ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"87"> peut déterminer que trois sortes de mots: 1° un autre nom, 2° un verbe, 3° ou enfin une préposition. Voilà les seules parties du discours qui ayent besoin d'être déterminées; car l'adverbe ajoûte quelque circonstance de tems, de lieu, ou de maniere; ainsi il détermine lui - même l'action ou ce qu'on dit du sujet, & n'a pas besoin d'être déterminé. Les conjonctions lient les propositions; & à l'égard de l'adjectif, il se construit avec son substantif par le rapport d'identité.

1°. Lorsqu'un nom substantif détermine un autre nom substantif, le substantif déterminant se met au génitif en latin lumen, solis; & en françois ce rapport se marque par la préposition de: surquoi il faut remarquer que lorsque le nom déterminant est un individu de l'espece qu'il détermine, on peut considérer le nom d'espece comme un adjectif, & alors on met les deux noms au même cas par rapport d'identité: urbs Roma, Roma quoe est urbs; c'est ce que les Grammairiens appellent apposition. C'est ainsi que nous disons le mont Parnasse, le fleuve Don, le cheval Pegase, &c. Mais en dépit des Grammairiens modernes, les meilleurs auteurs Latins ont aussi mis au génitif le nom de l'individu, par rapport de détermination. In oppido Antiochioe (Cic.); & (Virg.) celsam Butroti ascendimus urbem (AE n. l. III.v. 293.); exemple remarquable, car urbem Butroti est à la question quo. Aussi les commentateurs qui préférent laregle de nos Grammairiens à Virgile, n'ont pas manqué de mettre dans leurs notes, ascendimus in urbem Butrotum. Pour nous qui préférons l'autorité incontestable & soutenue des auteurs Latins, aux remarques frivoles de nos Grammairiens, nous croyons que quand on dit maneo Lutetioe, il faut sousentendre in urbe.

2°. Quand un nom détermine un verbe, il faut suivre l'usage établi dans une langue pour marquer cette détermination. Un verbe doit être suivi d'autant de noms déterminans, qu'il y a de sortes d'émotions que le verbe excite nécessairement dans l'esprit. J'ai donné: quoi? & à qui?

3°. A l'égard de la préposition, nous venons d'en parler. Nous observerons seulement ici qu'une préposition ne détermine qu'un nom substantif, ou un mot pris substantivement; & que quand on trouve une préposition suivie d'une autre, comme quand on dit pour du pain, par des hommes, &c. alors il y a ellipse pour quelque partie du pain, par quelques uns des hommes.

Autres remarques pour bien faire la construction. I. Quand on veut faire la construction d'une période, on doit d'abord la lire entierement; & s'il y a quelque mot de sousentendu, le sens doit aider à le suppléer. Ainsi l'exemple trivial des rudimens, Deus quem adoramus, est défectueux. On ne voit pas pourquoi Deus est au nominatif; il faut dire Deus quem adoramus est omnipotens: Deus est omnipotens, voilà une proposition; quem adoramus en est une autre.

II. Dans les propositions absolues ou complettes, il faut toûjours commencer par le sujet de la proposition; & ce sujet est toûjours ou un individ, soit réel, soit métaphysique, ou bien un sens total exprimé par plusieurs mots.

III. Mais lorsque les propositions sont relatives, & qu'elles forment des périodes, on commence par les conjonctions ou par les adverbes conjonctifs qui les rendent relatives; par exemple, si, quand, lorsque, pendant que, &c. on met à part la conjonction ou l'adverbe conjonctif, & l'on examine ensuite chaque proposition séparément; car il faut bien observer qu'un mot n'a aucun accident grammatical, qu'à cause de son service dans la seule proposition où il est employé.

IV. Divisez d'abord la proposition en sujet & en attribut le plus simplement qu'il sera possible; après quoi ajoûtez au sujet personnel, ou réel, ou abstrait, chaque mot qui y a rapport, soit par la raison de l'identité, ou par la raison de la détermination; ensuite passez à l'attribut en commençant par le verbe, & ajoûtant chaque mot qui y a rapport selon l'ordre le plus simple, & selon les déterminations que les mots se donnent successivement.

S'il y a quelque adjoint ou incise qui ajoûte à la proposition quelque circonstance de tems, de maniere, ou quelqu'autre; après avoir fait la construction de cet incise, & après avoir connu la raison de la modification qu'il a, placez - le au commencement ou à la fin de la proposition ou de la période, selon que cela vous paroîtra plus simple & plus naturel.

Par exemple, imperante Coesare Augusto, unigenitus Dei filius Christus, in civitate David, quoe vocatur Bethleem, natus est. Je cherche d'abord le sujet personnel, & je trouve Christus; je passe à l'attribut, & je vois est natus: je dis d'abord Christus est natus. Ensuite je connois par la terminaison, que filius unigenitus se rapporte à Christus par rapport d'identité; & je vois que Dei étant au génitif, se rapporte à filius par rapport de détermination: ce mot Dei détermine filius à signifier ici le fils unique de Dieu; ainsi j'écris le sujet total, Chistus unigenitus filius Dei.

Est natus, voilà l'attribut nécessaire. Natus est au nominatif, par rapport d'identité avec Christus; car le verbe est marque simplement que le sujet est, & le mot natus dit ce qu'il est né; est natus, est né, est celui qui naquit; est natus, comme nous disons il est venu, il est allé. L'indication du tems passé est dans le participe venu, allé, natus, &c.

In civitate David, voilà un adjoint qui marque la circonstance du lieu de la naissance. In, préposition de lieu déterminée par civitate David. David, nom propre qui détermine civitate. David, ce mot se trouve quelquefois décliné à la maniere des Latins, David, Davidis; mais ici il est employé comme nom hébreu, qui passant dans la langue latine sans en prendre les inflexions, est considéré comme indéclinable.

Cette cité de David est déterminée plus singulierement par la proposition incidente, quoe vocatur Bethleem.

Il y a de plus ici un autre adjoint qui énonce une circonstance de tems, imperante Coesare Augusto. On place ces sortes d'adjoints ou au commencement ou à la fin de la proposition, selon que l'on sent la maniere de les placer apporte ou plus de grace ou plus de clarté.

Je ne voudrois pas que l'on fâtigât les jeunes gens qui commencent, en les obligeant de faire ainsi eux - mêmes la construction, ni d'en rendre raison de la maniere que nous venons de le faire; leur cerveau n'a pas encore assez de consistance pour ces opérations refléchies. Je voudrois seulement qu'on ne les occupât d'abord qu'à expliquer un texte suivi, construit selon ces idées; ils commenceront ainsi à les saisir par sentiment: & lorsqu'ils seront en état de concevoir les raisons de la construction, on ne leur en apprendra point d'antres que celles dont la nature & leurs propres lumieres leur feront sentir la vérité. Rien de plus facile que de les leur faire entendre peu - à - peu sur un latin où elles sont observées, & qu'on leur a fait expliquer plusieurs fois. Il en résulte deux grands avantages; 1°. moins de dégoût & moins de peine; 2°. leur raison se forme, leur esprit ne se gâte point, & ne s'accoûtume pas à prendre le faux pour le vrai, les ténebres pour la lumiere, ni à admettre des mots pour des choses. Quand on connoît bien les fondemens de la construction, on prend le goût de l'élégance par de fréquentes lectures des auteurs qui ont le plus de réputation. [p. 88]

Les principes métaphysiques de la construction sont les mêmes dans toutes les langues. Je vais en faire l'application sur une ydile de madame Deshoulieres.

Construction grammaticale & raisonnée de l'ydile de madame Deshoulieres, Les moutons.

Hélas petits moutons, que vous êtes heureux!

Vous êtes heureux, c'est la proposition.

Hélas petits moutons, ce sont des adjoints à la proposition, c'est - à - dire que ce sont des mots qui n'entrent grammaticalement ni dans le sujet, ni dans l'attribut de la proposition.

Hélas est une interjection qui marque un sentiment de compassion: ce sentiment a ici pour objet la personne même qui parle; elle se croit dans un état plus malheureux que la condition des moutons.

Petits moutons, ces deux mots sont une suite de l'exclamation; ils marquent que c'est aux moutons que l'auteur adresse la parole; il leur parle comme à des personnes raisonnables.

Moutons, c'est le substantif, c'est - à - dire le suppôt; l'être existant, c'est le mot qui explique vous.

Petits, c'est l'adjectif ou qualificatif: c'est le mot qui marque que l'on regarde le substantif avec la qualification que ce mot exprime; c'est le substantif même considéré sous un tel point de vûe.

Petit, n'est pas ici un adjectif qui marque directement le volume & la petitesse des moutons; c'est plûtôtun terme d'affection & de tendresse. La nature nous inspire ce sentiment pour les enfans & pour les petits des animaux, qui ont plus de besoin de notre secours que les grands.

Petits moutons; selon l'ordre de l'analyse énonciative de la pensée, il faudroit dire moutons petits, car petits suppose moutons: on ne met petits au pluriel & au masculin, que parce que moutons est au pluriel & au masculin. L'adjectif suit le nombre & le genre de son substantif, parce que l'adjectif n'est que le substantif même considéré avec telle ou telle qualification; mais parce que ces différentes considérations de l'esprit se font intérieurement dans le même instant, & qu'elles ne sont divisées que par la nécessité de l'énonciation, la construction usuelle place au gré de l'usage certains adjectifs avant, & d'autres après leurs substantifs.

Que vous êtes heureux! que est pris adverbialement, & vient du latin quantum, ad quantum, à quel point, combien: ainsi que modifie le verbe; il marque une maniere d'être, & vaut autant que l'adverbe combien.

Vous, est le sujet de la proposition, c'est de vous que l'on juge. Vous, est le pronom de la seconde personne: il est ici au pluriel.

Etes heureux, c'est l'attribut; c'est ce qu'on juge de vous.

Etes, est le verbe qui outre la valeur ou signification particuliere de marquer l'existence, fait connoître l'action de l'esprit qui attribue cette existence heureuse à vous; & c'est par cette propriété que ce mot est verbe: on affirme que vous existez heureux.

Les autres mots ne sont que des dénominations; mais le verbe, outre la valeur ou signification particuliere du qualificatif qu'il renferme, marque encore l'action de l'esprit qui attribue ou applique cette valeur à un sujet.

Etes: la terminaison de ce verbe marque encore le nombre, la personne, & le tems présent.

Heureux est le qualificatif, que l'esprit considere comme uni & identifié à vous, à votre existence; c'est ce que nous appellons le rapport d'identité.

Vous paissez dans nos champs sans souci, sans allarmes.

Voici une autre proposition.

Vous en est encore le sujet simple: c'est un pro<cb-> nom substantif; car c'est le nom de la seconde personne, en tant qu'elle est la personne à qui l'on adresse la parole; comme roi, pape, sont des noms de personnes en tant qu'elles possedent ces dignités. Ensuite les circonstances font connoître de quel roi ou de quel pape on entend parler. De même ici les circonstances, les adjoints font connoître que ce vous, ce sont les moutons. C'est se faire une fausse idée des pronoms que de les prendre pour de simples vicegérens, & les regarder comme des mots mis à la place des vrais noms: si cela étoit, quand les Latins disent Cerès pour le pain, ou Bacchus pour le vin, Cerès & Bacchus seroient des pronoms.

Paissez est le verbe dans un sens neutre, c'est - à - dire que ce verbe marque ici un état de sujet; il exprime en même tems l'action & le terme de l'action: car vous paissez est autant que vous mangez l'herbe. Si le terme de l'action étoit exprimé séparément, & qu'on dît vous paissez l'herbe naissante, le verbe seroit actif transitif.

Dans nos champs, voilà une circonstance de l'action.

Dans est une préposition qui marque une vûe de l'esprit par rapport au lieu: mais dans ne détermine pas le lieu; c'est un de ces mots incomplets dont nous avons parlé, qui ne font qu'une partie d'un sens particulier, & qui ont besoin d'un autre mot pour former ce sens: ainsi dans est la préposition, & nos champs en est le complément. Alors ces mots dans nos champs font un sens particulier qui entre dans la composition de la proposition. Ces sortes de sens sont souvent exprimés en un seul mot, qu'on appelle adverbe.

Sans souci, voilà encore une préposition avec son complément; c'est un sens particulier qui fait un incise. Incise vient du latin incisum, qui signifie coupé: c'est un sens détaché qui ajoûte une circonstance de plus à la proposition. Si ce sens étoit supprimé, la proposition auroit une circonstance de moins; mais elle n'en seroit pas moins proposition.

Sans allarmes est un autre incise.

Aussitôt aimés qu'amoureux, On ne vous force point à répandre des larmes.

Voici une nouvelle période; elle a deux membres.

Aussitôt aimés qu'amoureux, c'est le premier membre, c'est - à - dire le premier sens partiel qui entre dans la composition de la période. Il y a ici ellipse, c'est - à - dire que pour faire la construction pleine, il faut suppléer des mots que la construction usuelle supprime, mais dont le sens est dans l'esprit.

Aussitôt aimés qu'amoureux, c'est - à - dire comme vous êtes aimés aussitôt que vous êtes amoureux.

Comme est ici un adverbe relatif qui sert au raisonnement, & qui doit avoir un correlatif comme, c'est - à - dire, & parce que vous êtes, &c.

Vous est le sujet, êtes aimés aussitôt est l'attribut: aussitôt est un adverbe relatif de tems, dans le même tems.

Que, autre adverbe de tems; c'est le correlatif d'aussitôt. Que appartient à la proposition suivante, que vous êtes amoureux: ce que vient du latin in quo, dans lequel, cùm.

Vous êtes amoureux, c'est la proposition correlative de la précédente.

On ne vous force point à répandre des larmes: cette proposition est la correlative du sens total des deux propositions précédentes.

On est le sujet de la proposition. On vient de homo. Nos peres disoient hom, nou y a hom sus la terre. Voyez Borel au mot hom. On se prend dans un sens indéfini, indéterminé; une personne quelconque, un individu de votre espece.

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