ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"735"> tous de suite, comme sous un même joug; c'est encore une métaphore.

Il y a en Latin quelques mots qui gardent toûjours la terminaison de leur premiere dénomination: on dit alors que ces mots sont indéclinables; tels sont sas, nesas, cornu, au singulier, &c. Ainsi ces mots n'ont point de cas.

Cependant quand ces mots se trouvent dans une phrase; comme lorsqu'Horace a dit, fas atque nefas exiguo fine libidinum discernunt avidi. L. I. od. xviij. v. 10. Et ailleurs: & peccare nefas, aut pretium est mori. L. III. od. iv. v. 24. Et Virgile: jam cornu petat. Ecl. ix. v. 57. Cornu ferit ille, caveto. Ecl. ix. v. 25. alors le sens, c'est - à - dire l'ensemble des mots de la phrase fait connoître la relation que ces mots indéclinables ont avec les autres mots de la même proposition, & sous quel rapport ils y doivent être considérés.

Ainsi dans le premier passage d'Horace je vois bien que la construction est, illi avidi discernunt fas & nefas. Je dirai donc que fas & nefas sont le terme de l'action ou l'objet de discernunt, &c. Si je dis qu'ils sont à l'accusatif, ce ne sera que par extension & par analogie avec les autres mots latins qui ont des cas, & qui en une pareille position auroient la terminaison de l'accusatif. J'en dis autant de cornu ferit; ce ne sera non plus que par analogie qu'on pourra dire que cornu est là à l'ablatif; & l'on ne diroit ni l'un ni l'autre, si les autres mots de la langue Latine étoient également indéclinables.

Je fais ces observations pour faire voir, 1°. que ce sont les terminaisons, seules, qui par leur variété constituent les cas, & doivent être appellées cas: ensorte qu'il n'y a point de cas, ni par conséquent de déclinaison dans les langues où les noms gardent toûjours la terminaison de leur premiere dénomination; & que lorsque nous disons un temple de marbre, ces deux mots de marbre, ne sont pas plus un génitif que les mots Latins de marmore, quand Virgile a dit, templum de marmore, Georg. L. III. v. 13. & ailieurs: ainsi à & de ne marquent pas plus des cas en François que par, pour, en, sur, &c. Voyez Article.

2°. Le second point qui est à considérer dans les cas, c'est l'usage qu'on en fait dans les langues qui ont des cas.

Ainsi il faut bien observer la destination de chaque terminaison particuliere: tel rapport, telle vûe de l'esprit est marquée par tel cas, c'est - à - dire par telle terminaison.

Or ces terminaisons supposent un ordre dans les mots de la phrase, c'est l'ordre successif des vûes de l'esprit de celui qui a parlé; c'est cet ordre qui est le fondement des relations immédiates des mots de leurs enchaînemens & de leurs terminaisons. Pierre bat Paul; moi aimer toi, &c. On va entendre ce que je veux dire.

Les cas ne sont en usage que dans les langues où les mots sont transposés, soit par la raison de l'harmonie, soit par le feu de l'imagination, ou par quelqu'autre cause.

Or quand les mots sont transposés, comment puisje connoître leurs relations?

Ce sont les différentes terminaisons, ce sont les cas qui m'indiquent ces relations; & qui lorsque la phrase est finie, me donnent le moyen de rétablir l'ordre des mots, tel qu'il a été nécessairement dans l'esprit de celui qui a parlé lorsqu'il a voulu énoncer sa pensée par des mots: par exemple;

Frigidus agricolam si quando continet imber. Virg. Georg. Lib. I. v. 250.

Je ne puis pas douter que lorsque Virgile a fait ce vers, il n'ait joint dans son esprit l'idée de frigidus à celle d'imber; puisque l'un est le substantif, & l'autre l'adjectif. Or le substantif & l'adjectif sont la chose même; c'est l'objet considéré comme tel: ainsi l'esprit ne les a point séparés.

Cependant voyez combien ici ces deux mots sont éloignés l'un de l'autre: frigidus commence le vers, & imber le finit.

Les terminaisons font que mon esprit rapproche ces deux mots, & les remet dans l'ordre des vûes de l'esprit, relatives à l'élocution; car l'esprit ne divise ainsi ses pensées que par la nécessité de l'énonciation.

Comme la terminaison de frigidus me fait rapporter cet adjectif à imber, de même voyant qu'agricolam est à l'accusatif, j'apperçois qu'il ne peut avoir de rapport qu'avec continet: ainsi je range ces mots selon leur ordre successif, par lequel seul ils font un sens, si quando imber frigidus continet domi agricolam. Ce que nous disons ici est encore plus sensible dans ce vers.

Aret ager, vitio, moriens, sitit, aeris, herba. Virg. Ecl. vij. v. 57.

Ces mots ainsi séparés de leurs corrélatifs, ne font aucun sens.

Est sec, le champ, vice, mourant, a soif, de l'air, l'herbe: mais les terminaisons m'indiquent les corrélatifs, & dès - lors je trouve le sens. Voilà le vrai usage des cas.

Ager aret, herba moriens sitit prae vitio aeris. Ainsi les cas sont les signes des rapports, & indiquent l'ordre successif, par lequel seul les mots font un sens. Les cas n'indiquent donc le sens que relativement à cet ordre; & voilà pourquoi les langues, dont la syntaxe suit cet ordre, & ne s'en écarte que par des inversions légeres aisées à appercevoir, & que l'esprit rétablit aisément; ces langues, dis - je, n'ont point de cas; ils y seroient inutiles, puisqu'ils ne servent qu'à indiquer un ordre que ces langues suivent; ce seroit un double emploi. Ainsi si je veux rendre raison d'une phrase Françoise; par exemple de celle - ci, le Roi aime le peuple, je ne dirai pas que le Roi est au nominatif, ni que le peuple est à l'accusatif; je ne vois en l'un ni en l'autre mot qu'une simple dénomination, le Roi, le peuple: mais comme je sai par l'usage l'analogie & la syntaxe de ma langue, la simple position de ces mots me fait connoître leurs rapports & les différentes vûes de l'esprit de celui qui a parlé.

Ainsi je dis 1°. que le Roi paroissant le premier est le sujet de la proposition, qu'il est l'agent, que c'est la personne qui a le sentiment d'aimer.

2°. Que le peuple étant énoncé après le verbe, le peuple est le complément d'aime: je veux dire que aime tout seul ne feroit pas un sens suffisant, l'esprit ne seroit pas satisfait. Il aime: hé quoi? le peuple. Ces deux mots aime le peuple, font un sens partiel dans la proposition. Ainsi le peuple est le terme du sentiment d'aimer; c'est l'objet, c'est le patient. C'est l'objet du sentiment que j'attribue au Roi. Or ces rapports sont indiqués en François par la place ou position des mots, & ce même ordre est montré en Latin par les terminaisons.

Qu'il me soit permis d'emprunter ici pour un moment le style figuré. Je dirai donc qu'en Latin l'harmonie ou le caprice accordent aux mots la liberté de s'écarter de la place que l'intelligence leur avoit d'abord marquée. Mais ils n'ont cette permission qu'à condition qu'après que toute la proposition sera finie, l'esprit de celui qui lit ou qui écoute les remettra par un simple point de vûe dans le même ordre où ils auront été d'abord, dans l'esprit de celui qui aura parlé.

Amusons - nous un moment à une fiction. S'il plaisoit à Dieu de faire revivre Cicéron, de nous en donner la connoissance, & que Dieu ne donnât à Cicé<pb-> [p. 736] ron que l'intelligence des mots François, & nullement celle de notre syntaxe, c'est - à - dire de ce qui fait que nos mots assemblés & rangés dans un certain ordre font un sens: je dis que si quelqu'un disoit à Cicéron: illustre Romain, après votre mort Auguste vainquit Antoine. Cicéron entendroit chacune de ces paroles en particulier, mais il ne connoîtroit pas quel est celui qui a été le vainqueur, ni celui qui a été vaincu; il auroit besoin de quelques jours d'usage, pour apprendre parmi nous que c'est l'ordre des mots, leur position, & leur place, qui est le signe principal de leurs rapports.

Or, comme en Latin il faut que le mot ait la terminaison destinée à sa position, & que sans cette condition la place n'influe en rien pour faire entendre le sens, Augustus vicit Antonius, ne veut rien dire en Latin. Ainsi Auguste vainquit Antoine, ne formeroit d'abord aucun sens dans l'esprit de Cicéron; parce que l'ordre successif ou significatif des vûes de l'esprit n'est indiqué en Latin que par les cas ou terminaisons des mots: ainsi il est indifférent pour lesens de dire Antonium vicit Augustus, ou Augustus vicit Antonium. Cicéron ne concevroit donc point le sens d'une phrase, dont la syntaxe lui seroit entierement inconnue. Ainsi il n'entendroit rien à Auguste vainquit Antoine; ce seroit - là pour lui trois mots qui n'auroient aucun signe de rapport. Mais reprenons la suite de nos réflexions sur les cas.

Il y a des langues qui ont plus de six cas, & d'autres qui en ont moins. Le P. Galanus, Théatin, qui avoit demeuré plusieurs années chez les Arméniens, dit qu'il y a dix cas dans la langue Arménienne. Les Arabes n'en ont que trois.

Nous avons dit qu'il y a dans une langue & en chaque déclinaison autant de cas, que de terminaisons différentes dans les noms; cependant le génitif & le datif de la premiere déclinaison des Latins, sont semblables au singulier. Le datif de la seconde est aussi terminé comme l'ablatif: il semble donc qu'il ne devroit y avoir que cinq cas en ces déclinaisons. Mais 1°. il est certain que la prononciation de l'a au nominatif de la premiere déclinaison, étoit différente de celle de l'a à l'ablatif: le premier est bref, l'autre est long.

2°. Le génitif fut d'abord terminé en ai, d'où l'on forma oe pour le datif. In primâ declinatione dictum olim mensai, & hinc deinde formatum in dativo mensae. Perizonius in Sanctii Minervâ, L. I. c. vj. n. 4.

3°. Enfin l'analogie demande cette uniformité de six cas dans les cinq déclinaisons, & alors ceux qui ont une terminaison semblable, sont des cas par imitation avec les cas des autres terminaisons, ce qui rend uniforme la raison des constructions: casus sunt non vocis, sed significationis, nec non etiam structuroe rationem servamus. Prise. L. V. de Casu.

Les rapports qui ne sont pas indiqués par des cas en Grec, en Latin, & dans les autres langues qui ont des cas, ces rapports, dis - je, sont suppléés par des prépositions, clam patrem. Teren. Hecy. Act. III. sc. iij. v. 36

Ces prépositions qui précedent les noms équivalent à des cas pour le sens, puisqu'elles marquent des vûes particulieres de l'esprit; mais elles ne font point des cas proprement dits, car l'essence du cas ne consiste que dans la terminaison du nom, destinée à indiquer une telle relation particuliere d'un mot à quelqu'autre mot de la proposition. (F)

Cas irreductible (Page 2:736)

Cas irreductible du troisiéme degré, ou simplement Cas irréductible (en Analyse) c'est celui où une équation du troisieme degré a ses trois racines réelles, inégales & incommensurables. Dans ce cas, si on résout l'équation par la méthode ordinaire, la racine quoique réelle, se présente sous une forme qui renferme des quantités imaginaires, & l'on n'a pû jusqu'à présent réduire cette expression à une forme réelle, en chassant les imaginaires qu'elle contient. Voyez Réel, Imaginaire, &c. Entrons sur ce sujet dans quelque détail.

Soit x3 + qx + r = o une équation du troisieme degré, dans laquelle le second terme est évanoüi. Voyez Evanouissement, Equation & Transformation , &c. Pour la résoudre, je fais x = y + z, & j'ai x3 = y3 + 3yyz + 3zyy + z3 = y3 + 3yzx + z3; donc x3 - 3yzx - y3 = o. Cette - z3 équation étant comparée terme à terme avec x3 + qx + r=o, on aura, 1°. - 3yz = q, ou z = - /3y; 2°. y3 + z3 = - r, ou y3 + r= - q3/2yy2; ou y6 + ry3 = q3/2y.

Cette équation, qu'on peut regarder comme du second degré, (Voyez Abaissement) étant résolue à la maniere ordinaire, (Voyez Equation) donne [omission: formula; to see, consult fac-similé version]. Done à cause de z3 = - r - y3, on aura [omission: formula; to see, consult fac-similé version]; donc x ou [omission: formula; to see, consult fac-similé version]. Telle est la forme de la valeur de x. Cela posé,

1°. Il est évident que si q est positif, r étant positif ou négatif, cette forme est réelle, puisqu'elle ne contient que des quantités réelles. Or dans ce cas, comme on le verra à l'article Equation, deux des racines sont imaginaires. Ainsi la seule racine réelle se trouve exprimée par une formule qui ne contient que des quantités réelles. Ce cas ne tombe donc point dans le cas irréductible, & n'a aucune difficulté.

2°. Si q est négatif, & que r2/4 = q3/2y, alors l'équation a deux racines égales, & il n'y a encore aucune difficulté.

3°. Si q est négatif & r2/4 > q3/2y, il y a deux racines imaginaires, & la racine réelle se trouve représentée par une formule toute réelle; ce qui n'a point de difficulté non plus.

4°. Mais si q est négatif & que r2/4 < q3/2y, alors - q3/2y + r2/4 est une quantité négative, & par conséquent [omission: formula; to see, consult fac-similé version] est imaginaire. Ainsi l'expression de x renferme alors des imaginaires.

Cependant on démontre en Algebre, que dans ce cas les trois racines sont réelles & inégales. On peut en voir la preuve à la fin de cet article. Comment donc peut - il se faire que la racine x se présente sous une forme qui contienne des imaginaires?

M. Nicole a le premier résolu cette difficulté (Mém. acad. 1738.) Il a fait voir que l'expression de x, quoiqu'elle contienne des imaginaires, est en effet réelle. Pour le prouver, soit [omission: formula; to see, consult fac-similé version], on aura [omission: formula; to see, consult fac-similé version]. Il s'agit de montrer que cette expression, quoiqu'elle renferme des imaginaires, représente une quantité réelle. Pour cela, soit formée suivant les regles données à l'article Binome, une série qui exprime la valeur de [omission: formula; to see, consult fac-similé version] ou [omission: formula; to see, consult fac-similé version] & celle de [omission: formula; to see, consult fac-similé version], on trouvera après avoir ajoûté ensemble ces deux séries, que tous les termes imaginaires se détruiront, & qu'il ne restera qu'une suîte infinie de termes composés de quantités toutes réelles. Ainsi la valeur de x est en effet réelle. La difficulté est de sommer cette

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