ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"721"> enseigner toutes les principales vérités, dont la connoissance est requise pour faciliter l'usage de la vertu, pour régler nos desirs & nos passions, & joüir ainsi de la béatitude naturelle; ce qui auroit rendu son livre le meilleur & le plus utile qu'un philosophe payen eût sû écrire ». Après avoir marqué ce qu'il lui sembloit que Séneque eût dû traiter dans son livre, il examina dans une seconde lettre à la princesse ce qu'il y traite, avec une netteté & une force d'esprit, qui nous fait regretter que M. Descartes n'ait pas entrepris de rectifier ainsi les pensées de tous les anciens. Les réflexions judicieuses que la princesse fit de son côté sur le livre de Séneque, porterent M. Descartes à traiter dans les lettres suivantes, des autres questions les plus importantes de la morale, touchant le souverain bien, la liberté de l'homme, l'état de l'ame, l'usage de la raison, l'usage des passions, les actions vertueuses & vicieuses, l'usage des biens & des maux de la vie. Ce commerce de philosophie morale fut continué par la princesse, depuis son retour des eaux de Spa, où il avoit commencé, avec une ardeur toûjours égale au milieu des malheurs dont sa vie fut traversée; & rien ne fut capable de le rompre, que la mort de M. Descartes.

En 1641 parut en Latin un des plus célebres ouvrages de notre Philosophe, & celui qu'il paroit avoir toujours chéri le plus; ce furent ses Méditations touchant la premiere Philosophie, où l'on démontre l'existence de Dieu & l'immortalité de l'ante. Mais on sera peut - être surpris d'apprendre, que c'est à la conscience de Descartes que le public fut redevable de ce présent. Si l'on avoit eu affaire à un philosophe moins zélé pour le vrai, & si cette passion si louable & si rare n'avoit détruit les raisons qu'il prétendoit avoir, de ne plus jamais imprimer aucun de ses écrits, c'étoit fait de ses Méditations, aussi - bien que de son Monde, de son Cours philosophique, de sa Réfutation de la scholastique, & de divers autres ouvrages qui n'ont pas vû le jour, excepté les Principes, qui avoient été nommément compris dans la condamnation qu'il en avoit faite. Cette distinction étoit bien dûe à ses Méditations métaphysiques. Il les avoit composées dans sa retraite en Hollande. Depuis ce tems - là, il les avoit laissées dans son cabinet, comme un ouvrage imparfait, dans lequel il n'avoit songé qu'à se satisfaire. Mais ayant considéré ensuite la difficulté que plusieurs personnes auroient de comprendre le peu qu'il avoit mis de métaphysique dans la quatrieme partie ce son Discours sur la Méthode, il voulut revoir son ouvrage, afin de le mettre en état d'être utile au public, en donnant des éclaircissemens à cet endroit de sa Méthode, auquel cet ouvrage pourroit servir de commentaire. Il comparoit ce qu'il avoit fait en cette matiere, aux démonstrations d'Apollonius, dans lesquelles il n'y a véritablement rien qui ne soit très - clair & très certain, lorsqu'on considere chaque point à part. Mais parce qu'elies sont un peu longues, & qu'on ne peut y voir la nécessité de la conclusion, si l'on ne se souvient exactement de tout ce qui la précede, à peine peut - on trouver un homme dans toute une ville, dans toute une province, qui soit capable de les entendre. De même, M. Descartes croyoit avoir entierement démontré l'existence de Dieu & l'immatérialité de l'ame humaine. Mais parce que cela dépendoit de plusieurs raisonnemens qui s'entresuivoient, & que si on en oublioit la moindre circonstance il n'étoit pas aisé de bien entendre la conclusion, il prévoyoit que son travail auroit peu de fruit, à moins qu'il ne tombât heureusement entre les mains de quelques personnes intelligentes, qui prissent la peine d'examiner sérieusement ses raisons; & qui disant sincerement ce qu'elles en penseroient, donnassent le ton aux autres pour en juger comme eux, ou du moins pour n'oser les contredire sans raison.

Le Pere Mersenne ayant reçû l'ouvrage attendu depuis tant de tems, voulut satisfaire l'attente de ceux auxquels il l'avoit promis, par l'activité & l'industrie dont il usa pour le leur communiquer. Il en écrivit peu de tems après à M. Descartes, & il lui promit les objections de divers théologiens & philosophes. M. Descartes en parut d'autant plus surpris, qu'il s'étoit persuadé qu'il falloit plus de tems pour remarquer exactement tout ce qui étoit dans son traité, & tout ce qui y manquoit d'essentiel. Le P. Mersenne, pour lui faire voir qu'il n'y avoit ni précipitation, ni négligence dans l'examen qu'il en faisoit faire, lui manda qu'on avoit déjà remarqué que dans un traité qu'on croyoit fait exprès pour prouver l'immortalité de l'ame, il n'avoit pas dit un mot de cette immortalité. M. Descartes lui répondit sur le champ, qu'on ne devoit pas s'en étonner; qu'il ne pouvoit pas démontrer que Dieu ne puisse anéantir l'ame de l'homme, mais seulement qu'elle est d'une nature entierement distincte de celle du corps, & par conséquent qu'elle n'est point sujette à mourir avec lui; que c'étoit - là tout ce qu'il croyoit être requis pour établir la religion, & que c'étoit aussi tout ce qu'il s'étoit proposé de prouver. Pour détromper ceux qui pensoient autrement, il fit changer le titre du second chapitre, ou de la seconde Méditation, qui portoit de mente humanâ en général; au lieu dequoi il fit mettre, de naturâ mentis humanoe, quod ipsa sit notior quam corpus, afin qu'on ne crût pas qu'il eût voulu y démontrer son immortalité.

Huit jours après, M. Descartes envoya au P. Mersenne un abregé des principaux points qui touchoient Dieu & l'ame, pour servir d'argument à tout l'ouvrage. Il lui permit de le faire imprimer par forme de sommaire à la tête du Traité, afin que ceux qui aimoient à trouver en un même lieu tout ce qu'ils cherchoient, pussent voir en raccourci tout ce que contenoit l'ouvrage, qu'il crut devoir partager en six Méditations.

Dans la premiere, il propose les raisons pour lesquelles nous pouvons douter généralement de toutes choses, & particulierement des choses matérielles, jusqu'à ce que nous ayons établi de meilleurs fondemens dans les Sciences, que ceux que nous avons eus jusqu'à présent. Il fait voir que l'utilité de ce doute général consiste à nous délivrer de toutes sortes de préjugés; à détacher notre esprit des sens, & à faire que nous ne puissions plus douter des choses que nous reconnoîtrons être très - véritables.

Dans la seconde, il fait voir que l'esprit usant de sa propre liberté pour supposer que les choses de l'existence desquelles il a le moindre doute, n'existent pas en effet, reconnoît qu'il est impossible que cependant il n'existe pas lui - même: ce qui sert à lui faire distinguer les choses qui lui appartiennent d'avec celles qui appartiennent au corps. Il semble que c'étoit le lieu de prouver l'immortalité de l'ame. Mais il manda au P. Mersenne qu'il s'étoit contenté dans cette seconde Méditation de faire concevoir l'ame sans le corps, sans entreprendre encore de prouver qu'elle est réellement distincte du corps; parce qu'il n'avoit pas encore mis dans ce lieu - là les prémisses, dont on peut tirer cette conclusion, que l'on ne trouveroit que dans la sixieme Méditation. C'est ainsi que ce philosophe tâchant de ne rien avancer dans tout son Traité dont il ne crût avoir des démonstrations exactes, se croyoit obligé de suivre l'ordre des Géometres, qui est de produire premierement tous les principes d'où dépend la proposition que l'on cherche, avant que de rien conclurre. La premiere & la principale chose qui est requise selon lui pour bien connoître l'immortalité de l'ame, est d'en avoir une idée ou conception très - claire & très - nette, qui soit parfaitement distincte de toutes les conceptions qu'on peut avoir [p. 722] du corps. Il faut savoir outre cela que tout ce que nous concevons clairement & distinctement, est vrai de la même maniere que nous le concevons; c'est ce qu'il a été obligé de remettre à la quatrieme Méditation. Il faut de plus, avoir une conception distincte de la nature corporelle; c'est ce qui se trouve en partie dans la seconde, & en partie dans la cinquieme & sixieme Méditations. L'on doit conclurre de tout cela, que les choses que l'on conçoit clairement & distinctement comme des substances diverses, telles que sont l'esprit & le corps, sont des substances réellement distinctes les unes des autres. C'est ce qu'il conclut dans la sixieme Méditation. Revenons à l'ordre des Méditations & de ce qu'elles contiennent.

Dans la troisieme, il développe assez au long le principal argument par lequel il prouve l'existence de Dieu. Mais n'ayant pas jugé à propos d'y employer aucune comparaison tirée des choses corporelles, afin d'éloigner autant qu'il pourroit l'esprit du lecteur de l'usage & du commerce des sens, il n'avoit pû éviter certaines obscurités, auxquelles il avoit déjà remédié dans ses réponses aux premieres objections qu'on lui avoit faites dans les Pays - Bas, & qu'il avoit envoyées au P. Mersenne pour être imprimées à Paris avec son Traité.

Dans la quatrieme, il prouve que toutes les choses que nous concevons fort clairement & fort distinctement, sont toutes vraies. Il y explique aussi en quoi consiste la nature de l'erreur ou de la fausseté. Par - là il n'entend point le péché ou l'erreur qui se commet dans la poursuite du bien & du mal, mais seulement l'erreur qui se trouve dans le jugement & le discernement du vrai & du faux.

Dans la cinquieme, il explique la nature corporelle en général. Il y démontre encore l'existence de Dieu par une nouvelle raison. Il y fait voir comment il est vrai que la certitude même des démonstrations géométriques dépend de la connoissance de Dieu.

Dans la sixieme, il distingue l'action de l'entendement d'avec celle de l'imagination, & donne les marques de cette distinction. Il y prouve que l'ame de l'homme est réellement distincte du corps. Il y expose toutes les erreurs qui viennent des sens, avec les moyens de les éviter. Enfin il y apporte toutes les raisons, desquelles on peut conclurre l'existence des choses matérielles. Ce n'est pas qu'il les jugeât fort utiles pour prouver qu'il y a un monde, que les hommes ont des corps, & autres choses semblables qui n'ont jamais été rnises en doute par aucun homme de bon sens; mais parce qu'en les considérant de près, on vient à connoître qu'elles ne sont pas si évidentes que celles qui nous conduisent à la connoissance de Dieu & de notre ame.

Voilà l'abrégé des Méditations de Descartes, qui sont de tous ses ouvrages celui qu'il a toûjours le plus estimé. Tantôt il remercioit Dieu de son travail, croyant avoir trouvé comment on peut démontrer les vérités métaphysiques: tantôt il se laissoit aller au plaisir de faire connoître aux autres l'opinion avantageuse qu'il en avoit conçue. « Assûrez - vous, écrivoit - il au P. Mersenne, qu'il n'y a rien dans ma métaphysique que je ne croie être, ou très - connu par la lumiere naturelle, ou démontré évidemment, & que je me fais fort de le faire entendre à ceux qui voudront & pourront y méditer, &c.». En effet, on peut dire que ce livre renferme tout le fonds de sa doctrine, & que c'est une pratique très - exacte de sa Méthode. Il avoit coûtume de le. vanter à ses amis intimes, comme contenant des vérités importantes, qui n'avoient jamais été bien examinées avant lui, & qui donnoient pourtant l'ouverture à la vraie Philosophie, dont le point principal consiste à nous convaincre de la différence qui se trouve entre l'esprit & le corps. C'est ce qu'il a prétendu faire dans ces Méditations par une analyse, qui ne nous apprend pas seulement cette différence, mais qui nous découvre en même tems le chemin qu'il a suivi pour la découvrir. Voyez Analyse.

Descartes, dans son Traité de la Lumiere, transporte son lecteur au - delà du monde dans les espaces imaginaires: & là il suppose que pour donner aux philosophes l'intelligence de la structure du monde, Dieu veut bien leur accorder le spectacle d'une création. Il fabrique pour cela une multitude de parcelles de matieres également dures, cubiques ou triangulaires, ou simplement irrégulieres & raboteuses, ou même de toutes figures, mais étroitement appliquées l'une contre l'autre, face contre face, & si bien entassées, qu'il ne s'y trouve pas le moindre interstice. Il soûtient même que Dieu qui les a créées dans les espaces imaginaires, ne peut pas après cela laisser subsister entr'elles le moindre petit espace vuide de corps; & que l'entreprise de ménager ce vuide, passe le pouvoir du Tout - puissant.

Ensuite Dieu met toutes ces parcelles en mouvement: il les fait tourner la plûpart autour de leur propre centre; & de plus, il les pousse en ligne directe.

Dieu leur commande de rester chacune dans leur état de figure, masse, vîtesse, ou repos, jusqu'à ce qu'elles soient obligées de changer par la résistance, ou par la fracture.

Il leur commande de partager leurs mouvemens avec celles qu'elles rencontreront, & de recevoir du mouvement des autres. Descartes détaille les regles de ces mouvemens & de ces communications le mieux qu'il lui est possible.

Dieu commande enfin à toutes les parcelles mûer d'un mouvement de progression, de continuer tant qu'elles pourront à se mouvoir en ligne droite.

Cela supposé, Dieu, selon Descartes, conserve ce qu'il a fait: mais il ne fait plus rien. Ce chaos sorti de ses mains, va s'arranger par un esset du mouvement, & devenir un monde semblable au nôtre; un monde dans lequel, quoique Dieu n'y mette aucun ordre ni proportion, on pourra voir toutes les choses, tant générales que particulieres, qui paroissent dans le vrai monde. Ce sont les propres paroles de l'auteur, & l'on ne sauroit trop y faire attention.

De ces parcelles primordiales inégalement mûes, qui sont la matiere commune de tout, & qui ont une parfaite indifférence à devenir une chose ou une autre, Descartes voit d'abord sortir trois élémens; & de ces trois élémens, toutes les masses qui subsistent dans le monde. D'abord les carnes, angles, & extrémités de parcelles, sont inégalement rompues par le frottement. Les plus fines pieces sont la matiere subtile, qu'il nomme le premier élément: les corps usés & arrondis par le frottement, sont le second élément ou la lumiere: les pieces rompues les plus grossieres, les éclats les plus massifs, & qui conservent le plus d'angles, sont le troisieme élément, ou la matiere terrestre & planétaire.

Tous les élémens mûs & se faisant obstacle les uns aux autres, se contraignent réciproquement à avancer, non en ligne droite, mais en ligne circulaire, & à marcher par tourbillons, les uns autour d'un centre commun, les autres autour d'un autre; de sorte cependant que conservant toûjours leur tendance à s'en aller en ligne droite, ils font effort à chaque instant pour s'éloigner du ceutre; ce qu'il appelle force centrifuge.

Tous ces élémens tâchant de s'éloigner du centre, les plus massifs d'entre eux sont ceux qui s'en éloigneront le plus: ainsi l'élément globuleux sera plus éloigné du centre que la matiere subtile; & comme tout doit être plein, cette matiere subtile se

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