ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"410"> hardi, qui se trouvant dans une position favorable, & profitant habilement de quelques circonstances heureuses, sauroit réveiller l'attention des savans, d'abord par une ostentation bruyante, par un ton décidé & affirmatif, & ensuite par des raisons, si ses premieres armes avoient entamé le préjugé.

Mais en attendant que ce nouveau Paracelse vienne avancer courageusement, que toutes les erreurs qui ont défiguré la Physique sont provenues de cette unique source; savoir que des hommes ignorant la Chimie, se sont donné les airs de philosopher & de rendre raison des choses naturelles, que la Chimie, unique fondement de toute la Physique, étoit seule en droit d'expliquer, &c. comme Jean Keill l'a dit en propres termes de la Géométrie, & comme M. Desaguliers vient de le répéter dans la préface de son cours de Physique expérimentale; en attendant, dis - je, ces utiles déclamations, nous allons tâcher de présenter la Chimie sous un point de vûe qui puisse la rendre digne des regards des Philosophes, & leur faire appercevoir qu'au moins pourroit - elle devenir quelque chose entre leurs mains.

C'est à leur conquête que nous nous attacherons principalement, quoique nous sachions fort bien que ce n'est pas en montrant la Chimie par son côté philosophique, qu'on parviendra à la mettre en honneur, à lui faire la fortune qu'ont mérité à la Physique les machines élégantes, l'optique, & l'électricité: mais comme il est des chimistes habiles déjà en possession de l'estime générale, & très en état de présenter la Chimie au public par le côté qui le peut attacher, sous la forme la plus propre à la répandre, nous avons cru devoir nous reposer de ce soin sur leur zele & sur leurs talens.

Mais pour donner de la Chimie générale philosophique que je me propose d'annoncer (je dis expressément annoncer ou indiquer, & rien de plus) l'idée que je m'en suis formée; pour exposer dans un jour suffisant sa méthode, sa doctrine, l'étendue de son objet, & sur - tout ses rapports avec les autres sciences physiques, rapports pat lesquels je me propose de la faire connoître d'abord; il faut remonter jusqu'aux considérations les plus générales sur les objets de ces sciences.

La Physique, prise dans la plus grande étendue qu'on puisse lui accorder, pour la science générale des corps & des affections corporelles, peut être divisée d'abord en deux branches primitives essentiellement distinctes. L'une renfermera la connoissance des corps par leurs qualités extérieures, ou la contemplation de tous les objets physiques considérés comme simplement existans, & revêtus de qualités sensibles. Les sciences comprises sous cette division sont les différentes parties de la Cosmographie & de l'Histoire naturelle pure.

Les causes de l'existence des mêmes objets, celles de chacune de leurs qualités sensibles, les forces ou propriétés internes des corps, les changemens qu'ils subissent, les causes, les lois, l'ordre ou la succession de ces changemens, en un mot la vie de la nature: voilà l'objet de la seconde branche primitive de la Physique.

Mais la nature peut être considérée ou comme agissant dans son cours ordinaire selon des lois constantes, ou comme étant contrainte par l'art humain; car les hommes favent imiter, diriger, varier, hâter, retarder, supprimer, suppléer, &c. plusieurs opérations naturelles, & produire ainsi certains effets qui, quoique très - naturels, ne doivent pas être regardés comme dûs à des agens simplement obéissans aux lois générales de l'univers. De - là une division tres - bien fondée de notre derniere branche en deux parties, dont l'une comprendra l'étude des changemens entierement opérés par des agens non<cb-> intelligens, & l'autre celle des opérations & des expériences des hommes, c'est - à - dire les connoissances fournies par les sciences physiques pratiques, par la Physique expérimentale proprement dite, & par les différens arts physiques. Les Chimistes ont coûtume de désigner ce double théatre de leurs spéculations par les noms de laboratoire de la nature & de laboratoire de l'art.

Tous les changemens qui sont opérés dans les corps, soit par la nature, soit par l'art, peuvent se réduire aux trois classes suivantes. La premiere comprendra ceux qui font passer les corps de l'état nonorganique à l'état organique, & réciproquement de celui - ci au premier, & tous ceux qui dépendent de l'oeconomie organique, ou qui la constituent. La deuxieme renfermera ceux qui appartiennent à l'union & à la séparation des principes constituans ou des matériaux de la composition des corps sensibles non - organiques, tous les phénomenes de la combinaison & de la décomposition des chimistes modernes. La troisieme enfin embrassera tous ceux qui font passer les masses ou les corps aggrégés du repos au mouvement, ou du mouvement au repos, ou qui modifient de différentes façons les mouvemens & les tendances.

Que les molécules organiques & les corps organisés soient soûmis à des lois essentiellement diverses (au moins quant à nos connoissances d'à - présent) de celles qui reglent les mouvemens de la matiere purement mobile & quiescible, ou inerte; c'est une assertion sur l'évidence de laquelle on peut compter d'après les découvertes de M. de Buffon (Voyez Organisation), & d'après les erreurs démontrées des medecins qui ont voulu expliquer l'oeconomie animale par les lois méchaniques. Par conséquent les phénomenes de l'organisation doivent faire l'objet d'une science essentiellement distincte de toutes les autres parties de la Physique. C'est une conséquence qu'on ne sauroit nous contester.

Mais s'il est vrai aussi que les affections des principes de la composition des corps soient essentiellement diverses de celles des corps aggregés ou des masses, l'utilité de notre dérniere division sera démontrée dans toutes ses parties. Or les Chimistes prétendent qu'elles le sont en effet: nous allons tâcher d'éclaircir & d'étendre leur doctrine sur ce point; car il faut avoüer qu'elle n'est ni claire, ni précise, ni profonde, même dans ceux des auteurs de Chimie, dont la maniere est la plus philosophique, & qui paroissent s'être le plus attachés aux objets de ce genre; que Stahl lui - même qui plus qu'aucun autre a le double caractere que nous venons de désigner, & qui a très - expressément énoncé cette différence, ne l'a ni assez développée, ni poussée assez loin, ni même considérée sous son vrai point de vûe. Voyez son Prodromus de investigatione Chimico - physiologica, & son observation de differentia mixti, texti, aggregati, individui.

J'appelle masse ou corps aggregé, tout assemblage uniformément dense de parties continues, c'est - à - dire qui ont entre elles un rapport par lequel elles résistent à leur dispersion.

Ce rapport, quelle qu'en soit la cause, je l'appelle rapport de masse.

La continuité essentielle à l'aggregé ne suppose pas nécessairement la contiguité de parties, c'est - à - dire que le rapport de masse peut se trouver entre des parties qui ne se touchent point mutuellement; quelle que soit la matiere qui constitue leur noeud, peut - être même sans qu'il soit nécessaire que ce noeud soit matériel.

Le rapport de masse suppose dans l'aggregé l'homogénéité; car un assemblage de parties hétéroge<pb-> [p. 411] nes ne constitue point un tout dont les parties soient liées par ce rapport: ainsi une liqueur trouble, un morceau d'argille rempli de petits caillous, chacun de ces corps étant pris pour un tout unique, ne sont pas des aggregés, mais de simples mêlanges par confusion, que nous opposons dans ce sens à l'aggrégation.

Il est évident par la définition, que les tas ou amas de parties simplement contiguës, tels que les poudres, ne sont pas des aggregés, mais qu'ils peuvent seulement être des amas d'aggregés.

Quand nous n'aurions pas expressément abandonné les corps organiques, il est clair aussi par la même définition, qu'ils sont absolument exclus de la classe des aggregés.

Les parties de l'aggregé sont appellées par les Physiciens modernes molécules ou masses de la derniere composition ou du dernier ordre, corpuscules dérivés, &c. & beaucoup plus exactement par des Physiciens antérieurs, parties intégrantes ou simplement corpuscules: je dis plus exactement, parce que c'est gratuitement, pour ne rien dire de plus, que les premiers ont soûtenu que les corpuscules, qui par leur réunion forment immédiatement les corps sensibles, étoient toûjours des masses.

Les corpuscules considérés comme matériaux immédiats de l'aggregé, sont censés inaltérables; c'est - à - dire que l'aggregé ne peut persister dans son être spécisique qu'autant que ses parties intégrantes sont inaltérées: c'est par là que les parties intégrantes de l'étain décomposées par la calcination, ne forment plus de l'étain, lors même que par la fusion on leur procure le rapport de masse, ou qu'on en fait un seul aggregé, le verre d'étain.

J'admets des aggregés parfaits & des aggregés imparfaits. Les premiers sont ceux qui sont assez exactement dans les termes de la définition, pour qu'on ne puisse découvrir par aucun moyen physique s'ils s'en écartent ou non. Les imparfaits sont ceux dans lesquels on peut découvrir quelque imperfection par des moyens physiques. Mon aggregé parfait est la masse similaire, que M. Wolff a définie (cosm. .249), dont il a nié l'existence dans la nature ( suiv.), & que le même philosophe paroît admettre sous le nom de textura. Cosmolog. nat. . 75.

L'imperfection de l'aggregé est toûjours dans le défaut de densité uniforme.

Les liquides purs, les vapeurs homogenes, l'air, les corps figés, comme les régules métalliques, les verres; quelques substances végétales & animales non - organisées, telles que les huiles végétales & animales, les beurres végétaux & animaux, les baumes liquides, &c. les crystaux des sels, les corps mous affaissés d'eux - mêmes, &c. sont des aggregés parfaits. Les pierres dures, les terres cuites, les concrétions pierreuses compactes, les corps mous inégalement pressés, les métaux battus, tirés; les extraits, les graisses, &c. sont des aggregés imparfaits.

Je me forme de tout aggregé parfait, l'idée par laquelle Newton a voulu qu'on se représentât l'expansibilité & la compressibilité de l'air (voyez Opt. quest. xxxj.): idée que M. Desaguliers a plus précisément exprimée (voyez sa deuxieme dissertation sur l'élévation des vapeurs, dans son cours de physique, leç. xj.); c'est - à - dire que je regarde tout aggregé parfait, excepté la masse absolument dense, si elle existe dans la nature, comme un amas de corpuscules non - contigus, disposés à des distanees égales. Je ne m'arrêterai point à établir ici ce paradoxe physique, parce qu'il peut aussi bien me servir comme supposition que comme vérité démontrée; & que je prétens moins déterminer la disposition intérieure ou la composition de mon aggre<cb-> gé, que représenter son état par une image sensible.

Les parties intégrantes d'un aggregé considérées en elles - mêmes & solitairement, peuvent être des corps simples, élémentaires, des atomes; ou des corps formés par l'union de deux ou plusieurs corps simples de nature différente, ce que les Chimistes appellent des mixtes; ou des corps formés par l'union de deux ou de plusieurs différens mixtes, corps que les Chimistes appellent composés; ou enfin par quelqu'autre ordre de combinaison, qu'il est inutile de détailler ici.

Une masse d'eau est un aggrege de corps simples semblables; une masse d'or est un aggregé de mixtes semblables; une amalgame est un aggregé de composés semblables. Nous disons à dessein semblables, pour énoncer que l'homogénéité de l'aggregé subsiste avec la non - simplicité de ses parties intégrantes, & qu'elle est absolument indépendante de l'homogénéité de celles - ci, de même que sa densité uniforme est indépendante du degré de densité, ou de la diverse porosité de ces parties.

Ce n'est pas ici le lieu de démontrer toutes les vérités que ceci suppose; par exemple, qu'il y a plusieurs élémens essentiellement différens, ou que l'homogénéité de la matiere est une chimere; que les corpsinaltérables, l'eau, par exemple, sont immédiatement composés d'élémens; & que le petit édifice sous l'image duquel les Corpusculaires & les Newtoniens veulent nous faire concevoir une particule d'eau, porte sur le fondement le plus ruineux, sur une logique très - vicieuse. Aussi ne proposons - nous ici que par voie de demande ces vérités, que nous déduirions par voie de conclusion, si au lieu d'en composer un article de dictionnaire, nous avions à en faire les derniers chapitres d'un traité général & scientifique de Chimie. Les faits, les opérations, les procédés, les vérités de détail qui remplissent tant d'ouvrages élémentaires, serviroient de fondement à ces notions universelles & à celles qui suivront, & qui perdant alors le nom de suppositions, prendroient celui d'axiomes.

Ce petit nombre de notions peut servir d'abord à distinguer exactement dans un corps quelconque ce qui appartient à la masse, de ce qui appartient à la partie intégrante.

Il est évident, par exemple, par le seul énoncé que les propriétés méchaniques des corps leur appartiennent comme masse, que c'est par leur masse qu'iis poussent, qu'ils pesent, qu'ils résistent, qu'ils exercent, dis - je, ces actions avec une force déterminée (car il ne s'agit pas ici des propriétés communes ou essentielles des corps, de leur mobilité, de leur gravité, ou de leur inertie absolue); en un mot que leur figure, leur grandeur, leur mouvement, & leur situation, considérés comme principes méchaniques, appartiennent à la masse. Car quant au mouvement, quoique les Physiciens estiment celui d'un tout par la somme des mouvemens de toutes ses parties, ils n'en conviennent pas moins que dans le mouvement dont nous parlons toutes ces parties sont en repos les unes par rapport aux autres.

Tous les changemens qu'éprouve un aggregé dans la disposition & dans la vicinité de ses parties, est aussi, par la force des termes, une affection de l'aggregé. Que la rarescibilité, l'élasticité, la divisibilité, la ductilité, &c. ne dépendent uniquement que de l'aptitude à ces changemens, sans que les molécules intégrantes éprouvent aucun changement intérieur; du moins qu'il y ait des corps dont les parties intégrantes sont à l'abri de ces changemens, & quels sont ces corps; ce sontdes questions particulieres qu'il n'est pas possible d'examiner ici. Que toutes ces propriétés puissent avoir entierement leur

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