ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"412"> raison dans les deux causes que nous venons d'assigner, quoique la raison du degré spécisique de chacune de ces propriétés se trouve évidemment dans la constitution intérieure ou l'essence des parties intégrantes de chaque aggregé, c'est un fait démontré par la seule observation des corps intérieurement inaltérables, dans lesquels on observe toutes ces propriétés, comme dans l'eau, par exemple, l'air, l'or, le mercure, &c.

Nous pouvons assûrer la même chose de certains mouvemens intestins que plusieurs aggregés peuvent éprouver; par exemple, de celui qui constitue l'essence de la liquidité, selon le sentiment de Descartes, & le témoignage même des sens. Je dis selon le témoignage des sens, parce que le mouvement de l'ébullition, qui assurément est très - sensible, ne differe de celui de la liquidité que par le degré, & qu'ainsi, à proprement parler, tout liquide, dans son état de liquidité tranquille, est un corps insensiblement bouillant, c'est - à - dire agité par un agent étranger, par le feu, & non pas un corps dont les parties soient nécessairement en repos, comme plus d'un Newtonien l'a avancé sur des preuves tirées de vérités géométriques. Les vérités géométriques sont assurément très - respectables; mais les Physiciens géometres les exposeront mal adroitement à l'irrévérence des Physiciens non géometres, toutes les fois qu'ils mettront une démonstration à la place d'un fait physique, & une supposition gratuite ou fausse, soit tacite soit énoncée, à la place d'un principe physique que l'observation peut découvrir, & qui quelquefois est sensible, comme dans le cas dont il s'agit: ce que n'a point balancé d'assûrer M. d'Alembert, que j'en croirai là - dessus aussi volontiers que j'en crois Sthal décriant la transmutation. Lorsque M. Desaguiliers, par exemple, pour établir que toutes les parties d'un fluide homogene sont en repos, a démontré à la rigueur, & d'une façon fort simple, qu'un liquide ne sauroit bouillir, il ne l'a fait, ce me semble, que parce qu'il a supposé tacitement que les parties d'un liquide sont libres, sui juris; au lieu qu'une observation facile découvre aux sens même que le feu les agite continuellement, & qu'il n'est point de liquidité sans chaleur; ce que presque tous les Newtoniens semblent ignorer ou oublier, quoique leur maître l'ait expressément avancé. Voyez optiq. quest. xxxj. Pour revenir à mon sujet, je dis que le mouvement de liquidité, & celui d'ébullition qui n'en est que le degré extrème, peuvent n'appartenir qu'à la masse, & que ce n'est qu'à la masse qu'ils appartiennent réellement dans l'eau, & dans plusieurs autres liquides.

Les qualités sensibles des corps peuvent au moins ne pas appartenir à leurs parties intégrantes; un corps fort souple peut être formé de parties fort roides, comme on en convient assez généralement pour l'eau; il seroit ridicule de chercher la raison du son dans une modification intérieure des parties intégrantes du corps sonore; la couleur sensible d'une masse d'or, c'est - à - dire une certaine nuance de jaune, n'appartient point à la plus petite particule qui est or, quoique celle - ci soit nécessairement colorée, & que des faits démontrent même évidemment qu'elle l'est, mais d'une façon différente de la masse. Ceci est susceptible de la preuve la plus complette (V. la doctrine chimique sur les couleurs au mot Phlogistique):mais, je le répete, ce n'est pas de l'établissement de ces vérités que je m'occupe à présent; il me suffit d'établir qu'il est au moins possible de concevoir une masse formée par des particules qui n'ayent aucune des propriétés qui se rencontrent dans la masse comme telle; qu'il est très - facile de se représenter une masse d'or, c'est - à - dire un corps jaune, éclatant, sonore, ductile, compressible, divisible par des moyens méchaniques, rarescible jusqu'à la fluidité, condensable, élastique, pesant dix - peuf fois plus que l'eau; de se représenter un pareil corps, dis - je, comme formé par l'assemblage de parties qui sont de l'or, mais qui n'ont aucune des qualités que je viens d'exposer: or cette vérité découle si nécessairement de ce que j'ai déjà proposé, qu'une preuve ultérieure tirée de l'expérience me paroît aussi inutile, que l'appareil de la Physique expérimentale à la démonstration de la force des leviers. Si quelque lecteur est cependant curieux de ce dernier genre de preuve, il le trouvera dans ce que nous allons dire de l'imitation de l'or.

Toutes ces qualités, je les appellerai extérieures, ou physiques, & j'observerai d'abord qu'elles sont accidentelles, selon le langage de l'école, qu'elles peuvent périr sans que le corpuscule soit détruit, ou cesse d'être un corps tel; ou, ce qui est la même chose, qu'elles sont exactement inutiles à la spécification du corps, non - seulement par la circonstance de pouvoir périr sans que l'être spécifique du corps soit changé, mais encore parce que réciproquement elles peuvent se rencontrer toutes dans un corps d'une espece différente. Car quoiqu'il soit très difficile de trouver dans deux corps intérieurement différens un grand nombre de qualités extérieures semblables, & que cette difficulté augmente lorsqu'on prend l'un des deux corps dans l'extrème de sa classe, qu'il en est, par exemple, le plus parfait, comme l'or dans celle des métaux, cependant cette ressemblance extérieure ne répugne point du tout avec une différence intérieure essentielle. Par exemple, je puis disposer l'or, & un autre corps qui ne sera pas même un métal, de façon qu'ils se ressembleront par toutes leurs qualités extérieures, & même par leur gravité spécisique; car s'il est difficile de procurer à un corps non métallique la gravité spécifique de l'or, rien n'est si aisé que de diminuer celle de l'or: celui qui aura porté ces deux corps à une ressemblance extérieure parfaite, pourra dire de son or imité, en aurum Physicorum, comme Diogene disoit de son coq plumé, en hominem Platonis.

Outre toutes ces propriétés que j'ai appellées extérieures ou physiques, j'observe dans tout aggregé des qualités que j'appellerai intérieures, de leur nom générique, en attendant qu'il me soit permis de les appeller chimiques, & de les distinguer par cette dénomination particuliere des autres qualités du même genre, telles que sont les qualités très - communes des corps, l'étendue, l'impénétrabilité, l'inertie, la mobilité, &c. Celles dont il s'agit ici sont des propriétés intérieures particulieres; elles spécifient proprement le corps, le constituent un corps tel, font que l'eau, l'or, le nitre, &c. sont de l'eau, de l'or, du nitre, &c. & non pas d'autres substances; telles sont dans l'eau la simplicité, la volatilité, la faculté de dissoudre les sels, & de devenir un des matériaux de leur mixtion, &c. dans l'or, la métallicité, la fixité, la solubilité par le mercure & par l'eau régale, &c. dans le nitre, la salinité neutre, la forme de ses crystaux, l'aptitude à être décomposé par le phlogistique & par l'acide vitriolique, &c. or ces qualités appartiennent toutes essentiellement aux parties intégrantes.

Toutes ces qualités sont dépendantes les unes des autres dans une suite qu'il est inutile d'établir ici, & elles sont plus ou moins communes: l'or, par ex. est soluble par le mercure comme métal; il est fixe comme metal parfait; il est soluble dans l'eau régale en un degré d'affinité spécifique comme métal parfait tel, c'est - à - dire comme or.

De ces qualités internes, quelques - unes ne sont essentielles aux corps que relativement à notre expérience, à nos connoissances d'aujourd'hui: la fixi<pb-> [p. 413] té de l'or, la volatilité du mercure, l'inamalgabilité du fer, &c. sont des propriétés internes de ce genre; découvrir les propriétés contraires, voilà la source des problèmes de la Chimie pratique la moins vulgaire.

Il est d'autres propriétés internes qui sont tellement inhérentes au corps, qu'il ne sauroit subsister que par elles: ce sont toutes celles qui ont leur raison prochaine dans l'être élémentaire, ou dans l'ordre de mixtion des corpuscules spécifiques de chaque corps; c'est ainsi qu'il est essentiel au nitre d'être formé par l'union de l'acide que nous appellons nitreux & de l'alkali fixe; à l'eau, d'être un certain élément, &c.

Toutes les distinctions que nous avons proposées jusqu'à présent peuvent n'être regardées que comme des vérités de précision analytique, puisque nous n'avons considéré proprement dans les corps que des qualités; nous allons voir que les différences qu'ils nous présenteront comme agens physiques ne sont pas moins remarquables.

1°. Les masses exercent les unes sur les autres des actions très - distinctes de celles qui sont propres aux corpuscules, & cela selon des lois absolument différentes de celles qui reglent les affections mutuelles des corpuscules. Les premieres se choquent, se pressent, se résistent, se divisent, s'élevent, s'abaissent, s'entourent, s'envelopent, se pénetrent, &c. les unes les autres à raison de leur vîtesse, de leur masse, de leur gravité, de leur consistance, de leurs figures respectives; & ces lois sont les mêmes, soit que l'action ait lieu entre des masses homogenes, soit qu'elle se passe entre des masses spécisiquement différentes. Une colonne de marbre, tout étant d'ailleurs égal, soûtient une masse de marbre comme une masse de plomb; un marteau d'une matiere convenable quelconque, chasse de la même façon un clou d'une matiere convenable quelconque. Les actions mutuelles des corpuscules ne sont proportionnelles à aucune de ces qualités; tout ce que les dernieres éprouvent les unes par rapport aux autres, se reduit à leur union & à leur séparation aggrégative, à leur mixtion, à leur décomposition, & aux phénomenes de ces affections: or il ne s'agit dans tout cela ni de choes, ni de pressions, ni de frottemens, ni d'entrelassement, ni d'introduction, ni de coin, ni de levier, ni de vitesse, ni de grosseur, ni de figure, &c. quoiqu'une certaine grosseur & une certaine figure soient apparemment essentielles à leur être spécifique. Ces actions dépendent des qualités intérieures des corpuscules, parmi lesquelles l'homogénéité & l'hétérogénéité méritent la premiere considération, comme conditions essentielles: car l'aggrégation n'a lieu qu'entre des substances homogenes, comme nous l'avons observé plus haut; l'hétérogénéité des principes au contraire est essentielle à l'union mixtive. Voyez Mixtion, Décomposition, Séparation.

2°. Toutes les masses gravitent vers un centre commun, ou sont pesantes, elles ont chacune un degré de pesanteur connu, & proportionnel à leur quantité de matiere propre sous un volume donné: la gravité absolue de tous les corpuscules n'est pas démontrée (Voyez Principes & Phlogistique); leur gravité spécifique n'est pas connue.

3°. Les masses adherent entre elles à raison de leur vicinité, de leur grosseur, & de leur figure: les corpuscules ne connoissent point du tout cette loi; c'est à raison de leur rapport ou affinité que se font leurs unions (Voyez Rapport); & réciproquement les masses ne sont pas soûmises aux lois des affinités; l'action menstruelle suppose au contraire la destruction de l'aggrégation (Voyez Menstrue); & jamais de l'union d'une masse à une masse de nature différente, il ne résultera un nouveau corps homogene.

4°. Les corpuscules peuvent être écartés les uns des autres par la chaleur, cause avec laquelle on n'a plus besoin de la répulsion de Newton; les masses ne s'éloignent pas les unes des autres par la chaleur. Voyez Feu.

5°. Certains corpuscules peuvent être volatilisés; aucune masse n'est volatile. Voyez Volatilité.

Jusqu'à présent nous n'avons opposé les corpuscules aux aggregés, que par la seule circonstance d'être considérés solitairement, & nous n'avons cu aucun égard à la constitution intérieure des premiers: ce dernier aspect nous fournira de nouveaux caracteres distinctifs. Les voici:

1°. Les aggregés sont homogenes: & les corpuscules ou sont simples, ou sont composés de matériaux essentiellement différens. La premiere partie de cette proposition est fondée sur une définition ou demande; la seconde exprime une vérité du même genre, & elle a d'ailleurs toute l'évidence que peut procurer une vaste expérience que nous avons à ce sujet. Voyez Mixtion,

2°. Les matériaux des corpuscules composés different non seulement entre eux, mais encore du corpuscule qui résulte de leur union, & par conséquent de l'aggregé formé par l'assemblage de ces corpuscules: c'est ainsi que l'alkali fixe & l'acide nitreux different essentiellement du nitre & d'une masse de nitre; & si cette division est poussée jusqu'aux élémens, nous aurons toute la différence d'une masse à un corps simple. Voyez notre doctrine sur les élémens au mot Principe.

3°. Les principes de la mixtion ou de la composition des corpuscules, sont unis entre eux par un noeud bien différent de celui qui opere l'union aggrégative ou le rapport de masse: le premier peut être rompu par les moyens méchaniques, aussi - bien que par les moyens chimiques; le second ne peut l'être que par les derniers, savoir, les menstrues & la chaleur; & dans quelques sujets même ce noeud est indissoluble, du moins par les moyens vulgaires: l'or, l'argent, le mercure, & un très - petit nombre d'autres corps, sont des mixtes de cette derniere classe. Voyez Mixte.

Les bornes dans lesquelles nous sommes forcés de nous contenir, ne nous permettent pas de pousser plus loin ces considérations: les propositions qu'elles nous ont fournies, quoique simplement énoncées pour la plûpart, prouvent, ce me semble, suffisamment que les affections des masses, & les affections des différens ordres de principes dont elles sont formées, peuvent non - seulement être distinguées par des considérations abstraites, mais même qu'elles different physiquement à plusieurs égards; & l'on peut au moins soupçonner dès - à - présent que la physique des corps non organisés peut être divisée par ces différences en deux sciences indépendantes l'une de l'autre, du moins quant aux objets particuliers. Or elles existent ces deux sciences, la division s'est faite d'elle - même; & l'objet dominant de chacune remplit si exactement l'une des deux classes que nous venons d'établir, que ce partage qui a précédé l'observation raisonnée de sa nécessité, est une nouvelle preuve de la réalité de notre distinction.

L'une de ces sciences est la Physique ordinaire, non pas cette Physique universelle qui est définie à la tête des cours de Physique; mais cette Physique beaucoup moins vaste qui est traitée dans ces ouvrages.

La seconde est la Chimie.

Que la Physique ordinaire, que je n'appellerai plus que Physique, se borne aux affections des masses, ou au moins que ce soit là son objet dominant, c'est un fait que tout lecteur peut vérifier 1° sur la table des chapitres de tout traité de Physique; 2°

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