel, puisque la nuit aura existé auparavant; il en est de même du jour.

Ces mêmes philosophes ont eu recours à l'éternité du monde, parce qu'ils ne pouvoient comprendre de quels instrumens Dieu se seroit servi, ni comment il auroit agi pour mettre la matiere de l'univers dans l'ordre où nous la voyons. Cette difficulté se seroit encore dissipée, s'ils eussent fait alternativement réflexion sur les mouvemens du corps humain, que nous déterminons par le seul acte de la volonté. On marche, on s'assied quand on veut. Pour remonter jusqu'à la premiere origine de ce mouvement & de ce repos, il faut nécessairement parvenir à l'acte de la volonté, On connoît bien par l'anatomie du corps humain, comment cette machine peut se mouvoir. On voit des os emboîtés les uns dans les autres, pour se tourner & pour se plier; on voit des muscles attachés à ces os, pour les tirer; on trouve des nerfs dans ces muscles, qui servent de canaux aux esprits animaux. On sait encore que ces esprits animaux peuvent être déterminés à couler d'un côté plûtôt que d'un autre, par les différentes impressions des objets; mais pourquoi arrive - t - il que tant que la machine est bien constituée, ils sont toûjours disposés à se répandre du côté où la volonté les détermine? Il n'y a sans contredit que le seul acte de ma volonté qui cause cette premiere détermination aux esprits animaux: donc la connoissance que l'homme a de lui - même, nous donne l'idée d'une cause qui agit par sa volonté. Appliquons cette idée à l'esprit éternel, nous y verrons une cause agissante par sa volonté, & cette volonté sera le seul instrument qu'il aura employé pour former l'univers.

La supériorité de l'esprit sur le corps ne contribuera pas peu à nous faire comprendre la possibilité de la création de la matiere. En effet, quand on considere la matiere par rapport à l'esprit, on conçoit d'abord sans aucune peine que la matiere est infiniment au - dessous de l'esprit; elle ne sauroit l'atteindre, ni l'aborder, ni agir directement sur lui: tout ce qu'elle peut faire, ne va qu'à lui donner occasion de former des idées qu'il tire de son propre fonds. Mais quand on considere l'esprit par rapport à la matiere, on reconnoît en lui une supériorité & émi<cb-> nence de pouvoir qu'il a sur elle. L'esprit a deux facultés, par lesquelles il connoît & il veut. Par la connoissance il pénetre toutes les propriétés, toutes les actions du corps; il connoît son étendue ou sa quantité, les rapports que les figures ont les unes avec les autres, & compose d'après cela la science des Mathématiques; il examine les nombres & les proportions, par l'Arithmétique & l'Algebre; il considere les mouvemens, & forme des regles & des maximes pour les connoître: en un mot, il paroît par les sciences qu'il n'y a point de corps sur lequel l'esprit n'exerce ou ne puisse exercer ses opérations.

Le pouvoir que l'esprit a sur le corps paroîtra encore plus sensiblement, si on considere la volonté; c'est d'elle que dépend la premiere détermination des esprits animaux qui coulent dans mon bras. C'est déjà beaucoup d'avoir un mode du corps très - réel & très - positif, comme le mouvement, qui est produit par le seul acte de ma volonté. Si donc ma volonté peut produire une direction de mouvement, disons même un mouvement dans mon corps, il n'est pas impossible qu'une volonté en produise ailleurs; car mon corps n'est pas d'une autre espece que les autres, pour donner lui - même plus de prise sur lui à ma volonté, qu'un autre corps: il n'est donc pas impossible qu'il y ait un esprit qui agisse par sa volonté sur l'univers, & qu'il y produise des mouvemens. Or si cet esprit a un pouvoir infini, rien n'empêche de concevoir qu'il ait pû créer la matiere par sa puissance infinie, qui est sa volonté. 1°. On ne sauroit douter qu'il n'y ait un Être qui agisse par sa volonté: c'est ainsi que notre esprit agit; nous le sentons, nous en sommes intimement persuadés. D'un autre côté, il ne peut y avoir d'obstacle de la part du néant, car le néant ne peut agir. De plus nous connoissons & nons sentons que notre volonté produit chez nous des déterminations, des mouvemens qui n'étoient pas auparavant, & qu'elle tire, pour ainsi dire, du néant; de sorte que tirer le mouvement du néant, ou en tirer la matiere, c'est une même espece d'opération, qui demande seulement une volonté plus puissante. Si cette opération de l'esprit est si difficile à saisir, c'est qu'on veut se la représenter par l'imagination: or comme l'imagination ne peut se former l'idée du néant, il faut nécessairement, tant qu'on se sert de cette faculté, se représenter un sujet sur lequel on agisse; & cela est si véritable, qu'on a posé pour maxime qu'il faut approcher & toucher ce sujet sur lequel on agit, nemo agit in distans. Mais si l'on fait taire les sens & l'intagination, on trouve que ces deux maximes sont fausses. Quand je dis, par exemple, que de rien on ne peut rien faire, où est, je vous prie, le sujet sur lequel mon esprit s'exerce présentement? De même, quand on considere attentivement l'opération d'une volonté, on conçoit clairement qu'elle doit produire elle - même son sujet, bien - loin qu'elle suppose un sujet pour agir: car qu'est - ce qu'un acte de volonté? Ce n'est pas une émanation de corps, qui puisse ou qui doive toucher un autre corps pour agir; c'est un acte purement spirituel, incapable d'attouchement & de mouvement: il faut donc nécessairement qu'il produise lui - même son effet, qui est son propre sujet. Je veux remuer mon bras, & à l'instant une petite écluse s'ouvre, qui laisse couler les esprits dans les nerfs & dans les muscles, qui causent le mouvement de mon bras. Je demande qui a causé l'ouverture de cette petite écluse? C'est sans contredit l'acte de ma volonté. Comment l'a - t - il ouverte? car cet acte n'est pas un corps, il n'a pû la toucher: il faut donc nécessairement qu'il l'ait produite par sa propre vertu.

Posons présentement une volonté infinie & toutepuissante: ne faudra - t - il pas dire que comme je con<pb-> [p. 443] çois que je marche en vertu d'un acte de ma volonté, aussi la matiere doit - elle exister par une opération de cette volonté toute - puissante? Un être qui a toutes les perfections, doit nécessairement avoir celle de faire & de produire tout ce qu'il veut.

Le fameux axiome, rien ne se fait de rien, est vrai en un certain sens; mais il est entierement faux dans celui auquel les Athées le prennent. Voici les trois sens dans lesquels il est vrai. 1°. Rien ne peut sortir de soi même du néant, sans une cause efficiente. De ce principe découle cette vérité, que tout ce qui existe n'a pas été fait, mais qu'il y a quelque chose qui existe nécessairement & par soi - même: car si tout avoit été fait, il faudroit nécessairement que quelqu'être se fût fait, ou fût sorti de lui - même du néant. 2°. Rien ne peut être produit du néant par une cause efficiente, qui ne soit pour le moins aussi parfait que son effet, & qui n'ait la force d'agir & de produire. 3°. Rien de ce qui est produit d'une matiere préexistente, ne peut avoir aucune entité réelle qui ne fût contenue dans cette matiere; de sorte que toutes les générations ne sont que des mélanges, ou de nouvelles modifications d'êtres qui étoient déjà. Ce sont les sens dans lesquels il est impossible que rien se fasse de rien, & qui peuvent être réduits à cette maxime générale, que le néant ne peut être ni la cause efficiente, ni la cause matérielle de rien. C'est - là une vérité incontestable, mais qui, bien - loin d'être contraire à la création ou à l'existence de Dieu, sert à les prouver d'une maniere invincible.

En effet, s'il étoit vrai en général qu'aucun être ne peut commencer à exister, il ne pourroit y avoir aucune cause qui fît quoi que ce soit: il n'y auroit point d'action ni de mouvement dans le monde corporel, & par conséquent aucune génération ni aucun changement. Or nous portons en nous - mêmes l'expérience du contraire, puisque nous avons le pouvoir de produire de nouvelles pensées dans notre ame, de nouveaux mouvemens dans notre corps, & des modifications dans les corps qui sont hors de nous. Il est vrai que les Athees restreignent leur assertion aux substances, & disent qu'encore qu'il puisse y avoir de nouveaux accidens, il ne se peut pas faire néanmoins qu'il y ait de nouvelles substances; mais dans le fond ils ne peuvent rendre aucune raison solide pourquoi l'un est plus impossible que l'autre, ou pourquoi il ne peut y avoir aucun être qui fasse de nouvelles substances. Ce qui produit ce préjugé, ce sont les idées confuses que l'on emprunte de la production des choses artificielles, où tout se fait d'une matiere préexistante, à laquelle on donne seulement de nouvelles modifications. Nous nous persuadons mal - à - propos qu'il en est des productions d'un Etre infini, comme des nôtres; nous en concluons qu'il n'y a aucune puissance dans l'univers qui puisse faire ce qui nous est impossible, comme si nous étions la mesure de tous les êtres: mais puisqu'il est certain que les êtres imparfaits peuvent eux - mêmes produire quelque chose, comme de nouvelles pensées, de nouveaux mouvemens & de nouvelles modifications dans les corps, il est raisonnable de croire que l'Etre souverainement parfait va plus loin, & qu'il peut produire des substances. On a même lieu de croire qu'il est aussi aisé à Dieu de faire un monde entier, qu'à nous de remuer le doigt: car dire qu'une substance commence à exister par la puissance de Dieu, ce n'est pas tirer une chose du néant dans les sens que nous avons ci - dessus reconnus pour impossibles. Il est vrai que la puissance infinie ne s'étend pas à ce qui implique contradiction; mais c'est ici précisément où les adversaires de la création sont défiés de prouver qu'encore qu'il ne soit pas impossible de tirer du néant un accident ou une modification, il est absolument impossible de créer une substance: c'est ce qu'ils ne démontreront jamais.

2°. Si rien ne peut être tiré du néant dans le sens que nous soûtenons, il faut que toutes les substances de l'univers existent non - seulement de toute éternité, mais même nécessairement & indépendamment de toute cause; or on peut dire que c'estlà effectivement faire sortir quelque chose du néant, dans le sens naturel auquel cela est impossible, c'est - à - dire faire le néant la cause de quelque chose: car, comme lorsque les Athées assûrent que rien ne se peut mouvoir soi - même, & qu'ils supposent en même tems que le mouvement a été de toute éternité, c'est - là tirer le mouvement du néant dans le sens auquel cela est impossible; de même ceux qui font les substances existantes par elles - mêmes, sans que l'existence nécessaire soit renfermée dans leur nature, tirent du néant l'existence des substances.

3°. Si toutes les substances étoient éternelles, ce ne seroit pas seulement la matiere ou les atomes destitués de qualités, qui existeroient par eux - mêmes de toute éternité, ce seroit aussi les ames. Il n'y a point d'homme tant soit peu raisonnable, qui puisse s'imaginer que lui - même, ou ce qui pense en lui, n'est pas un être réel, pendant qu'il voit que le moindre grain de poudre emporté par le vent, en est un. Il est visible aussi que l'ame ne peut pas naître de la matiere destituée de sentiment & de vie, & qu'elle ne sauroit en être une modification. Ainsi si aucune substance ne peut être tirée du néant, il faut que toutes les ames humaines, aussi - bien que la matiere & les atomes, ayent existé non - seulement de toute éternité, mais encore indépendamment de tout autre être. Mais les Athées sont si éloignés de croire l'éternité de l'ame humaine, qu'ils ne veulent en aucune maniere admettre son immortalité; s'ils avoüoient qu'il y eût des êtres intelligens immortels, ils seroient en danger d'être obligés de reconnoître une Divinité.

4°. La matiere n'est pas coéternelle avec Dieu, d'où il s'ensuit qu'elle a été créée: en voici la preuve. Ou la matiere est infinie dans son étendue, ensorte qu'il n'y ait aucun espace qui n'en soit absolument pénétré; ou elle est bornée dans son étendue, de façon qu'elle ne remplisse pas toutes les parties de l'espace: or soit qu'elle soit finie, soit qu'elle soit infinie dans son étendue, elle n'existe pas nécessairement. 1°. Si elle est finie, dès - là elle est contingente: pourquoi? parce que si un être existe nécessairement, on ne peut pas plus concevoir sa nonexistence, qu'il n'est possible de concevoir un cercle sans sa rondeur, l'existence actuelle n'étant pas moins essentielle à l'être qui existe nécessairement, que la rondeur l'est au cercle. Or si la matiere est finie, & qu'elle ne remplisse pas tous les espaces, dès - lors on conçoit sa non - existence. Si on peut la concevoir absente de quelques parties de l'espace, on pourra supposer la même chose pour toutes les parties de l'espace; il n'y a point de raison pour qu'elle existe dans une partie de l'espace plûtôt que dans toute autre: donc si elle n'existe pas nécessairement dans toutes les parties de l'espace, elle n'existera nécessairement dans aucune; & par conséquent si la matiere est finie, elle ne sauroit exister nécessairement. Il reste donc à dire que l'éternité ne peut convenir à la matiere qu'autant qu'elle est infinie, & qu'elle remplit toutes les parties de l'espace, de sorte que le plus petit vuide soit impossible: or je soûtiens que la matiere considéée sous ce dernier aspect, ne peut exister nécessairement. Voici sur quoi je me fonde. La matiere qui compose le monde, doit être susceptible de mouvement, puisque le mouvement est l'ame & le ressort de ce vaste univers: or

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