ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"476"> la reçurent les uns des autres par une espece de substitution. On prend surtout ce mot pour la doctrine mysique, & pour la Philosophie occul e des Juifs, en un mot pour leurs opinions my stérieuses sur la Métaphysique, sur la Physique & sur la Pneumatique.

Parmi les auteurs Chrétiens qui ont fait leurs efforts pour relever la Cabale, & pour la mettre au niveau des autres sciences, on doit distinguer le fameux Jean Pic de la Mirandole, qui à l'âge de vingt - quate ans soûtint à Rome un monstrueux assemblage de toute sorte de propositions tirées de plusieurs livres eabalistiques qu'il avoit achetés à grands frais. Son zele pour l'Eglise Romaine fut ce qui l'attacha à la Cabale. Séduit par les éloges qu'on donnoit à la tradition orale des Juifs, qu'on égaloit presque à l'Ecriture - sainte, il alla jusqu à se persuader que les livres cabalistiques qu'on lui avoit vendus comme authentiques, étoient une production d'Esdras, & qu'ils contenoient la doctrine de l'ancienne église Judaique. Il crut y découvrir le mystere de la. Trinité, l'Incarnation, la Rédemption du genre humain, la passion, la mort & la résurrection de J. C. le purgatoire, le baptême, la suppression de l'ancienne loi, enfin tous les dogmes enseignés & crûs dans l'Eglise catholique. Sés efforts n'eurent pas un bon succes. Ses theses furent supprimées, & treize de ses propositions furent déclarées hérétiques. On peut lire dans Wolf le catalogue des auteurs qui ont écrit sur la Cabale.

Origine de la Cabale. Les commencemens de la Cabale sont si obscurs, son origine est couverte de si épais nuages, qu'il paroît presque impossible d'en fixer l'époque: cette obscurité d'origine est commune à toutes les opinions qui s'insinuent peu à peu dans les esprits, qui croissent dans l'ombre & dans le silence, & qui parviennent insensiblement à former un corps de systeme.

Il seroit assez mutile de rapporter ici les rêveries des Juifs sur l'origine de la Philosophie cabalistique, on peut consulter l'article Philosophie judaïque, & nous aurons occasion d'en dire quelque chose dans le cours même de celui - ci: nous nous contenterons de dire ici qu'il y a des Juifs qui ont prétendu que l'ange Raziel, précepteur d'Adam, lui avoit donné un livre contenant la science celeste ou la Cabale, & qu'apres le lui avoir arraché au sortir du jardin d'Eden, il le lui avoit rendu, se laissant fléchir par ses humbles supplications. D'autres disent qu'Adam ne reçut ce livre qu'après son péché, ayant demandé à Dieu qu'il lui accordât quelque petite consolation dans le malheureux état où il se voyoit réduit. Ils racontent que trois jours apres qu'il eut ainsi prié Dieu, l'ange Raziel lui apporta un livre qui lui communiqua la connoissance de tous les secrets de la nature, la puissance de parler avec le soleil & avec la lune, de faire naître les maladies & de les guérir, de renverser les villes, d'exciter des tremblemens de terre, de commander aux anges bons & mauvais, d'interpréter les songes & les prodiges, & de prédire l'avenir en tout tems. Ils ajoûtent que ce livre en passant de pere en fils, tomba entre les mains de Salomon, & qu'il donna à ce savant prince la vertu de bâtir le temple parte moyen du ver Zamir, sans se servir d'aucun instrument de fer. Le rabbin Isaac Ben Abraham a fait imprimer ce livre au commencement de ce siecle, & il fut condamné au feu par les Juifs de la même tribu que ce rabbin.

Les savans qui ont écrit sur la Cabale sont si partagés sur son origine, qu'il est presque impossible de tirer aucune lumiere de leurs écrits: la variété de leurs sentimens vient des différentes idées qu'ils se formoient de cette science; la plûpart d'entr eux n'avoient point examiné la nature de la Cabale, comment ne se seroient - ils pas trompés sur son origine? Ainsi sans prétendre à la gloire de les concilier, nous nous bornerons à dire ici ce que nous croyons de plus vraissemblable.

1°. Ceux qui ont étudié l'histoire de la Philosophie, & suivi les progrès de cette science depuis le commencement du monde jusqu'à la naissance de J.C. savent que toutes les nations, & surtout les peuples de l'orient, avoient une science mystérieuse qu'on cachoit avec soin à la multitude, & qu'on ne communiquoit qu'à quelques privilégiés: or, comme les Juifs tenoient un rang distingué parmi les nations orientales, on se persuadera aisément qu'ils dûrent adopter de bonne heure cette méthode secrete & cachée. Le mot même de Cabale semble l'insinuer; car il signifie une tradition orale & secrete de certains mysteres dont la connoissance étoit interdite au peup (Lisez Vachterus in Elucidario Cabba. Schrammius. Dissert. de Mysteriis Judoeorum philosophicis.) Mais parmi le grand nombre de témoignages que nous pourrions citer en faveur de ce sentiment, nous n'en choisirons qu'un tiré de Jochaides écrivain cabalistique. (Idra Rabba §. 16. Cabb. denud. tom. II.)

R. Schimeon exorsus dixit: qui ambulat ut circumsoraneus, revelat secretum; sed fideiis spiritu operit verbum, ambulans ut circumsoraneus: hoc dictum quoestionem meretur, quia dicitur circumforaneus quare, ambulans, vir cirenmforancus dicendus erat, quid est ambulans? Verumenimvero in illo, qui non est sedatus in spiritu suo, nec verax, verbum quod audivit, hùc illuc movetur, sicut spina in aquà, donec illuc foras expellat; quamobrem? quia spiritus ejus non est stabilis. . . nec enim mundus in stabilitate manet nisi per secretum, & si circa negotia mundana opus est secreto, quanto magis in negotiis secretorum secretissimorum & consideratione senis dierum, quoe nequidem tradita sunt angelis. . . . Coelis non dicam ut auscultent; terroe non dicam ut audiat; certù enim nos columnoe mundorum sumus.

Ainsi parle Schimeon Jochaïdes; & il regardoit le secret comme une chose si importante qu'il fit jurer ses disciples de le garder. Le silence étoit si sacré chez les Esseniens, que Josephe (Prooem. hisi. Judaic.) assûre que Dieu punissoit ceux qui osoient le violer.

2°. Il n'est donc pas douteux que les Juifs n'ayent eu de bonne heure une science secrete & mystérieuse: mais il est impossible de dire quelque chose de positif soit sur la vraie maniere de l'enseigner, soit sur la nature des dogmes qui y étoient cachés, soit sur les auditeurs choisis auxquels on la communiquoit. Tout ce qu'on peut assûrer, c'est que ces dogmes n'étoient point contraires à ceux qui sont contenus dans l'Ecriture sainte. On peut cependant conjecturer avec vraissemblance, que cette science secrete contenoît une exposition assez étendue des mysteres de la nouvelle alliance, dont les semences sont répandues dans l'ancien Testament. On y expliquoit l'esprit des cérémonies qui s'observoient chez les Juifs, & on y donnoit le sens des Propheties dont la plûpart avoient été proposées sous des emblùmes & des énigmes: toutes ces choses étoient cachées au peuple, parce que son esprit grossier & charnel ne lui faisoit envisager que les biens terrestres.

3°. Cette Cabale, ou bien cette tradition orale se conserva pure & conforme à la Loi écrite tout le tems que les prophetes furent les dépositaires & les gardiens de la doctrine: mais lorsque l'esprit de prophétie eut cessé, elle se corrompit par les questions oisives, & par les assertions frivoles qu'on y mêla. Toute corrompue qu'elle étoit, elle conserva pourtant l'éclat dont elle avoit joüi d'abord, & on eut pour ces dogmes étrangers & frivoles qu'on y inséra, le même respect que pour les véritables. Voilà quelle étoit l'ancienne Cabale, qu'il faut bien distinguer de la Philosophie cabalistique, dont nous cherchons ici l'origine. [p. 477]

4°. On peut d'abord établir qu'on ne doit point chercher l'origine de la Philosophie cabalistique chez les Juifs qui habitoient la Palestine; car tout ce que les anciens rapportent des traditions qui étoient en vogue chez ces Juifs, se réduit à des explications de la loi, à des cérémonies, & à des constitutions des sages. La Philosophie cabalistique ne commença à paroitre dans la Palestine que lorsque les Esseniens, imitant les moeurs des Syriens & des Egyptiens, & empruntant même quelques - uns de leurs dogmes & de leurs instituts, eurent formé une secte de Philosophie. On sait par les témoignages de Josephe & de Philon, que cette secte gardoit un secret religieux sur certains mysteres & sur certains dogmes de Philosophie.

Cependant ce ne furent point les Esseniens qui communiquerent aux Juifs cette nouvelle Cabale; il est certain qu'aucun étranger n'étoit admis à la connoissance de leurs mysteres: ce fut Simeon Schetachides qui apporta d'Egypte ce nouveau genre de tradition, & qui l'introduisit dans la Judée (Voyez l'Histoire des Juifs.) Il est certain d'ailleurs que les Juifs, dans le séjour qu'ils firent en Egypte sous le regne de Cambise, d'Alexandre le grand, & de Ptolémée Philadelphe, s'accommoderent aux moeurs des Grecs & des Egyptiens, & qu'ils prirent de ces peuples l'usage d'expliquer la loi d'une maniere allégorique, & d'y mêler des dogmes étrangers: on ne peut donc pas douter que l'Egypte nesoit la patrie de la Philosophie cabalistique, & que les Juifs n'ayent inseré dans cette science quelques dogmes tirés de la Philosophie Egyptienne & orientale. On en sera pleinement convaincu, si l'on se donne la peine de comparer les dogmes philosophiques des Egyptiens avec ceux de la Cabale. On y mêla même dans la suite quelques opinions des Peripatéticiens; (Morus. Cabb. denud. tom. I.) & J. Juste Losius (Giessoe 1706.) a fait une dissertation divisée en cinq chapitres, pour montrer la conformité des sentimens de ces derniers philosophes avec ceux des Cabalistes.

L'origine que nous donnons à la Philosophie cabalistique, sera encore plus vraissemblable pour ceux qui seront bien au fait de la Philosophie des anciens, & surtout de l'histoire de la Philosophie judaïque.

Division de la Cabale. La Cabale se divise en contemplative, & en pratique: la premiere est la science d'expliquer l'Ecriture - sainte conformément à la tradition secrete, & de découvrir par ce moyen des vérités sublimes sur Dieu, sur les esprits & sur les mondes: elle enseigne une Métaphysique mystique, & une Physique épurée. La seconde enseigne à opérer des prodiges par une application artificielle des paroles & des sentences de l'Ecriture sainte, & par leur différente combinaison.

1°. Les partisans de la Cabale pratique ne manquent pas de raisons pour en soûtenir la réalité. Ils soutiennent que les noms propres sont les rayons des objets dans lesquels il y a une epece de vie cachée. C'est Dieu qui a donné les noms aux choses, & qui en liant l'un à l'autre, n'a pas manqué de leur communiquer une union efficace. Les noms des hommes sont écrits au ciel; & pourquoi Dieu auroit - il placé ces noms dans ses livres, s'ils ne méritoient d'être conservés? Il y avoit certains sons dans l'ancienne Musique, qui frappoient si vivement les sens, qu'ils animoient un homme languissant, dissipoient sa mélancholie, chassoient le mal dont il étoit attaqué, & le faisoient quelquefois tomber en fureur. Il faut nécessairement qu'il y ait quelque vertu attachée dans ces sons pour produire de si grands effets. Pourquoi donc refusera - t - on la même efficace aux noms de Dieu & aux mots de l'Ecriture? Les Cabalistes ne se contentent pas d'imaginer des raisons pour justifier leur Cabale pratique; ils lui donnent encore une origine sa<cb-> crée, & en attribuent l'usage à tous les saints. En effet ils soûtiennent que ce fut par cet art que Moyse s'éleva au - dessus des magiciens de Pharaon, & qu'il se rendit redoutable par ses miracles. C'étoit par le même art qu'Elie fit descendre le feu du ciel, & que Daniel ferma la gueule des lions. Enfin, tous les prophetes s'en sont servis heureusement pour découvrir les évenemens cachés dans un long avenir.

Les Cabalistes praticiens disent qu'en arrangeant certains mots dans un certain ordre, ils produisent des effets miraculeux. Ces mots sont propres à produire ces effets, à proportion qu'on les tire d'une langue plus sainte; e'est pourquoi l'Hébreu est préferé à toutes les autres langues. Les miracles sont plus ou moins grands, selon que les mots expriment ou le nom de Dieu, ou ses perfections & ses émanations; c'est pourquoi on préfere ordinairement les séphirots, ou les noms de Dieu. Il faut ranger les termes, & principalement les soixante & douze noms de Dieu, qu'on tire des trois versets du xiv. chap. de l'Exode, d'une certaine maniere à la faveur de laquelle ils deviennent capables d'agir. On ne se donne pas toûjours la peine d'insérer le nom de Dieu: celui des démons est quelquefois aussi propre que celui de la divinité. Ils croyent, par exemple, que celui qui boit de l'eau pendant la nuit, ne manque pas d'avoir des vertiges & mal aux yeux: mais afin de se garantir de ces deux maux, ou de les guérir lorsqu'on en est attaqué, ils croyent qu'il n'y a qu'à ranger d'une certaine maniere le mot Hébreu Schiauriri. Ce Schiauriri est le démon qui préside sur le mal des yeux & sur les vertiges; & en écrivant son nom en forme d'équerre, on sent le mal diminuer tous les jours & s'anéantir. Cela est appuyé sur ces paroles de la Genese. où il est dit, que les anges frapperent d'ébloüissement ceux qui étoient à la porte de Loth, tellement qu'ils ne purent la trouver. Le Paraphraste chaldaïque ayant traduit aveuglement, beschiauriri, on a conclu que c'étoit un ange, ou plûtôt un démon qui envoyoit cette espece de mal, & qu'en écrivant son nom de la maniere que nous avons dit, on en guérit parfaitement. On voit par là que les Cabalistes ont fait du démon un principe tout - puissant, à la Manichéenne; & ils se sont imaginés qu'en traitant avec lui, ils étoient maîtres de faire tout ce qu'ils vouloient. Quelle illusion! Les démons sont - ils les maîtres de la nature, indépendans de la divinité; & Dieu permettroit - il que son ennemi eût un pouvoir presque égal au sien? Quelle vertu peuvent avoir certaines paroles préferablement aux autres? Quelque difference qu'on mette dans cet arrangement, l'ordre changet - il la nature? Si elles n'ont aucune vertu naturelle, qui peut leur communiquer ce qu'elles n'ont pas? Est - ce Dieu? est - ce le démon? est - ce l'art humain? On ne peut le décider. Cependant on est entêté de cette chimere depuis un grand nombre de siecles. Carmine loesa Ceres sterilem vanescit in herbam; Deficiunt loesoe carmine fontis aquoe Ilicibus glandes, cantataque vitibus uva Decidit, & nullo poma movente fluunt. (Ovid. Amor. lib. III. Eleg. 6.) Il faudroit guétir l'imagination des hommes, puisque c'est - là où réside le mal: mais il n'est pas aisé de porter le remede jusques - là. Il vaut donc mieux laisser tomber cet art dans le mépris, que de lui donner une force qu'il n'a pas naturellement, en le combattant & en le réfutant.

2°. La Cabale contemplative est de deux especes; l'une qu'on appelle littérale, artificielle, ou bien symbolique; l'autre qu'on appelle philosophique ou non artificielle.

La Cabale littérale est une explication secrete, artificielle, & symbolique de l'Ecriture - sainte, que les

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