ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"152"> aux chanvres qui sont les plus longs: nous croyons cependant que si les chanvres trop courts font de mauvaises cordes, ceux qui sont trop longs occasionnent un déchet inutile, & qu'ils sont ordinairement plus rudes que les chanvres courts; & c'est encore un défaut.

Quand le chanvre est sin, moëlleux, souple, doux au toucher, peu élastique, & en même tems difficile à rompte, il est certain qu'il doit être regardé comme le meilleur; mais si le chanvre est rude, dur, & élastique, on peut être certain qu'il donnera toûjours des cordes foibles.

Il est très - avantageux que les matieres qu'on employe pour faire des cordes, soient souples; & il n'est pas douteux que c'est la roideur de l'écorce du tilleul & du jonc, qui fait principalement la foiblesse des cordes qui sont faites avec ces matieres.

On verra ailleurs, qu'on peut procurer au chanvre cette souplesse si avantageuse, par l'espade, par le peigne, &c.

Nous avons fait remarquer que les chanvres très roüis étoient les plus souples: nous avons prouvé aussi que l'opération de roüir étoit un commencement de pourriture, & que si on laissoi trop longtems le chanvre dans les routoirs, il se pourriroit entierement; d'où on peut conclure que les chanvres qui n'ont acquis leur souplesse qu'à force de roüir, doivent pourrir plùtôt par le service que ceux qui sont plus durs.

Nous observerons que le chanvre cueilli un peu verd, & dont les fibres de l'écorce n'étoient pas encore devenues très - ligneuses, sont plus souples que les autres; mais ces chanvres doux, pour être trop herbacés, sont aussi plus aisés à pourrir que les chanvres rudes & très - ligneux. On convient assez généralement de cette proposition dans les corderies: celui de Riga, par exemple, passe pour pourrir plus promptement que les chanvres de Bretagne.

Nous avons dit qu'on mettoit roüir le chanvre principalement pour séparer l'écorce de la chenevotte, à laquelle elle est fort adhérente avant cette opération: quand donc le chanvre n'est pas assez roüi, l'écorce reste trop adhérente à la chenevotte, on a de la peine à l'en séparer, & il en reste toûjours d'attachée au chanvre, sur - tout quand il a été broyé.

Ce défaut est considérable, parce que ces chenevottes rendent le sil d'inégale grosseur, & qu'elles l'affoibissent dans les endroits où elles se rencontrent; mais quand les chanvres ont été trop roüis, l'eau qui a agi plus puissamment sur la pointe, qui est tendre, l'a souvent entierement pourrie.

Ainsi quand les chanvres sont bien nets de chenevottes, ou qu'on remarque que les chenevottes qui restent, sont peu adhérentes à la filasse, il faut examiner si les pointes ont encore de la force, & cela sur - tout aux chanvres tillés; car les pointes des chanvres trop roüis restent ordinairement dans la broye ou macque, & ne se trouvent point dans les queues, qui en sont seulement plus courtes; ce qui n cst pas un défaut si le chanvre a encore assez de longueur.

Nous observerons que le chanvre femelle qu'on a laissé sur pié pour y mûrir son chenevi, étoit devenu par ce délai plus ligneux, plus dur & plus élastique que le chanvre mále qu'on avoit arraché plus de trois semaines plûtôt. Nous venons de dire que le chanvre le plus fin & le plus souple est le meilleur; d'où il faut conelure que le chanvre mále est de meilleure qualité que le chanvre femelle: les paysans qui le savent bien, essayent de le vendre un peu plus cher, & cela est juste. Une fourniture est réputée bonne quand elle contient autant de chanvre mále que de semclle; ce qui sera aisé à distinguer par la dureté & la roideur du chanvre femelle, qui est ordinairement plus brun que le chanvre mále, qui a une couleur plus brillante & plus argentine.

On verra ailleurs, que le premier brin est presque la seule partie utile dans le chanvre; d'un autte côté on sait, après ce qui vient d'être dit, que tous les chanvres ne fournissent pas également du premier brin: il est donc nécessaire, quand on fait une recette un peu considérable de chanvre, de s'assûrer de la quantité de prémier & second brin, d'étoupes & de déchet, que pourra produire le chanvre que présente le fournisseur. Or cela se connoit en faisant espader & peigner, en un mot, préparer comme on a coûtume de le saire, un quintal. On pese ensuite le premier, le second, & le troisieme brin qu'on a retirés de ce quintal; & le manque marque le déchet: d'ailleurs le chanvre qu'on reçoit étant destiné à faire des cordes, celui qui fera les cordes les plus fortes, sera meilleur. Il résulte donc de - là une maniere de l'éprouver. Voyez le détail de cette épreuve dans l'ouvrage de M. Duhamel.

A mesure qu'on fait la recette, on porte les balles de chanvre dans les magasins où elles doivent rester jusqu'à ce qu'on les délivre aux espadeurs; & comme les consommations ne som pas toùjours proportionnelles aux recettes, on est obligé de les laisser quelquefois assez long - tems dans les magasins, où il est important de les conserver avec beaucoup d'attention, sans quoi on courroit risque d'en perdre beaucoup; il est donc avantageux de rapporter en quoi consistent ces précautions.

1°. Les magasins où l'on conserve le chanvre doivent être des greniers fort élevés & spacieux, plafonnés, percés de fenêtres ou de grandes lucarnes de côté & d'autre; & ces fenêtres doivent fermer avec de bons contrevents qu'on tiendra ouverts quand le tems sera frais & sec, & qu'on fermera soigneusement quand l'air sera humide, & du côté du soleil quand il sera fort chaud; car la chaleur durcit, roidit le chanvre, & le fait à la longue tomber en poussiere: quand au contraire il est humide, il court risque de s'échauffer. Il est important pour la même raison qu'il ne pleuve point sur le chanvre, ainsi il faudra entretenir les couvertures avec tout le soin possible.

2°. Si le chanvre qu'on reçoit est tant - soit - peu humide, on l'étendra, & on ne le mettra en meulons que quand il fera fort sec, sans quoi il s'échaufferoit & seroit bientôt pourri.

3°. Pour que l'air entre dans les meulons de tous côtés, on ne les fera que de quinze à dix - huit milliers, & on ne les élevera pas jusqu'au toict. Comme dans les recettes il se trouve presque toûjours du chanvre de différente qualité, on aura l'attention, autant que faire se pourra, que tout le chanvre d'un même meulon soit de la même qualité, afin qu'on puisse employer aux manoeuvres les plus importantes les chanvres les plus parfaits; c'est une attention qu'on n'a pas ordinairement, mais qui est des plus essentielles.

4°. On fourrera de tems en tems le bras dans les meulons pour connoître s'ils ne s'échauffent pas; & s'il y avoit de la chaleur dans quelques - uns, on les déferoit, leur laisseroit prendre l'air, & les transporteroit dans d'autres endroits.

5°. Une ou deux fois l'année on changera les meulons de place, pour mieux connoître en quel état ils sont intérieurement; d'ailleurs, par cette opération l'on expose le chanvre à l'air, ce qui lui est toûjours avantageux.

6°. Quelquefois les rats & les souris endommagent beaucoup le chanvre qu'ils rongem & qu'ils bouchonnent pour y faire leur nid; c'est à un homme attentif à leur faire la guerre.

Cependant, malgré toutes ces précautions, le [p. 153] chanvre diminue toûjours à mesure qu'on le garde; & quand on vient à le prépare, on y trouve plus de déchet que quand il est nouveau il est vrai que le chanvre gardé s'affine mieux, mais il est difficile que cet avantage puisse compenser le déchet.

Il s'agit maintenant de continuer la préparation du chanvre.

Le premier soin de ceux qui occupent l'attelier où nous entrons, celui des espadeurs, est de le débarrasser des petites parcelles de chenevottes qui y restent, ou des corps étrangers, feuilles, herbes, poussiere, &c. & de séparer du principal brin l'éroupe la plus grossiere, c'est - à - dire les brins de chanvre qui ont été rompus en petites parties, ou très bouchonnés.

Le second avantage qu'on doit avoir en vûe, est de séparer les unes des autres les fibres longitudinales, qui par leur union forment des especes de rubans.

La force des fibres du chanvre, selon leur longueur, est sans contredit fort supérieure à celle des petites fibres qui unissent entr'elles les fibres longitudinales, c'est - à - dire qu'il faut infiniment plus de force pour rompre deux fibres que pour les séparer l'une de l'autre: ainsi en frottant le chanvre, en le pilant, en le fatiguant beaucoup, on contraindra les fibres longitudinales à se séparer les unes des autres, & c'est cette séparation plus ou moins grande qui fait que le chanvre est plus ou moins fin, plus ou moins élastique, & plus ou moins doux au toucher.

Rien n'est si propre à détacher les chenevottes du chanvre, à en ôter la terre, à en séparer les corps étrangers, que de le secouer & le battre comme nous venons de le dire.

Pour donner au chanvre les préparations dont nous verons de parler, il y a différentes pratiques.

Tous les ouvriers qui préparent le chanvre destiné à faire du fil pour de la toile, & la plûpart des Cordiers de l'intérieur du royaume, pilent leur chanvre, c'est - à - dire qu'ils le mettent dans des especes de mortiers de bois, & qu'ils le battent avec de gros maillets: on pourroit abréger cette opération en employant des moulins à - peu - près semblables à ceux des papeteries ou des poudrieres; cette pratique, quoique très bonne, n'est point en usage dans les corderies de la marine, peut - être a - t - on appréhendé qu'elle n'occasionnât trop de déchet; car dans quelques épreuves que M. Duhamel en a faites, il lui a paru effectivement que le déchet étoit considérable.

La seule pratique qui soit en usage dans les ports, encore ne l'est - elle pas par - tout, c'est celle qu'on appelle espader, & que nous allons décrire, en commençant par donner une idée de l'attelier des espadeus, & des instrumens dont ils se servent.

L'attelier des espadeurs, qu'on voit, Pl. I. seconde division, estune salle plus ou moins grande, suivant le nombre des ouvriers qu'on y veut mettre; mais il est essentiel que le plancher en soit élevé, & que les fenêtres en soient grandes, pour que la poussiere qui sort du chanvre, & qui fatigue beaucoup la poitrine des ouvriers, se puisse dissiper.

Tout autour de cette salle il y a des chevalets simples X, & quelquefois dans le milieu il y en a une rangée de doubles Y; nous allons expliquer quelle est la forme de ces chevalets, & quelle différence il y a entre les chevalets simples & les doubles.

Pour cela il faut se représenter une piece de bois de quinze à dix - huit pouces de largeur, & de huit à neuf d'épaisseur; si le chevaletdoit être simple, on ne donne à cette piece que trois piés & demi ou quatre piés de longueur; mais si le chevalet est double, elle doit avoir quatre piés & demi à cinq piés: à un de ses bouts, si le chevalet est simple, ou à chacun de ses bouts, s'il est double, on doit assembler ou clouer solidement une planche qui aura douze à quatorze lignes d'épaisseur, dix à douze pouces de largeur, & trois piés & demi de hauteur; ces planches doivent être dans une situation verticale, & assemblées perpendiculairement à la piece de bois qui sert de pié; enfin elles doivent avoir en - haut une entaille demi - circulaire Y, de quarre à cinq pouces d'ouverture, & de trois & demi à quatre pouces de profondeur.

Un chevalet simple ne peut servir qu'à un seul ouvrier, & deux peuvent travailler ensemble sur un chevalet double.

L'attelier des espadeurs n'est pas embarrassé de beaucoup d'instrumens; avec les chevalets dont nous venons de parler, il faut seulement des espades ou espadons Z, qui ne sont autre chose que des palettes de deux piés de longueur, de quatre ou cinq pouces de largeur, & de six à sept lignes d'épaisseur, qui forment des couteaux à deux tranchans mousses, & qui ont à un de leurs bouts une poignée pour les tenir commodément.

L'espadeur prend de sa main gauche, & vers le milieu de sa longueur, une poignée de chanvre pesant environ une demi - livre, il serre fortement la main; & ayant appuyé le milieu de cette poignée de chanvre sur l'entaille de la planche perpendiculaire du chevalet, il frappe du tranchant de l'espade sur la portion du chanvre qui pend le long de cette planche M. Quand il a frappé plusieurs coups, il secoue sa poignée de chanvre N, il la retourne sur l'entaille, & il continue de frapper jusqu'à ce que son chanvre soit bien net, & que les brins paroissent bien droits; alors il change le chanvre bout pour bout, & il travaille la pointe comme il a fait les pattes, car on commence toûjours à espader le côté des pattes le premier: mais on ne sauroit trop recommander aux espadeurs de donner toute leur attention à ce que le milieu du chanvre soit bien espadé, sans se contenter d'espader les deux extrémités, ce qui est ungrand défaut où ils tombent communément.

Quand une poignée est bien espadée dans toute sa longueur, l'ouvrier la pose de travers sur la piece de bois qui forme le pié de son chevalet O, & il en prend une autre à laquelle il donne la même préparation; enfin quand il y en a une trentaine de livres d'espadées, on en fait des ballots qu'on porte aux peigneurs. Voyez ces ballots en P.

Il faut observer que fi le chanvre n'étoit pas bien arrangé dans la main des espadeurs, il s'en détacheroit beaucoup de brins qui se bouchonneroient; c'est pourquoi les ouvriers attentifs ont soin de bien arranger le chanvre avant que de l'espader; malgré cela il ne laisse pas de s'en détacher plusieurs brins qui tombent à terre, mais ils ne sont pas perdus pour cela; car quand il y en a une certaine quantité, les espadeurs les ramassent, les arrangent le mieux qu'ils peuvent en poignées, & les espadent à part; en prenant cette précaution, il ne reste plus qu'une mauvaise étoupe dont on faisoit autrefois des matelats pour les équipages; mais les ayant trouvé trop mauvais, on n'employe plus à présent ces grosses étoupes qu'à faire des flambeaux, des tampons pour les mines, des torchons pour l'etuve, &c.

Le chanvre est plus ou moins long à espader, selon qu'il est plus cu moins net, sur - tout de chenevottes, & le dechet que cette préparation occasionne dépend aussi des mêmes circonstances; cependant un bon espadeur peut préparer soixante à quatre - vingt livres de chanvre dans sa journée, & le déchet se peut évaluer à cinq, six ou sept livres par quintal.

M. Duhamel regarde cette préparation comme importante, & croit qu'il faut espader tous les chanvres avec le plus grand soin; si nous n'appréhen<pb->

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