ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"219"> pose sur le sol de la corderie, & que l'autre soit posé au - dessus, étant plus élevé de trois ou trois piés & demi; on place entre ces bâtis de charpente les tourets debout ou verticalement, & on les assujettit dans cette situation avec la broche qui leur sert d'essieu. De cette façon tous les tourets peuvent tourner ensemble, & on peut d'une seule fois étendre plusieurs fils de toute la longueur de la corderie; on ordonne seulement à quelques petits garçons de se tenir auprès des tourets pour empêcher, avec un bâton qu'ils appuient dessus, que les tourers qui sont trop déchargés de fil, ne tournent trop vîte & ne mêlent leur fil. Les grands tourets sont quelquefois si chargés de fils, qu'en tirant le fil pour les faire tourner, le fil se rompt.

Du chantier à commettre. A quelques pas des tourets & directement au - devant est le chantier à commettre. Il est composé de deux grosses pieces de bois d'un pié & denu d'équarissage & de dix piés de longueur D, que l'on maçonne en terre à moitié de leur longueur.

Les deux pieces dressées ainsi à plomb à six piés de distance l'une de l'autre, supportent une grosse traverse de bois E, percée à distance égale de quatre & quelquefois de cinq trous, où l'on place les manivelles F, qui doivent, pour les gros cordages, produire le même effet que les molettes des roüets pour les petits.

Des manivelles. Les manivelles sont de fer & de différente grandeur, proportionnellement à la grosseur du cordage qu'on commet, (Pl. III. divis. 2.) G en est la poignee, H le coude, I l'axe, L un bousen qui appure contre la traverse E du chantier, M une ciavette qui retient les fils qu'on a passés dans l'axe I. On tord les fils qui sont attachés à l'axe I, en tournant la poignée G, ce qui produit le même esset que les molettes, plus lentement à la vérité: mais puisqu'on a besoin de force, il faut perdre sur la vîtesse, & y perdre d'autant plus qu'on a plus besoin de force; c'est pourquoi on est plus long - tems à commettre de gros cordages, où l'on employe de grandes manivelles, qu'à en commettre de médiocres, où il suffit d'en avoir de petites.

Du quarré. Le quarré dont il s'agit, a trois objets à remplir. 1°. Comme les manivelles du chantier tournent lentement en comparaison de la vîtesse que le rouet imprime aux molettes, pour accélerer un peu l'ouvrage on met au quarré (Pl. III. divis. 1.) N un pareil nombre de manivelles qu'on avoit mis au chantier D; & en les faisant tourner en sens contraire de celles du chantier, on parvient à accélerer du double le tortillement des torons; pour cela on fait porter au quarré une membrure O, pareille à la membrure E du chantier, laquelle membrure du quarré doit être percée de trous qui répondent aux trous de celle du chantier. 2°. Quand les fils ont été assez tors, on les réunit tous ensemble par le bout qui répond au quarré, on les attache à une seule manivelle qu'un homme fait tourner, comme on le voit en P, (même Pl. divis. 2.) & alors cette seule manivelle tient lieu de l'émerillon dont nous avons parlé à l'occasion du bitord, du lusin & du merlin. 3°. Enfin on sait qu'en tortillant les fils avant que de les commettre, & quand on les commet, ils se raccourcissent; c'est pour cette raison qu'on a dit en parlant du bitord, qu'on attache un poids à la corde qui est passée dans l'anneau de l'émerillon, que ce poids tient la corde dans un certain degré de tension, & qu'il remonte le long de la fourche à mesure que les fils se raccourcissent; il faut de même que le quarré tienne les fils des grosses cordes dans une tension qui soit proportionnelle à la grosseur de la corde, & qu'il avance vers l'attelier à mesure que les fils se raccourcissent, C'est pourquoi le quarré est formé de deux pieces de bois quarrées ou semelles, jointes l'une à l'autre par des traverses ou paumelles - Sur les semelles sont solidement assemblés des montans qui sont affermis par des liens. Ainsi le quarré est un chantier qui ne differe du vrai chantier D, (même Pl. divis. 1.) que parce que celui - ci est immobile, & que le quarré est établi sur un traîneau pesant & qu'on charge plus ou moins, Q, suivant le besoin.

Du chariot du toupin. Quand les fils ont acquis un certain degré de force élastique par le tortillement, le toupin fait effort pour tourner dans la main du cordier, qui peut bien résister à l'effort de deux fils, mais qui seroit obligé de céder si la corde étoit plus grosse; en ce cas on traverse le toupin avec une barre de bois R (même Planche, divis. 2.), que deux hommes tiennent pour le conduire.

Comme la force de deux hommes n'est quelquefois pas encore suffisante, pour lors on a recours au chariot S (voyez la divis. 2.) qu'on appelle chariot du toupin. Il y a deux sortes de ces chariots; les uns sont en traîneau, & les autres ont des roulettes: ils sont formés par deux semelles sur lesquelles sont assemblés des montans; & l'on attache de différente façon avec des cordes la barre R qui traverse le toupin, tantôt aux montans, tantôt aux traverses, suivant la disposition du chariot, desorte que le cordage repose sur le derriere du chariot qui sert de chevalet. On ne charge point le chariot; au contraire il faut qu'il ne soit pas fort pesant, afin (pour me servir du terme des ouvriers) qu'il courre librement; & quand on veut qu'il chemine lentement, on le retient par le moyen d'une retraite, qu'on nomme aussi une livarde ou une lardasse, c'est - à - dire, avec une corde d'étoupe T, qui est amarrée à la traverse R du toupin, & dont on enveloppe de plus ou moins de tours le cordage, suivant qu'on desire que le chariot aille plas ou moins vîte.

Du chevalet. Le chevalet V (même Plan. divis. 2.) qui est d'un grand usage dans les corderies, est néanmoins très - simple; c'est un treteau dont le dessus est armé de distance en distance de chevilles de bois. Ces chevalets servent à soûtenír les fils quand on ourdit les cordes, & à supporter les pieces pendant qu'on les travaille. Nous en avons déja parlé dans l'attelier des fileurs.

Des manuelles. Il y a encore dans les corderies de petits instrumens qui aident à la manivelle du quarré P (même Pl. divis. 2.), à tordre & à commettre les cordages qui sont fort longs. A Rochefort on appelle ces instrumens des gatons; mais nous les nommerons avec les Provençaux, des manuelles, à cause de leur usage, quoiqu'ils imitent un foüet, étant composés d'un manche de bois & d'une corde, comme on les voit en X, même Plan. même divis. Pour s'en servir, l'ouvrier Y entortille diligemment la corde autour du cordage qu'on commet; & en continuant à faire tourner le manche autour du cordage, il le tord. Quand les cordages sont fort gros, on met deux hommes Z sur chacune de ces manuelles, & alors la corde & est au milieu de deux bras de levier; ainsi cette manuelle double est un bout de perche de trois piés de longueur, estropée au milieu d'un bout de quarentenier mou & flexible qui a une demi - brasse de long.

Des palombes. L'épaisseur du toupin, l'embarras du chariot, l'intervalle qui est nécessairement entre les manivelles, & plusieurs autres raisons, font que les cordages ne peuvent pas être commis jusqu'auprès du chantier: on perdroit donc toutes les fois qu'on commet un cordage, une longueur assez considérable de fil, si on les accrochoit immédiatement à l'extrémité des manivelles. C'est pour éviter ce déchet inutile, qu'on attache les fils au bout d'une corde en double, K, qui s'accroche de l'autre bout à [p. 220] l'extrémité F de chaque manivelle, où elle est retenue par la clavette M: c'est ce bout de corde qu'on appelle une palombe ou une hélingue.

Maniere de faire un cordage en aussiere à trois torons. Maintenant que l'on connoît la disposition de l'attelier & les instrumens qu'on y employe, il faut expliquer comment on fabrique les aussieres: on commence par ourdir les fils, dont on fait trois faisceaux ou longis, que l'on tord ensuite pour en faire les torons, & enfin on commet ces torons pour en faire des cordages. Pour bien ourdir un cordage il faut 1° étendre les fils, 2° leur donner un égal degré de tension, 3° en joindre ensemble une suffisante quantité, 4° enfin leur donner une longueur convenable relativement à la longueur qu'on veut donner à la piece de cordage.

Lorsqu'il s'agit d'ourdir un cordage de vingt - un pouces de grosseur ou de circonférence, qui est composé de plus de deux mille deux cents cinquante fils, s'il falloit prendre tous ces fils sur un seul touret, comme nous l'avons dit en parlant du bitord, on seroit obligé de faire quatre mille cinq cents fois la longueur de la corderie, qui a mille piés de long, ce qui fait quatre millions cinq cents mille piés, ou soixante & quinze mille toises, c'est - à - dire trente - sept lieues & demie. Il est donc important de trouver des moyens d'abréger cette opération. C'est pour cela que si la corde n'est pas fort grosse, le maître cordier fait prendre sur les tourets qui sont établis au bout de la corderie, tous les fils dont il a besoin; il les fait passer dans un crochet de fer a (Plan. III. divis. 1.), qui les réunit en un faisceau qu'un nombre suffisant d'ouvriers qui se suivent l'un l'autrc, prennent sur leur épaule; & tirant assez fort pour devider ces fils de dessus leurs tourets, ils vont au bout de la corderie, ayant attention de mettre de tems en tems ce qu'il faut de chevalets pour que ces fils ne portent point par terre. Quand l'aussiere qu'il veut ourdir est trop grosse pour étendre les fils en une seule fois, les mêmes ouvriers prennent un pareil nombre de fils sur les tourets qui sont établis à l'autre bout de la corderie où est le quarré, & ils reviennent au bout où est le chantier, ce qui leur épargne la moitié du chemin; & on continue de la même maniere jusqu'à ce qu'on ait étendu la quantité de fils dont on juge avoir besoin. Enfin il y a des corderies où pour étendre encore les fils plus vîte, on se sert d'un cheval qu'on attele aux faisceaux de fils; ce cheval tient lieu de sept à huit hommes, il va plus vîte, & l'opération se fait à moins de frais. Quand on a étendu un nombre suffisant de fils, le maître cordier qui est auprès du quarré, ou au bout de la corderie opposé à celui où est le chantier à commettre, fait amarrer la queue du quarré avec une bonne corde à un fort pieu b, qui est exprès scellé en terre à une distance convenable du quarré. Pour distinguer dans la suite les deux extrémités de la corderie, on nommera l'une le bout du chantier, & l'autre le bout du quarré. Le cordier fait ensuite charger le quarré du poids qu'il juge nécessaire, & passer trois manivelles proportionnées à la grosseur de la corde qu'il veut faire, dans les trous qui sont à la membrure ou traverse du quarré. Tout étant ainsi disposé, il divise en trois parties égales les fils qu'il a étendus, il fait un noeud au bout de chaque faisceau pour réunir tous les fils qui les composent; puis il divise chaque faisceau de fil ainsi lié, en deux, pour passer dans le milieu l'extrémité des manivelles, où il les assujettit par le moyen d'une clavette.

Imaginons donc que la quantité de fil qui a été étendu, est maintenant divisée en trois faisceaux, qui répondent chacun par un bout à l'extrémité d'une manivelle qui est arrêtée à la traverse du quarré; trois ouvriers, & quelquefois six, restent pour tour<cb-> ner ces manivelles, & le maître cordier retourne avec les autres au bout de l'attelier où est le chantier à commettre; chemin faisant il fait séparer en trois faisceaux les fils précédemment réunis, comme il avoit fait à l'extrémité qui est auprès du quarré; les ouvriers ont soin de faire couler ces faisceaux dans leurs mains, de les bien réunir, de ne laisser aucuns fils qui ne soient aussi tendus que les autres; & pour empêcher que ces fils ne se réunissent, ils se servent des chevilles qui sont sur l'appui des chevalets. Quand on a ainsi disposé les fils dans toute leur longueur, & qu'on est rendu auprès du chantier à commettre, le maître cordier fait couper les trois faisceaux de fil de quelques piés plus courts qu'il ne faut pour joindre les palombes, & y fait un noeud; il les fait ensuite tendre par un nombre suffisant d'ouvriers, ou, pour me servir de leur expression, ils font hâler dessus jusqu'à ce que le noeud qui est au bout de chaque saisceau puisse passer entre les deux cordons des palombes.

Quand les trois faisceaux sont attachés d'un bout aux trois manivelles du quarré, & de l'autre aux trois manivelles du chantier, un cordier qui desire faire de bon ouvrage, examine, 1°. s'il n'y a point de fils qui soient moins tendus que les autres; s'il en apperçoit quelques - uns, il les assujettit, dans un degré de tension pareil aux autres, avec un bout de fil de carret qu'on nomme une ganse: si cette différence tomboit sur un trop grand nombre de fils, il déferoit ou couperoit le noeud, pour remédier à ce défaut. 2°. Il faut que les trois faisceaux soient dans un degré de tension pareil; il reconnoît ceux qui sont les moins tendus en se baissant assez pour que son oeil soit juste à la hauteur des faisceaux, il voit alors que les moins tendus font un plus grand arc que les autres d'un chevalet à l'autre; pour peu que cette différence soit considérable, il fait raccourcir le faisceau qui est trop long. C'est par ces attentions que certains cordiers réussissent mieux que d'autres: car il ne faut pas s'imaginer que des fils qui ont quelquefois plus de cent quatre - vingt - dix brasses de longueur, s'étendent avec autant de facilité que ceux qui n'auroient que quatre à cinq brasses. Il y a des cordiers qui pour s'épargner le tâtonnement dont nous venons de parler, font un peu tordre les faisceaux qui sont plus lâches, pour les roidir & les mettre de niveau avec les autres: c'est une très - mauvaise méthode, car il est très - nécessaire pour la perfection de l'ouvrage que tous les faisceaux ayent un tortillement pareil. Ces faisceaux de fil ainsi disposés, s'appellent en terme de Cordcrie, des longis, & quand on les a tortillés, des tourons ou des torons. Si l'on examine la disposition que prennent les fils tortillés dans un toron, on trouve qu'un ou plusieurs occupent le centre ou l'axe d'un toron, & sont enveloppés par un nombre d'autres qui font un petit orbe, & que cet orbe est enveloppé par d'autres fils qui font un orbe plus grand, & ainsi de suite jusqu'à la circonférence de ce toron. Pour distinguer ces différens orbes de fils représentant (Planche IV. fig. 9.) la coupe d'un toron perpendiculairement à son axe; soit A le fil qui est au centre; B B les fils qui l'enveloppent, ou ceux du premier orbe; C ceux du troisieme orbe, D ceux du quatrieme, &c. Or il paroît que quand on tordra ce toron, le fil A ne faisant que se tordre ou se détordre suivant le sens où l'on tordra les torons, il doit être regardé comme l'axe d'un cylindre qui tournera à - peu - près sur lui - même & autour duquel tous les orbes s'entortilleront. L'orbe B se roulera sur le fil A, autour duquel il décrira une hérice; mais comme cet orbe B est trés - près du centre de révolution du cylindre, il fera très peu de mouvement; les hélices que décriront les

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