ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"308"> petite. Quand la petite carde aura recueilli tout le coton de la grande, sans le plier ni le rompre, les filamens qui le composent auront tous été separés les uns des autres dans le courant de cette manoeuvre, & il se trouvera en état d'être mis sur les quenouilles pour être filé.

Les quenouilles sont les cardes mêmes, & l'opération consiste à faire passer le coton de la petite carde sur la grande, s'attachant principalement à l'y distribuer également & legerement. Lorsque tout le coton est sur la grande carde, on examine au jour s'il n'y a point d'inégalités: s'il y en a, on se sert de la petite carde pour les enlever; & ce qu'elle prend de coton dans ces derniers coups, suffit pour la charger & la faire servir elle - même de quenouille comme la grande.

Le coton est alors si facile à filer, que la manoeuvre du filage devient une espece de devidage; & le fil qui proviendra du coton ainsi préparé, sera propre pour toute sorte de toile. L'écheveau pesera depuis vingt jusqu'à trente grains, selon l'adresse de la fileuse. Au demeurant il est à - propos de savoir qu'un écheveau de coton contient toûjours 200 aunes de fil, que le numéro qu'il porte est le poids de ces 200 aunes; ainsi que quand il s'agira d'un fil pesant 20 grains, il faudra entendre un écheveau de 200 aunes de ce poids: d'où l'on voit que plus le poids de l'écheveau est petit, la longueur du fil demeurant la même, plus il faut que le fil ait été filé fin; pour l'obtenir très - fin, il faut étouper le coton.

Les ouvrages faits avec les cotons dont nous avons parlé, sont mousseux, parce que les bouts des filamens du coton paroissent sur les toiles ou estames qui en sont faites: c'est cette espece de mousse qui a fait donner le nom de mousseline à toutes les toiles de coton fines qui nous viennent des Indes, qui en effet ont toutes ce duvet. Pour réformer ce défaut, qui est considérable dans les estames & dans les mousselines très - fines, il faut séparer du coton tous les filamens courts qui ne peuvent être pris en long dans le tors du fil, qui lui donnent de la grosseur sans lui donner de la liaison. C'est ce qu'on appelle étouper.

Etouper le coton. Choisissez les plus belles gousses du coton de Siam blanc, qui ayent la soie fine & longue; charpissez - les, & les démêlez sur les cardes au point d'être mis sur les quenouilles; que votre coton soit partagé entre vos deux cardes: alors vous tournez les deux cardes du même sens, & posez les dents de l'une sur les dents de l'autre, les engageant legerement & de maniere que les bouts du coton qui sortent des cardes se réunissent. Voyez Pl. II. fig. 4. Fermez la main droite, saisissant entre le pouce & l'index tous ces bouts de coton que vous tirerez hors de la carde & sans lâcher prise; portez ce que vous aurez saisi sur la partie de la grande carde qui restera découverte, comme vous voyez même figure; afin seulement d'en peigner les extrémités en les passant dans les dents. Posez ensuite ce coton sur quelque objet rembruni, qui vous donne la facilité de le voir & de l'arranger; continuez cette opération jusqu'à ce que vous ayez tiré tout le coton qui vous paroîtra long; peignez derechef ce qui restera dans les cardes, & recommencez la même opération. Après cette seconde reprise, ce qui ne sera pas tiré sera l'étoupe du coton, & ne pourra servir à des ouvrages fins.

Lustrer le coton. Voulez - vous approcher encore davantage de la perfection, & donner du lustre à votre coton; faites de ce coton tiré des cardes dans l'étoupage, de petits flocons gros comme une plume, rassemblant les filamens longitudinalement, & les tordant entre les doigts, comme vous voyez fig. 1. Planc. III. assez fortement, en commençant par le milieu, comme si vous en vouliez faire un cordon; que ce tors se fasse sentir d'un bout à l'autre du flocon. Quand vous viendrez ensuite à le détordre, vous vous appercevrez que le coton se sera allongé, & qu'il aura pris du lustre comme la soie. Si vous voulez charpir un peu ce coton & le tordre une seconde fois, il n'en sera que plus beau. Voyez, Pl. II. fig. 5. & 6. deux flocons; l'un, fig. 5. lustré une premiere fois; & l'autre, fig. 6. lustré une seconde fois. Pour le filer, on le met sur les quenouilles comme le coton non lustré, observant de les charger peu si l'on veut filer fin. Le fil du coton ainsi préparé, sert à faire des toiles très - fines & des bas qui surpassent en beauté ce qu'on peut imaginer; ils ont l'avantage d'être ras & lustrés comme la soie. Le fil sera filé fin, au point que l'écheveau pourra ne peser que huit ou dix grains; mais il y a plus de curiosité que d'utilité à cette extrême finesse.

Le détail de toutes ces opérations, dit M. Jore dans des mémoires très - circonstanciés & très - clairs, d'après lesquels nous donnons cette manoeuvre (comme si cet homme sensé eût prévû les objections qu'il avoit à craindre de la futilité de je ne sais quelle petite espece de lecteurs); le détail de toutes ces opérations paroîtra peut - être minutieux: mais si les objets sont petits, la valeur n'en est pas moins considérable. Un gros de coton suffit pour occuper une femme tout un jour, & la faire subsister; une once fait une aune de mousseline, qui vaut depuis 12 livres jusqu'à 24 livres, suivant la perfection; une paire de bas pesant une once & demie deux onces, vaut depuis 30 livres jusqu'à 60 & 80 livres. Il n'y a nul inconvénient pour la fileuse à employer deux heures de son tems à préparer le coton qu'elle peut filer en un jour; puisque c'est de cette attention que dépend la solidité du fil, la célérité dans les autres opérations, & la perfection de tous les ouvrages qu'on en peut faire. L'habitude rend cet ouvrage très - courant.

Mêler des cotons de diffèrentes sortes. On a dit que le beau coton de Saint - Domingue pouvoit être employé à certains ouvrages, & sur - tout qu'on le mêloit avantageusement. Employé seul, on en fileroit du fil pesant 72 grains, qui serviroit en chaîne pour des toiles qu'on voudroit brocher sur le métier, ou pour des mouchoirs de couleur. En le mêlant par moitié avec des cotons fins, le fil pesera 54 à 50 grains, & sera propre à tramer les toiles & mouchoirs dont nous venons de parler, & à faire des toiles fines qu'on pourra peindre. En mêlant trois quarts de coton fin avec un quart de coton de Saint - Domingue bien préparé & lustré, on en pourra faire les rayures des mousselines rayées, des mousselines claires & unies, & le fil en pesera 36 à 30 grains. Ce mêlange se fait dans la premiere opération, lorsque le fil est en flocons; on met sur la carde tant de flocons d'une telle qualité, & tant d'une autre, suivant l'usage qu'on en veut faire. Les Indiens ne connoissent point ces mêlanges. La diversité des especes que la nature leur fournit, les met en état de satisfaire à toutes les fantaisies de l'art. Au reste, les préparations qu'ils donnent à leurs cotons, n'ont nul rapport avec ce qui vient d'être dit ci - dessus. Voyez la vingt - deuxieme des Lettres édifiantes. Leur coton recueilli, ils le séparent de la graine par deux cylindres de fer, qui roulent l'un sur l'autre; ils l'étendent ensuite sur une natte, & le battent pendant quelque tems avec des baguettes; puis, avec un arc tendu, ils achevent de le rendre rare, en lui faisant souffrir les vibrations réitérées de la corde: c'est - à - dire qu'ils l'arçonnent. V. à l'art. Chapelier, comment ces ouvriers font subir au poil la même opération, qui le divise extraordinairement, & qui ne paroît pas peu contraire au but de l'ourdissage & de tout art où l'on tortillera des filamens; car il est bien [p. 309] démontré que, tout étant égal d'ailleurs, plus les filamens seront longs, plus le cordon qui en proviendra fera fort. Quand le coton a été bien arçonné, ils le font filer par des hommes & par des femmes. J'ai inutilement essayé ces moyens, dit l'auteur de ces mémoires, & je ne les trouve bons que pour faire du fil tout - à - fait commun; ils peuvent à peine remplacer le cardage ordinaire, pratiqué dans les fabriques de Normandie; & je suis persuadé que les Indiens en ont quelqu'autre pour la préparation de leur coton, & qui ne nous est point encore parvenu. Si M. Jore eût refléchi sur le but & l'effet de l'arçonnage, il n'en auroit rien attendu d'avantageux; car il ne s'agit pas ici de multiplier les surfaces aux dépens des longueurs: cela est bon, quand il s'agit de donner du corps par le contact, mais non par le tortillement. L'arçonnage est une opération évidemment contraire à l'étoupage.

Filer les cotons fins. Le roüet étant préparé, comme on le dira ci - après, & la fileuse ayant l'habitude de le faire tourner également avec le pié; pour commencer, elle fixera un bout de fil quelconque sur le fuseau d'ivoire; elle le fera passer sur l'épinguer & dans le bouton d'ivoire; de - là elle portera l'extrémité de ce fil, qui doit avoir environ quatre piés de long, sur la grande carde qui doit servir de quenouille; elle le posera sur le coton, à la partie la plus voisine du manche; elle tiendra ce manche dans sa main gauche, faisant ensorte d'avancer le pouce & l'index au - delà des dents de la carde, vers les bouts du coton, où elle saisira le fil à un pouce près de son extrémité, sans prendre aucun filament du coton entre ses doigts. Tout étant en cet état, elle donnera de la main droite le premier mouvement au roüet, qui doit tourner de gauche à droite: Ayant entretenu ce mouvement quelques instans avec son pié, le ferin étant suffisamment tendu, l'on sent le fil se tordre jusque contre les doigts de la main gauche qui le tiennent proche le coton, sans lui permettre d'y communiquer; prenez alors ce fil de votre droite entre le pouce & l'index, à six pouces de distance de la main gauche, & le serrez de façon que le tors que le roüet lui communique en marchant toûjours, ne puisse pas s'étendre au - delà de votre main droite. Cela bien exécuté, il n'y a plus qu'un petit jeu pour former le fil; mais observez qu'il ne faut jamais approcher de la tête du roüet plus près que de deux piés & demi à trois piés, & que les deux mains soient toûjours à quelque distance l'une de l'autre, excepté dans des circonstances extraordinaires que l'on expliquera ailleurs.

Le bout du fil qui est entre les deux mains, qui a environ six pouces de longueur, ayant été tors comme on l'a dit, sert à former à - peu - près 4, 5, 6 pouces de nouveau fil; car en lâchant ce fil de la main gauche seulement, le tors montera dans la carde le long de sa partie qui y est posée, & y accrochera quelques bouts de coton qui formeront un fil que vous tirerez hors de la carde, en portant la main droite vers la tête du roüet, tant que le tors aura le pouvoir de se communiquer au coton. Dès que vous vous appercevrez que le tors cessera d'accrocher les filamens du coton, vous saisirez le fil nouveau fait des deux doigts de votre gauche, comme ci - devant; alors vous laisserez aller le fil que vous teniez de votre droite, le tors qui étoit entre le roüet & votre droite venant à monter précipitamment jusqu'à votre gauche, vous donnera occasion de reprendre sur le champ votre fil de la droite, à 5 ou 6 pouces de la gauche, comme auparavant, & de continuer à tirer ainsi de nouveau fil de la carde. On parviendra à se faire une habitude de cette alternative de mouvement, si grande qu'il en devient d'une telle promptitude, que le roüet ne peut quelquefois pas tordre assez vîte, & que la fileuse est obligée d'attendre ou de forcer le mouvement du roüet.

Le bout de fil de six pouces de long qui'est intercepté entre les deux mains, & qui contient le tors qui doit former le nouveau fil, le formera inégalement si on le laisse agir naturellement; car étant plus vif au premier instant que vers la fin, il accrochera plus de coton au premier instant que dans les instans suivans. Il est de l'adresse de la fileuse de modérer ce tors en roulant entre ses doigts le fil qu'elle tient de la droite dans un sens opposé au tors; & lorsqu'elle s'apperçoit que le tors s'affoiblit, en le roulant dans le sens conspirant avec le tors, afin d'en augmenter l'effet. Par ce moyen elle parviendra à former le fil parfaitement égal, si le coton a été bien préparé. Celles qui commencent cassent souvent leur fil, faute d'avoir acquis ce petit talent.

On a fait le roüet à gauche, afin que la main droite pût agir dans une circonstance d'où dépend toute la perfection du fil. On a fait pareillement tourner le roüet de gauche à droite, parce que sans cela le fil se torderoit dans un sens où il seroit incommode à modérer, soit en le tordant, soit en le détordant entre les doigts de la main droite.

Une autre adresse de la fileuse, c'est de tourner sa carde ou quenouille de façon que le tors qui monte dedans trouve toûjours une égale quantité de coton à accrocher, & qu'il soit accroché par les extrémités des filamens, & non par le milieu de leur longueur. C'est par cette raison qu'il est très - essentiel que le coton y soit bien également distribué, & que les brins soient bien détachés les uns des autres. Mais quelqu'adroite que soit la fileuse, il arrive quelquefois que le tors accroche une trop grande quantité de coton, qui forme une inégalité considérable. Pour y remédier, il faut saisir l'endroit inégal, tout au sortir de la carde, avec les deux mains, c'est - à - dire du côté de la carde avec la gauche, comme si le fil étoit parfait, & l'autre bout avec la droite, & détordre cette inégalité en roulant légerement le fil entre les doigts de la droite, jusqu'à ce que le coton étant ouvert, vous puissiez allonger cette partie trop chargée de coton au point de la réduire à la grosseur du fil. Cetté pratique est nécessaire, mais il faut faire ensorte de n'y avoir recours que quand on ne peut prévenir les inégalités; elle retarde la fileuse, quand elle est trop souvent réitérée. Une femme habile qui prépare bien son coton, forme son fil égal dans la carde même.

Il est inutile d'avertir que lorsque le coton qui est près du manche de la carde est employé, il faut avancer la main gauche sur les dents de la carde même, pour être à portée d'opérer sur le reste. Lorsque la carde commence à se vuider, il reste toûjours du coton engagé dans le fond des dents: pour le filer, il faut approcher la main droite, & filer à deux pouces près de la carde; on pourra par ce moyen aller chercher le coton partout où il sera, & on l'accrochera en tordant un peu le fil entre les doigts de la droite, afin de rendre le tors du fil plus âpre à saisir les filamens épars. Lorsque l'opération devient un peu difficile, on abandonne ce coton pour le reprendre avec la petite carde, & s'en servir à charger de nouvelles quenouilles.

Toutes les fois que le fuseau est chargé d'une petite monticule de coton filé appellé sillon, il faut avoir soin de changer le fil sur l'épinguer, c'est - à - dire le transporter d'une dent dans une autre, & ne pas attendre que le sillon s'éboule. Il faut remplir le fuseau de suite, autrement le fil ne se peut devider; il est perdu. Quand le fuseau sera plein à la hauteur des épaulemens, il faudra passer une épingue au - travers du fil, & y arrêter le bout du fil.

Si l'on faisoit usage du fil de coton au sortir du

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