ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

RECHERCHE Accueil Mises en garde Documentation ATILF ARTFL Courriel

Previous page

"802"> commerce ensemble; conjecture qu'ils établissent sur la naissance de Seth, leur troisieme fils, que Moyse ne leur donne qu'à l'âge de cent trente ans. Mais à parler juste, il n'y a qu'Abel à qui l'on puisse attribuer l'honneur d'avoir gardé le célibat pendant toute la vie. Savoir si son exemple fut imité dans les générations suivantes; si les fils de Dieu qui se laisserent corrompre par les filles des hommes, n'étoient point une espece de religieux, qui tomberent dans le desordre, c'est ce que l'on ne sauroit dire; la chose n'est pas impossible. S'il est vrai qu'il y eût alors des femmes qui affectoient la stérilité, comme il paroît par un fragment du prétendu livre d'Enoch, il pouvoit bien y avoir eu aussi des hommes qui en fissent profession: mais les apparences n'y sont pas favorables. Il étoit question alors de peupler le monde; la loi de Dieu & celle de la nature imposoient à toutes sortes de personnes une espece de nécessité de travailler à l'augmentation du genre humain; & il est à présumer que ceux qui vivoient dans ce tems - là, se faisoient une affaire principale d'obéir à ce précepte. Tout ce que l'histoire nous apprend, dit M. Morin, des Patriarches de ces tems - là, c'est qu'ils prenoient & donnoient des femmes; c'est qu'ils mirent au monde des fils & des filles, & puis moururent, comme s'ils n'avoient eu rien de plus important à faire.

Ce fut à peu près la même chose dans les premiers fiecles qui suivirent le déluge. Il y avoit beaucoup à défricher, & peu d'ouvriers; c'étoit à qui engendreroit le plus. Alors l'honneur, la noblesse, la puissance des hommes cónsistoient dans le nombre des enfans; on étoit sûr par - là de s'attirer une grande considération, de se faire respecter de ses voisins, & d'avoir une place dans l'histoire. Celle des Juifs n'a pas oublié le nom de Jaïr, qui avoit trente fils dans le service; ni celle des Grecs, les noms de Danaüs & d'Egyptus, dont l'un avoit cinquante fils, & l'autre cinquante filles. La stérilité passoit alors pour une espece d'infamie dans les deux sexes, & pour une marque non équivoque de la malédiction de Dieu; au contraire, on regardoit comme un témoignage authentique de sa bénédiction, d'avoir autour de sa table un grand nombre d'enfans. Le célibat étoit une espece de péché contre nature: aujourd'hui, ce n'est plus la même chose.

Moyse ne laissa guere aux hommes la liberté de se marier ou non. Lycurgue nota d'infamie les célibataires. Il y avoit même une solemnité particuliere à Lacédémone, où les femmes les produisoient tous nuds aux piés des autels, & leur faisoient faire à la nature une amende honorable, qu'elles accompagnoient d'une correction très - severe. Ces républicains pousserent encore les précautions plus loin, en publiant des reglemens contre ceux qui se marioient trop tard, O)YIGAMI/A, & contre les maris qui n'en usoient pas bien avec leurs femmes, KAKOGAMI/A.

Dans la suite des tems, les hommes étant moins rares, on mitigea ces loix pénales. Platon tolere dans sa république le célibat jusqu'à trente - cinq ans: mais passé cet âge, il interdit seulement les célibataires des emplois, & leur marque le dernier rang dans les cérémonies publiques. Les lois Romaines qui succederent aux greques, furent aussi moins rigoureuses contre le célibat: cependant les censeurs étoient chargés d'empêcher ce genre de vie solitaire, préjudiciablo à l'état, coelibes esse prohibento. Pour le rendre odieux, ils ne recevoient les célibataires ni à tester, ni à rendre témoignage; & voici la premiere question que l'on faisoit à ceux qui se présentoient pour prêter serment: ex animi tui sententiâ, tu equum habes, tu uxorem habes? à votre ame & conscience, avez - vous un cheval, avez - vous une femme? mais les Romains ne se contentoient pas de les affliger dans ce monde, leurs Théologiens les menaçoient aussi de peines extraordinaires dans les enfers. Extrema omnium calamitas & impietas accidit illi qui absque filiis à vita discedit, & doemonibus maximas dat poenas post obitum. C'est la plus grande des impiétés, & le dernier des malheurs, de sortir du monde sans y laisser des enfans; les démons font souffrir à ces gens - là de cruelles peines après leur mort.

Malgré toutes ces précautions temporelles & spirituelles, le célibat ne laissoit pas de faire son chemin; les lois mêmes en sont une preuve. On ne s'avise pas d'en faire contre des desordres qui ne subsistent qu'en idée; savoir par où & comment celui - ci commença, l'histoire n'en dit rien: il est à présumer que de simples raisons morales, & des goûts particuliers, l'emporterent sur tant de lois pénales, bursales, infamantes, & sur les inquiétudes de la conscience. Il fallut sans doute dans les commencemens des motifs plus pressans, de bonnes raisons physiques; telles étoient celles de ces tempéramens heureux & sages, que la nature dispense de réduire en pratique la grande regle de la multiplication: il y en a eu dans tous les tems. Nos auteurs léur donnent des titres flétrissans: les Orientaux au contraire les appellent eunuques du soleil, eunuques du ciel, faits par la main de Dieu, qualités honorables, qui doivent non - seulement les consoler du malheur de leur état, mais encore les autoriser devant Dieu & devant les hommes à s'en glorifier, comme d'une grace spéciale, qui les décharge d'une bonne partie des sollicitudes de la vie, & les transporte tout d'un coup au milieu du chemin de la vertu.

Mais sans examiner sérieusement si c'est un avantage ou un desavantage, il est fort apparent que ces béats ont été les premiers à prendre le parti du célibat: ce genre de vie leur doit sans doute son origine, & peut - être sa dénomination; car les Grecs appelloient les invalides dont il s'agit KOLOBOI\, qui n'est pas êloigné de coelibes. En effet le célibat étoit le seul parti que les KOLOBOI\ eussent à prendre pour obéir aux ordres de la nature, pour leur repos, pour leur honneur, & dans les regles de la bonne foi: s'ils ne s'y déterminoient pas d'eux mêmes, les lois leur en imposoient la nécessité: celle de Moyse y étoit expresse. Les lois des autres nations ne leur étoient guere plus favorables: si elles leur permettoient d'avoir des femmes, il étoit aussi permis aux femmes de les abandonner.

Les hommes de cet état équivoque & rare dans les commencemens, également méprisés des deux sexes, se troùverent exposés à plusieurs mortifications, qui les réduisirent à une vie obscure & retirée: mais la nécessité leur suggéra bientôt différens moyens d'en sortir, & de se rendre recommandables: dégagés des mouvemens inquiets de l'amour étranger & de l'amour - propre, ils s'assujettirent aux volontés des autres avec un dévouement singulier; & ils furent trouvés si commodes, que tout le monde en voulut avoir: ceux qui n'en avoient point, en firent par une opération hardie & des plus inhumaines: les peres, les maîtres, les souverains, s'arrogerent le droit de réduire leurs enfans, leurs esclaves, leurs sujets, dans cet état ambigu; & le monde entier qui ne connoissoit dans le commencement que deux sexes, fut étonné de se trouver insensiblement partagé en trois portions à peu près égales.

A ces célibats peu volontaires il en succéda de libres, qui augmenterent considérablement le nombre des premiers. Les gens de lettres & les philosophes par goût, les athletes, les gladiateurs, les musiciens, par raison d'état, une infinité d'autres par libertinage, quelques - uns par vertu, prirent un parti que Diogene trouvoit si doux, qu'il s'étonnoit que sa ressource ne devînt pas plus à la mode. Quelques professions y étoient obligées, telles que celle de tein<pb-> [p. 803] ctre en écarlate, baphiarü. L'ambition & la politique grossirent encore le corps des célibataires: ces hommes bisarres furent ménagés par les grands mêmes, avides d'avoir place dans leur testament; & par la raison contraire, les peres de famille dont on n'espéroit rien, furent oubliés, négligés, méprisés.

Nous avons vû jusqu'à présent le célibat interdit, ensuite toléré, puis approuvé, enfin préconisé: il ne tarda pas à devenir une condition essentielle dans la plûpart de ceux qui s'attacherent au service des autels. Melchisedech fut un homme sans famille & sans généalogie. Ceux qui se destinerent au service du temple & au culte de la loi, furent dispensés du mariage. Les filles eurent la même liberté. On assûre que Moyse congédia sa femme quand il eut reçû la loi des mains de Dieu. Il ordonna aux sacrificateurs dont le tour d'officier à l'autel approcheroit, de se séquestrer de leurs femmes pendant quelques jours. Après lui les prophetes Elie, Elisée, Daniel & ses trois compagnons, vécurent dans la continence. Les Nazaréens, & la plus saine partie des Esseniens, nous sont représentés par Josephe comme une nation merveilleuse, qui avoit trouvé le secret que Metellus Numidicus ambitionnoit, de se perpétuer sans mariage, sans accouchement, & sans aucun commerce avec les femmes.

Chez les Egyptiens les prêtres d'Isis, & la plûpart de ceux qui s'attachoient au service de leurs divinités, faisoient profession de chasteté; & pour plus de sûreté ils y étoient préparés dès leur enfance par des chirurgiens. Les Gymnosophistes, les Brachmanes, les Hiérophantes des Athéniens, une bonne partie des disciples de Pythagore, ceux de Diogene, les vrais Cyniques, & en général tous ceux & toutes celles qui se dévoüoient au service des déesses, en usoient de la même maniere. Il y avoit dans la Thrace une société considérable de religieux célibataires, appellés KTIS2AI\ ou créateurs, de la faculté de se produire sans le secours des femmes. L'obligation du célibat étoit imposée chez les Perses aux filles destinées au service du soleil. Les Athéniens ont eu une maison de vierges. Tout le monde connoît les vestales Romaines. Chez nos anciens Gaulois, neuf vierges qui passoient pour avoir reçû du ciel des lumieres & des graces extraordinaires, gardoient un oracle fameux dans une petite île nommée Sené, sur les côtes de l'Armorique. Il y a des auteurs qui prétendent même que l'île entiere n'étoit habitée que par des filles, dont quelques - unes faisoient de tems en tems des voyages sur les côtes voisines, d'où elles rapportoient de petits embryons pour conserver l'espece. Toutes n'y alloient pas: il est à présumer, dit M. Morin, que le sort en décidoit, & que celles qui avoient le malheur de tirer un billet noir, étoient forcées de descendre dans la barque fatale qui les exposoit sur le continent. Ces filles consacrées étoient en grande vénération: leur maison avoit des priviléges singuliers, entre lesquels on peut compter celui de ne pouvoir être châtiées pour un crime, sans avoir avant toute chose perdu la qualité de fille.

Le célibat a eu ses martyrs chez les payens, & leurs histoires & leurs fables sont pleines de filles qui ont généreusement préféré la mort à la perte de l'honneur. L'aventure d'Hippolite est connue, ainsi que sa résurrection par Diane, patrone des célibataires. Tous ces faits, & une infinité d'autres, étoient soûtenus par les principes de la croyance. Les Grecs regardoient la chasteté commeune grace surnaturelle; les sacrifices n'étoient point censés complets, sans l'intervention d'une vierge: ils pouvoient bien être commencés, libare: mais ils ne pouvoient être consommés sans elles, litare. Ils avoient sur la virginité des propos magnifiques, des idées sublimes, des spéculations d'une grande beauté: mais en approfon<cb-> dissant la conduite secrete de tous ces célibataires, & de tous ces virtuoses du paganisme, on n'y découvre, dit M. Morin, que desordres, que forfanterie, & 'hypocrisie. A commencer par leurs déesses, Vesta la plus ancienne étoit représentée avec un enfant; où l'avoit - elle pris? Minerve avoit par - dever elle Erichtonius, une aventure avec Vulcain, & des temples en qualité de mere. Diane avoit son chevalier Virbius, & son Endimion: le plaisir qu'elle pre, noit à contempler celui - ci endormi, en dit beaucoups & trop pour une vierge. Myrtilus accuse les muse de complaisances fortes pour un certain Mégalion, & leur donne à toutes des enfans qu'il nomme nom par nom. C'est peut - être pour cette raison que l'abbé Cartaud les appelle, les filles de l'opéra de Jupiter. Les dieux vierges ne valoient guere mieux que les déesses, témoins Apollon & Mercure.

Les prêtres, sans en excepter ceux de Cybele, ne passoient pas dans le monde pour des gens d'une conduite bien réguliere: on n'enterroit pas vives toutes les vestales qui péchoient. Pour l'honneur de leurs philosophes, M. Morin s'en taît, & finit ainsi l'histoire du célibat, tel qu'il étoit au berceau, dans l'enfance, entre les bras de la nature; état bien différent du haut degré de perfection où nous le voyons aujourd'hui: changement qui n'est pas étonnant; celui - ci est l'ouvrage de la grace & du Saint - Esprit; celui - là n'étoit que l'avorton imparfait d'une nature déréglée, dépravée, débauchée, triste rebut du mariage & de la virginité. Voyez les Mémoires de l'Académie des Inscriptions, tome IV. page 308. Hist. critiq. du célibat. Tout ce qui précede n'est absolument que l'analyse de ce mémoire: nous en avons retranché quelques endroits longs; mais à peine nous sommes - nous accordé la liberté de changer une seule expression dans ce que nous en avons employé: il en sera de même dans la suite de cet article: nous ne prenons rien sur nous; nous nous contentons seulement de rapporter fidelement, non - seulement les opinions; mais les discours même des auteurs, & de ne puiser ici que dans des sources approuvées de tous les honnêtes gens. Après avoir montré ce que l'histoire nous apprend du célibat, nous allons maintenant envisager cet état avec les yeux de la Philosophie, & exposer ce que différens écrivains ont pensé sur ce sujet.

Ducélibat considéré en lui - même. 1°. Eû égard à l'espece humaine. Si un historien ou quelque voyageur nous faisoit la description d'un être pensant, parfaitement isolé, sans supérieur, sans égal, sans inférieur, à l'abri de tout ce qui pourroit émouvoir les passions, seul en un mot de son espece; nous dirions sans hésiter que cet être singulier doit être plongé dans la mélancholie: car quelle consolation pourroit - il rencontrer dans un monde qui ne seroit pour lui qu'une vaste solitude? Si l'on ajoûtoit que malgré les apparences il joüit de la vie, sent le bonheur d'exister, & trouve en lui - même quelque félicité; alors nous pourrions convenir que ce n'est pas tout - à - fait un monstre, & que relativement à lui - même sa constitution n'est pas entierement absurde: mais nous n'irions jamais jusqu'à dire qu'il est bon. Cependant si l'on insistoit, & qu'on objectât qu'il est parfait dans son genre, & conséquemment que nous lui refusons à tort l'épithete de bon; car qu'importe qu'il ait quelque chose ou qu'il n'ait rien à démêler avec d'autres? il faudroit bien franchir le mot, & reconnoître que cet être est bon, s'il est possible toutefois qu'il soit parfait en lui - même, sans avoir aucun rapport, aucune liaison avec l'univers dans lequel il est placé.

Mais si l'on venoit à découvrir à la longue quelque système dans la nature dont l'espece d'automate en question pût être considéré comme faisant partie; si l'on entrevoyoit dans sa structure des liens qui

Next page


The Project for American and French Research on the Treasury of the French Language (ARTFL) is a cooperative enterprise of Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française (ATILF) of the Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), the Division of the Humanities, the Division of the Social Sciences, and Electronic Text Services (ETS) of the University of Chicago.

PhiloLogic Software, Copyright © 2001 The University of Chicago.