ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"478"> Juifs disent avoir reçûe de leurs peres, & qui, en transposant les lettres, les syllabes, & les paroles, leur enseigne à tirer d'un verset un sens caché, & différent de celui qu'il présente d'abord. (On peut voir dans Banage les soûdivisions de cette espece de Cabale, & les exemples de transpositions. Hist. des Juifs, chap. iij.)

La Cabale philosophique contient une Métaphysique sublime & symbolique sur Dieu, sur les esprits, & sur le monde, selon la tradition que les Juifs disent avoir reçûe de leurs peres. Elle se divise encore en deux especes, dont l'une s'attache à la connoissance des perfections divines & des intelligences célestes, & s'appelle le Chariot ou Mercava; parce que les Cabalistes sont persuadés qu'Ezéchiel en a expliqué les principaux mysteres dans le chariot miraculeux, dont il parle au encement de ses révélations; & l'autre qui s'appelle Bereschit ou le Commencement, roule sur l'étude du monde sublunaire. On lui donne ce nom à cause que c'est le premier mot de la Genese. Cette distinction étoit connue dès le tems de Maïmonides, lequel déclare qu'il veut expliquer tout ce qu'on peut entendre dans le Bereschit & le Mercava. (Maimonides More Nevochim, pag. 2. ch. xxxjx. pag. 273.) Il soûtient qu'il ne faut parler du bereschit, que devant deux perionnes; & que si Platon & les autres Philosophes ont voilé les secrets de la nature sous des expressions métaphoriques, il faut à plus forte raison cacher ceux de la religion, qui renferment des mysteres beaucoup plus profonds.

Il n'est pas permis aux maîtres d'expliquer le Mercava devant leurs disciples. (Excerpta Gemaroe de opere currus, apud Hottinger, pag. 50, 53, 89.) Les docteurs de Pumdebita consulterent un jour un grand homme qui passoit par - là, & le conjurerent de leur apprendre la signification de ce chariot. Il demanda pour condition, qu'ils lui découvrissent ce qu'ils savoient de la création: on y consentit; mais, apres les avoir entendus, il refusa de parler sur le chariot, & emprunta ces paroles du Cantique des Cantiques, le lait & le miel sont sous ta langue, c'est - à - dire qu'une vérité douce & grande doit demeurer sous la langue, & n'être jamais publiée. Un jeune étudiant se hasarda un jour à lire Ezéchiel, & à vouloir expliquer sa vision: mais un feu dévorant sortit du chasmal qui le consuma: c'est pourquoi les docteurs délibérerent, s'il étoit à propos de cacher le livre du prophete, qui causoit de si grands desordres dans la nation. Un rabbin chassant l'âne de son maître, R. Jochanan, fils de Sauai, lui demanda la permission de parler, & d'expliquer devant lui la vision du chariot. Jochanan descendit aussi - tôt, & s'assit sous un arbre; parce qu'il n'est pas permis d'entendre cette explication en marchant, monté sur un âne. Le disciple parla, & aussi - tôt le feu descendit du ciel; tous les arbres voisins entonnerent ces paroles du pseaume: Vous, la terre, louez l'Eternel, &c. On voit par - là que les Cabalistes attachent de grands mysteres à ce chariot du prophete. Maïmonides (More Nevochim, part. III. préf.) dit, qu'on n'a jamais fait de livre pour expliquer le chariot d'Ezéchiel; c'est pourquoi un grand nombre de mysteres qu'on avoit trouvés sont perdus. Il ajoûte qu'on doit le trouver bien hardi d'en entreprendre l'explication; puisqu'on punit ceux qui révelent les secrets de la loi, & qu'on récompense ceux qui les cachent: mais il assûre qu'il ne débite point ce qu'il a appris par la révélation divine; que les maitres ne lui ont pas enseigné ce qu'il va dire, mais qu'il l'a puisé dans l'écriture même; tellement qu'il semble que ce n'étoit qu'une traduction. Voilà de grandes promesses: mais ce grand docteur les remplit mal, en donnant seulement à son disciple quelques remarques générales, qui ne développent pas le mystere.

En effet, on se divise sur son explication. Les uns disent que le vent qui devoit souffler du septentrion avec impétuosité, représentoit Nabuchodonosor, lequel ruina Jérusalem, & brûla son temple; que les quatre animaux étoient les quatre anges qui présidoient sur les monarchies. Les roues marquoient les empires qui recevoient leur mouvement, leur progres & leur décadence du ministere des anges. Il y avoit une roue dans l'autre; parce qu'une monarchie a détruit l'autre. Les Babyloniens ont été renversés par les Perses: ceux - ci par les Grecs, qui ont été à leur tour vaincus par les Romains. C'est - là le sens littéral: mais on y découvre bien d'autres mysteres, soit de la nature, soit de la religion. Les quatre animaux sont quatre corps célestes, animés, intelligens. La roue est la matiere premiere, & les quatre roues sont les quatre élémens. Ce n'est - là que l'écorce du chariot; si vous pénétrez plus avant, vous y découvrez l'essence de Dieu, ses attributs & ses perfections, la nature des anges, & l'état des ames après la mort. Enfin Morus, grand cabaliste, y a trouvé le regne du Messie. (Visionis Ezechieliticoe, sive mercavoe exposition, ex principüs philosophioe Pytag. theosophioeque judaicoe; Cabbala Denud. Tom. I. p. 225.)

Pour donner aux lecteurs une idée de la subtilité des Cabalistes, nous mettrons encore ici l'explication philosophique, qu'ils donnent du nom de Jehovah. (Lexicon cabalisticum.) « Tous les noms & tous les sur - noms de la divinité sortent de celui de Jehovah, comme les branches & les feuilles d'un grand arbre sortent d'un même tronc, & ce nom ineffable est une source infinie de merveilles & de mysteres. Ce nom sert de lien à toutes les splendeurs, ou séphirots: il en est la colonne & l'appui. Toutes les lettres qui le composent sont pleines de mysteres. Le Jod, ou l'J, est une de ces choses que l'oeil n'a jamais vûes: elle est cachée à tous les mortels; on ne peut en comprendre ni l'essence ni la nature; il n'est pas même permis d'y méditer. Quand on demande ce que c'est, on répond non, comme si c'étoit le néant; parce qu'elle n'est pas plus compréhensible que le néant. Il est permis à l'homme de rouler ses pensées d'un bout des cieux à l'autre: mais il ne peut pas aborder cette lumiere inaccessible, cette existence primitive que la lettre Jod renferme. Il faut croire sans l'examiner & sans l'approfondir; c'est cette lettre qui découlant de la lumiere primitive, a donné l'être aux émanations: elle se lassoit quelquefois en chemin; mais elle reprenoit de nouvelles forces par le secours de la lettre h, he, qui fait la seconde lettre du nom ineffable. Les autes lettres ont aussi des mysteres; elles ont leurs relations particulieres aux sephirots. La derniere h découvre l'unité d'un Dieu & d'un Créateur; mais de cette unité sortent quatre grands fleuves: les quatre majestés de Dieu, que les Juifs appellent Schetinah. Moyse l'a dit; car il rapporte qu'un fleuve arrosoit le jardin d'Eden, le Paradis terrestre, & qu'ensuite il se divisoit en quatre branches. Le nom entier de Jehovah renferme toutes choses. C'est pourquoi celui qui le prononce, met dans sa bouche le monde entier, & toutes les créatures qui le composent. De - là vient aussi qu'on ne doit jamais le prononcer qu'avec beaucoup de précaution. Dieu lui - même l'a dit: Tu ne prendras point le nom de l'Eternel en vain. Il ne s'agit pas - là des sermens qu'on viole, & dans lesquels on appelle mal - à - propos Dieu à témoin des promesses qu'on fait: mais la loi défend de prononcer ce grand nom, excepté dans son temple, lorsque le souverain sacrificateur entre dans le lieu très - saint au jour des propitiations. Il faut apprendre aux hommes une chose qu'ils ignorent, c'est qu'un homme qui prononce le nom de l'Eternel, ou de Jehovah, fait mouvoir les cieux & [p. 479] la terre, à proportion qu'il remue sa langue & ses levres. Les anges sentent le mouvement de l'univers; ils en sont étonnés, & s'entredemandent: pourquoi le monde est ébranlé? on répond que cela se fait, parce que N. impie a remué ses levres pour prononcer le nom ineffable; que ce nom a remué tous les noms & les surnoms de Dieu, lesquels ont imprimé leur mouvement au ciel, à la terre, & aux créatures. Ce nom a une autorité souveraine sur toutes les créatures. C'est lui qui gouveme le monde par sa puissance; & voici comment tous les autres noms & surnoms de la divinité se rangent autour de celui - ci, comme les officiers & les soldats autour de leur général. Quelques - uns qui tiennent le premier rang, sont les princes & les porte - étendards: les autres sont comme les troupes & les bataillons qui composent l'armée. Au - dessous des LXX. noms, sont les LXX. princes des nations qui composent l'univers; lors donc que le nom de Jehovah influe sur les noms & surnoms, il se fait une impression de ces noms sur les princes qui en dépendent, & des princes sur les nations qui vivent sous leur protection. Ainsi le nom de Jehovah gouverne tout. On représente ce nom sous la figure d'un arbre, qui a LXX. branches, lesquelles tirent leur suc & leur seve du tronc, & cet arbre est celui dont parle Moyse, qui étoit planté au milieu du jardin, & dont il n'étoit pas permis à Adam de manger; ou bien ce nom est un roi qui a différens habits, selon les différens états où il se trouve. Lorsque le prince est en paix, il se revêt d'habits superbes, magnifiques, pour ébloüir les peuples; lorsqu'il est en guerre, il s'arme d'une cuirasse, & a le casque en tête: il se deshabille lorsqu'il se retire dans son appartement, sans courtisans & sans ministres. Enfin il découvre sa nudité lorsqu'il est seul avec sa femme.

Les LXX. nations qui peuplent la terre, ont leurs princes dans le ciel, lesquels environnent le tribunal de Dieu, comme des officiers prêts à exécuter les ordres du roi. Ils environnent le nom de Jehovah, & lui demandent tous les premiers jours de l'an leurs étrennes; c'est - à - dire, une portion de bénédictions qu'ils doivent répandre sur les peuples qui leur sont soûmis. En effet, ces princes sont pauvres, & auroient peu de connoissance, s'ils ne la tiroient du nom ineffable, qui les illumine & qui les enrichit. Il leur donne au commencement de l'année, ce qu'il a destiné pour chaque nation, & on ne peut plus rien ajoûter ni diminuer à cette mesure. Les princes ont beau prier & demander pendant tous les jours de l'année, & les peuples prier leurs princes, cela n'est d'aucun usage: c'estlà la différence qui est entre le peuple d'Israël & les autres nations. Comme le nom de Jehovah est le nom propre des Juifs, ils peuvent obtenir tous les jours de nouvelles graces; car Salomon dit, que les paroles, par lesquelles il fait supplication à Dieu, seront presentes devant l Eternel, Jehovah, le jour & la nuit; mais David assûre, en parlant des autres nations, qu'elles prieroni Dieu, & qu'il ne les sauvera pas». Que de folies!

L'intention des Cabalistes est de nous apprendre que Dieu conduit immédiatement le peuple des Juifs, pendant qu'il laisse les nations infideles sous la direction des anges: mais ils poussent le mystere plus loin. Il y a une grande différence entre les diverses nations, dont les unes paroissent moins agréables à Dieu & sont plus durement traitées que les autres: mais cela vient de ce que les princes sont différemment placés autour du nom de Jehovah; car quoique tous ces princes reçoivent leur nourriture de la lettre Jod ou J, qui commence le nom de Jehovah, cependant la portion est différente, selon la place qu'on occupe. Ceux qui tiennent la droite, sont des princes doux, libéraux: mais les princes de la gauche sont durs & impitoyables. De - là vient aussi ce que dit le prophete, qu'il vaut mieux espérer en Dieu qu'aux princes, comme fait la nation Juive, sur qui le nom de Jehovah agit immédiatement.

D'ailleurs, on voit ici la raison de la conduite de Dieu sur le peuple Juif. Jérusalem est le nombril de la terre, & cette ville se trouve au milieu du monde. Les royaumes, les provinces, les peuples, & les nations l'environnent de toutes parts, parce qu'elle est immédiatement sous'le nom de Jehovah. C'est là son nom propre, & comme les princes, qui sont les chefs des nations, sont rangés autour de ce nom dans le ciel, les nations infideles environnent le peuple Juif sur la terre.

On explique encore par - là les malheurs du peuple Juif, & l'état déplorable où il se trouve; car Dieu a donné quatre capitaines aux LXX. princes, lesquels veillent continuellement sur les péchés des Juifs, afin de profiter de leur corruption, & de s'eichir à leurs dépens. En effet lorsqu'ils voyent que le peuple commet de grands péchés, ils se mettent entre Dieu & la nation, & détournent les canaux qui sortoient du nom de Jehovah, par lesquels la bénédiction couloit sur Israel, & les font pencher du côté des nations, qui s'en enrichissent & s'en engraissent, & c'est ce que Salomon a si bien expliqué lorsqu'il dit: La terre tremble pour l'esclave qui regne, & le sot qui se remplit de viande: l'esclave qui regne, ce sont les princes; & le sot qui se remplit de viande, ce sont les nations que ces princes gouvernent, &c.

Au fond, les Cabalistes nous meent par un long détour, pour nous apprendre, 1° que c'est Dieu de qui découlent tous les biens, & qui dirige toutes choses: 2° que Dieu juge tous les hommes avec une justice tempérée par la miséricorde: 3° que quand il est irrité contre les pécheurs, il s'arme de colere & de vengeance: 4° que lorsqu'on le fléchit par le repentir, il laisse agir sa compassion & sa miséricorde: 5° qu'il préfere le peuple Juif à toutes les autres nations, & qu'il leur a donné sa connoissance: enfin, ils entremêlent ces vérités de quelques erreurs, comme de prétendre que Dieu laisse toutes les nations du monde sous la conduite des anges.

On rapporte aussi à la Cabale réelle ou non artificielle l'alphabet astrologique & céleste, qu'on attribue aux Juifs. On ne peut rien avancer de plus positif que ce que dit là - dessus Postel: Je passerai peut - être pour un menteur, si je dis que j'ai lû au ciel, en caracteres Hébreux, tout ce qui est dans la nature; cependant Dieu & son Fils me sont témoins que je ne ments pas: j'ajoûterai seulement que je ne l'ai lû qu'implicitement.

Pic de la Mirandole attribue ce sentiment aux docteurs Juifs; & comme il avoit fort étudié les Cabalistes, dont la science l'avoit ébloüi, on peut s'imaginer qu'il ne se trompoit pas (Picus Mir. in Astrolog. lib. VIII. cap. v.). Agrippa soûtient la même chose; (Voyez de occultâ Philosoph. libr. III. capit. xxx.) & Gaffarel (Curiosités inoüies, cap. xiij.) ajoûte à leur témoignage l'autorité d'un grand nombre de rabbins célebres, Maimonide, Nachman, Aben - Esra, &c. Il semble qu'on ne puisse pas contester un fait appuyé sur un si grand nombre de citations.

Pic de la Mitandole avoit mis en problème, si toutes choses étoient écrites & marquées dans le ciel à celui qui savoit y lire. (Pici Mir. heptaplus, cap. iv.) Il soûtenoit même que Moyse avoit exprimé tous ces effets des astres par le terme de lumiere, parce que c'est elle qui traîne & qui porte toutes les influences des cieux sur la terre. Mais il changea de sentiment, & remarqua que non - seulement ces caracteres, vantés par les docteurs Hébreux, étoient chimériques; mais que les signes mêmes n'avoient pas la figure des noms qu'on leur donne; que la sphere d'Aratus étoit très - diffé<pb->

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