ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"440"> d'air qui l'environne. Ainsi l'ensemble de l'univers ne souffrit aucun changement, à notre globe près, où les élémens étoient confondus, où les principes des choses se trouvoient composés. Il y a plus: quand l'historien des Juifs prononce que le ciel & la terre furent créés ensemble, on doit sousentendre qu'ils le furent dans un tems antérieur; mais que la terre étant devenue peu - à - peu chaos, Dieu lui rendit son premier lustre, son premier arrangement; ce qui approchoit assez d'une nouvelle création». Il est certain que la hardiesse de l'auteur anglois a quelque chose de frappant; mais il faut avoüer qu'elle est dénuée de preuves.

Pour revenir aux anciens philosophes, ils ont tous cru que la matiere avoit été de toute éternité, & n'ont disputé entre eux que de la différence du tems où l'arrangement & l'ordre que nous voyons dans l'univers avoient commencé. Cela ne doit point nous paroître surprenant de leur part, ils croyoient bien que Dieu étoit lui - même matériel. On peut les ramener à trois classes différentes: les uns croyoient que la regle & la disposition que nous admirons aujourd'hui avoient été produites & formées par une premiere cause intelligente, qu'ils faisoient coéternelle avec la matiere; les autres pensoient que le hasard & le concours fortuit des atomes avoient été, pour ainsi dire, les premiers ouvriers qui eussent donné l'ordre à l'univers; il y en a eu enfin plusieurs qui ont soûtenu que le monde, tel que nous le voyons, étoit éternel, & que l'arrangement n'étoit point postérieur à la matiere.

Quand on réfléchit sur l'histoire du monde, & sur toutes les connoissances qu'on pouvoit tirer de tous les monumens de l'antiquité, il est difficile de s'imaginer qu'on ait pû croire que ce monde avoit été de toute éternité. Mais d'un autre côté quand on pense qu'il falloit que - la raison atteignît jusqu'à la création, on ne peut que plaindre l'esprit humain de le voir occupé à un travail si fort au - dessus de ses forces; il étoit dans un détroit plein d'abysmes & de précipices. Car ne connoissant pas de puissance assez grande pour créer la matiere de l'Univers, il falloit nécessairement dire, ou que le monde étoit de toute éternité, ou que la matiere étant en mouvement l'avoit produit par hasard. Il n'y a point de milieu, il falloit prendre son parti, & choisir l'une ou l'autre de ces deux extrémités. C'est aussi à quoi on fut réduit; & tous les Philosophes, excepté ceux qui attribuoient la formation de l'univers au mouvement des atomes, crurent que le monde étoit éternel.

Censorin, dans son traité du jour natal, parlant de l'éternité du monde, dit que cette opinion a été suivie par Pythagore, Lucain, & Archytas de Tarente, tous philosophes Pythagoriciens; mais encore, ajoute - t - il, Platon, Xenocrate, & Dicéarque de Messine, & tous les philosophes de l'ancienne académie, n'ont pas eu d'autres sentimens. Aristote, Theophraste, & plusieurs célebres Péripateticiens ont écrit la même chose, & en donnoient ces raisons: 1°. que Dieu & la Nature ne seroient pas toûjours ce qu'il y a de meilleur, si l'univers n'étoit éternel, puisque Dieu ayant jugé de tout tems que l'arrangement du monde étoit un bien, il auroit differé de le produire pendant toute l'éternité: 2°. qu'il est impossible de décider si les oiseaux ont été avant les oeufs, ou les oeufs avant les oiseaux. De sorte qu'ils concluoient que le monde étant éternel, toutes choses avoient été & seroient dans une vicissitude mutuelle de générations. Les philosophes Grecs avoient été prévenus par les Egyptiens dans l'opinion de l'éternité du monde; & peut - être les Egyptiens l'avoient - ils été par d'autres peuples dont nous n'avons aucune connoissance. Mais nous ne pouvons en être éclaircis; car c'est en Egypte où nous découvrons les premieres traces de la Philosophie. Les prêtres étoient ceux qui s'y appliquoient le plus; mais généralement tous les Egyptiens croyoient & admettoient deux divinités premieres & éternelles, le Soleil & la Lune, qui gouvernoient tout l'univers. Quoique ce système ne supposât point entierement le monde éternel, cependant il approchoit beaucoup de celui d'Aristote, en supposant l'éternité du Soleil & de la Lune. Il étoit beaucoup moins absurde que celui qui rendoit le hasard la cause de l'arrangement de l'univers; au lieu que les deux premiers principes intelligens que supposoient les Egyptiens, leur faisoient trouver aisément la cause de l'ordre & de sa continuation. Ils n'étoient plus surpris de la justesse que nous appercevons dans le cours des astres & dans les arrangemens des saisons, puisque la regle avoit été faite & étoit encore conservee par des êtres intelligens & éternels.

Mais si le système de l'éternité du monde étoit plus suivi & mieux raisonné que celui des Epicuriens, le système de ces derniers avoit sur l'autre beaucoup d'avantages, que lui fournissoient les vestiges sensibles qu'on rencontroit par tout de la jeunesse & de la nouveauté du monde. Pour se tirer d'affaire, on avoit recours aux déluges & aux embrasemens. Mais rien n'est plus vain ni plus frivole que cette réponse; car ces inondations & ces embrasemens n'ayant pû consumer que quelques contrées, puisqu'un déluge ou embrasement universel n'est possible que dans l'ordre surnaturel, le monde ne seroit pas retombé dans sa premiere enfance par ces desordres. Les nations conservées auroient reçu ceux qui seroient échappés à ces malheurs, & leur auroient communiqué leurs avantages. A supposer même que ces tristes restes du genre humain eussent subsisté seuls, & qu'ils eussent été engagés à repeupler la terre, ils n'auroient pas oublié les commodités nécessaires à la vie: quand même ils auroient voulu négliger la culture des arts & des sciences; les maisons, les navires, le pain, le vin, les lois, la religion, étoient de ces choses nécessaires, qu'un déluge ou un embrasement ne pouvoit effacer de la mémoire des hommes, sans détruire entierement le genre humain. On auroit quelque monument, quelque tradition, quelque petit recoin dans l'histoire, qui nous laisseroient entrevoir ces inondations & ces embrasemens, au lieu qu'on ne les trouve que dans les conjectures ou dans la seule fantaisie des philosophes entêtés du système de la prétendue éternité du monde. Ainsi il faut nécessairement demeurer d'accord que toute l'histoire de l'Univers réclame contre cette absurdité.

Mais pourquoi tant d'habiles gens ont - ils embrassé un système si incompatible avec l'histoire? Les raisons n'en sont pas difficiles à trouver. Il n'y avoit point de milieu entre le sentiment d'Epicure, qui attribuoit la formation de l'Univers au concours fortuit des atomes, & l'opinion de l'éternité du monde. Car la création n'a été connue que par la révélation; la raison humaine n'avoit pas assez de force d'elle - même pour faire cette découverte. Ainsi étant réduits à la nécessité de choisir un monde éternel, ou un monde formé par l'aveugle hasard, ils trouvoient beaucoup moins de difficultés à prendre le parti de l'éternité, tout contraire qu'il étoit à l'histoire, contre le concours fortuit des atomes, qui tout téméraire & aveugle qu'il est, auroit formé néanmoins un ouvrage le plus sage & le plus constant que l'esprit humain se pût figurer, un ouvrage permanent, uniforme, & toûjours conduit par une sagesse simple dans ses voies & féconde dans ses effets.

A peser les difficultés, ils en trouvoient beaucoup moins dans leur système, & ils avoient raison. Mais comme d'un autre côté, ni l'histoire, ni les monu<pb-> [p. 441] mens du monde, ni la nouveauté des Sciences & des Arts, ne pouvoient s'allier avec ce système de l'éternité; pressés qu'ils étoient de ces objections par les Epicuriens, ils coupoient ce noeud indissoluble par leurs inondations & leurs embrasemens inventés à plaisir, & démentis par l'histoire. C'est un misérable retranchement à l'impiété, de n'avoir que ce refuge imaginaire.

Il y a eu, à la vérité, des philosophes qui ont parlé d'un esprit, d'un Dieu. Mais ils ne laissoient pas de croire l'éternité du monde: les uns, parce qu'ils ne pouvoient concevoir une matiere créée, ni comment cet esprit auroit pû la disposer à sa volonté; ensorte que le dieu qu'ils admettoient étoit un être inutile & sans action; & les autres, parce qu'ils regardoient le monde comme une suite & une dépendance deDieu, comme la chaleur l'est du Soleil. Les premiers raisonnoient ainsi: la matiere étant incréée, Dieu ne peut la mouvoir ni en former aucune chose; car Dieu ne peut remuer la matiere ni l'arranger avec sagesse sans la connoître. Or Dieu ne peut la connoître s'il ne lui donne l'être. Car Dieu ne peut tirer ses connoissances que de lui - même; rien ne peut agir en lui ni l'éclairer. Il ne connoît donc point la matiere, & par conséquent il ne peut agir sur elle. D'ailleurs comment auroit - il pû agir sur elle, & de quels instrumens se seroit - il servi pour cela?

Ce sujet a servi quelquefois de raillerie aux plus beaux esprits du paganisme. Lucien, dans un de ses dialogues, dit qu'il y a des sentimens différens touchant l'origine du monde; que quelques - uns disent que n'ayant point eu de commencement, il n'aura point aussi de fin; que d'autres ont osé parler de l'auteur de l'univers, & de la manicre dont il a été formé: il pouvoit bien avoir en vûe les Chrétiens. J'admire, poursuit - il, ces gens par - dessus tous les autres, en ce qu'après avoir supposé un auteur de toutes choses, ils n'ont pas ajoûté d'où il étoit venu, ni où il demeuroit quand il fabriquoit le monde, puisqu'avant la naissance de l'univers on ne peut se figurer ni tems ni lieu. Cicéron s'est fort appliqué à détruire l'opinion de la formation de l'univers par une cause intelligente, dans son traité de la nature des dieux, qui est un ouvrage fait exprès pour établir l'athéisme. Il dit en se moquant, qu'on a recours à une premiere cause pour former l'univers, comme à un asyle. Ailleurs il demande de quel instrument ce Dieu se seroit servi pour façonner son ouvrage. Aristote se moque aussi d'Anaxagore, & dit, qu'il employe son mens comme une machine pour former le monde; car Anaxagore étoit le premier des philosophes qui eût parlé de mens ou d'un être intelligent, pour mettre en ordre les corps ou la matiere qui subsistoit de toute éternité. Platon vouloit que les corps fûssent en mouvement quand Dieu voulut les arranger; mais Plutarque, tout sage qu'il étoit, se moque de ce Dieu de Platon, & demande d'un ton ironique s'il existoit lorsque les corps commencerent à se mouvoir. S'il étoit, ajoûte - t - il, ou il veilloit, ou il dormoit, ou il ne faisoit ni l'un ni l'autre. On ne peut point dire qu'il n'ait pas existé, car il est de toute éternité. On ne peut point dire aussi qu'il ait dormi; car dormir de toute éternité, c'est être mort. Si on dit qu'il veilloit, il demande s'il manquoit quelque chose à sa béatitude, ou s'il n'y manquoit rien. S'il avoit besoin de quelque chose, il n'étoit pas Dieu. S'il ne lui manquoit rien, à quoi bon former le monde? Si Dieu gouverne le monde, ajoûte - t - il, pourquoi arrive - t - il que les méchans soient heureux pendant que les bons sont dans l'adversité?

Les autres qui faisoient intervenir l'action de Dieu dans l'arrangement du monde, n'en soûtenoient pas moins son éternité. Car, disoient - ils, il est impossible que Dieu fasse autre chose que ce qu'il fait, à cause que sa volonté est immuable & ne peut recevoir aucun changement; desorte qu'elle ne peut vouloir faire autre chose que ce qu'elle fait actuellement. On peut assûrer que ce sont là les seules raisons de l'impiété de tous les tems. Ce sont ces objections qui ont poussé les philosophes à parler de l'éternité du monde; car n'ayant pû comprendre comment Dieu auroit pû agir pour former le monde, ni, supposé qu'il pût agir, comment il auroit laissé passer une éternité sans le créer, & le concevant d'ailleurs comme une cause qui agit nécessairement, ils se sont déterminés à croire que le monde étoit éternel, malgré la foi de toutes les histoires qui démentoient leur système.

Le sophisme de ces raisonnemens vient de ce qu'un être spirituel est difficile à connoître, & de ce que nous ne pouvons comprendre l'éternité. On est inquiet de savoir ce qu'a fait l'auteur de l'univers pendant cette éternité que le monde n'a pas existé. A cela je répons: si par le nom de Dieu vous entendez un corps, une matiere qui ait été en mouvement, on ne pourra satisfaire à votre question; car il est impossible de se représenter une cause en action, une matiere en mouvement, un Dieu faisant ses efforts pour produire le monde, & ne pouvant le former qu'après avoir été une éternité en mouvement. Mais si on se représente Dieu comme un esprit, on apperçoit cet être dans ce que nous en connoissons par nous - mêmes, capable de deux actions fort différentes; savoir, des pensées qu'il renferme dans son propre sein, & qui sont ses actions les plus naturelles; & d'une volonté, par laquelle il peut encore produire des impressions sur les corps. C'est sa vie, son action. C'est ce qu'il faisoit avant de créer le monde par sa volonté, de même, à - peu - près, que nous voyons un homme long tems en repos, occupé de ses propres pensées, & concentré tout entier dans lui - même. Cela n'implique aucune contradiction, & ne renferme aucunes difficultés à beaucoup près comparables à celles qui se trouvent dans le système d'une matiere qui ait été en mouvement de toute éternité sans rien produire. Tout ce qu'on peut objecter se réduit à dire que la comparaison de l'homme réfléchissant sur lui - même & de Dieu renfermé en lui - même est fausse, en ce que l'homme discourt & que Dieu ne discourt point. L'esprit humain est occupé dans la méditation, parce qu'il passe du connu à l'inconnu, qu'il forme des raisonnemens, qu'il acquiert des connoissances, & que le spectacle de ses pensées est toûjours nouveau; au contraire l'intelligence divine voit en un instant presqu'indivisible, & d'un seul acte, tout ce qu'il y a d'intelligible. La contemplation de Dieu est d'autant plus oisive, qu'il ne peut pas même se féliciter d'être ce qu'il est. Il n'y a aucune philosophie à l'occuper à méditer la production des mondes. Méditer la production d'un ouvrage, c'est la précaution raisonnable d'un être fini qui craint de se tromper. Donc nous ne savons quelles étoient les pensées de Dieu avant la création des mondes; j'en conviens. Donc il n'y avoit point de Dieu; je le nie: c'est mal raisonner que d'insérer la non - existence d'une chose, de l'ignorance où l'on est sur une autre.

Mais pourquoi le monde n'a - t - il pas été créé de toute éternité? C'est que le monde n'est pas une émanation nécessaire de la divinité. L'éternité est le caractere de l'indépendance; il falloit donc que le monde commençât. Mais pourquoi n'a - t - il pas commencé plutôt? Cette question est tout - à - fait ridicule; car s'il est vrai que le monde a dû commencer, il a fallu qu'une éternité précédât le tems; & s'il a fallu qu'une éternité précédât le tems, on ne peut plus demander pourquoi Dieu n'a pas fait plutôt le monde. Il est visible que le tôt ou le tard sont des propriétés du tems & non de l'éternité: & si l'on supposoit que

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