ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"382"> vant les relations des Jésuites, le fondateur de la Chine est appellé Fansur, fils du Soleil, parce qu'il prétendoit en descendre. L'histoire du Pérou dit que Manco - Capac & Coya - Mama, soeur & femme de Manco - Capac, fondateurs de l'empire des Incas, se donnoient l'un pour fils & l'autre pour sille du Soleil, envoyés par leur pere pour retirer les hommes de leur vie sauvage, & établir parmi eux l'ordre & la police. Thor & Odin, législateurs des Visigoths, prétendirent aussi être inspirés, & même être des dieux. Les révélations de Mahomet, chef des Arabes, sont trop connues pour s'y arrêter. La race des Législateurs inspirés s'est perpétuée long - tems, & paroît enfin s'être terminée dans Genghizcan, fondateur de l'empire des Mogols. Il avoit eu des révélations, & il n'étoit pas moins que fils du Soleil.

Cette conduite des législateurs, que nous voyons si constamment soûtenue, & que nul d'entr'eux n'a jamais démentie, nous fait voir évidemment qu'on a cru dans tous les tems que le dogme d'une Providence, qui se mêle des affaires humaines, est le plus puissant frein qu'on puisse donner aux hommes; & que ceux qui regardent la religion comme un ressort inutile dans les états, connoissent bien peu la force de son influence sur les esprits. Mais en faisant descendre du ciel en terre comme d'une machine tous ces dieux, pour leur inspirer les lois qu'ils devoient dicter aux hommes, les législateurs nous montrent dans leurs personnes des fourbes & des imposteurs, qui, pour se rendre utiles au genre humain dans cette vie, ne pensoient guere à le rendre heureux dans une autre. En sacrifiant le vrai à l'utile, ils ne s'appercevoient pas que le coup qui frappoit sur le premier, frappoit en même tems sur le second, puisqu'il n'y a rien d'universellement utile qui ne soit exactement vrai. Ces deux choses marchent, pour ainsi dire, de front; & nous les voyons toùjours agir en même tems sur les esprits. Suivant cette idée, on pourroit quelquefois mesurer les degrés de vérité qu'une religion renferme, par les degrés d'utilité que les états en retirent.

Pourquoi donc, me direz - vous, les législateurs n'ont - il pas consulté le vrai, pour rendre plus utile aux peuples la religion sur laquelle ils fondoient leurs lois? C'est, vous répondrai - je, parce qu'ils les trouverent imbûs, ou plûtôt infectés de la superstition qui divinisoit les astres, les héros, les princes. Ils n'ignoroient pas que les différentes branches du paganisme étoient autant de religions fausses & ridicules: mais ils aimerent mieux les laisser avec tous leurs défauts, que de les épurer de toutes les superstitions qui les corrompoient. Ils craignoient qu'en détrompant l'esprit grossier des vulgaires humains sur cette multitude de dieux qu'ils adoroient, ils ne vinssent à leur persuader qu'il n'y avoit point de Dieu. Voilà ce qui les arrêtoit, ils n'osoient hasarder la vérité que dans les grands mysteres, si célebres dans l'antiquité profane; encore avoient - ils soin de n'y admettre que des personnes choisies & capables de supporter l'idée du vrai Dieu. « Qu'étoit - ce qu'Athenes, dit le grand Bossuet, dans son hist. univ. la plus polie & la plus savante de toutes les villes Greques, qui prenoit pour athées ceux qui parloient des choses intellectuelles, qui condamna Socrate pour avoir enseigné que les statues n'étoient pas des dieux, comme l'entendoit le vulgaire »? Cette ville étoit bien capable d'intimider les législateurs, qui n'auroient pas respecté en fait de religion les préjugés qu'un grand poëte nomme à si juste titre les rois du vulgaire.

C'étoit sans doute une mauvaise politique de la part de ces législateurs; catant qu'ils ne tarissoient pas la source empoisonnée, d'où les maux se répandoient sur les états, il ne leur étoit pas possible d'en arrèter l'affreux débordement. Que leur servoit - il d'enseigner ouvertement dans les grands mysteres l'unité & la providence d'un seul Dieu, si en même tems ils n'étouffoient pas la superstition qui lui associoit des divinités locales & tutélaires; divinités, à la vérité, subalternes & dépendantes de lui; mais divinités licentieuses, qui durant leur séjour en terre avoient été sujettes aux mêmes passions & aux mêmes vices que le reste des mortels? Si les crimes, dont ces dioux inférieurs s'étoient souillés pendant leur vie, n'avoient pas empêché l'Être suprême de leur accorder, en les élevant au - dessus de leur condition naturelle, les honneurs & les prérogatives de la Divinité, les adorateurs de ces hommes divinisés pouvoient - ils se persuader que les crimes & les infamies, qui n'avoient pas nui à leur apothéose, attireroient sur leurs têtes la foudre du ciel?

Le législateur des Chrétiens, animé d'un esprit bien différent de celui de tous les législateurs dont j'ai parlé, commença par détruire les erreurs qui tyrannisoient le monde, afin de rendre sa religion plus utile. En lui donnant pour premier objet la félicité de l'autre vie, il voulut encore qu'elle fit notre bonheur dans celle - ci. Sur la ruine des idoles, dont le culte superstitieux entraînoit mille desordres, il fonda le Christianisme, qui adore en esprit & en vérité un seul Dieu, juste rémunérateur de la vertu. Il rétablit dans sa splendeur primitive la loi naturelle, que les passions avoient si fort obscurcie; il révéla aux hommes une morale jusqu'alors inconnue dans les autres religions; il leur apprit à se haïr soi - même, & à renoncer à ses plus cheres inclinations; il grava dans les esprits ce sentiment profond d'humilité qui détruit & anéantit toutes les ressour<-> es de l'amour propre, en le poursuivant jusque dans les replis les plus cachés de l'ame; il ne renferma pas le pardon des injures dans une indifférence stoïque, qui n'est qu'un mépris orgueilleux de la personne qui a outragé, mais il le porta jusqu'à l'amour même pour les plus cruels ennemis; il mit la continence sous les gardes de la plus austere pudeur, en l'obligeant à faire un pacte avec ses yeux, de crainte qu'un regard indiscret n'allumât dans le coeur une flamme criminelle; il commanda d'allier la modestie avec les plus rares talens; il réprima par une sévérité prudente le crime jusque dans la volonté même, pour l'empêcher de se produire au - dehors, & d'y causer de funestes ravages; il rappella le mariage à sa premiere institution, en défendant la polygamie, qui, selon l'illustre auteur de l'esprit des lois, n'est point utile au genre humain, ni à aucun des deux sexes, soit à celui qui abuse, soit à celui dont on abuse, & encore moins aux enfans pour lesquels le pere & la mere ne peuvent avoir la même affection, un pere ne pouvant pas aimer vingt enfans comme une mere en aime deux. Il eut en vûe l'éternité de ce lien sacré, formé par Dieu même, en proscrivant la répudiation, qui, quoique favorable aux maris, ne peut être que triste pour des femmes, & pour les enfans qui payent toûjours pour la haine que leur pere ont pour leur mere. Voyez le chap. du divorce & de la répudiation du même auteur.

Ici l'impiété se confond, & ne voyant aucune ressource à attaquer la morale du Christianisme du côté de sa perfection, elle se retranche à dire que c'est cette perfection même qui le rend nuisible aux états; elle distille son fiel contre le célibat, qu'il conseille à un certain ordre de personnes pour une plus grande perfection; elle ne peut pardonner au juste courroux qu'il témoigne contre le luxe; elle ose même condamner en lui cet esprit de douceur & de modération qui le porte à pardonner, à aimer même ses ennemis; elle ne rougit pas d'avancer que de véritables Chrétiens ne formeroient pas un état qui pût [p. 383] subsister; elle ne craint pas de le flétrir, en opposant à cet esprit d'intolérance qui le caractérise & qui n'est propre, selon elle, qu'à former des monstres, cet esprit de tolérance qui dominoit dans l'ancien paganisme, & qui faisoit des freres de tous ceux qu'il portoit dans son sein. Etrange excès de l'aveuglement de l'esprit humain, qui tourne contre la religion même ce qui devroit à jamais la lui rendre respectable! Qui l'eût cru que le Christianisme, en proposant aux hommes sa sublime morale, auroit un jour à se défendre du reproche de rendre les hommes malheureux dans cette vie, pour vouloir les rendre heureux dans l'autre?

Le célibat, dites - vous, ne peut être que pernicieux aux états, qu'il prive d'un grand nombre de sujets, qu'on peut appeller leur véritable richesse. Qui ne connoît les lois que les Romains ont faites en différentes occasions pour remettre en honneur le mariage, pour soûmettre à ces lois ceux qui fuyoient ses noeuds, pour les obliger par des récompenses & par des peines à donner à l'état des citoyens? Ce soin, digne sans doute d'un roi qui veut rendre son état florissant, occupa l'esprit de Louis XIV. dans les plus belles années de son regne. Mais partout où domine une religion, qui fait aux hommes un point de perfection de renoncer à tout engagement, que peuvent, pour faire fleurir le mariage & par lui la société civile, tous les soins, toutes les lois, toutes les récompenses du souverain? Ne se trouvera - t - il pas toûjours de ces hommes, qui aimant en matiere de morale tout ce qui porte un caractere de sévérité, s'attacheront au célibat par la raison même qui les en éloigneroit, s'ils ne trouvoient pas dans la difficulté d'un tel précepte dequoi flatter leur amour propre?

Le célibat qui mérite de tels reproches, & contre lequel il n'est pas permis de se taire, c'est celui, dit l'auteur de l'esprit des lois, qui est formé par le libertinage, ceìui où les deux sexes se corrompant par les sentimens naturels mémes, fuyent une union qui doit les rendre meilleurs, pour vivre dans celles qui les rendent toûjours pires: c est contre celui - là que doit se déployer toute la rigueur des lois; parce que, comme le remarque ce célebre auteur, c'est une regle tirée de la nature, que plus on diminue le nombre des n ariages qui pourroient se faire, plus on corrompt ceux qui sont faits; & que moins il y a de gens mariés, moins il y a de fidélité dans les mariages; comme lorsqu'il y a plus de voleurs, il y a plus de vols.

Mais en quoi le célibat, que le Christianisme a adopté, peut - il être nuisible au bien de la société? Il la prive sans doute de quelques citoyens; mais ceux qu'il lui enleve pour les donner à Dieu, travaillent à lui former des citoyens vertueux, & à graver dans leurs esprits ces grands principes de dépendance & de soûmission envers ceux que Dieu a posés sur leurs têtes. Il ne leur ôte l'embarras d'une famille & des affaires civiles, que pour les occuper du soin de veiller plus attentivement au maintien de la religion, qui ne peut s'altérer qu'elle ne trouble le repos & l'harmonie de l'état. D'ailleurs, les bienfaits que le Christianisme verse sur les sociétés, sont assez grands, assez multipliés, pour qu'on ne lui envie pas la vertu de continence qu'il impose à ses ministres, afin que leur pureté corporelle les rende plus dignes d'approcher des lieux où habite la Divinité. C'est comme si quelqu'un se plaignoit des libéralités de la nature; parce que dans cette riche profusion de graines qu'elle produit, il y en a quelques - unes qui demeurent stériles.

Le luxe, nous dites - vous encore, fait la splendeur des états; il aiguise l'industrie des ouvriers, il perfectionne les arts, il augmente toutes les branches du commerce; l'or & l'argent circulant de toutes parts, les riches dépensent beaucoup; &, comme le dit un poëte célebre, le travail gagé par la mollesse s'ouvre à pas lents un chemin à la rithesse. Qui peut nier que les arts, l'industrie, le goût des modes, toutes choses qui augmentent sans cesse les branches du commerce, ne soient un bien très - réel pour les états? Or le Christianisme qui proscrit le luxe, qui l'étouffe, détruit & anéantit toutes ces choses qui en sont des dépendances nécessaires. Par cet esprit d'abnégation & de renoncement à toute vanité, il introduit à leur place la paresse, la pauvreté, l'abandon de tout, en un mot la destruction des arts. Il est donc par sa constitution peu propre à faire le bonheur des états.

Le luxe, je le sai, fait la splendeur des états; mais parce qu'il corrompt les moeurs, cet éclat qu'il répand sur eux ne peut être que passager, ou plûtôt il est toûjours le funeste avant - coureur de leur chûte. Ecoutez un grand maître, qui par son excellent ouvrage de l'esprit des lois, a prouvé qu'il avoit pénétré d'un coup de génie toute la constitution des différens états; & il vous dira qu'une ame corrompue par le luxe, a bien d'autres desirs que ceux de la gloire de sa patrie & de la sienne propre: il vous dira que bientôt elle devient ennemie des lois qui la gênent: il vous dira enfin que bannir le luxe des états, c'est en bannir la corruption & les vices. Mais, direz - vous, la consommation des productions de la nature & de l'art n'est - elle donc pas nécessaire pour faire fleurir les états? Oüi, sans doute; mais votre erreur seroit extrème, si vous vous imaginiez qu'il n'y a que le luxe qui puisse faire cette consommation: que dis - je? elle ne peut devenir entre ses mains que très - pernicieuse; car le luxe étant un abus des dons de la Providence, il les dispense toûjours d'une maniere qui tourne, ou au préjudice de celui qui en use, en lui faisant tort, soit dans sa personne, soit dans ses biens, ou au préjudice de ceux que l'on est obligé de secourir & d'assister. Je vous renvoye au profond ouvrage des causes de la grandeur & de la décadence des Romains, pour y apprendre quelle est l'influence fatale du luxe dans les états. Je ne vous citerai que ce trait de Juvénal qui nous dit, que le luxe, en renversant l'empire Romain, vengea l'univers dompté des victoires qu'on avoit remportées sur lui. Savior armis luxuria incubuit, victumque ulciscitur orbem. Or ce qui renverse les états, comment peutil leur être utile & contribuer à leur grandeur & à leur puissance? Concluons donc que le luxe, ainsi que les autres vices, est le poison & la perte des états; & que s'il leur est utile quelquefois, ce n'est point par sa nature, mais par certaines circonstances accessoires, & qui lui sont étrangeres. Je conviens que dans les monarchies, dont la constitution suppose l'inégalité des richesses, il est nécessaire qu'on ne se renferme pas dans les bornes étroites d'un simple nécessaire. « Si les riches, selon la remarque de l'illustre auteur de l'esprit des lois, n'y dépensent pas beaucoup, les pauvres mourront de faim: il faut même que les riches y dépensent à proportion de l'inégalité des fortunes, & que le luxe y augmente dans cette proportion. Les richesses particulieres n'ont augmenté, que parce qu'elles ont ôté à une partie des citoyens le nécessaire physique: il faut donc qu'il leur soit rendu. Ainsi pour que l'état monarchique se soûtienne, le luxe doit aller en croissant, du laboureur à l'artisan, au négociant, aux nobles, aux magistrats, aux grands seigneurs, aux traitans principaux, aux princes; sans quoi tout seroit perdu ».

Le terme de luxe qu'emploie ici M. de M ... se prend pour toute dépense qui excede le simple nécessaire; dans lequel cas le luxe est ou vicieux ou légitime, selon qu'il abuse ou n'abuse pas des dons

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