ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"723"> rangera en partie dans les interstices des globules de la lumiere, & en partie vers le centre du tourbillon. Cette partie de la matiere subtile, c'est - à - dire de la plus fine poussiere qui s'est rangée au centre, est ce que Descartes appelle un soleil. Il y a de pareils amas de menue poussiere dans d'autres tourbillons comme dans celui - ci; & ces amas de poussieres sont autant d'autres soleils que nous nommons étoiles, & qui brillent peu à notre égard, vû l'éloignement.

L'élement globuleux étant composé de globules inégaux, les plus forts s'écartent le plus vers les extrémités du tourbillon; les plus foibles se tiennent plus près du soleil. L'action de la fine poussiere qui compose le soleil, communique son agitation aux globules voisins, & c'est en quoi consiste la lumiere - Cette agitation communiquée à la matiere globuleuse, accélere le mouvement de celle - ci: mais cette accélération diminue en raison de l'éloignement, & finit à une certaine distance.

On peut donc diviser la lumiere depuis le soleil jusqu'à cette distance, en différentes couches, dont la vitesse est inégale, & va diminuant de couche en couche. Après quoi la matiere globuleuse qui remplit le reste immense du tourbillon solaire, ne reçoit plus d'accélération du soleil: & comme ce grand reste de matiere globuleuse est composé des globules les plus gros & les plus forts, l'activité y va toûjours en augmentant, depuis le terme où l'accélération causée par le soleil, expire, jusqu'à la rencontre des tourbillons voisins. Si donc il tombe quelques corps massifs dans l'élement globuleux, depuis le soleil, jusqu'au terme où finit l'action de cet astre, ces corps seront mûs plus vîte auprès du soleil, & moins vîte à mesure qu'ils s'en éloigneront. Mais si quelques corps massifs sont amenés dans le reste de la matiere globuleuse, entre le terme de l'action solaire & la rencontre des tourbillons voisins, ils iront avec une accélération toûjours nouvelle, jusqu'à s'enfoncer dans ces tourbillons voisins; & d'autres qui s'échaperoient des tourbillons voisins, & entreroient dans l'erement globuleux du nôtre, y pourroient descendre ou tomber, & s'avancer vers le soleil.

Or il y a de petits tourbillons de matiere qui peuvent rouler dans les grands tourbillons; & ces petits tourbillons peuvent non - seulement être composés d'une matiere globuleuse & d'une poussiere fine, qui rangée au centre, en fasse de petits soleils: mais ils peuvent encore contenir ou rencontrer bien des parcelles de cette grosse poussiere, de ces grands éclats d'angles brisés que nous avons nommés le troisieme élément. Ces petits tourbillons ne manqueront pas d'écarter vers leurs bords toute la grosse poussiere; c'est - à - dire, si vous l'aimez mieux, que les grands éclats, formant des pelotons épais & de gros corps, gagneront toûjours les bords du petit tourbillon par la supériorité de leur force centrifuge: Descartes les arrête - là, & la chose est fort commode. Au lieu de les laisser courir plus loin par la force centrifuge, ou d'être emportés par l'impulsion de la matiere du grand tourbillon, ils obscurcissent le soleil du petit, & ils encroûtent peu - à - peu le petit tourbillon: & de ces croûtes épaissies sur tout le dehors, il se forme un corps opaque, une planete, une terre habitable. Comme les amas de la fine poussiere sont autant de soleils, les amas de la grosse poussiere sont autant de planetes & de cometes. Ces planetes amenées dans la premiere moitié de la matiere globuleuse, roulent d'une vîtesse qui va toûjours en diminuant depuis la premiere qu'on nomme Mercure, jusqu'à la derniere qu'on nomme Saturne. Les corps opaques qui sont jettés dans la seconde moitié, s'en vont jusques dans les tourbillons voisins, & d'autres passent des tourbillons voisins, puis descendent dans le nôtre vers le soleil. La même poussiere massive qui nous a fourni une terré, des planetes & des cometes, s'arrange, en vertu du mouvement, en d'autres formes, & nous donne l'eau, l'atmosphere, l'air, les métaux, les pierres, les animaux & les plantes; en un mot toutes les choses, tant générales que particulieres, que nous voyons dans notre monde, organisées, & autres:

Il y a encore bien d'autres parties à détailler dans l'édifice de Descartes: mais ce que nous avons déjà vû est regardé de tout le monde comme un assortiment de pietes qui s'écroulent; & sans en voir davantage, il n'y a personne qui ne puisse sentir qu'un tel systême n'est nullement recevable.

1°. Il est d'abord fort singulier d'entendre dire que Dieu ne peut pas créer & rapprocher quelques corps anguleux, sans avoir de quoi remplir exactement les interstices des angles. De quel droit ose - t - on resserrer ainsi la souveraine puissance?

2°. Mais je veux que Descartes sache précisément pourquoi Dieu doit avoir tant d'horreur du vuide: je veux qu'il puisse très - bien accorder la liberté des mouvemens avec le plein parfait; qu'il prouve même la nécessité actuelle du plein: la bonne heure. L'endroit où je l'arrête, est cette prétention que le vuide soit impossible. Il ne l'est pas même dans sa supposition. Car pour remplir tous les interstices, il faut avoir des poussieres de toute taille, qui viennent, au besoin se glisser à propos dans les intervalles entre - ouverts. Ces poussieres ne se forment qu'à la longue. Les globules ne s'arrondissent pas en un instant. Les coins les plus gros se rompent d'abord, puis les plus petits; & à force de frottemens, nous pourrons recueillir de nos pieces pulvérisées de quoi remplir tout ce qu'il nous plaira: mais cette pulvérisation est successive. Ainsi au premier moment que Dieu mettra les parcelles de la matiere primordiale en mouvement; la poussiere n'est pas encore formée: Dieu soulere les angles; ils vont commence à se briser: mais avant que la chose soit faite, voilà entre ces angles des vuides sans fin, & nulle matiere pour les remplir.

3°. Selon Descartes, la lumiere est une masse de petits globes qui se touchent immédiatement, en sorte qu'une file de ces globes ne sauroit être poussée par un bout, que l'impulsion ne se fasse sentir en même tems à l'autre bout, comme il arrive dans un bâton, ou dans une file de boulets de canon qui se touchent. M. Roemer & M. Picard ont observé, que quand la terre étoit entre le soleil & jupiter, les éclipses de ses satellites arrivoient alors plûtôt qu'il n'est marqué dans les tables; mais que quand la terre s'en alloit du côté opposé, & que le soleil étoit entre jupiter & la terre, alors les éclipses des satellites arrivoient plusieurs minutes plus td, parce que la lumiere avoit tout le grand orbe annuel de la terre à traverser de plus dans cette derniere situation que dans la précédente: d'où ils sont parvenus à pouvoir assûrer que la lumiere du soleil mettoit sept à huit minutes à franchir les trente - trois millions de lieues qu'il y a du soleil à la terre. Quoi qu'il en soit au reste sur la durée précise de ce trajet de la lumiere, il est certain que la communication ne s'en fait pas en un instant; mais que le mouvement ou la pression de la lumiere parvient plus vîte sur les corps plus voisins, & plus tard sur les corps plus éloignés: au lieu qu'une file de douze globes, & une file de cent globes, s'ils se touchent, communiquent leur mouvement aussi vîte l'une que l'autre. La lumiere de Descartes n'est donc pas la lumiere du monde. Voy. Aberration.

En voilà assez, ce me semble, pour faire sentir les inconvéniens de ce système. On peut, avec M. de Fontenelle, féliciter le siecle, qui, en sous donnant Descartes, a mis en honneur un nouvel art de raisonner, & communiqué aux autres sciences l'exactitude de la Géométrie. Mais on doit, selon sa judi<pb-> [p. 724] cieuse remarque, « sentir l'inconvénient des systèmes précipités, dont l'impatience de l'esprit humain ne s'accommode que trop bien, & qui étant une fois établis, s'opposent aux vérités qui surviennent ».

Il joint à sa remarque un avis salutaire, qui est d'amasser, comme font les Académies, des matériaux qui se pourront lier un jour, plûtôt que d'entreprendre avec quelques lois de méchanique, d'expliquer intelligiblement la nature entiere & son admirable variété.

Je sai qu'on allegue en faveur du système de Descartes, l'expérience des lois générales par lesquelles Dieu conserve l'univers. La conservation de tous les êtres est, dit - on, une création continuée; & de même qu'on en conçoit la conservation par des lois générales, ne peut - on pas y recourir pour concevoir, par forme de simple hypothèse, la création & toutes ses suites?

Raisonner de la sorte est à peu - près la même chose, que si on assùroit que la même méchanique, qui avec de l'eau, du foin & de l'avoine, peut nourrir un cheval, peut aussi former un estomac & le cheval entier. Il est vrai que si nous suivons Dieu dans le gouvernement du monde, nous y verrons régner une uniformité sublime. L'expérience nous autorise à n'y pas multiplier les volontés de Dieu comme les rencontres des corps. D'une seule volonté, il a reglé pour tous les cas & pour tous les siecles, la marche & les chocs de tous les corps, à raison de leur masse, de leur vîtesse & de leur ressort. Les lois de ces chocs & de ces communications peuvent être sans doute l'objet d'une Physique très - sensée & très - utile, surtout lorsque l'homme en fait usage pour diriger ce qui est soumis à ses opérations, & pour construire ces différens ouvrages dont il est le créateur subalteme. Mais ne vous y méprenez pas: autre chose est de créer les corps, & de leur assigner leur place & leurs fonctions, autre chose de les conserver. Il ne faut qu'une volonté ou certaines lois générales fidelement exécutées pour entretenir chaque espece dans sa forme spéciale, & pour perpétuer les vicissitudes de l'oe conomie du tout, quand une fois la matiere est créée. Mais quand il s'agit de créer, de regler ces formes spéciales, d'en rendre l'entretien sùr & toûjours le même, d'en établir les rapports particuliers, & la correspondance universelle; alors il faut de la part de Dieu autant de plans & de volontés spéciales, qu'il se trouve de pieces différentes dans la machine entiere. Hist. du ciel, tome II.

M. Descartes composa un petit traité des passions, l'an 1946, pour l'usage particulier de la princesse Elisabeth. Il l'envoya manuscrit à la reine de Suede sur la fin de l'an 1647. Mais sur les instances que ses amis lui firent depuis pour le donner au public, il prit le parti de le revoir, & de remédier aux défauts que la princesse philosophe sa disciple y avoit remarqués. Il le sit voir ensuite à M. Clerselier, qui le trouva d'abord trop au - dessus de la portée commune, & qui obligea l'auteur à y ajoûter de quoi le rendre intelligible à toutes sortes de personnes. Il crut entendre la voix du public dans celle de M. Clerselier, & les additions qu'il y fit augmenterent l'ouvrage d'un tiers. Il le divisa en trois parties, dans la premiere desquelles il traite des passions en général, & par occasion de la nature de l'ame, &c. Dans la seconde, des six passions primitives; & dans la troisieme, de toutes les autres. Tout ce que les avis de M. Clerselier firent ajoûter à l'ouvrage, put bien lui donner plus de facilité & de clarté qu'il n'en avoit auparavant: mais il ne lui ôta rien de la brieveté & de la belle simplicité du style, qui étoit ordinaire à l'auteur. Ce n'est point en Orateur, ce n'est pas même en Philosophe moral, mais en Physicien, qu'il a traité son sujet; & il s'en acquita d'une maniere si nouvelle, que son ouvrage fut mis fort au - dessus de tout ce qu'on avoit fait avant lui dans ce genre. Pour bien déduire toutes les passions, & pour développer les mouvemens du sang qui accompagnent chaque passion, il étoit nécessaire de dire quelque chose de l'animal. Aussi voulut - il commencer en cet endroit à expliquer la composition de toute la machine du corps humain. Il y fait voir comment tous les mouvemens de nos membres, qui ne dépendent point de la pensée, se peuvent faire en nous sans que notre ame y contribue, par la seule force des esprits animaux, & la disposition de nos membres. De sorte qu'il ne nous fait d'abord considérer notre corps, que comme ane machine faite par la main du plus savant de tous les ouvriers, dont tous les mouvemens ressemblent à ceux d'une montre, ou autre automate, ne se faisant que par la force de son ressort, & par la figure ou la disposition de ses roues. Après avoir expliqué ce qui appartient au corps, il nous fait aisément conclurre qu'il n'y a rien en nous qui appartienne à notre ame, que nos pensées, entre lesquelles les passions sont celles qui l'agitent davantage; & que l'un des principaux devoirs de la Philosophie est de nous apprendre à bien connoître la nature de nos passions, à les modérer, & à nous en rendre les maîtres. On ne peut s'empêcher de regarder ce traité de M. Descartes, comme l'un des plus beaux & des plus utiles de ses ouvrages.

Jamais Philosophe n'a paru plus respectueux pour la divinité que M. Descartes; il fut toûjours fort sage dans ses discours sur la religion. Jamais il n'a parlé de Dieu qu'avec la derniere circonspection; toûjours avec beaucoup de sagesse, toûjours d'une maniere noble & élevée. Il étoit dans l'appréhension continuelle de rien dire ou écrire qui fût indigne de la religion, & rien n'égaloit sa délicatesse sur ce point. Voyez tome premier & second des Lettres.

Il ne pouvoit souffrir sans indignation la témérité de certains Théologiens qui abandonnent leurs guides, c'est - à - dire, l'Ecriture & les Peres, pour marcher tout seuls dans des routes qu'ils ne connoissent pas. Il blâmoit surtout la hardiesse des Philosophes & Mathématiciens, qui paroissent si décisifs à déterminer ce que Dieu peut, & ce qu'il ne peut pas. « C'est, dit - il, parler de Dieu, comme d'un Jupiter ou d'un Saturne, & l'assujettir au styx & au destin, que de dire qu'il y a des vérités indépendantes de lui. Les vérités mathématiques sont des lois que Dieu a établies dans la nature, comme un roi établit des lois dans son royaume. Il n'y a aucune de ces lois que nous ne puissions comprendre: mais nous ne pouvons comprendre la grandeur de Dieu, quoique nous la connoissions, &c.

Pour moi, dit encore ailleurs M. Descartes, il me semble qu'on ne doit dire d'aucune chose, qu'elle est impossible à Dieu. Car, tout ce qui est vrai & bon dépendant de sa toute - puissance, je n'ose pas même dire que Dieu ne peut faire une montagne sans vallée, ou qu'un & deux ne fassent pas trois. Mais je dis seulement qu'il m'a donné un esprit de telle nature, que je ne saurois concevoir une montagne sans vallée, ou que l'aggrégé d'un & de deux ne fassent pas trois ». Voyez tome II. des Lettres. Cette retenue de M. Descartes, peut - être excessive, a choqué certains esprits, qui ont voulu lui en faire un crime. Car, sur ce qu'en quelques occasions, il employoit le nom d'un ange plûtôt que celui de Dieu, qu'il ménageoit par pur respect; quelqu'un (Beecman) s'étoit imaginé qu'il étoit assez vain pour se comparer aux anges. Il se crut obligé de repousser cette calomnie. « Quant au reproche que vous me faites, dit - il, page 66, 67, de m'être égalé aux anges, je ne saurois encore

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