ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"140"> que l'or, que l'amitié des parens, que le sommeil le plus tranquille: pour vous le divin Hercule & les sils de Léda essuyerent mille travaux, & le succès de leurs exploits annonca votre puissance. C'est par amour pour vous qu'Achille & Ajax allerent dans l'empire de Pluton; & c'est en vûe de votre aimable beauté que le prince d'Atarne s'est aussi privé de la lumiere du soleil; prince à jamais célebre par ses actions! les filles de mémoire chanteront sa gloire toutes les fois qu'elles chanteront le culte de Jupiter hospitalier, ou le prix d'une amitié durable & sincere ».

Toutes leurs chansons morales n'étoient pas si graves que celle - là: en voici une d'un goût différent, tirée d'Athénée.

« Le premier de tous les biens est la santé; le second, la beauté; le troisieme, les richesses amassées sans fraude; & le quatrieme, la jeunesse qu'on passe avec ses amis ».

Quant aux scolies qui roulent sur l'amour & le vin, on en peut juger par les soixante & dix odes d'Anacréon qui nous restent: mais dans ces sortes de chansons même on voyoit encore briller cet amour de la patrie & de la liberté dont les Grecs étoient transportés.

« Du vin & de la santé, dit une de ces chansons, pour ma Clitagora & pour moi, avec le secours des Thessaliens ». C'est qu'outre que Clitagora étoit Thessalienne, les Athéniens avoient autrefois reçu du secours des Thessaliens contre la tyrannie des Pisistratides.

Ils avoient aussi des chansons pour les diverses professions: telles étoient les chansons des bergers, dont une espece appellée bucoliasme, étoit le véritable chant de ceux qui conduisoient le bétail; & l'autre, qui est proprement la pastorale, en étoit l'agréable imitation: la chanson des moissonneurs, appellée le lytierse, du nom d'un fils de Midas qui s'occupoit par goût à faire la moisson: la chanson des meuniers, appellée hymëe ou épiaulie, comme celle - ci tirée de Plutarque: Moulez, meule; moulez; car Pittacus qui regne dans l'auguste Mytilene, aime à moudre; parce que Pittacus étoit grand mangeur: la chanson des tisserands, qui s'appelloit eline: la chanson jule des ouvriers en laine: celle des nourrices, qui s'appelloit catabaucalese ou nunnie: la chanson des amans, appellée nomion: celle des femmes, appellée calycé, & harpalyce celle des filles; ces deux dernieres étoient aussi des chansons d'amour.

Pour des occasions particulieres, ils avoient la chanson des noces, qui s'appelloit hyménée, épithalame: la chanson de Datis, pour des occasions joyeuses: les lamentations, l'ialéme & le linos, pour des occasions funebres & tristes: ce linos se chantoit aussi chez les Egyptiens, & s'appelloit par eux maneros, du nom d'un de leurs princes. Par un passage d'Euripide cité par Athénée, on voit que le linos pouvoit aussi marquer la joie.

Enfin il y avoit encore des hymnes ou chansons en l'Honneur des dieux & des héros: telles étoient les jules de Cérès & de Proserpine, la philélie d'Apollon, les upinges de Diane, &c. (S)

Ce genre passa des Grecs aux Latins; plusieurs des odes d'Horace sont des chansons galantes ou bacchiques. (B)

Les modernes ont aussi leurs chansons de différentes especes selon le génie & le caractere de chaque nation: mais les François l'emportent sur tous les peuples de l'Europe, pour le sel & la grace de leurs chansons: ils se sont toûjours plûs à cet amusement, & y ont toûjours excellé; témoin les anciens Troubadours. Nous avons encore des chansons de Thibaut comte de Champagne. La Provence & le Languedoc n'ont point dégénéré de leur premier talent: on voit toûjours régner dans ces provinces un air de gaieté qui les porte au chant & à la danse: un provençal menace son ennemi d'une chanson, comme un Italien menaceroit le sien d'un coup de stylet; chacun a ses armes. Les autres pays ont aussi leurs provinces chansonnieres: en Angleterre, c'est l'Ecosse; en Italie, c'est Venise.

L'usage établi en France d'un commerce libre entre les femmes & les hommes, cette galanterie aisée qui regne dans les sociétés, le mêlange ordinaire des deux sexes dans tous les repas, le caractere même d'esprit des Francois, ont dû porter rapidement chez eux ce genre à sa perfection. (B)

Nos chansons sont de plusieurs especes; mais en général elles roulent ou sur l'amour, ou sur le vin, ou sur la satyre: les chansons d'amour sont les airs tendres, qu'on appelle encore airs sérieux: les romances, dont le caractere est d'émouvoir l'ame par le récit tendre & naïf de quelqu'histoire amoureuse & tragique; les chansons pastorales, dont plusieurs sont faites pour danser, comme les musettes, les gavottes, les branles, &c. (S)

On ne connoît guere les auteurs des paroles de nos chansons francoises: ce sont des morceaux peu réfléchis, sortis de plusieurs mains, & que pour la plûpart le plaisir du moment a fait naître: les musiciens qui en ont fait les airs sont plus connus, parce' qu'ils en ont laissé des recueils complets; tels sont les livres de Lambert, de Dubousset, &c.

Cette sorte d'ouvrage perpétue dans les repas le plaisir à qui il doit sa naissance. On chante indifféremment à table des chansons tendres, bacchiques, &c. Les étrangers conviennent de notre supériorité en ce genre: le François débarrassé de soins, hors du tourbillon des affaires qui l'a entraîné toute la journée, se délasse le soir dans des soupers aimables de la fatigue & des embarras du jour: la chanson est son égide contre l'ennui; le vaudeville est son arme offensive contre le ridicule: il s'en sert aussi quelquefois comme d'une espece de soulagement des pertes ou des revers qu'il essuie; il est satisfait de ce dédommagement; dès qu'il a chanté, sa haine ou sa vengeance expirent. (B)

Les chansons à boire sont assez communément des airs de basse, ou des rondes de table. Nous avons encore une espece de chanson qu'on appelle parodie; ce sont des paroles qu'on ajuste sur des airs de violon ou d'autres instrumens, & que l'on fait rimer tant bien que mal, sans avoir d'égard à la mesure des vers.

La vogue des parodies ne peut montrer qu'un très - mauvais goût; car outre qu'il faut que la voix excede & passe de beaucoup sa juste portée pour chanter des airs faits pour les instrumens: la rapidité avec laquelle on fait passer des syllabes dures & chargées de consonnes, sur des doubles croches & des intervalles difficiles, choque l'oreille très desagréablement. Les Italiens, dont la langue est bien plus douce que la nôtre, prodiguent à la vérité les vîtesses dans les roulades; mais quand la voix a quelques syllabes à articuler, ils ont grand soin de la faire marcher plus posément, & de maniere à rendre les mots aisés à prononcer & à entendre. (S)

CHANT (Page 3:140)

CHANT, . m. (Musique.) est en général une sorte de modification de la voix, par laquelle on forme des sons variés & apprétiables. Il est très - difficile de déterminer en quoi le son qui forme la parole, differe du son qui forme le chant. Cette différence est certaine; mais on ne voit pas bien précisément en quoi elle consiste. Il ne manque peut - être que la permanence aux sons qui forment la parole, pour former un véritable chant: il paroît aussi que les diverses inflexions qu'on donne à sa voix en parlant, forment des intervalles qui ne sont point har<pb-> [p. 141] moniques, qui ne font point partie de nos systèmes de Musique, & qui par conséquent ne peuvent être exprimés en notes.

Chant, appliqué plus particulierement à la Musique, se dit de toute musique vocale; & dans celle qui est mêlée d'instrumens, on appelle partie de chant toutes celles qui sont destinées pour les voix. Chant se dit aussi de la maniere de conduire la mélodie dans toutes sortes d'airs & de pieces de musique. Les chants agréables frappent d'abord; ils se gravent facilement dans la mémoire: mais peu de compositeurs y réussissent. Il y a parmi chaque nation des tours de chant usés, dans lesquels la plûpart des compositeurs retombent toûjours. Inventer des chants nouveaux, n'appartient qu'à l'homme de génie; trouver de beaux chants, appartient à l'homme de goût. (S)

Le chant est l'une des deux premieres expressions du sentiment, données par la nature. Voyez Geste.

C'est par les différens sons de la voix que les hommes ont dû exprimer d'abord leurs différentes sensations. La nature leur donna les sons de la voix, pour peindre à l'extérieur les sentimens de douleur, de joie, de plaisir dont ils étoient intérieurement affectés, ainsi que les desirs & les besoins dont ils étoient pressés. La formation des mots succéda à ce premier langage. L'un fut l'ouvrage de l'instinct, l'autre fut une suite des opérations de l'esprit. Tels on voit les enfans exprimer par des sons vifs ou tendres, gais ou tristes, les différentes situations de leur ame. Cette espece de langage, qui est de tous les pays, est aussi entendu par tous les hommes, parce qu'il est celui de la nature. Lorsque les enfans viennent à exprimer leurs sensations par des mots, ils ne sont entendus que des gens d'une même langue, parce que les mots sont de convention, & que chaque société ou peuple a fait sur ce point des conventions particulieres.

Ce chant naturel dont on vient de parler, s'unit dans tous les pays avec les mots: mais il perd alors une partie de sa force; le mot peignant seul l'affection qu'on veut exprimer, l'inflexion devient parlà moins nécessaire, & il semble que sur ce point, comme en beaucoup d'autres, la nature se repose, lorsque l'art agit. On appelle ce chant, acceru. Il est plus ou moins marqué, selon les climats. Il est presqu'insensible dans les tempérés; & on pourroit aisément noter comme une chanson, celui des différens pays méridionaux. Il prend toûjours la teinte, si on peut parler ainsi, du tempérament des diverses nations. Voyez Accent.

Lorsque les mots furent trouvés, les hommes qui avoient déjà le chant, s'en servirent pour exprimer d'une facon plus marquée le plaisu & la joie. Ces sentimens qui remuent & agitent l'ame d'une maniere vive, dûrent nécessairement se peindre dans le chant avec plus de vivacité que les sensations ordinaires; de - là cette différence que l'on trouve entre le chant du langage commun, & le chant musical.

Les regles suivirent long - tems après, & on réduisit en art ce qui avoit été d'abord donné par la nature; car rien n'est plus naturel à l'homme que le chant, même musical: c'est un soulagement qu'une espece d'instinct lui suggere pour adoucir les peines, les ennuis, les travaux de la vie. Le voyageur dans une longue route, le laboureur au milieu des champs, le matelot sur la mer, le berger en gardant ses troupeaux, l'artisan dans son attelier, chantent tous comme machinalement; & l'ennui, la fatigue, sont suspendus ou disparoissent.

Le chant consacré par la nature pour nous distraire de nos peines, ou pour adoucir le sentiment de nos fatigues, & trouvé pour exprimer la joie, servit bientôt après pour célébrer les actions de graces que les hommes rendirent à la Divinité; & une fois établi pour cet usage, il passa rapidement dans les fêtes publiques, dans les triomphes, & dans les festins, &c. La reconnoissance l'avoit employé pour rendre hommage à l'Être suprême; la flatterie le fit servir à la louange des chefs des nations, & l'amour à l'expression de la tendresse. Voilà les différentes sources de la Musique & de la Poéfie. Le nom de Poéte & de Musicien furent longtems communs à tous ceux qui chanterent & à tous ceux qui sirent des vers.

On trouve l'usage du chant dans l'antiquité la plus reculée. Enos commença le premier à chanter les loüanges de Dieu, Genese 4. & Laban se plaint à Jacob son gendre, de ce qu'il lui avoit comme enlevé ses filles, sans lui laisser la consolation de les accompagner au son des chansons & des instrumens. Gen. 31.

Il est naturel de croire que le chant des oiseaux, les sons différens de la voix des animaux, les bruits divers excités dans l'air par les vents, l'agitation des feuilles des arbres, le murmure des eaux, servirent de modele pour regler les différens tons de la voix. Les sons étoient dans l'homme: il entendit chanter; il fut frappé par des bruits; toutes ses sensations & son instinct le porterent à l'imitation. Les concerts de voix furent donc les premiers. Ceux des instrumens ne vinrent qu'ensuite, & ils furent une seconde imitation: car dans tous les instrumens connus, c'est la voix qu'on a voulu imiter. Nous en devons l'invention à Jubal fils de Lamech. Ipse fuis pater canentium citharâ & organo. Gen. 4. Dès que le premier pas est fait dans les découvertes utiles ou agréables, la route s'élargit & devient aisée. Un instrument trouvé une fois, a dû fournir l'idée de mille autres. Voyez - en les différens noms à chacun de leurs articles.

Parmi les Juifs, le cantique chanté par Moyse & les enfans d'Israel, après le passage de la mer Rouge, est la plus ancienne composition en chant qu'on connoisse.

Dans l'Egypte & dans la Grece, les premiers chants connus furent des vers en l'honneur des dieux, chantés par les poëtes eux - mêmes. Bientôt adoptés par les prêtres, ils passerent jusqu'aux peuples, & de - là prirent naissance les concerts & les choeurs de Musique. Voyez Churs & Concert.

Les Grecs n'eurent point de poésie qui ne fût chantée; la lyrique se chantoit avec un accompagnement d'instrumens, ce qui la fit nommer mélique. Le chant de la poésie épique & dramatique étoit moins chargé d'inflexions, mais il n'en étoit pas moins un vrai chant; & lorsqu'on examine avec attention tout ce qu'ont écrit les anciens sur leurs poésies, on ne peut pas révoquer en doute cette vérité. Voyez Opera. C'est donc au propre qu'il faut prendre ce qu'Homere, Hésiode, &c. ont dit au commencement de leurs poëmes. L'un invite sa muse à chanter la fureur d'Achille; l'autre va chanter les Muses elles - mêmes, parce que leurs ouvrages n'étoient faits que pour être chantés. Cette expression n'est devenue figure que chez les Latins, & depuis parmi nous.

En effet, les Launs ne chanterent point leurs poésies; à la réserve de quelques odes & de leurs tragédies, tout le reste fut récité. César disoit à un poëte de son tems qui lui faisoit la lecture de quelqu'un de ses ouvrages: Vous chantez mal si vous prétendez chanter; & si vous prétendez lire, vous lisez mal: vous chantez.

Les inflexions de la voix des animaux sont un vrai chant formé de tons divers, d'intervalles, &c. & il est plus ou moins mélodieux, selon le plus ou le

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