ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS
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de la Providence. En l'interpretant dans le sens que
le Christianisme autorise, le raisonnement par lequel
ce célebre auteur prouve que les lois somptuaires
en général ne conviennent point aux monarchies,
subsiste dans toute sa force; car dès - là que le Christianisme permet les dépenses à proportion de l'inégalité
des fortunes, il est évident qu'il n'est point un
obstacle aux progrès du commerce, à l'industrie des
ouvriers, à la perfection des arts, toutes choses qui
concourent à la splendeur des états. Je n'ignore pas
que l'idée que je donne ici du Christianisme déplaira
à certaines sectes, qui sont parvenues, à force d'outrer
ses préceptes, à le rendre odieux à bien des personnes
qui cherchent toûjours quelque prétexte plausible
pour se livrer à leurs passions. C'est assez le caractere
des hérésies de porter tout à l'excès en matiere
de morale, & d'aimer spéculativement tout ce qui
tient d'uné dureté farouche & de moeurs féroces.
Les différentes hérésies nous en fournissent plusieurs
exemples. Tels ont été, par exemple, les Novatiens
& les Montanistes, qui reprochoient à l'Eglise son
extrème indulgence, dans le tems même ou pleine
encore de sa premiere ferveur, elle imposoit aux pécheurs
publics des pénitences canoniques, dont la
peinture seroit capable d'effrayer aujourd'hui les solitaires
de la Trape: tels ont été aussi les Vaudois &
les Hussites, qui ont préparé les voies à la réformation
des Protestans; dans l'Eglise même Catholique,
il se trouve de ces prétendus spirituels qui, soit hypocrisie,
soit misantropie, condamnent comme abus
tout usage des biens de la Providence, qui va au - delà du strict nécessaire. Fiers de leurs croix & de leurs
abstinences, ils voudroient y assujettir indifféremment
tous les Chrétiens, parce qu'ils méconnoissent
l'esprit du Christianisme jusqu'au point de ne savoir pas
distinguer les préceptes de l'Evangile d'avec ses conseils.
Ils ne regardent nos desirs les plus naturels, que
comme le malheureux apanage du vieil homme avec
toutes ses convoitises. Le Christianisme n'est point tel
que le figurent à nos yeux tous ces rigoristes, dont
l'austérité farouche nuit extrèmement à la religion,
comme si elle n'étoit pas conforme au bien des sociétés;
& qui n'ont pas assez d'esprit pour voir que ses
conseils, s'ils étoient ordonnés comme des lois, seroient
contraires à l'esprit de ses lois.
C'est par une suite de cette même ignorance, qui
détruit la religion en outrant ses préceptes, que Bayle
a osé la flétrir comme peu propre à former des héros
& des soldats.
« Pourquoi non, dit l'auteur de l'esprit
des lois qui combat ce paradoxe? ce seroient des
citoyens infiniment éclairés sur leurs devoirs, &
qui auroient un très - grand zele pour les remplir;
ils sentiroient très - bien les droits de la défense naturelle;
plus ils croiroient devoir à la religion,
plus ils penseroient devoir à la patrie. Les principes
du Christianisme bien gravés dans le coeur, seroient
infiniment plus forts que ces faux honneurs
des monarchies, ces vertus humaines des républiques,
& cette crainte servile des états despotiques ».
La religion Chrétienne, nous objectez - vous, est
intolérante par sa constitution; par - tout où elle domine,
elle ne peut tolérer l'établissement des autres
religions. Ce n'est pas tout: comme elle propose à ses
sectateurs un symbole qui contient plusieurs dogmes
incomprehensibles, il faut nécessairement que les esprits
se divisent en sectes, dont chacune modisie à son
gré ce symbole de sa croyance. De - là ces guerres de
religion, dont les flammes ont été tant de fois funestes
aux états, qui étoient le théatre de ces scenes sanglantes;
cette fureur particuliere aux Chrétiens &
ignorée des idolâtres, est une suite malheureuse de
l'esprit dogmatique qui est comme inné au Christianisme. Le paganisme étoit comme lui partagé en plu<cb->
sieurs sectes; mais parce que toutes se toléroient entr'elles, il ne voyoit jamais s'allumer dans son sein
des guerres de religion.
Ces éloges qu'on prodigue ici au paganisme, dans
la vûe de rendre odieux le Christianisme, ne peuvent
venir que de l'ignorance profonde où l'on est sur ce
qui constitue deux religions si opposées entre elles
par leur génie & par leur caractere. Préférer les
tenebres de l'une aux lumieres de l'autre, c'est un
excès dont on n'auroit jamais cru des philosophes
capables; si notre siecle ne nous les eût montrés
dans ces prétendus beaux esprits, qui se croyent
d'autant meilleurs citoyens qu'ils sont moins Chrétiens. L'intolérance de la religion Chrétienne vient
de sa perfection, comme la tolérance du paganisme
avoit sa source dans son imperfection. Voyez l'art.
Tolérance. Mais parce que la religion Chrétienne est intolérante, & qu'en conséquence elle a un
grand zele pour s'établir sur la ruine des autres religions,
vous avez tort d'en conclure qu'elle produise
aussi - tôt tous les maux que votre prévention vous
fait attacher à son intolérance. Elle ne consiste pas
comme vous pourriez vous l'imaginer, à contraindre
les consciences, & à forcer les hommes à rendre
à Dieu un culte desavoüé par le coeur, parce
que l'esprit n'en connoît pas la vérité. En agissant
ainsi, le Christianisme iroit contre ses propres principes,
puisque la Divinité ne sauroit agréer un hommage
hypocrite, qui lui seroit rendu par ceux que la
violence, & non la persuasion, feroient Chrétiens.
L'intolérance du Christianisme se borne à ne pas admettre
dans sa communion ceux qui voudroient lui
associer d'autres religions, & non à les persécuter.
Mais pour connoître jusqu'à quel point il doit être
réprimant dans les pays où il est devenu la religion
dominante, voyez
Liberté de conscience.
Le Christianisme, je le sai, a eu ses guerres de religion,
& les flammes en ont été souvent funestes aux
sociétés: cela prouve qu'il n'y a rien de si bon dont
la malignité humaine ne puisse abuser. Le fanatisme
est une peste qui reproduit de tems en tems des germes
capables d'infecter la terre; mais c'est le vice
des particuliers, & non du Christianisme, qui par sa
nature est également éloigné des fureurs outrées du
fanatisme, & des craintes imbécilles de la superstition.
La religion rend le payen superstitieux, & le
Mahométan fanatique; leurs cultes les conduisent là
natureilement (Voyez Paganisme, voyez Mahométisme): mais lorsque le Chrétien s'abandonne
à l'un ou l'autre de ces deux excès, dès - lors il agit
contre ce que lui prescrit sa religion. En ne croyant
rien que ce qui lui est proposé par l'autorité la plus
respectable qui soit sur la terre, je veux dire l'Eglise
Catholique, il n'a point à craindre que la superstition
vienne remplir son esprit de préjugés & d'erreurs.
Elle est le partage des esprits foibles & imbécilles,
& non de cette société d'hommes qui perpétuée
depuis J. C. jusqu'à nous, a transmis dans tous
les âges la révelation dont elle est la fidele dépositaire.
En se conformant aux maximes d'une religion
toute sainte & toute ennemie de la cruauté, d'une
religion qui s'est accrue par le sang de ses martyrs,
d'une religion enfin qui n'affecte sur les esprits & les
coeurs d'autre triomphe que celui de la vérité, qu'
elle est bien éloignée de faire recevoir par des supplices;
il ne sera ni fanatique ni enthousiaste, il ne
portera point dans sa patrie le fer & la flamme, & il
ne prendra point le couteau sur l'autel pour faire
des victimes de ceux qui refuseront de penser comme
lui.
Vous me direz peut - être que le meilleur remede
contre le fanatisme & la superstition, seroit de s'en
tenir à une religion qui prescrivant au coeur une morale
pure, ne commanderoit point à l'esprit une créan<pb->
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ce aveugle de dogmes qu'il ne comprend pas: les
voiles mystérieux qui les enveloppent ne sont propres,
dites - vous, qu'à faire des fanatiques & des
enthousiastes. Mais raisonner ainsi, c'est bien peu
connoître la nature humaine: un culte révélé est nécessaire
aux hommes; c'est le seul frein qui puisse les
arrêter. La plûpart des hommes que la seule raison guideroit,
feroient des efforts impuissans pour se convaincre
des dogmes dont la créance est absolument
essentielle à la conservation des états. Demandez
aux Socrates, aux Platons, aux Cicérons, aux Séneques, ce qu'ils pensoient de l'immortalité de l'ame;
vous les trouverez flotans & indécis sur cette grande
question, de laquelle dépend toute l'OEconomie
de la religion & de la république: parce qu'ils ne
vouloient s'éclairer que du seul flambeau de la raison,
ils marchoient dans une route obscure entre le
néant & l'immortalité. La voie des raisonnemens
n'est pas faite pour le peuple. Qu'ont gagné les Philosophes avec leurs discours pompeux, avec leur
style sublime, avec leurs raisonnemens si artificieusement
arrangés? tant qu'ils n'ont montré que l'homme
dans leurs discours, sans y faire intervenir la Divinité, ils ont toûjours trouvé l'esprit du peuple
fermé à tous les enseignemens. Ce n'est pas ainsi
qu'en agissoient les législateurs, les fondateurs d'état,
les instituteurs de religion: pour entraîner les
esprits, & les plier à leurs desseins politiques, ils
mettoient entre eux & le peuple le dieu qui leur
avoit parlé; ils avoient eu des visions nocturnes,
ou des avertissemens divins; le ton impérieux des
oracles se faisoit sentir dans les discours vifs & impétueux
qu'ils prononçoient dans la chaleur de l'enthousiasme.
C'est en revêtant cet extérieur imposant;
c'est en tombant dans ces convulsions surprenantes,
regardées par le peuple comme l'effet d'un
pouvoir surnaturel; c'est en lui présentant l'appas
d'un songe ridicule, que l'imposteur de la Mecque
osa tenter la foi des crédules humains, & qu'il ébloüit
les esprits qu'il avoit sû charmer, en excitant leur
admiration, & captivant leur confiance. Les esprits
fascinés par le charme vainqueur de son éloquence,
ne virent plus dans ce hardi & sublime imposteur,
qu'un prohete qui agissoit, parloit, punissoit, ou
pardonnoit en Dieu. A Dieu ne plaise que je confonde
les révélations dont se glorifie à si juste titre le
Christianisme, avec celles que vantent avec ostentation
les autres religions; je veux seulement insinuer
par - là qu'on ne réussit à échauffer les esprits, qu'en
faisant parler le Dieu dont on se dit l'envoyé, soit
qu'il ait véritablement parlé comme dans le Christianisme & le Judaïsme, soit que l'imposture le fasse
parler comme dans le Paganisme & le Mahométisme.
Or il ne parle point par la voix du philosophe déiste: une religion ne peut donc être utile qu'à titre de
religion révélée. Voyez
Déisme & Révélation.
Forcé de convenir que la religion Chrétienne est
la meilleure de toutes les religions pour les états qui
ont le bonheur de la voir liée avec leur gouvernement
politique, peut - être ne croyez - vous pas qu'elle
soit la meilleure de toutes pour tous les pays:
« Car,
pourrez - vous me dire, quand je supposerois que le
Christianisme a sa racine dans le ciel, tandis que les
autres religions ont la leur sur terre, ce ne seroit pas
une raison (à considérer les choses en politique &
non en théologien) pour qu'on dût lui donner la préférence
sur une religion qui depuis plusieurs siecles
seroit reçûe dans un pays, & qui par conséquent y
seroit comme naturalisée. Pour introduire ce grand
changement, il faudroit d'un côté compenser les
avantages qu'une meilleure religion procureroit à
l'état, & de l'autre les inconvéniens qui résultent
d'un changement de religion. C'est la combinaison
exacte de ces divers avantages avec ces divers in<cb->
convéniens, toûjours impossible à faire, qui avoit
donné lieu parmi les anciens à cette maxime si sage,
qu'il ne faut jamais toucher à la religion dominante
d'un pays, parce que dans cet ébranlement où l'on
met les esprits, il est à craindre qu'on ne substitue
des soupçons contre les deux religions, à une
ferme croyance pour une; & par - là on risque de
donner à l'état, au moins pour quelque tems, de
mauvais citoyens & de mauvais fideles. Mais une
autre raison qui doit rendre la politique extrèmement
circonspecte, en fait de changement de religion,
c'est que la religion ancienne est liée à la constitution
d'un état, & que la nouvelle n'y tient point;
que celle - là s'accorde avec le climat, & que souvent
la nouvelle s'y refuse. Ce sont ces raisons, & autres
semblables, qui avoient déterminé les anciens législateurs
à confirmer les peuples dans la religion de
leurs ancêtres, tout convaincus qu'ils fussent que
ces religions étoient contraires par bien des endroits
aux intérêts politiques, & qu'on pouvoit les changer
en mieux. Que conclure de tout ceci? que c'est
une très - bonne loi civile, lorsque l'état est satisfait
de la religion déjà établie, de ne point souffrir l'établissement
d'une autre, fût - ce même la Chrétienne ».
C'est sans doute une maxime très - sensée & très conforme
à la bonne politique, de ne point souffrir
l'établissement d'une autre religion dans un état oú
la religion nationale est la meilleure de toutes: mais
cette maxime est fausse & devient dangereuse, lorsque
la religion nationale n'a pas cet auguste caractere;
car alors s'opposer à l'établissement d'une religion
la plus parfaite de toutes, & par cela même
la plus conforme au bien de la société, c'est priver
l'état des grands avantages qui pourroient lui en revenir.
Ainsi dans tous les pays & dans tous les tems,
ce sera une très - bonne loi civile de favoriser, autant
qu'il sera possible, les progrès du Christianisme; parce
que cette religion, encore qu'elle ne semble avoir
d'objet que la félicité de l'autre vie, est pourtant de
toutes les religions celle qui peut le plus contribuer
à notre bonheur dans celle - ci. Son extrème utilité
vient de ses préceptes & de ses conseils, qui tendent
tous à conserver les moeurs. Il n'a point le défaut de
l'ancien Paganisme, dont les dieux autorisoient par
leur exemple les vices, enhardissoient les crimes, &
allarmoient la timide innocence; dont les fêtes licentieuses
deshonoroient la divinité par les plus infâmes
prostitutions & les plus sales débauches;
dont les mysteres & les cérémonies choquoient la
pudeur; dont les sacrifices cruels faisoient frémir la
nature, en répandant le sang des victimes humaines
que le fanatisme avoit dévoiiées à la mort pour honorer
ses dieux.
Il n'a point non plus le défaut du Mahométisme,
qui ne parle que de glaive, n'agit sur les hommes
qu'avec cet esprit destructeur qui l'a fondé, & qui
nourrit ses frénétiques sectateurs dans une indifférence
pour toutes choses; suite nécessaire du dogme d'un
destin rigide qui s'est introduit dans cette religion.
S'il ne nie pas avec la religion de Confucius l'immortalité
de l'ame, il n'en abuse pas aussi comme on le
fait encore aujourd'hui au Japon, à Macassar, &
dans plusieurs autres endroits de la terre, où l'on
voit des femmes, des esclaves, des sujets, des
amis, se tuer pour aller servir dans l'autre monde
l'objet de leur respect & de leur amour. Cette cruelle
coûtume si destructive de la société, émane moins
directement, selon la remarque de l'illustre auteur de
l'esprit des lois, du dogme de l'immortalitè de l'ame,
que de celui de la résurrection des corps; d'où l'on a tiré
cette conséquence, qu'après la mort un même individu
auroit les mêmes besoins, les mêmes sentimens, les mêmes
passions. Le Christianisme non - seulement établit
ce dogme, mais il sait encore admirablement blen
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