ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"896"> connoissance n'est réelle, qu'autant qu'il y a de la conformité entre nos idées & la réalité des choses. Mais quel fera ici notre criterion? comment l'esprit, qui n'apperçoit rien que ses propres idées, connoîtra - til qu'elles conviennent avec les choses mêmes? Quoique cela ne semble pas exempt de difficulté, on peut pourtant assûrer avec toute la certitude possible, qu'il y a du moins deux sortes d'idées, qui sont conformes aux choses.

Les premieres sont les idées simples; car puisque l'esprit ne sauroit en aucune façon se les former à lui - même, il faut nécessairement qu'elles soient produites par des choses qui agissent naturellement sur l'esprit, & y font naître les perceptions auxquelles elles sont proportionnées par la sagesse de celui qui nous a faits. Il s'ensuit de - là que les idées simples ne sont pas des fictions de notre propre imagination, mais des productions naturelles & régulieres de choses existantes hors de nous, qui operent réellement sur nous; & qu'ainsi elles ont toute la conformité à quoi elles sont destinées, ou que notre état exige: car elles nous représentent les choses sous les apparences que les choses sont capables de produire en nous; par où nous devenons capables nous - mêmes de distinguer les especes des substances particulieres, de discerner l'état où elles se trouvent, & par ce moyen de les appliquer à notre usage. Ainsi l'idée de blancheur ou d'amertume, telle qu'elle est dans l'esprit, étant exactement conforme à la puissance qui est dans un corps d'y produire une telle idée, a toute la conformité réelle qu'elle peut ou doit avoir avec les choses qui existent hors de nous; & cette conformité qui se trouve entre nos idées simples & l'existence des choses, suffit pour nous donner une connoissance réelle.

En second lieu, toutes nos idées complexes, excepté celles des substances, étant des archetypes que l'esprit a formés lui - même, qu'il n'a pas destinés à être des copies de quoi que ce soit, ni rapportés à l'existence d'aucunes choses comme à leurs originaux, elles ne peuvent manquer d'avoir toute la conformité nécessaire à une connoissance réelle: car ce qui n'est pas destiné à représenter autre chose que soi - même, ne peut être capable d'une fausse représentation. Or excepté les idées des substances, telles sont toutes nos idées complexes, qui sont des combinaisons d'idées, que l'esprit joint ensemble par un libre choix, sans examiner si elles ont aucune liaison dans la nature. De - là vient que toutes les idées de cet ordre sont elles - mêmes considérées comme des archetypes, & les choses ne sont considérées qu'en tant qu'elles y sont conformes. Par conséquent toute notre connoissance touchant ces idées est réelle, & s'étend aux choses mêmes; parce que dans toutes nos pensées, dans tous nos raisonnemens, & dans tous nos discours sur ces sortes d'idées, nous n'avons dessein de considérer les choses qu'autant qu'elles sont conformes à nos idées; & par conséquent nous ne pouvons manquer d'acquérir sur ce sujet une réalité certaine & indubitable.

Quoique toute notre connoissance, en fait de Mathématiques, roule uniquement sur nos propres idées, on peut dire cependant qu'elle est réelle, & que ce ne sont point de simples visions, & des chimeres d'un cerveau fertile en imaginations frivoles. Le Mathématicien examine la vérité & les propriétés qui appartiennent à un rectangle ou à un cercle, à les considérer seulement tels qu'ils sont en idée dans son esprit; car peut - être n'a - t - il jamais trouvé en sa vie aucune de ces figures qui soient mathématiquement, c'est - à - dire, précisément & exactement véritables: ce qui n'empêche pourtant pas que la connoissance qu'il a de quelque vérité ou de quel<cb-> que propriété que ce soit, qui appartient au cercle ou à toute autre figure mathématique, ne soit véritable & certaine, même à l'égard des choses réellement existantes; parce que les choses réelles n'entrent dans ces sortes de propositions & n'y sont considérées, qu'autant qu'elles conviennent réellement avec les archetypes, qui sont dans l'esprit du Mathématicien. Est - il vrai de l'idée du triangle que ses trois angles soient égaux à deux droits? La méme chose est aussi véritable d'un triangle, en quelque endroit qu'il existe réellement. Mais que toute autre figure actuellement existante ne soit pas exactement conforme à l'idée du triangle qu'il a dans l'esprit, elle n'a absolument rien à démêler avec cette proposition: & par conséquent le mathématicien voit certainement que toute sa connoissance touchant ces sortes d'idées est réelle; parce que ne considérant les choses qu'autant qu'elles conviennent avec ces idées qu'il a dans l'esprit, il est assûré que tout ce qu'il fait sur ces figures, lorsqu'elles n'ont qu'une existence idéale dans son esprit, se trouvera aussi véritable à l'égard de ces mêmes figures, si elles viennent à exister réellement dans la matiere: ses réflexions ne tombent que sur ces figures, qui sont les mêmes, soit qu'elles existent ou qu'elles n'existent pas.

Ils'ensuit de - là, que la connoissance des vérités morales est aussi susceptible d'une certitude réelle, que celle des vérités mathématiques. Comme nos idées morales sont elles - mêmes des archetypes, aussi bien que les idées mathématiques, & qu'ainsi ce sont des idées completes, toute la convenance ou la disconvenance que nous découvrirons entre elles, produira une connoissance réelle, aussi bien que dans les figures mathématiques.

Pour parvenir à la connoissance & à la certitude, il est nécessaire que nous ayons des idées déterminées; & pour faire que notre connoissance soit réelle, il faut que nos idées répondent à leurs archetypes: au reste l'on ne doit pas trouver étrange, qu'on place la réalité de notre connoissance dans la considération de nos idées, sans se mettre fort en peine de l'existence réelle des choses; puisqu'après y avoir bien pensé, l'on trouvera, si je ne me trompe, que la plûpart des discours sur lesquels roulent les pensées & les disputes, ne sont effectivement que des propositions générales & des notions, auxquelles l'existence n'a aucune part. Tous les discours des Mathématiciens sur la quadrature du cercle, sur les sections coniques, ou sur toute autre partie des mathématiques, ne regardent point du tout l'existence d'aucune de ces figures. Les démonstrations qu'ils font sur cela, & qui dépendent des idées qu'ils ont dans l'esprit, sont les mêmes, soit qu'il y ait un quarré ou un cercle actuellement existant dans l monde, ou qu'il n'y en ait point. De même, la vérité des discours de morale est considérée indépendamment de la vie des hommes, & de l'existence actuelle de ces vertus; & les offices de Cicéron ne sont pas moins conformes à la vérité, parce qu'il n'y a personne qui en pratique exactement les maximes, & qui regle sa vic sur le modele d'un homme de bien, tel que Cicéron nous l'a dépeint dans cet ouvrage, & qui n'existoit qu'en idée lorsqu'il l'écrivoit. S'il est vrai dans la spéculation, c'est - à - dire en idée, que le meurtre mérite la mort, il le sera aussi à l'égard de toute action réelle qui est conforme à cette idée de meurtre. Quant aux autres actions, la vérité de cette proposition ne les touche en aucune maniere. II en est de même de toutes les autres especes de choses qui n'ont point d'autre essence que les idées mêmes qui sont dans l'esprit de l'homme.

En troisieme lieu, il y a une autre sorte d'idées complexes, qui se rapportant à des archetypes qui existent hors de nous, peuvent en être différentes; [p. 897] & ainsi notre connoissance touchant ces idées peut manquer d'être réelle. Telles sont nos idées des substances, qui consistant dans une collection d'idées simples, peuvent pourtant être différentes de ces archetypes, dès - là qu'elles renferment plus d'idées, ou d'autres idées que celles qu'on peut trouver unies dans les choses mêmes; dans ce cas - là elles ne sont pas réelles, n'étant pas exactement conformes aux choses mêmes. Ainsi pour avoir des idées des substances, qui étant conformes aux choses puissent nous fournir une connoissance réelle, il ne suffit pas de joindre ensemble, ainsi que dans les modes, des idées qui ne soient pas incompatibles, quoiqu'elles n'ayent jamais existé auparavant de cette maniere; comme sont, par exemple, les idées de sacrilége ou de parjure, &c. qui étoient aussi véritables & aussi réelles avant qu'après l'existence d'aucune action semblable. Il en est tout autrement à l'égard de nos idées des substances; car celles - ci étant regardees comme des copies qui doivent représenter des archetypes existans hors de nous, elles doivent être toûjours formées sur quelque chose qui existe ou qui ait existé; & il ne faut pas qu'elles soient composées d'idées, que notre esprit joigne arbitrairement ensemble, sans suivre aucun modele réel d'où elles ayent été déduites, quoique nous ne puissions appercevoir aucune incompatibilité dans une telle combinaison. La raison de cela est, que ne sachant pas quelle est la constitution réelle des substances d'où dépendent nos idées simples, & qui est effectivement la cause de ce que quelques - unes d'elles sont étroitement liées ensemble dans un même sujet, & que d'autres en sont exclues, il y en a fort peu dont nous puissions assûrer qu'elles peuvent ou ne peuvent pas exister ensemble dans la nature, au - delà de ce qui paroît par l'expérience & par des observations sensibles. Par conséquent toute la réalité de la connoissance que nous avons des substances, est fondée sur ceci: que toutes nos idées complexes des substances doivent être telles qu'elles soient uniquement composées d'idées simples, qu'on ait reconnues co - exister dans la nature. Jusque - là nos idées sont véritables; & quoiqu'elles ne soient peut - être pas des copie fort exactes des substances, elles ne laissent pourant pas d'être les sujets de la connoissance réelle que nous avons des substances; connoissance bornée, à la vérité, mais qui n'en est pas moins réelle, tant qu'elle peut s'étendre.

Enfin, pour terminer ce que nous avions à dire sur la certitude & la réalité de nos connoissances; par tout où nous appercevons la convenance ou la disconvenance de quelqu'une de nos idées, il y a une connoissance certaine; & par tout où nous sommes assûrés que ces idées conviennent avec la réalité des choses, il y a une connoissance certaine & réelle.

Mais, direz - vous, notre connoissance n'est réelle qu'autant qu'elle est conforme à son objet extérieur: or nous ne pouvons le savoir; car, ou notre idée est conforme à l'objet, ou elle n'y est pas conforme: si elle n'y est pas conforme, nous n'en avons pas l'idée: si nous disons qu'elle y est conforme, comment le prouverons - nous? Il faudroit que nous connussions cet objet avant que d'en avoir l'idée, afin que nous pussions dire & être assùrés que notre idée y est conforme. Mais loin de cela, nous ne saurions pas si cet objet existe, si nous n'en avions l'idée, & nous ne le connoissons que par l'idée que nous en avons: au lieu qu'il faudroit que nous connussions cet objet - là avant toutes choses, pour pouvoir dire que l'idée que nous avons est l'idée de cet objet. Je ne puis connoître la vérité de mon idée, que par la connoissance de l'objet dont elle est l'idée; mais je ne puis connoître cet objet, que par l'assûrance que j'aurai de la vérité de mon idée. Voil à donc deux choses telles que je ne saurois connoître la premiere que par la seconde, ni la seconde que par la premiere; & par conséquent je ne saurois connoître avec une pleine certitude ni l'une ni l'autre. D'ailleurs pourquoi voulons - nous que l'idée que nous avons d'un arbre soit plus conforme à ce qui est hors de nous, que l'idée que nous avons de la douceur ou de l'amertume, de la chaleur ou du froid, des sons & des couleurs? Or on convient qu'il n'y a rien hors de nous & dans les objets qui soit semblable à ces idées que nous avons en leur présence: donc nous n'avons aucune preuve démonstrative qu'il y ait hors de nous quelque chose qui soit conforme à l'idée que nous avons, par exemple, d'un arbre ou de quelque autre objet; donc nous ne sommes assûrés d'aucune connoissance réelle.

Rien n'est moins solide que cette objection, quoiqu'elle soit une des plus subtiles qui ayent été proposées par Sextus Empiricus. L'objection suppose, que nous croyons avoir l'idée d'un arbre, par exemple, sans que nous soyons sûrs de l'avoir. Voici donc ce que je répons. L'idée est de sa nature & de son essence une image, une représentation. Or toute image, toute représentation suppose un objet quel qu'il soit. Je demande maintenant si cet objet est possible ou impossible. Qu'il ne soit pas impossible, un pur être de raison, cela se conçoit aisément. Il suffit que nous ne puissions pas plus nous en former l'idée, qu'un peintre peut tracer sur une toile un cercle quarré, un triangle rond, un quarré sans quatre côtés. L'impossibilité du peintre pour peindre de telles figures, nous garantit l'impossibilité où nous sommes de concevoir un être qui implique contradiction. Il reste donc que l'objet représenté par l'idée, soit du moins possible. Or cet objet possible est ou interne, ou externe. S'il est interne, il se confond avec notre idée même, & par conséquent nous avons de lui la même perception intime que celle que nous avons de notre idée. S'il est externe, la connoissance que j'en ai par l'idée qui le représente, est aussi réelle que lui, parce que cette idée lui est nécessairement conforme. Mais pour connoitre si l'idée est vraie, il faudroit que je connusse déjà l'objet. Point du tout; car l'idée porte avec elle sa vérité, sa vérité consistant à représenter ce qu'elle représente, & à ne pouvoir pas ne point représenter ce qu'elle représente. L'objection suppose faux, en disant qu'une des deux choses, soit l'idée, soit l'objet, précede la connoissance de l'autre. Ce sont deux corollaires qui se connoissent en même tems. Mais pendant que je m'imagine avoir l'idée d'un arbre, ne peut - il pas se faire que j'aye l'idée de tout autre objet? Cela n'est pas plus possible qu'il le seroit de voir du noir quand on croit voir du blanc, de sentir de la douleur quand on croit n'avoir que des sentimens de plaisir. La raison de cela est que l'ame ayant une perception intime de tout ce qui se passe hez elle, elle ne peut jamais prendre une idée pour l'autre; & par conséquent, si elle croit voir un arbre, c'est que réellement elle en a l'idée.

Quant à ce qu'on ajoûte, que l'idée que nous avons d'un arbre ne doit pas être plus conforme à ce qui est hors de nous, que l'idée que nous avons de la douceur ou de l'amertume, de la chaleur ou du froid, des sons & des couleurs, sensations qui n'existent pas certainement hors de nous, cela ne souffre aucune difficulté. La notion d'un arbre dépouillé de toutes les qualités sensibles que lui donne un jugement précipité, & considéré du côté de son étendue, de sa grandeur, & de sa figure, n'est que l'idée de plusieurs êtres qui nous paroissent les uns hors des autres: c'est pourquoi en supposant au - de<pb->

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