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La plupart des objets physiques sont sensibles ou en eux - mêmes, ou au moins par leurs effets immédiats. Une masse a une figure sensible; une masse en mouvement parcourt un espace sensible dans un tems sensible; elle est retardée par des obstacles sensibles, ou elle est retardée sensiblement, &c. une masse élastique est applatie par le choc dans une partie sensible de sa surface, &c. cette circonstance soûmet à la précision géométrique la détermination des figures, des forces, des mouvemens de ces corps; elle four nit au géometre des principes sensibles, d'après lesquels il bâtit ce qu'il appelle des théories, qui depuis que le grand Newton a fait un excellent ouvrage en décorant la Physique du relief de ces sublimes connoissances, sont devenues la Physique.
La Physique d'aujourd'hui est donc proprement la collection de toutes les sciences physico - mathématiques: or jusqu'à présent on n'a calculé que les forces & les effets des masses: car quoique les plus profondes opérations de la Géométrie transcendante s'exercent sur des objets infiniment petits, cependant comme ces objets passent immédiatement de l'abstraction à l'état de masse, qu'ils sont des masses figurées, douées de forces centrales, &c. dès qu'ils sont considérés comme êtres physiques, les très - petits corps du Physicien géometre ne sont pas les corpuscules que nous avons opposés aux masses; & les calculs faits sur ces corps avec cette sagacité & cette force de génie que nous admirons, ne rendent pas les causes & les effets chimiques plus calculables, du moins plus calculés jusqu'à présent.
Les Physiciens sont très - curieux de ramener tous les phénomenes de la nature aux loix méchaniques,
La Physique nous avouera elle - même sans doute sur la nature des objets que nous lui attribuons, & d'autant plus que nous ne lui avons pas enlevé ceux qu'elle a usurpés sur nous, & dont la propriété pouvoit la flater; nous avons dit seulement que son objet dominant étoit la contemplation des masses.
Que la Chimie au contraire ne s'occupe essentiellement que des affections des différens ordres de principes qui forment les corps sensibles; que ce soit là son but, son objet propre, le tableau abregé de la Chimie, tant théorique que pratique, que nous allons tracer dans un moment, le montrera suffisamment.
Nous observerons d'avance, pour achever le contraste de là Physique & de la Chimie:
1°. Que tout mouvement chimique est un mouvement intestin, mouvement de digestion, de fermentation, d'effervescence, &c. que l'air du Chimiste est un des principes de la composition des corps, surtout des corps solides, s'unissant avec des principes différens selon les loix d'affinité, s'en détachant par des moyens chimiques, la chaleur & la précipitation; qu'il est si volatil, qu'il passe immédiatement de l'état solide à l'expansion vaporeuse, sans rester jamais dans l'état de liquidité sous le plus grand froid connu, vûe nouvelle qui peut sauver bien des petitesses physiques; que l'eau du Chimiste est un élément, ou un corps simple, indivisible, & incommutable, contre le sentiment de Thalès, de Van - Helmont, de Boyle, & de M. Eller, qui s'unit chimiquement aux sels, aux gommes, &c. qui est un des matériaux de ces corps, qui est l'instrument immédiat de la fermentation, &c. que le feu, considéré comme objet chimique particulier, est un principe capable de combinaison & de précipitation, constituant dans différens mixtes dont il est le principe, la couleur, l'inflammabilité, la métallicité, &c. qu'ainsi le traité du feu, connu sous le nom des trecenta de Stahl, est tout chimique.
Nous avons dit le feu considéré comme objet chimique particulier, parce que le feu aggregé, considéré comme principe de la chaleur, n'est pas un objet chimique, mais un instrument que le Chimiste employe dans les opérations de l'art, ou un agent universel dont il contemple les effets chimiques dans le laboratoire de la nature.
En général quoique le Chimiste ne traite que des
aggregés, puisque les corps ne se présentent jamais à
lui que sous cette forme, ces aggregés ne sont jamais
proprement pour lui que des promptuaria de sujets
vraiment chimiques, de corpuscules; & toutes les
altérations vraiment chimiques qu'il lui fait essuyer,
se réduisent à deux. Ou il attaque directement ses
parties intégrantes, en les combinant une à une, ou
en très - petite quantité numérique avec les parties intégrantes
d'un autre corps de nature différente, &
c'est la dissolution chimique ou la syncrese. Voyez
Il faut observer pourtant que quoique certains
changemens intestins que la chaleur fait éprouver
aux corps aggregés, ne soient chimiques à la rigueur
que lorsque leur énergie est telle qu'ils portent jusque
sur la constitution intérieure des corpuscules, il
faut observer, dis - je, que ces changemens n'étant
en général que des effets gradués de la même cause,
ils doivent être considérés dans toute leur extension
comme des objets mixtes, ou comme des effets dont
le degré physique même est très - familier au Chimiste. Ces effets de la chaleur modérée, que nous appellons
proprement physiques, sont la raréfaction des
corps, leur liquéfaction, leur ébullition, leur vaporation,
l'exercice de la force élastique dans les corps
comprimés, &c. Aussi les Chimistes sont - ils de bons
physiciens sur toutes ces questions; du moins il me
paroît que c'est en poursuivant sur ces effets une
analogie conduite de ceux où la cause agit le plus
manifestement (or ceux - là sont des objets familiers
au seul Chimiste) à ceux où son influence est plus
cachée, que je suis parvenu à rapprocher plusieurs
phénomenes qui sont généralement regardés comme
très - isolés; à découvrir par exemple que le méchanisme
de l'élasticité est le même dans tous les corps,
qu'ils sont tous susceptibles du même degré d'élasticité,
& que ce n'est que par des circonstances purement
accidentelles que les différens corps qui nous
environnent ont des différences spécifiques à cet
égard; que l'élasticité n'est qu'un mode de la rareté
& de la densité, & qu'au premier égard elle est par
conséquent toûjours dûe à la chaleur aussi bien que
tous les autres phénomenes attribués à la répulsion
Newtonienne, qui n'est jamais que la chaleur. Voy.
2°. Les objets chimiques n'agissent pas sensiblement. L'effet immédiat du feu & celui des menstrues, qui sont les deux grands agens chimiques, sont insensibles. La mixtion se fait dans un tems incommensurable, in instanti; aussi ces actions ne se calculent - elles point, du moins n'a - t - on fait là - dessus jusqu'à présent que des tentatives malheureuses.
3°. Les Chimistes ne s'honorent d'aucun agent méchanique, & ils trouvent même fort singulier que la seule circonstance d'être éloignés souvent d'un seul degré de la cause inconnue, ait rendu les principes méchaniques si chers à tant de philosophes, & leur ait fait rejetter toute théorie fondée immédiatement sur les causes cachées, comme si être vrai n'étoit autre chose qu'être intelligible, ou comme si un prétendu principe méchanique interposé entre un effet & sa cause inconnue, les rassûroit contre l'horreur de l'inintelligible. Quoi qu'il en soit, ce n'est pas par le goût contraire, par un courage affecté, que les Chimistes n'admettent point de principcs méchaniques, mais parce qu'aucun des principes méchaniques connus n'intervient dans leurs opérations; ce n'est pas aussi parce qu'ils prétendent que leurs agens sont exempts de méchanisme, mais parce que ce méchanisme est encore inconnu. On reproche aussi très - injustement aux Chimistes de se plaire dans leur obscurité; pour que cette imputation fûtraisonnable, il faudroit qu'on leur montrât des principes évidens & certains: car enfin ils ne seront pas blâmables tant qu'ils préféreront l'obscurité à l'erreur; & s'il y a quelque ridicule dans cette maniere de philosopher, ils sont tous résolus à le partager avec Aristote, Newton, & cette foule d'anciens philosophes dont M. de Buffon a dit dans son histoire naturelle qu'ils avoient le génie moins limité, & la philosophie plus étendue; qu'ils s'étonnoient moins que nous des faits qu'ils ne pouvoient expli<cb->
Ils recevroient avec empressement & reconnoissance
toute explication méchanique qui ne seroit pas
contredite par des faits: ils seroient ravis par exemple
de pouvoir se persuader, avec J. Keill & Freind,
que le méchanisme de l'effervescence & de la fermentation
consiste dans l'action mutuelle de certains
corpuseules solides & élastiques, qui se portent avec
force les uns contre les autres, qui rejaillissent proportionnellement
à leur quantité de mouvement &
à leur élasticité, qui se choquent de nouveau pour
rejaillir encore, &c. Mais cette explication, aussi ingénieuse
qu'arbitraire, est démentie par des faits qui
font voir clairement que le mouvement d'effervescence
& celui de fermentation sont dûs au dégagement
d'un corps subtil & expansible, opéré par les
lois générales des affinités, c'est - à - dire par un principe
très - peu méchanique. Voyez
Plùtôt que de s'avouer réduits à énoncer simplement qu'une dissolution n'est autre chose que l'exercice d'une certaine tendance ou rapport par lequel deux corps miscibles sont portés l'un vers l'autre, n'aimeroient - ils pas mieux se figurer une dissolution sous l'image très - sensible d'un menstrue armé de parties roides, solides, massives, tranchantes, &c. d'un côté; sous celle d'un corps percé d'une infinité de pores proportionnés à la masse & même à la figure des parties du menstrue, de l'autre; & enfin sous celle de chocs réitérés des parties du menstrue contre la masse des corps à dissoudre, de leur introduction forcée dans ses pores, sous celle d'un édifice long - tems ébranlé, & enfin ruiné jusque dans ses derniers matériaux; images sous lesquelles les Physiciens ont représenté ce phénomene. Ils l'aimeroient mieux sans contredit, parce qu'une explication est une richesse dans l'ordre des connoissances; qu'elle en grossit au moins la somme; que le relief que cette espece de faste savant procure n'est pas un bien imaginaire; & qu'au contraire un énoncé tout nud décele une indigence peu honorable: mais si l'explication dont il s'agit ne suppose pas même qu'on se soit douté des circonstances essentielles du phénomene qu'on a tenté d'expliquer; si cette destruction de la masse du corps à dissoudre, dont on s'est mis tant en peine, est purement accidentelle à la dissolution qui a lieu de la même façon entre deux liqueurs; & enfin si cette circonstance accidentelle a si fort occupé le théoricien qu'il a absolument oublié la circonstance essentielle de la dissolution, savoir l'union de deux substances entre lesquelles elle a eu lieu, il n'est pas possible de se payer d'une monnoie de si mauvais aloi. Boerhaave lui - même, que nous sommes ravis de citer avec éloge lorsque l'occasion s'en présente, a connu parfaitement le vice de cette explication, qu'il a très - bien refutée. Voyez Boerhaave, de menstruis, Element. Chymia, part. II.
Nous voudrions bien croire encore avec Freind
que la dissolution est de toutes les opérations chimiques
celle qui peut être ramenée le plus facilement
aux lois méchaniques, & en admettre avec lui ces
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