ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

RECHERCHE Accueil Mises en garde Documentation ATILF ARTFL Courriel

Previous page

"384"> de la Providence. En l'interpretant dans le sens que le Christianisme autorise, le raisonnement par lequel ce célebre auteur prouve que les lois somptuaires en général ne conviennent point aux monarchies, subsiste dans toute sa force; car dès - là que le Christianisme permet les dépenses à proportion de l'inégalité des fortunes, il est évident qu'il n'est point un obstacle aux progrès du commerce, à l'industrie des ouvriers, à la perfection des arts, toutes choses qui concourent à la splendeur des états. Je n'ignore pas que l'idée que je donne ici du Christianisme déplaira à certaines sectes, qui sont parvenues, à force d'outrer ses préceptes, à le rendre odieux à bien des personnes qui cherchent toûjours quelque prétexte plausible pour se livrer à leurs passions. C'est assez le caractere des hérésies de porter tout à l'excès en matiere de morale, & d'aimer spéculativement tout ce qui tient d'uné dureté farouche & de moeurs féroces. Les différentes hérésies nous en fournissent plusieurs exemples. Tels ont été, par exemple, les Novatiens & les Montanistes, qui reprochoient à l'Eglise son extrème indulgence, dans le tems même ou pleine encore de sa premiere ferveur, elle imposoit aux pécheurs publics des pénitences canoniques, dont la peinture seroit capable d'effrayer aujourd'hui les solitaires de la Trape: tels ont été aussi les Vaudois & les Hussites, qui ont préparé les voies à la réformation des Protestans; dans l'Eglise même Catholique, il se trouve de ces prétendus spirituels qui, soit hypocrisie, soit misantropie, condamnent comme abus tout usage des biens de la Providence, qui va au - delà du strict nécessaire. Fiers de leurs croix & de leurs abstinences, ils voudroient y assujettir indifféremment tous les Chrétiens, parce qu'ils méconnoissent l'esprit du Christianisme jusqu'au point de ne savoir pas distinguer les préceptes de l'Evangile d'avec ses conseils. Ils ne regardent nos desirs les plus naturels, que comme le malheureux apanage du vieil homme avec toutes ses convoitises. Le Christianisme n'est point tel que le figurent à nos yeux tous ces rigoristes, dont l'austérité farouche nuit extrèmement à la religion, comme si elle n'étoit pas conforme au bien des sociétés; & qui n'ont pas assez d'esprit pour voir que ses conseils, s'ils étoient ordonnés comme des lois, seroient contraires à l'esprit de ses lois.

C'est par une suite de cette même ignorance, qui détruit la religion en outrant ses préceptes, que Bayle a osé la flétrir comme peu propre à former des héros & des soldats. « Pourquoi non, dit l'auteur de l'esprit des lois qui combat ce paradoxe? ce seroient des citoyens infiniment éclairés sur leurs devoirs, & qui auroient un très - grand zele pour les remplir; ils sentiroient très - bien les droits de la défense naturelle; plus ils croiroient devoir à la religion, plus ils penseroient devoir à la patrie. Les principes du Christianisme bien gravés dans le coeur, seroient infiniment plus forts que ces faux honneurs des monarchies, ces vertus humaines des républiques, & cette crainte servile des états despotiques ».

La religion Chrétienne, nous objectez - vous, est intolérante par sa constitution; par - tout où elle domine, elle ne peut tolérer l'établissement des autres religions. Ce n'est pas tout: comme elle propose à ses sectateurs un symbole qui contient plusieurs dogmes incomprehensibles, il faut nécessairement que les esprits se divisent en sectes, dont chacune modisie à son gré ce symbole de sa croyance. De - là ces guerres de religion, dont les flammes ont été tant de fois funestes aux états, qui étoient le théatre de ces scenes sanglantes; cette fureur particuliere aux Chrétiens & ignorée des idolâtres, est une suite malheureuse de l'esprit dogmatique qui est comme inné au Christianisme. Le paganisme étoit comme lui partagé en plu<cb-> sieurs sectes; mais parce que toutes se toléroient entr'elles, il ne voyoit jamais s'allumer dans son sein des guerres de religion.

Ces éloges qu'on prodigue ici au paganisme, dans la vûe de rendre odieux le Christianisme, ne peuvent venir que de l'ignorance profonde où l'on est sur ce qui constitue deux religions si opposées entre elles par leur génie & par leur caractere. Préférer les tenebres de l'une aux lumieres de l'autre, c'est un excès dont on n'auroit jamais cru des philosophes capables; si notre siecle ne nous les eût montrés dans ces prétendus beaux esprits, qui se croyent d'autant meilleurs citoyens qu'ils sont moins Chrétiens. L'intolérance de la religion Chrétienne vient de sa perfection, comme la tolérance du paganisme avoit sa source dans son imperfection. Voyez l'art. Tolérance. Mais parce que la religion Chrétienne est intolérante, & qu'en conséquence elle a un grand zele pour s'établir sur la ruine des autres religions, vous avez tort d'en conclure qu'elle produise aussi - tôt tous les maux que votre prévention vous fait attacher à son intolérance. Elle ne consiste pas comme vous pourriez vous l'imaginer, à contraindre les consciences, & à forcer les hommes à rendre à Dieu un culte desavoüé par le coeur, parce que l'esprit n'en connoît pas la vérité. En agissant ainsi, le Christianisme iroit contre ses propres principes, puisque la Divinité ne sauroit agréer un hommage hypocrite, qui lui seroit rendu par ceux que la violence, & non la persuasion, feroient Chrétiens. L'intolérance du Christianisme se borne à ne pas admettre dans sa communion ceux qui voudroient lui associer d'autres religions, & non à les persécuter. Mais pour connoître jusqu'à quel point il doit être réprimant dans les pays où il est devenu la religion dominante, voyez Liberté de conscience.

Le Christianisme, je le sai, a eu ses guerres de religion, & les flammes en ont été souvent funestes aux sociétés: cela prouve qu'il n'y a rien de si bon dont la malignité humaine ne puisse abuser. Le fanatisme est une peste qui reproduit de tems en tems des germes capables d'infecter la terre; mais c'est le vice des particuliers, & non du Christianisme, qui par sa nature est également éloigné des fureurs outrées du fanatisme, & des craintes imbécilles de la superstition. La religion rend le payen superstitieux, & le Mahométan fanatique; leurs cultes les conduisent là natureilement (Voyez Paganisme, voyez Mahométisme): mais lorsque le Chrétien s'abandonne à l'un ou l'autre de ces deux excès, dès - lors il agit contre ce que lui prescrit sa religion. En ne croyant rien que ce qui lui est proposé par l'autorité la plus respectable qui soit sur la terre, je veux dire l'Eglise Catholique, il n'a point à craindre que la superstition vienne remplir son esprit de préjugés & d'erreurs. Elle est le partage des esprits foibles & imbécilles, & non de cette société d'hommes qui perpétuée depuis J. C. jusqu'à nous, a transmis dans tous les âges la révelation dont elle est la fidele dépositaire. En se conformant aux maximes d'une religion toute sainte & toute ennemie de la cruauté, d'une religion qui s'est accrue par le sang de ses martyrs, d'une religion enfin qui n'affecte sur les esprits & les coeurs d'autre triomphe que celui de la vérité, qu' elle est bien éloignée de faire recevoir par des supplices; il ne sera ni fanatique ni enthousiaste, il ne portera point dans sa patrie le fer & la flamme, & il ne prendra point le couteau sur l'autel pour faire des victimes de ceux qui refuseront de penser comme lui.

Vous me direz peut - être que le meilleur remede contre le fanatisme & la superstition, seroit de s'en tenir à une religion qui prescrivant au coeur une morale pure, ne commanderoit point à l'esprit une créan<pb-> [p. 385] ce aveugle de dogmes qu'il ne comprend pas: les voiles mystérieux qui les enveloppent ne sont propres, dites - vous, qu'à faire des fanatiques & des enthousiastes. Mais raisonner ainsi, c'est bien peu connoître la nature humaine: un culte révélé est nécessaire aux hommes; c'est le seul frein qui puisse les arrêter. La plûpart des hommes que la seule raison guideroit, feroient des efforts impuissans pour se convaincre des dogmes dont la créance est absolument essentielle à la conservation des états. Demandez aux Socrates, aux Platons, aux Cicérons, aux Séneques, ce qu'ils pensoient de l'immortalité de l'ame; vous les trouverez flotans & indécis sur cette grande question, de laquelle dépend toute l'OEconomie de la religion & de la république: parce qu'ils ne vouloient s'éclairer que du seul flambeau de la raison, ils marchoient dans une route obscure entre le néant & l'immortalité. La voie des raisonnemens n'est pas faite pour le peuple. Qu'ont gagné les Philosophes avec leurs discours pompeux, avec leur style sublime, avec leurs raisonnemens si artificieusement arrangés? tant qu'ils n'ont montré que l'homme dans leurs discours, sans y faire intervenir la Divinité, ils ont toûjours trouvé l'esprit du peuple fermé à tous les enseignemens. Ce n'est pas ainsi qu'en agissoient les législateurs, les fondateurs d'état, les instituteurs de religion: pour entraîner les esprits, & les plier à leurs desseins politiques, ils mettoient entre eux & le peuple le dieu qui leur avoit parlé; ils avoient eu des visions nocturnes, ou des avertissemens divins; le ton impérieux des oracles se faisoit sentir dans les discours vifs & impétueux qu'ils prononçoient dans la chaleur de l'enthousiasme. C'est en revêtant cet extérieur imposant; c'est en tombant dans ces convulsions surprenantes, regardées par le peuple comme l'effet d'un pouvoir surnaturel; c'est en lui présentant l'appas d'un songe ridicule, que l'imposteur de la Mecque osa tenter la foi des crédules humains, & qu'il ébloüit les esprits qu'il avoit sû charmer, en excitant leur admiration, & captivant leur confiance. Les esprits fascinés par le charme vainqueur de son éloquence, ne virent plus dans ce hardi & sublime imposteur, qu'un prohete qui agissoit, parloit, punissoit, ou pardonnoit en Dieu. A Dieu ne plaise que je confonde les révélations dont se glorifie à si juste titre le Christianisme, avec celles que vantent avec ostentation les autres religions; je veux seulement insinuer par - là qu'on ne réussit à échauffer les esprits, qu'en faisant parler le Dieu dont on se dit l'envoyé, soit qu'il ait véritablement parlé comme dans le Christianisme & le Judaïsme, soit que l'imposture le fasse parler comme dans le Paganisme & le Mahométisme. Or il ne parle point par la voix du philosophe déiste: une religion ne peut donc être utile qu'à titre de religion révélée. Voyez Déisme & Révélation.

Forcé de convenir que la religion Chrétienne est la meilleure de toutes les religions pour les états qui ont le bonheur de la voir liée avec leur gouvernement politique, peut - être ne croyez - vous pas qu'elle soit la meilleure de toutes pour tous les pays: « Car, pourrez - vous me dire, quand je supposerois que le Christianisme a sa racine dans le ciel, tandis que les autres religions ont la leur sur terre, ce ne seroit pas une raison (à considérer les choses en politique & non en théologien) pour qu'on dût lui donner la préférence sur une religion qui depuis plusieurs siecles seroit reçûe dans un pays, & qui par conséquent y seroit comme naturalisée. Pour introduire ce grand changement, il faudroit d'un côté compenser les avantages qu'une meilleure religion procureroit à l'état, & de l'autre les inconvéniens qui résultent d'un changement de religion. C'est la combinaison exacte de ces divers avantages avec ces divers in<cb-> convéniens, toûjours impossible à faire, qui avoit donné lieu parmi les anciens à cette maxime si sage, qu'il ne faut jamais toucher à la religion dominante d'un pays, parce que dans cet ébranlement où l'on met les esprits, il est à craindre qu'on ne substitue des soupçons contre les deux religions, à une ferme croyance pour une; & par - là on risque de donner à l'état, au moins pour quelque tems, de mauvais citoyens & de mauvais fideles. Mais une autre raison qui doit rendre la politique extrèmement circonspecte, en fait de changement de religion, c'est que la religion ancienne est liée à la constitution d'un état, & que la nouvelle n'y tient point; que celle - là s'accorde avec le climat, & que souvent la nouvelle s'y refuse. Ce sont ces raisons, & autres semblables, qui avoient déterminé les anciens législateurs à confirmer les peuples dans la religion de leurs ancêtres, tout convaincus qu'ils fussent que ces religions étoient contraires par bien des endroits aux intérêts politiques, & qu'on pouvoit les changer en mieux. Que conclure de tout ceci? que c'est une très - bonne loi civile, lorsque l'état est satisfait de la religion déjà établie, de ne point souffrir l'établissement d'une autre, fût - ce même la Chrétienne ».

C'est sans doute une maxime très - sensée & très conforme à la bonne politique, de ne point souffrir l'établissement d'une autre religion dans un état oú la religion nationale est la meilleure de toutes: mais cette maxime est fausse & devient dangereuse, lorsque la religion nationale n'a pas cet auguste caractere; car alors s'opposer à l'établissement d'une religion la plus parfaite de toutes, & par cela même la plus conforme au bien de la société, c'est priver l'état des grands avantages qui pourroient lui en revenir. Ainsi dans tous les pays & dans tous les tems, ce sera une très - bonne loi civile de favoriser, autant qu'il sera possible, les progrès du Christianisme; parce que cette religion, encore qu'elle ne semble avoir d'objet que la félicité de l'autre vie, est pourtant de toutes les religions celle qui peut le plus contribuer à notre bonheur dans celle - ci. Son extrème utilité vient de ses préceptes & de ses conseils, qui tendent tous à conserver les moeurs. Il n'a point le défaut de l'ancien Paganisme, dont les dieux autorisoient par leur exemple les vices, enhardissoient les crimes, & allarmoient la timide innocence; dont les fêtes licentieuses deshonoroient la divinité par les plus infâmes prostitutions & les plus sales débauches; dont les mysteres & les cérémonies choquoient la pudeur; dont les sacrifices cruels faisoient frémir la nature, en répandant le sang des victimes humaines que le fanatisme avoit dévoiiées à la mort pour honorer ses dieux.

Il n'a point non plus le défaut du Mahométisme, qui ne parle que de glaive, n'agit sur les hommes qu'avec cet esprit destructeur qui l'a fondé, & qui nourrit ses frénétiques sectateurs dans une indifférence pour toutes choses; suite nécessaire du dogme d'un destin rigide qui s'est introduit dans cette religion. S'il ne nie pas avec la religion de Confucius l'immortalité de l'ame, il n'en abuse pas aussi comme on le fait encore aujourd'hui au Japon, à Macassar, & dans plusieurs autres endroits de la terre, où l'on voit des femmes, des esclaves, des sujets, des amis, se tuer pour aller servir dans l'autre monde l'objet de leur respect & de leur amour. Cette cruelle coûtume si destructive de la société, émane moins directement, selon la remarque de l'illustre auteur de l'esprit des lois, du dogme de l'immortalitè de l'ame, que de celui de la résurrection des corps; d'où l'on a tiré cette conséquence, qu'après la mort un même individu auroit les mêmes besoins, les mêmes sentimens, les mêmes passions. Le Christianisme non - seulement établit ce dogme, mais il sait encore admirablement blen

Next page


The Project for American and French Research on the Treasury of the French Language (ARTFL) is a cooperative enterprise of Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française (ATILF) of the Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), the Division of the Humanities, the Division of the Social Sciences, and Electronic Text Services (ETS) of the University of Chicago.

PhiloLogic Software, Copyright © 2001 The University of Chicago.