ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"286"> n'ait été exécuté sur de très - grands travaux avec le plus grand succès & à la satisfaction des supérieurs; cependant comme il peut arriver que la situation & l'oeconomie des provinces soient différentes, & que le génie & le caractere des unes ne repondent pas toûjours au génie & au caractere des autres, l'on soumet d'avance tout ce que l'on exposera aux lumieres & aux connoissances des supérieurs.

L'acte de la corvée n'étant pas un acte libre, c'est dans notre gouvernement une des choses dont il paroît par conséquent que la conduite & les réglemens doivent être simples & la police breve & militaire. Un acte de cette nature ne supporte point non plus une justice minutieuse, comme tous les autres actes qui ont directement pour objet la liberté civile & la sûreté des citoyens. La conduite en doit être d'autant plus simple, que l'on ne peut préposer pour y veiller qu'un très - petit nombre de personnes, & la police en doit être d'autant plus concise, qu'il faut que ces ouvrages soient exécutés dans le moins de ms possible, pour n'en point tenir le fardeau sur peuples pendant un grand nombre d'années.

La véritable occupation d'un inspecteur chargé d'un travail public, est de résider sur son ouvrage, d'y être plus souvent le piquet d'une main pour tracer, & l'autre main libre pour poster les travailleurs & les conduire sans qu'ils se nuisent les uns aux autres, que d'avoir une plume entre les doigts pour tenir bureau au milieu d'un ouvrage qui ne demande que des y ux & de l'action.

Suivant ces principes, il ne me paroît pas convenable d'entreprendre en entier & à la fois la construction de toute une route; les travailleurs y seroient trop dispersés, chaque partie ne pourroit être qu'imparfaitement faite: l'inspecteur, obligé de les aller chercher les uns après les autres, passeroit tout son tems en transport de sa personne & en courses, ce qui multiplieroit extrèmement les instans perdus pour lui & pour les travailleurs qui ne font rien en son absence, ou qui ne font rien de bien. Il devient donc indispensable de n'entreprendre toute une route que parties à parties, en commençant toûjours par celles qui sont les plus difficiles & les plus urgentes, & en réunissant à cette fin les forces de toutes les communautés chargées de la construction. On ne doit former qu'un ou deux atteliers au plus, sur chacun desquels un inspecteur doit faire sa résidence. Les communautés y seront appellées par détachement de chacune d'elles, qui se releveront toutes de semaines en semaines; ces détachemens travailleront en corps, mais à chacun d'eux il sera assigné une tâche particuliere, qui sera déterminée suivant la quantité des jours qu'on leur demandera, sur la force du détachement, dont les hommes robustes compenseront les foibles, & enfin sur la nature du terrein.

On évitera avec grand soin tout ce qui peut multiplier les détails & attirer les longueurs; les ordonnances adressées aux communautés, une seule fois chaque saison, indiqueront tout simplement le jour, le lieu, la force du détachement, & la nature des outils & des voitures.

Sur ces ordres, les détachemens s'étant rendus au commencement d'une semaine sur l'attelier indiqué, on distribuera d'abord à chaque détachement une longueur de fossés proportionnée à ses forces, & on les postera de suite les uns au bout des autres. On suivra cette manoeuvre jusqu'à ce que les fossés soient faits sur toute la partie que l'on aura crû pouvoir entreprendre dans une saison ou dans une campagne. On fouillera ensuite l'encaissement de même, & lorsqu'il sera ouvert & dressé sur ladite longueur, on en usera aussi de la même sorte pour l'empierrement, en donnant chaque semaine pour tâche à cha<cb-> que détachement une longueur suffisante d'encaissement à remplir, qui sera proportionnée à la facilité ou à la difficulté du tirage & de la voiture de la pierre. Cet empierrement se fera à l'ordinaire, couche par couche. Les tâches hebdomadaires seront marquées les unes au bout des autres. Le cailloutis ou jard sera amené & répandu ensuite, & les bermes seront ajustées & réglées aussi suivant la même méthode.

Si l'ouvrage public consiste en déblais & en remblais dans une grande & profonde vallée, on place les détachemens sur les côtes qu'il faut trancher; on les dispose sur une ou plusieurs lignes; on fait marcher les tombereaux par colonnes, ou de telle autre façon que la disposition du lieu le permet; & comme dans ce genre de travail il ne se voiture de terre qu'autant que l'on en fouille par jour, & qu'il seroit difficile d'apprétier ce que les pionniers peuvent fouiller pour une quantité quelconque de voitures, eu égard à la distance du transport; c'est par la quantité de voyages que chaque voiturier peut faire chaque jour, que l'on regle le travail du journalier. Un piqueur placé sur le lieu de la décharge, donne à cette fin une contre - marque à chaque voiturier pour chaque voyage; & comme chacun d'eux cherche à finir promptement la quantité qui lui est prescrite pour le jour & pour la semaine, chaque voiturier devient un piqueur qui presse le manouvrier, & chaque manouvrier en est un aussi vis - à - vis de tous les voituriers.

C'est à l'intelligence de l'inspecteur à proportionner au juste, chaque jour (parce que l'emplacement varie chaque jour ou au moins chaque semaine), la quantité de pionniers au nombre des voitures, & le nombre des voitures à la quantité de pionniers, de façon qu'il n'y ait point trop de voitures pour les uns, & trop peu de manouvriers pour les autres, sans quoi il arriveroit qu'il y auroit ou une certaine quantité de voitures, ou une certaine quantité de manouvriers qui perdroient leur tems, ce qu'il est de conséquence de prévoir & d'éviter dans les corvées. C'est dans de tels ouvrages que les talens d'un inspecteur se font connoître s'il en a, ou qu'il est à portée d'en acquérir & de se perfectionner dans l'art de conduire de grands atteliers. Enfin de semblables travaux, par le nombre des travailleurs, par la belle discipline que l'on y peut mettre, par le progrès surprenant qu'ils font chaque semaine & chaque saison, méritent le nom d'ouvrages publics.

J'ai toûjours évité, dit l'auteur de cet article, dans les travaux où je me suis trouvé, composés de quatre & cinq cents travailleurs, & d'un nombre proportionné de voitures, de faire mention dans les ordonnances dont la dispensation m'étoit confiée, de toutes les différentes parties dont l'ouvrage d'une grande route est composé, ainsi qu'on le pratique depuis long tems sur la route de Tours au Châteaudu - Loir: on y donne successivement des ordonnances pour les fossés, pour les déblais, pour les remblais, pour le tirage de la pierre, pour sa voiture, & enfin pour le tirage & l'emploi du jard. Ou je me trompe, ou quand on multiplie ainsi aux yeux des peuples que l'on fait travailler sans salaire tous les différens objets de la corvée, on doit encore par - là la leur rendre plus à charge & plus insupportable. Et comment ne leur seroit elle pas à charge, puisque pour ceux mêmes qui les conduisent, ces détails ne peuvent être que pénibles & laborieux? ces ordonnances menent nécessairement à un détail infini; elles deviennent une pépiniere immense d'états, de rôles, & de bien d'autres ordonnances qui en résultent. Autant d'ordonnances, autant ensuite de diverses branches de réfractaires qui pullulent de jour en jour. Une ordonnance pour cent toises de pierre n'en produit que quatre - vingts; une ordonnance [p. 287] pour deux cents toises de fossés, n'en produit que cent soixante; autant il en arrive pour les déblais & pour les remblais: on est ensuite obligé de recourir à des supplémens & à de nouvelles impositions qu'il faut encore faire & repartir sur le général: & tout ceci est inévitable, non - seulement parce qu'il y a autant de petites fraudes qu'il y a de particuliers & de différens objets dans leurs tâches, mais encore parce que cette méthode ne pouvant manquer d'entraîner des longueurs, & demandant un nombre d'années considérable pour une entiere exécution, il y a sans cesse des absens dans les communautés, il y arrive un grand nombre de morts, & il se fait de nouveaux privilégiés & des insolvables.

De l'expérience de tant d'inconvéniens, il en résulte ce me semble que les ordonnances pour les corvées doivent se borner à demander des jours, & que l'emploi de ces jours doit être laissé à la direction des inspecteurs qui conduisent les ouvrages, pour qu'ils les appliquent suivant le tems & le lieu qui varient suivant le progres des travaux. Si les détachemens sont au nombre de cinquante, il ne faut le premier jour de la semaine qu'une demi - matinée au plus, pour leur donner à chacun une tâche convenable. Les appels se font par brigade le soir & le matin; on commence à cinq heures le matin, on finit à sept le soir; l'heure des repas & du repos est réglée comme sur les ouvrages à prix d'argent. Dans tout ce qui peut intervenir chaque jour & chaque instant, l'inspecteur ne doit viser qu'au grand dans le détail, & éviter toutes les languissantes minuties. Sa principale attention est, comme j'ai dit, de mettre & de maintenir l'harmonie dans tous les mouvemens de ces bras réunis.

Les différens conducteurs dont il se sert peuvent eux - mêmes y devenir très - intelligens; ces ouvrages seuls sont capables d'en former d'excellens pour la conduite de travaux de moindre importance. Il n'en est pas de même des corvées tarifées, les conducteurs qu'on y trouve n'ont pas même l'idée d'un ouvrage public; ils ne font que marcher du matin au soir, ils courent quatre lieues pour enregistrer une demi - toise de pierre, qui sera peut - être volée le lendemain comme il arrive souvent, & ils font ensuite deux ou trois autres lieues pour trois ou quatre toises de fossés ou quelques quarts de remblais; ils sont devenus excellens piétons & grands marcheurs, mais ils seroient incapables, quoiqu'ils soient employés depuis bien du tems, de conduire un attelier de vingt hommes réunis, & de leur tracer de l'ouvrage.

La simplicité de l'autre méthode n'a pas besoin d'être plus développée, quant à présent, pour être conçue; passons à la maniere d'administrer la police sur les corvoyeurs de ces grands atteliers, pour les contraindre quand ils resusent de venir sur les travaux, pour les maintenir dans le bon ordre quand ils y sont, & pour punir les querelleurs, les deserteurs, &c.

C'est une question qui a souvent été discutée, si cette police devoit être exercée par les inspecteurs, ou si l'autorité publique devoit toûjours s'en reserver le soin. Pour définir & limiter l'étendue de leur ressort, il paroît que c'est la nature même de la chose sur laquelle réside la portion d'autorité qui leur est confiée, qui en doit déterminer & régler l'étendue; ainsi on n'a qu'à appliquer ce principe à la police particuliere que les corvées demandent, pour savoir jusqu'à quel point l'autorité publique doit en prendre elle - même le détail, & où elle peut ensuite s'en rapporter aux inspecteurs qu'elle a crû capables de les conduire, & qu'elle n'a choisi qu'à cette fin.

Les travailleurs dont on se sert dans les travaux publics, sont ou volontaires ou forcés; s'ils sont vo<cb-> lontaires, comme dans les travaux à prix d'argent, le soin de leur conduite semble devoir appartenir à ceux qui président directement sur l'ouvrage; ces travailleurs sont venus de gré se ranger sous leur police & sous leurs ordres, & ceux qui les commandent connoissent seuls parfaitement la nature & la conséquence des desordres qui peuvent y arriver.

S'ils sont forcés, comme dans les corvées, alors il est très - sensible que l'autorité publique, qui veille sur les peuples où les travailleurs forcés sont pris, doit entrer nécessairement pour cette partie qui intéresse tout l'état, dans le détail du service des corvées. C'est parce que ces travailleurs sont peuples, qu'il ne doit y avoir que les intendances & les subdélégations qui puissent décider du choix des paroisses, en regler la quantité, étendre ou modérer la durée de l'ouvrage, & en donner le premier signal; il n'y a que dans ces bureaux où l'on soit parfaitement instruit de la bonté ou de la misere du tems, des facultés des communautés, & des vûes générales de l'état. Mais lorsque ces peuples sont ensuite devenus travailleurs par le choix de la puissance publique, ils deviennent en même - tems & par cette même raison soumis à l'autorité particuliere qui préside sur le travail; il conviendra donc que pendant tout le tems qui aura été désigné, ils soient directement alors sous la police des ingénieurs & des inspecteurs, sur qui roule particulierement le détail de l'ouvrage, qui doivent faire l'emploi convenable suivant le tems & suivant le lieu, de tous les bras qu'on ne leur donne que parce que leur talent & leur état est d'en régler l'usage & tous les mouvemens.

Par la nature de la chose même, il paroîtroit ainsi décidé que les corvoyeurs, comme peuples, seroient appellés & rappelles des travaux par le canal direct de l'autorité supérieure, & qu'en qualité de travailleurs ils seront ensuite sous la police des ingénieurs & inspecteurs; que ce doivent être ces derniers qui donneront à chacun sa part, sa tâche, & sa portion de la façon que la disposition & la nature de l'ouvrage indiqueront être nécessaire pour le bien commun de l'ouvrage & de l'ouvrier; que ce seront eux qui feront venir les absens, qui puniront les réfractaires, les paresseux, les querelleurs, &c. & qui exerceront une police réglée & journaliere sur tous ceux qui leur auront été confiés comme travailleurs. Eux seuls en effet peuvent connoître la nature & la conséquence des délits, eux seuis résident sur l'ouvrage où les travailleurs sont rassemblés; eux seuls peuvent donc rendre à tous la justice convenable & nécessaire. Bien entendu néanmoins que ces inspecteurs seront indispensablement tenus vis - à - vis de l'autorité publique (qui ne peut perdre de vûe les travailleurs parce qu'ils sont peuples) à lui rendre un compte fidele & fréquent de tout ce qui se passe parmi les travailleurs, ainsi que du progrés de l'ouvrage.

Ce qui m'a presque toûjours porté, dit l'auteur, à regarder ces maximes comme les meilleures, ce n'est pas uniquement parce qu'elles sont tirées de la nature des choses, c'est aussi parce que j'en ai toûjours vû l'application heureuse, & que je n'ai reconnu que des inconvéniens fort à charge aux peuples, & très - contraires aux ouvrages quand on s'est écarté de ce genre de police.

Comment en effet les bureaux d'une intendance, ou un subdélégué dans son cabinet, peuvent - ils pourvoir au bon ordre des travaux dont ils sont toûjours éloignés? les délits qui s'y commettent sont des délits de chaque jour, qu'il faut punir chaque jour; ce sont des délits de chaque instant, qu'il faut réprimer à chaque instant; l'impunité d'une seule journée fait en peu de tems d'un ouvrage public une solitude, ainsi qu'il est arrivé sur la route de Tours au Château - du - Loir, à cause de la police composée

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