ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"804"> l'attachassent à des êtres semblables à lui; si sa conformation indiquoit une chaine de creatures utiles, qui ne pût s'accroître & s'éterniser que par l'emploi des facultés qu'il auroit reçûes de la nature; il perdroit incontinent le titre de bon dont nous l'avons décoré: car comment ce titre conviendroit il à un individu, qui par son inaction & sa solitude tendroit aussi directement à la ruine de son espece? La conservation de l'espece n'est - elle pas un des devoirs essentiels de l'individu? & tout individu qui raisonne & qui est bien conformé, ne se rend - t - il pas coupable en manquant à ce devoir, à moins qu'il n'en ait été dispensé par quelqu'autorité supérieure à celle de la nature? Voyez l'Essai sur le mérite & sur la vertu.

J'ajoûte, à moins qu'il n'en ait été dispensé par quelqu'autorité supérieure à celle de la nature, afin qu'il soit bien clair qu'il ne s'agit nullement ici du célibat consacré par la religion; mais de celui que l'imprudence, la misanthropie, la légereté, le libertinage, forment tous les jours; de celui où les deux sexes se corrompant par les sentimens naturels mêmes, ou étousfant en eux ces sentimens sans aucune nécessité, fuient une union qui doit les rendre meilleurs, pour vivre, soit dans un éloignement stérile, soit dans des unions qui les rendent toûjours pires. Nous n'ignorons pas que celui qui a donné à l'homme tous ses membres, peut le dispenser de l'usage de quelques - uns, ou même lui défendre cet usage, & témoigner que ce sacrifice lui est agréable. Nous ne nions point qu'il n'y ait une certaine pureté corporelle, dont la nature abandonnée à elle - même ne se seroit jamais avisée, mais que Dieu a jugée nécessaire pour approcher plus dignement des lieux saints qu'il habite, & vaquer d'une maniere plus spirituelle au ministere de ses autels. Si nous ne trouvons point en nous le germe de cette pureté, c'est qu'elle est, pour ainsi dire, une vertu révélée & de foi.

Du célibat considéré 2°. eu égard à la société. Le célibat que la religion n'a point sanctifié, ne peut pas être contraire à la propagation de l'espece humaine, ainsi que nous venons de le démontrer, sans être nuisible à la société. Il nuit à la société en l'appauvrissant & en la corrompant. En l'appauvrissant, s'il est vrai, comme on n'en peut guere douter, que la plus grande richesse d'un état consiste dans le nombre des sujets; qu'il faut compter la multitude des mains entre les objets de premiere nécessité dans le commerce; & que de nouveaux citoyens ne pouvant devenir tous soldats, par la balance de paix de l'Europe, & ne pouvant par la bonne police, croupir dans l'oisiveté, travailleroient les terres, peupleroient les manufactures, ou deviendroient navigateurs. En la corrompant, parce que c'est une regle tirée de la nature, ainsi que l'illustre auteur de l'esprit des lois l'a bien remarqué, que plus on diminue le nombre des mariages qui pourroient se faire, plus on nuit à ceux qui sont faits; & que moins il y a de gens mariés, moins il y a de fidélité dans les mariages, comme lorsqu'il y a plus de voleurs, il y a plus de vols. Les anciens connoissoient si bien ces avantages, & mettoient un si haut prix à la faculté naturelle de se marier & d'avoir des enfans, que leurs lois avoient pourvû à ce qu'elle ne fût point ôtée. Ils regardoient cette privation comme un moyen certain de diminuer les ressources d'un peuple, & d'y accroître la débauche. Aussi quand on recevoit un legs à condition de garder le célibat, lorsqu'un patron faisoit jurer son affranchi qu'il ne se marieroit point, & qu'il n'auroit point d'enfant, la loi Pappienne annulloit chez les Romains & la condition & le serment. Ils avoient conçû que là où le célibat auroit la prééminence, il ne pouvoit guere y avoir d'honneur pour l'état du mariage; & conséquemment parmi leurs lois, on n'en rencontre aucune qui contienne une abrogation expresse des priviléges & des honneurs qu'ils avoient accordés aux mariages & au nombre des enfans.

Du célibar considéré 3°. eû égard à la société chrétienne. Le culte des dieux demandant une attention continuelle & une pureté de corps & d'ame singuliere, la plûpart des peuples ont été portés à faire du clergé un corps séparé; ainsi chez les Egyptiens, les Juifs & les Perses, il y eut des familles consacrées au service de la divinité & des temples. Mais on ne pensa pas seulement à éloigner les ecclésiastiques des affaires & du commerce des mondains; il y eut des religions où l'on prit encore le parti de leur ôter l'embarras d'une famille. On prétend que tel a été particulierement l'esprit du Christianisme, même dans son origine. Nous allons donner une exposition abregée de sa discipline, afin que le lecteur en puisie juger par lui - même.

Il faut avoüer que la loi du célibat pour les évêques, les prêtres, & les diacres, est aussi ancienne que l'Eglise. Cependant il n'y a point de loi divine écrite qui défende d'ordonner prêtres des personnes mariées, ni aux prêtres de se marier. Jesus - Christ n'en a fait aucun précepte; ce que S. Paul dit dans ses épîtres à Timothée & à Tite sur la continence des évêques & des diacres, tend seulement à défendre à l'évêque d'avoir plusieurs femmes en même tems ou successivement; oportet episcopum esse unius uxoris virum. La pratique même des premiers siecles de l'Eglise y est formelle: on ne faisoit nulle difficulté d'ordonner prêtres & évêques des hommes mariés; il étoit seulement défendu de se marier après la promotion aux ordres, ou de passer à d'autres nôces, après la mort d'une premiere femme. Il y avoit une exception particuliere pour les veuves. On ne peut nier que l'esprit & le voeu de l'Eglise n'ayent été que ses principaux ministres vécussent dans une grande continence, & qu'elle a toûjours travaillé à en établir la loi; cependant l'usage d'ordonner prêtres des personnes mariées a subsisté & subsiste encore dans l'Eglise Greque, & n'a jamais été positivement improuvé par l'Eglise Latine.

Quelques - uns croyent que le troisieme canon du premier concile de Nicée, impose aux clercs majeurs, c'est - à - dire, aux évêques, aux prêtres, & aux diacres, l'obligation du célibat. Mais le P. Alexandre prouve dans une differtation particuliere, que le concile n'a point prétendu interdire aux clercs le commerce avec les femmes qu'ils avoient épousées avant leur ordination; qu'il ne s'agit dans le canon objecté que des femmes nommées subintroductoe & agapetoe, & non des femmes légitimes; & que ce n'est pas seulement aux clercs majeurs, mais aussi aux clercs inférieurs que le concile interdit la cohabitation avec les agapetes: d'où ce savant Théologien conclut que c'est le concubinage qu'il leur défend, & non l'usage du mariage légitimement contracté avant l'ordination. Il tire même avantage de l'histoire de Paphenuce si connue, & que d'autres auteurs ne paroissent avoir rejettée comme une fable, que parce qu'elle n'est aucunement favorable au célibat du clergé.

Le concile de Nicée n'a donc, selon toute apparence, parlé que des mariages contractés depuis l'ordination, & du concubinage: mais le neuvieme canon du concile d'Ancyre permet expressément à ceux qu'on ordonneroit diacres, & qui ne seroient pas mariés, de contracter mariage dans la suite; pourvû qu'ils eussent protesté dans le tems de l'ordination, contre l'obligation du célibat. Il est vrai que cette indulgence ne fut étendue ni aux évêques ni aux prêtres, & que le concile de Neocoesarée tenu peu de tems après celui d'Ancyre, prononce formellement: presbyterum, si uxorem acceperit, ab ordine deponendum, quoique le mariage ne fût pas nul, selon la remarque du P. Thomassin. Le concile in Trullo tenu l'an [p. 805] 692, confirma dans son xiii. canon l'usage de l'Eglise Greque, & l'Eglise Latine n'exigea point au concile de Florence qu'elle y renonçât. Cependant il ne faut pas celer que plusieurs des prêtres Grecs sont moines, & gardent le célibat; & que l'on oblige ordinairement les patriarches & les évêques de faire profession de la vie monastique, avant que d'être ordonnés. Il est encore à propos de dire qu'en Occident le célibat fut prescrit aux clercs par les decrets des papes Sirice & Innocent; que celui du premier est de l'an 385; que S. Léon étendit cette loi aux soûdiacres; que S. Gregoire l'avoit imposée aux diacres de Sicile; & qu'elle fut confirmée par les conciles d'Elvire sur la fin du iiie siecle, canon xxxiii. de Tolede, en l'an 400; de Carthage, en 419, canon iii. & iv. d'Orange, en 441, canon xxii. & xxiii. d'Arles, en 452; de Touis, en 461; d'Agde, en 506; d'Orléans, en 538; par les capitulaires de nos rois, & divers conciles tenus en Occident; mais principalement par le concile de Trente; quoique sur les représentations de l'Empereur, du duc de Baviere, des Allemands, & même du roi de France, on n'ait pas laissé d'y proposer le mariage des prêtres, & de le solliciter auprès du pape, après la tenue du concile. Leur célibat avoit eu long - tems auparavant des adversaites: Vigilance & Jovien s'étoient élevés contre sous S. Jérôme: Wiclef, les Hussites, les Bohémiens, Luther, Calvin, & les Anglicans, en ont secoüé le joug; & dans le tems de nos guerres de religion, le cardinal de Chatillon, Spifame, évêque de Nevers, & quelques ecclésiastiques du second ordre, oserent se marier publiquement; mais ces exemples n'eurent point de suite.

Lorsque l'obligation du célibat fut générale dans l'Eglise catholique, ceux d'entre les ecclésiastiques qui la violerent, surent d'abord interdits pour la vie des fonctions de leur ordre, & mis au rang des laïques. Justinien, leg. 45. cod. de episcop. & cler. voulut er suite que leurs enfans sussent illégitimes, & incapables de succéder & de recevoir des legs: enfin il fut ordonné que ces mariages seroient cassés, & les parties mises en pénitence; d'où l'on voiz comment l'infraction est devenue plus grave, à mesure que la loi s'est invétérée. Dans le commencement s'il arrivoit qu'unprêtre se mariât, il étoit déposé, & le mariage subsistoit; à la longue, les ordres furent considérés comme un empéchement dirimant au mariage: aujourd'hui un clere simple tonsuré qui se marie, ne joüit plus des priviléges des ecclésiastiques, pour la jurisdiction & l'exemption des charges publiques. Il est censé avoir renoncé par le mariage à la cléricature & à ses droits. Fleury, Inst. au Droit ecclés. tom. I. Anc. & nouv. discipline de l'Eglise du P. Thomassin.

Il s'ensuit de cet historique, dit feu M. l'abbé de S. Pierre, pour parler non en controversiste, mais en simple politique chrétien, & en simple citoyen d'une société chrétienne, que le célibat des prétres n'est qu'un point de discipline; qu'il n'est point essentiel à la religion chrétienne; qu'il n'a jamais été regardé comme un des fondemens du schisme que nous avons avec les Grecs & les Protestans; qu'il a été libre dans l'Eglise Latine: que l'Eglise ayant le pouvoir de changer tous les points de discipline d'institution humaine; si les états de l'Eglise catholique recevoient de grands avantages de rentrer dans cette ancienne liberté, sans en recevoir aucun dommage effectif, il seroit à souhaiter que cela fût; & que la question de ces avantages est moins théologique que politique, & regarde plus les souverains que l'Eglise, qui n'aura plus qu'à prononcer.

Mais y a - t - il des avantages à restituer les ecclésiastiques dans l'ancienne liberté du mariage? C'est un fait dont le Czar fut tellement frappé, lorsqu'il parcourut la France incognito, qu'il ne concevoit pas que dans un état où il rencontroit de si bonnes lois & de si sages établissemens, on y eût laissé subsister depuis tant de siecles une pratique, qui d'un côté n'importoit en rien à la religion, & qui de l'autre préjudicioit si fort à la société chrétienne. Nous ne déciderons point si l'étonnement du Czar étoit bien fondé; mais il n'est pas inutile d'analyser le mémoire de M. l'abbé de S. Pierre, & c'est ce que nous allons faire.

Avantages du mariage des prêtres. 1°. Si quarante mille curés avoient en France quatre - vingt mille enfans, ces enfans étant sans contredit mieux élevés, l'état y gagneroit des sujets & d'honnêtes gens, & l'église des fideles. 2°. Les ecclésiastiques étant par leur état meilleurs maris que les autres hommes, il y auroit quarante mille femmes plus heureuses & plus vertueuses. 3°. Il n'y a guere d'hommes pour qui le célibat ne soit difficile à observer; d'où il peut arriver que l'église souffre un grand scandale par un prêtre qui manque à la continence, tandis qu'il ne revient aucune utilité aux autres Chrétiens de celui qui vit continent. 4°. Un prêtre ne mériteroit guere moins devant Dieu en supportant les défauts de sa femme & de ses enfans, qu'en résistant aux tentations de la chair. 5°. Les embarras du mariage sont utiles à celui qui les supporte; & les difficultés du célibat ne le sont à personne. 6°. Le curé pere de famille vertueux, seroit utile à plus de monde que celui qui pratique le célibat. 7°. Quelques ecclésiastiques pour qui l'observation du célibat est très - pénible, ne croiroient pas avoir satisfait à tout, quand ils n'ont rien à se reprocher de ce côté. 8°. Cent mille prêtres mariés formeroient cent mille familles; ce qui donneroit plus de dix mille habitans de plus par an; quand on n'en compteroit que cinq mille, ce calcul produiroit encore un million de François en deux cens ans. D'où il s'ensuit que sans le célibat des prêtres, on auroit aujourd'hui quatre millions de Catholiques de plus, à prendre seulement depuis François I. ce qui formeroit une somme considérable d'argent; s'il est vrai, ainsi qu'un Anglois l'a supputé, qu'un homme vaut à l'état plus de neuf livres sterling. 9°. Les maisons nobles trouveroient dans les familles des évêques, des rejettons qui prolongeroient leur durée, &c. Voyez les ouvrages politiq. de M. l'abbé de S. Pierre, tome II. p. 146.

Moyens de rendre aux ecclésiastiques la liberté du mariage. Il faudroit 1°. former une compagnie qui méditât sur les obstacles & qui travaillât à les lever. 2°. Négotier avec les princes de la communion Romaine, & former avec eux une confédération. 3°. Négotier avec la cour de Rome; car M. l'abbé de S. Pierre prétend qu'il vaut mieux user de l'intervention du pape, que de l'autorité d'un concile national; quoique, selon lui, le concile national abrégeât sans doute les procédures, & que selon bien des Théologiens, ce tribunal fût suffisant pour une affaire de cette nature. Voici maintenant les objections que M. l'abbé de S. Pierre se propose lui - même contre son projet, avec les réponses qu'il y fait.

Premiere objection. Les évêques d'Italie pourroient donc être mariés, comme S. Ambroise; & les cardinaux & le pape, comme S. Pierre.

Réponse (Page 2:805)

Réponse. Assûrément: M. l'abbé de S. Pierre ne voit ni mal à suivre ces exemples, ni inconvénient à ce que le pape & les cardinaux ayent d'honnêtes femmes, des enfans vertueux, & une famille bien reglée.

Seconde objection. Le peuple a une vénération d'habitude pour ceux qui gardent le célibat, & qu'il est à propos qu'il conserve.

Réponse (Page 2:805)

Réponse. Ceux d'entre les pasteurs Hollandois & Anglois qui sont vertueux, n'en sont pas moins respectés du peuple, pour être mariés.

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